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Échec de Boeing : Une crise de confiance

Deux en 2018, un en 2019, un en 2021, un autre en 2022. Cinq crashs en cinq ans pour Boeing. Pourquoi cette série noire ? Boeing incontestablement a un trou d'air.

Boeing a rompu le contrat de confiance. Sur des animations en 3D inédites, des archives terrifiantes, Et l'analyse des boîtes noires, experts, ingénieurs, pilotes vont nous expliquer, minute par minute, pourquoi des avions qui ont fait la fortune de Boeing et la fierté de ceux qui prenaient leur commande sont tombés. L'avion vire sur la droite et il devient incontrôlable. Quand vous faites une erreur en mettant quelque chose de très lourd dans la mauvaise partie de l'avion, cela peut être catastrophique.

Comment une simple erreur de calcul peut-elle déséquilibrer un avion de 50 tonnes au décollage ? Pourquoi un logiciel censé aider les pilotes à maintenir l'avion en vol s'est-il retourné contre eux dans un engrenage infernal ? Le MCAS pense que l'avion est cabré comme ça. Il pense, oh mon Dieu, ils vont sur la Lune.

Il y a un moment, ils ont 40 kilos de poids dans le manche. Comment l'avion star de Boeing est-il devenu le cauchemar du plus grand ? grand avionneur du monde ils ont mis quelque chose dans l'avion et ils ne nous en ont pas parlé c'est une condamnation à mort j'ai perdu ma fille camille qui avait 28 ans moment du crash derrière ces catastrophes une stratégie dévastatrice pour la marque des secrets aux conséquences fatales une série noire inédite dans l'histoire de l'aviation Nous pensions que c'était une entreprise de pointe qui fabriquait des avions sûrs.

Peut-être qu'on s'est trompés. En route pour des vols hors de contrôle. 21 mars 2022, dans le Gangxi, au sud de la Chine. Au cœur des montagnes, un cratère gigantesque.

20 mètres de profondeur sur 45 de large. L'impact terrible du Boeing 737-800 qui s'écrase à 14h22. L'appareil de la compagnie China Eastern Airlines a disparu des radars une heure après son décollage. Une caméra de surveillance installée à proximité a capté la chute de l'avion. Les images sont assez impressionnantes.

On a cet avion qui descend à la verticale avec des angles qui sont anormaux. Même un pilote qui voudrait pousser sur son manche ne descendrait pas avec un taux aussi important. C'est terrifiant.

Ça a dû être effroyable pour les passagers. L'avion s'écrase au sol à plus de 700 km heure. La forêt s'embrase.

Les 132 personnes à bord sont tuées sur le coup. C'est l'un des pires crashs de l'aviation civile chinoise. Il faisait beau ce jour-là.

L'avion avait été correctement entretenu. Rien n'indique qu'il y ait eu des dommages à l'avion en vol. Il est difficile d'expliquer comment un avion a pu plonger aussi violemment vers le sol. L'enquête commence, mais déjà les médias du monde entier s'emballent. Sans même attendre un début d'explication, tous les yeux se tournent dans la même direction.

C'est un nouveau coup dur pour l'américain Boeing. Le constructeur américain Boeing. Il y a un soupçon autour de Boeing qui n'existait pas auparavant.

Aujourd'hui, après chaque crash, les gens imaginent tout de suite une possible responsabilité du constructeur. Chaque fois qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez Boeing, immédiatement tout le monde se dit Ah, encore ! cette compagnie.

Un réflexe contre le géant américain dont les avions étaient pourtant réputés comme les plus sûrs au monde. Pour comprendre ce revirement d'opinion, il faut remonter 5 ans en arrière en 2018, là où commence la série noire. Ces 5 dernières années, il y a eu 12 accidents dans le monde, dont environ la moitié implique des avions Boeing. Ils se sont pris un gros coup derrière la tête.

Le premier coup dans l'aile de Boeing, il est ici, à la Havane, le 18 mai 2018. Il est 11h à l'aéroport international José Martí. Une centaine de passagers à destination d'Holguin, à l'est de Cuba, guettent les panneaux d'affichage. Leur vol n'est pas encore annoncé.

Et pour cause, leur compagnie aérienne Kubanade Aviation a un souci. qu'elle doit fretter en principe n'est pas en état de voler pour une question de maintenance de pièces ou de pièces détachées. Donc la compagnie fait le choix de faire appel à une compagnie charter mexicaine. Le vol était ce qu'on appelle une location avec équipe. Cette compagnie, Global Air, fournissait l'avion et l'équipage à la compagnie aérienne cubaine.

Un changement de dernière minute qui n'inquiète pas les passagers du vol 972. L'appareil loué pour l'occasion est semblable à celui-ci. C'est un Boeing 737, l'avion star de Boeing. Avant la pandémie, un Boeing 737 décollait et atterrissait toutes les secondes et demie quelque part dans le monde. Conçu en 1967, le 737 a tout simplement révolutionné l'aviation civile. Contrairement à ses prédécesseurs, ses réacteurs sont placés sous ses ailes.

Cela permet d'augmenter la taille du fuselage, tout en gardant un haut niveau de performance au décollage. Ancien pilote de ligne, Randy Babbitt a toute confiance dans cet appareil. Je me souviens de mon premier vol. C'était vraiment une machine incroyable, avec beaucoup de puissance et une capacité à monter très vite, qui dépassait tous les autres avions.

En 50 ans, le 737 a connu des améliorations. Mais il ne s'est jamais démodé. Pour une raison simple, c'est l'un des avions les plus sûrs au monde.

Le 737 pour moi c'est mon vieux vélo dans le garage. Je le connais bien, j'ai confiance en lui. Les systèmes de sécurité sont très importants. de ce modèle avait bonne réputation.

En cas de problème, un autre système pouvait prendre le relais et il y avait comme ça plusieurs niveaux de sécurité. Ce type d'avion était construit comme un tank. Mais il avait en plus une certaine intelligence mécanique, au cas où les choses tournaient mal.

Vous savez, notre dicton c'est si ce n'est pas Boeing, je n'y vais pas En 2018, Boeing est au sommet de sa forme et de sa réputation. Jamais il n'a été aussi sûr de voyager à bord de ses avions. C'est une année sur laquelle il y a eu zéro crash mortel dans le monde pour l'activité commerciale.

L'aviation, on atteint le zéro absolu. Personne ne peut encore imaginer que le ciel va brutalement s'assombrir pour Boeing le 18 mai 2018, 40 secondes seulement après le décollage du vol CE 972. Un décollage prévu dans une heure, à midi. Pendant que les passagers se dirigent vers la porte d'embarquement, le personnel de l'aéroport charge les bagages à bord. Une opération cruciale, qui commence au moment de l'enregistrement et de la pesée des valises.

Pas pour des questions de taxes, mais d'équilibre. Un avion, il doit avoir un certain centrage. C'est-à-dire qu'il ne doit être ni trop lourd à l'avant, ni trop lourd à l'arrière. Les pilotes vont définir à quel endroit il faut mettre, par exemple, la cargaison, le cargo, le frais terrien qu'on emporte en plus des passagers, où est-ce qu'on va mettre les bagages, éventuellement à quel endroit on va mettre du carburant dans les ailes et dans la queue pour certains avions qui auraient plus de réservoirs.

Donc ils vont pouvoir définir comment se fait le centrage. Le beau centrage, c'est quand l'avion... En gros à 5 degrés d'assiette, assiette c'est par rapport à l'horizontale, c'est le bon central. Mais ce jour-là, une grosse erreur se glisse dans le calcul.

Le poids total du chargement embarqué est faux. Et cela va décaler le point d'équilibre vers l'arrière de l'appareil. Il y a 2 tonnes de carburant en trou pour les calculs qui ont été faits, avec en plus par-dessus le marché une mauvaise répartition des passagers.

C'est-à-dire que de mémoire je crois qu'il devait être 50, et là on trouve 62 sièges occupés. Quand vous faites une erreur en mettant quelque chose de très lourd dans la mauvaise partie de l'avion, cela peut être catastrophique, vraiment catastrophique. Pour preuve, cette catastrophe en 2013, quand la cargaison d'un avion militaire américain a basculé dans la soute pendant le décollage. Le centrage a reculé vers la queue de l'avion.

Déséquilibré, l'appareil est devenu incontrôlable. Le pire est donc à craindre pour les 114 passagers et membres d'équipage du vol cubain, encore inconscients du problème d'équilibre. A 12h09, la tour de contrôle donne son feu vert.

La phase de décollage commence. Grâce aux boîtes noires qui enregistrent toutes les données du vol et les conversations du cockpit, Patrick Hopman, correspondant à la Havane, a pu reconstituer ce qu'il se passe à bord. Quand l'avion prend de la vitesse...

Il y a un bruit fort que l'équipage remarque, mais ils se disent que c'est peut-être un hit-pull sur la piste ou quelque chose comme ça. Les pilotes n'ont aucun moyen de savoir que ce bruit est lié au mauvais centrage. Leur avion est l'un des premiers 737 à être sorti des usines de Boeing.

Il a 39 ans. Au roulage, on ne sait pas si c'est hors centrage ou pas. Sur les nouveaux avions, il y a alerte centrage. Et donc, vous arrêtez l'avion.

Mais sur les avions anciens comme celui-là, il n'y a pas d'alerte. L'avion atteint 250 km heure, il est trop tard pour s'arrêter. Et alors qu'il vient tout juste de quitter le sol... Juste au moment où il quitte la piste, l'avion commence à virer à droite.

Juste après avoir rentré le train principal et le train avant, il est parti en virage sur le côté. En partant en virage en même temps, il est parti en ce qu'on appelle en assiette à cabrer. A l'intérieur du cockpit, les pilotes sont sidérés.

Le copilote devient très agité. Vous entendez même le commandant marmonner, qu'est-ce qu'il a fait ce type ? Le copilote l'ignore, mais à cause des deux tonnes de kérosène en trop et du surplus de voyageurs, il tire trop fort sur le manche. Cela déséquilibre l'appareil vers l'arrière.

Au lieu d'être avec un taux de montée qui va être de 15 degrés par exemple, l'avion va continuer à se cabrer. On passe à 20, 20 degrés, c'est déjà énorme. On est dans les alarmes décrochage. Le décrochage, c'est l'une des pires situations dans laquelle peut se retrouver un avion. Un avion est en décrochage quand il a le nez levé, que le pilote maintient son nez vers le haut, et que l'air ne s'écoule pas sur ses ailes.

Donc il va tomber comme ça. Il y a un flux d'air au-dessus de l'aile. Et lorsqu'il y a un flux d'air au-dessus de l'aile, il y a un flux d'air au-dessus de l'aile.

Lorsque l'aile est dans une position inclinée vers le haut, le flux d'air commence à se briser à l'arrière. Donc, il ne crée plus de portance. Et avec le poids, l'avion commence à tomber.

Là, on s'en rend compte parce que l'appareil, en fait, on sent le mou dans les commandes. Donc, les volets ne sont plus soufflés. Il existe une procédure pour reprendre le contrôle. Vous baissez le nez de l'avion en poussant les moteurs.

Vous reprenez votre vitesse et vous pouvez vous en sortir. sortir évidemment plus vous êtes près du sol plus cela devient critique pour éviter le décrochage le commandant doit immédiatement remettre l'appareil à l'équilibré le pilote reprend les commandes à son copilote il essaye de contrôler l'avion et vire sur la gauche pendant un court instant le danger semble écarté le nez de l'appareil est redescendu sous les 20 degrés Mais pas pour longtemps. Le mauvais centrage ne permet pas de stabiliser durablement. L'avion bascule de nouveau à droite en levant le nez au ciel.

Au moment où l'avion vire sur la droite, il devient incontrôlable. Impossible pour le pilote de retourner à l'aéroport et d'atterrir. L'avion décroche à seulement quelques centaines de mètres du sol.

Le crash est inévitable. Le copilote informe la tour de contrôle qu'il y a un problème. Il lance même l'appel de détresse, Medet, Medet !

Il sait qu'ils vont s'écraser. Les passagers sont condamnés. Et le bilan peut encore s'alourdir.

Sous le Boeing en perdition, une banlieue de la Havane et ses 200 000 habitants. Il y a beaucoup de gens qui vivent autour de l'aéroport. Il y a une école qui est très proche et beaucoup de bâtiments.

Dans un ultime geste de bravoure, le commandant de bord pousse comme il peut son avion sur une zone inoccupée de la Havane. Il est midi 10, l'avion cubain percute le sol. Les caméras de surveillance et les téléphones captent le crash en direct.

Le correspondant Patrick Hopman se rend immédiatement sur place, au plus près de la zone du crash. On voit encore de gros morceaux de cet avion, la queue de l'appareil. Une grande partie était calcinée.

Il y avait beaucoup de fumée, une odeur de brûlée dans l'air. Il y avait des valises et plein d'affaires dispersées. Le bilan est lourd, 113 victimes.

Tous les membres de l'équipage et tous les passagers sont morts, sauf un. Par miracle, une jeune femme a survécu et surtout au sol, personne n'a été blessé. Le pilote a réussi à s'écraser sur un terrain inhabité.

Un crash dont Boeing n'est absolument pas tenu pour responsable. Personne ne le sait encore, mais la catastrophe de la Havane n'est que la première d'une série qui va plonger Boeing dans la plus grande crise de son histoire. Cinq mois seulement après le drame de la Havane, le cauchemar recommence. Le 29 octobre 2018 à l'aéroport de Jakarta, la capitale de l'Indonésie.

Il est 6 heures du matin, mais déjà les salles d'embarquement grouillent de monde. En Indonésie, l'avion est le moyen de transport le plus utilisé pour rejoindre les 17 500 îles que compte le pays. Mais c'est loin d'être le plus sûr. Pendant de nombreuses années, les compagnies indonésiennes ont été bannies de l'espace aérien par l'Union Européenne pour des raisons de sécurité.

Il y a des problèmes de maintenance et des problèmes de formation pour les pilotes. L'Indonésie, ça a un petit peu la mauvaise réputation. Quelques années auparavant, le pays, dans sa globalité, était encore classé sur la liste noire.

Donc c'est un pays qui a beaucoup d'accidents. Pour y remédier, certaines compagnies indonésiennes investissent des millions de dollars dans l'achat d'avions de ligne ultra-modernes. C'est le cas de la Lion Air. Quand un passager du vol 610 filme son embarquement ce 29 octobre 2018, il découvre un avion flambant neuf. Un Boeing 737 MAX, le nouveau joyau technologique du constructeur américain.

Boeing en a vendu un millier au cours des 12 premiers mois, ce qui est vraiment remarquable. Lion Air en a acheté 251, c'est un de leurs tout premiers clients. Un nouveau-né qui permet à Boeing de repasser devant Airbus, son principal concurrent. Mais qui va devenir l'enfant maudit de la firme américaine. En 2010, Airbus a sorti son A320neo, neo qui signifie en anglais nouvelle option de moteur C'est un avion qui est tout à fait innovant, qui consomme 20-25% de moins par rapport à la génération précédente.

Ce qui est énorme en termes d'aéronautique parce que c'est là-dessus que les compagnies aériennes vont faire en partie leur beurre. A l'époque, Boeing développe un autre type d'avion. Plus gros, pour les grandes distances. Mais un coup de téléphone va tout changer. Quand le patron d'American Airlines appelle le PDG de Boeing et lui dit Je vais acheter de l'Airbus A320neo, qu'est-ce que vous me proposez, vous, de votre côté ?

Là, je dis Boeing, c'est l'alerte à bord, puisque la compagnie a toujours acheté du Boeing jusqu'à présent. Donc, l'ordre des dirigeants de Boeing, c'est de dire On va se faire coiffer au poteau, faites-moi l'avion identique, mais dépêchez-vous ! Un avion moins gourmand, ça ne s'invente pas d'un coup de crayon. Alors Boeing a une idée pour aller plus vite. Modifier un modèle existant.

Le fameux 737, que tous les pilotes savent déjà conduire. Ça plaira aux compagnies qui pourront acheter un avion qui consomme peu, sans avoir à financer de nouvelles formations. Gagnant-gagnant.

A l'époque, Ed Pearson travaillait chez Boeing. Il se souvient de cette course contre la montre du 737 MAX. C'est une production chorégraphiée très compliquée.

Tout au long de la chaîne de fabrication, il y a des milliers de travailleurs qui s'activent autour pour assembler l'avion. Ils essaient tous de construire des avions aussi rapidement que possible, mais surtout aussi sûrement que possible. Le défi technique est de taille pour les ingénieurs. Créer en un temps record un turbo-réacteur aussi performant que celui du concurrent européen.

Dans les moteurs modernes, on a deux flux d'air. On a le flux primaire qui est au centre, qui chauffe. Donc là, c'est là qu'il y a le vrai réacteur à l'ancienne.

Et c'est là que ça produit de la poussée avec beaucoup de chaleur. Et autour de ce flux primaire, on a un flux secondaire qui est en fait de l'air froid, qui est entraîné. Et il faut imaginer tout le reste du moteur comme un gros ventilateur.

Plus le ventilateur est gros, plus les moteurs sont économes en carburant. Au final, la soufflante du nouveau réacteur atteint ainsi 1,75 m de diamètre. Cela double la part du flux secondaire par rapport aux versions précédentes.

Les résultats sont époustouflants. Un 737 MAX transportant 180 personnes brûle moins de 1,8 tonnes de carburant par heure. Un avion comparable il y a 20 ans aurait brûlé 5,5 tonnes en une heure.

Le problème, c'est qu'une fois installés sur le 737, les réacteurs géants touchent quasiment le sol. Le 737 est vraiment court sur pattes. Il a été conçu dans les années 60, à une époque où c'était un avantage d'avoir un train d'atterrissage assez bas. C'était plus simple pour les bagagistes pour jeter les sacs dans les soudes de l'avion. Du coup, s'ils ne voulaient pas tout changer sur l'avion parce qu'il fallait faire vite, il fallait avancer les moteurs pour ne pas toucher et permettre une inclinaison.

Ils ont dû les rapprocher du fuselage et les placer plus haut. Ils ont donc déplacé le centre de gravité de l'avion. Cela change la façon de voler.

Un nouveau centrage de l'avion qui va avoir une importance cruciale dans la série noire de Boeing. Lors des premiers vols d'essai du 737 MAX, les pilotes notent tout de suite un problème d'équilibre sur l'appareil. Après le premier vol, un problème a été découvert lors de virages serrés à grande vitesse. Il avait une tendance à cabrer à cause des moteurs plus gros placés plus en avant de l'aile.

Et ce qui a été découvert plus tard, c'est que ce risque de décrochage pouvait se produire aussi à basse vitesse. Et les basses vitesses sont celles où l'avion est le plus vulnérable, c'est-à-dire le décollage et l'atterrissage. Faute de temps, Boeing va alors réutiliser un logiciel anti-décrochage déjà présent sur un autre de ses avions.

Ce logiciel s'appelle MCAS, pour système d'augmentation des caractéristiques de manœuvre. Le MCAS a été conçu pour aider le pilote en poussant le nez vers le bas, afin que l'avion ne décroche et tombe du ciel. Le principe est simple.

Si le nez de l'avion se met à monter dangereusement, les deux sondes fixées à l'avant et qui mesurent l'intérieur de l'avion, L'inclinaison de l'avion le détecte. Elles informent alors le MCAS du problème pour qu'il prenne la main et incline lui-même le stabilisateur horizontal. C'est ce qu'on appelle l'entenage en fait. Vous avez la dérive à l'arrière et vous avez deux plans tout à l'arrière de l'appareil. Donc c'est eux qui vont s'incliner pour pouvoir faire piquer l'appareil.

L'idée originale était qu'au lieu que le pilote fasse constamment 1000 ajustements par minute pour que l'avion vole droit, le logiciel le ferait pour lui. Et tout fonctionne à merveille. C'est pourtant bien ce logiciel miracle, censé aider les pilotes à rééquilibrer l'avion, qui va les trahir le 29 octobre 2018. Il est 6h15, le décollage est imminent. Les 181 passagers ont pris place dans le 737 MAX flambant neuf.

Les pilotes déroulent leur dernière checklist. Pour s'assurer que tous les interrupteurs, tous les instruments de mesure fonctionnent correctement. Et ce jour-là, ils passent à côté d'une information cruciale pour que le vol se passe bien.

Une sonde d'incidence, remplacée récemment à un problème. Lion Air a acheté cette pièce de rechange d'occasion dans une casse aéronautique et quand ils l'ont acheté, ils ne l'ont pas vérifiée et ils l'ont installée dans l'avion sans valider son bon fonctionnement. Personne ne remarque que les deux sondes ne sont pas parfaitement alignées. C'est ce que constatera l'agent fédéral Lorraine Daward lors de son enquête sur l'accident.

Ils avaient un écart de 20 degrés entre la sonde de gauche et celle de droite. Le problème a été signalé par l'équipage précédent, mais sur un système de notes mémoire, je crois, dans l'appareil. C'est comme si je vous disais qu'il n'y avait pas de frein sur cette voiture, mais je vous l'ai affiché sous forme de post-it sur le siège à l'arrière.

Dans quelques secondes, ce problème de sonde va précipiter l'avion et son équipage dans un engrenage infernal. 6h20 L'avion s'élance sur la piste. Au décollage, tout était normal, jusqu'au moment où le nez de l'avion s'est détaché du sol.

Un voyant s'est allumé et un signal sonore s'est déclenché. C'est ce qu'on appelle l'alarme configuration de décollage. Ils voient quelque chose qu'aucun pilote ne veut voir juste après le décollage.

Un avertissement de problème de vitesse, un avertissement de problème d'altitude et un avertissement de pression hydraulique. L'avion a une inclinaison de 15 degrés tout à fait normale au décollage. Mais la sonde défectueuse pense qu'il est à 35 degrés, un angle supérieur au seuil de décrochage. Cette fausse information déclenche toute une série d'alarmes, même celle qui est installée dans le manche du commandant de bord. Le vibreur secoue le manche.

C'est une boîte qui est posée sur une colonne de contrôle et qui contient une pièce métallique. Donc ça claque très fort. Et ça se déclenche pour vous dire que vous approchez du décrochage. Difficile pour les pilotes de comprendre ce qu'il se passe. D'autant que leur avion ne dispose pas d'un voyant.

Sonde défectueuse. Boeing propose cette option en payant. Ce n'est pas inclus directement dans le package de base parce que ce n'est pas réellement considéré comme un système de sécurité.

C'est très discutable, objectivement. Des alarmes incompréhensibles dans un avion qui se comporte pourtant bien à la montée. Le pilote ne s'inquiète pas et maintient son calme. Dennis Tager est un pilote de ligne américain avec plus de 20 000 heures de vol au compteur. Il a déjà fait face à ce problème.

Nous sommes formés pour gérer ce type de situation. Il suffit de piloter l'avion, remonter le train d'atterrissage et trouver ce qu'il se passe. Ils en sont donc aux premières étapes.

Ils vont bien, ils vont survivre, pas de problème. Il est 6h25. L'avion survole alors la mer de Java. Son altitude est de 5400 pieds, soit environ 1650 mètres.

Pendant que le copilote cherche l'origine de ces alertes dans les checklists d'urgence, le commandant rentre les volets des ailes pour poursuivre son ascension. C'est tout le contraire qui va se produire. En rentrant les volets, ils se mettent dans la seule configuration dans laquelle le MCAS peut se déclencher. Le MCAS reçoit les informations fausses de la sonde gauche qui indiquent un risque de décrochage.

Il s'active et prend le contrôle de l'avion. Le MCAS pense que l'avion est cabré comme ça. Il pense, oh mon dieu, ils vont sur la lune, ils ne vont jamais redescendre. Donc l'avion essaye d'y remédier. Le MCAS crée un mouvement de piqué sur l'avion en déplaçant les stabilisateurs, ce gros morceau de métal situé à l'arrière de l'appareil.

Et cela déplace le nez très puissamment à une vitesse qu'ils n'ont jamais vue auparavant. En deux secondes, l'avion se retrouve en piqué au-dessus de la mer de Java. Personne ne le sait, mais dans sept minutes, le MCAS aura écrasé l'avion.

À l'intérieur du cockpit, c'est la stupeur. Les pilotes ne savent pas qu'il existe le MCAS pour une simple raison, c'est que le système est fait pour être transparent. Le MCAS était simplement censé fonctionner en arrière-plan pendant que les pilotes volent.

Le MCAS est un fantôme, car il n'y a aucune description du MCAS dans le manuel que Boeing a donné aux pilotes. Les pilotes n'ont pas été formés à ce qui peut arriver en cas de défaillance du MCAS et à la manière dont ils doivent réagir. Mais alors, que faire pour reprendre le contrôle de l'appareil ?

Surtout quand on ignore qu'il y a maintenant un autre maître à bord. Moi je disais à mes élèves, vous ne comprenez pas ce qui vous arrive, quelle que soit la raison, parce qu'il vous arrivera toujours quelque chose comme ça. Vous débranchez tout et vous le reprenez à la main. La solution consiste donc simplement à éteindre le système. Malheureusement, avec les alertes de survitesse, les alertes de décrochage, tout clignotait.

Les alarmes sonnaient, c'était très bruyant et je pense qu'ils ont été submergés. La situation semble désespérée. Mais le pilote réussit à faire remonter l'avion. Sur son manche se trouve un bouton appelé commande de trim qui lui permet de reprendre la main sur le stabilisateur horizontal.

Ce que le pilote ne sait pas, c'est que cet interrupteur coupe aussi le MCAS. Le MCAS se déclenche pour 10 secondes, à moins que vous ne l'arrêtiez. Et ils l'ont effectivement arrêté après environ 5 ou 6 secondes, puis ils ont fait remonter le nez de l'avion. Le pilote se dit, ok c'est bon. Le commandant de bord pense alors que le problème est réglé.

Mais la sonde continue à envoyer de mauvaises informations au MCAS, qui se réenclenche après seulement 5 secondes de pause. Le MCAS compte à nouveau. 1, 2, 3, 4, 5. Et plonge à nouveau.

Le système continue à croire qu'il a... Donc il va se réenclencher deux fois, cinq fois, huit fois. Et c'est pour ça qu'on a cette évolution de l'avion, un peu comme des montagnes russes, l'avion qui monte, l'avion qui descend, il n'arrive pas à garder une altitude stable. Ça a dû être absolument terrifiant pendant le vol. Pendant au moins cinq minutes, ce qui ne semble pas beaucoup pour nous, mais pendant cinq minutes, il a pu contrôler l'avion et maintenir l'équilibre.

En 8 minutes, le MCAS s'active 17 fois. Des déclenchements que le commandant réussit à contrer par miracle. Mais ce combat contre la machine va finir par tourner court. A 6h30 et 48 secondes, le commandant laisse les commandes à son copilote pour demander à la tour de contrôle de libérer l'espace aérien.

Il a besoin d'un atterrissage d'urgence. Quand soudain, le copilote panique. Il n'arrive plus à retenir la chute de l'appareil. Le MCAS s'active trois fois lorsqu'il est aux commandes.

Il arrive à interrompre la première, mais les deux suivantes, il ne les contre pas assez longtemps. Le MK c'est trop fort. Il fait pivoter le stabilisateur à une vitesse de 0,27 degrés par seconde, alors que les pivots de la voiture sont plus rapides.

Les pilotes n'agissent qu'à la vitesse de 0,18 degrés par seconde quand ils appuient sur la commande de trim. Quand le MCAS s'exécute pendant 5 secondes, il faut que le pilote le contre autant, si ce n'est plus. C'est un bras de fer.

Si le pilote ne fait pas ça, le MCAS l'emporte. C'est une bataille presque perdue d'avance. À 6h31, 11 minutes après le décollage, l'avion atteint une inclinaison de 40 degrés vers le sol. Le poids dans le manche va devenir de plus en plus lourd, de plus en plus lourd, le poids qui leur fait aller vers l'avant. Et à un moment, ils ont 40 kilos de poids dans le manche pendant plusieurs minutes.

Les forces en action sont si puissantes qu'ils sont incapables de les vaincre et ils s'écrasent dans l'océan. Le Boeing 737 MAX frappe l'eau à plus de 700 km heure. Tous les accidents ont un impact important, mais celui-ci va tout changer.

C'est vraiment un tournant. Car Boeing a menti. C'est ce que découvrent Joe Jacobsen, qui travaille à l'époque à la FAA, l'agence fédérale d'aviation chargée d'homologuer le 737 MAX.

Une semaine après le crash de l'Ion Air, j'ai reçu un e-mail d'un collègue me demandant Avons-nous rédigé des documents sur le MCAS ? Et ma question a été Qu'est-ce que c'est le MCAS ? Lors du processus de certification, Boeing a caché volontairement ce logiciel anti-décrochage qui prend la main sur les commandes de vol.

Car il aurait fallu former les pilotes à ce nouveau système. Une formation qui coûte très cher aux compagnies aériennes. Pour ne pas décourager les acheteurs, la firme a donc décidé de passer le MCAS sous le radar des agents fédéraux.

Boeing a caché le MCAS. Ils ont dit, en interne nous l'appellerons MCAS, mais en externe, pour toute personne en dehors de Boeing, nous dirons que c'est juste un ajout au système de compensation de régime. Quand l'affaire sort, Boeing admet l'existence du MCAS, mais nie toute responsabilité dans l'accident.

Pour l'avionneur, les pilotes de Lion Air pouvaient gérer le problème en appliquant une procédure d'urgence présente dans leur manuel de vol. La ligne de défense de Boeing est très claire, c'est pas notre faute. La réaction de Boeing a d'abord été de reprocher aux pilotes de ne pas avoir réagi assez vite.

Cette défense ulcère le syndicat des pilotes aériens. américains. Boeing les convoque pour essayer d'apaiser les esprits et leur donner plus de détails sur ce logiciel qui prend automatiquement la main sur les commandes de l'avion. Dennis Stager est présent ce jour-là aux côtés de son président, qui enregistre la réunion sur son téléphone portable. Ségat ne savait pas que ce système était dans l'avion.

Personne ne le savait. Ils savaient qu'ils avaient un interrupteur d'arrêt du stabilisateur et c'est tout ce qui compte. Ils savaient qu'ils avaient un MCAS ?

Nous essayons de ne pas surcharger les équipages avec des informations inutiles, afin qu'ils connaissent seulement les informations importantes. Ça nous a scotchés. C'est comme dire à quelqu'un qui sait nager, va dans l'eau profonde. Et puis, quand tu y es, on te dit, et voilà une encre de 10 tonnes.

Allez, nage ! Vas-y, il n'y a pas de problème. Tu sais nager. On ne peut pas résoudre un problème qu'on ignore. Nous avons besoin de savoir.

Nous méritons de savoir ce qu'il y a dans nos avions. Le constructeur promet de revoir le fonctionnement du MK sous six semaines. Mais hors de question de clouer les 737 MAX au sol.

Boeing et son président de l'époque le martèlent dans les médias. Leur dernier nez est parfait. Le 737 MAX est sûr. La sécurité est une valeur fondamentale pour nous chez Boeing.

Elle l'a toujours été et nos avions sont sûrs. Ce que tout le monde ignore, c'est que Boeing continue de mentir au sujet du 737 MAX et du MCAS. Et surtout, que la série noire est loin d'être terminée.

Nous venons de manquer une occasion d'empêcher une autre tragédie. Cinq mois après le crash en Indonésie, les 737 MAX continuent à sillonner le globe. Jusqu'à ce 10 mars 2019 et une nouvelle catastrophe aérienne en Éthiopie.

A l'aéroport d'Addis Abeba, la capitale éthiopienne, un 737 MAX vient tout juste de décoller en direction de Nairobi au Kenya. A l'intérieur, 149 passagers de 35 nationalités différentes, dont plusieurs français. Camille a 28 ans. Après plusieurs missions dans l'humanitaire en Afrique, elle part s'installer au Kenya avec son petit ami.

Sa mère, Catherine, l'a déposée quelques heures plus tôt au départ de Paris. Elle est allée au port, elle m'a dit, écoute, surtout tu ne t'inquiètes pas, tu ne me bassines pas de WhatsApp en me disant que tu es bien arrivée. Et donc en fait, on s'est quitté, comme d'habitude, c'est-à-dire que je l'ai accompagnée jusqu'au bout.

Et en fait on s'est quitté et elle m'a dit je suis heureuse et je t'aime ma mounette et je lui ai dit je t'aime ma chérinette. Non loin de Camille, au siège 26A, un autre français s'installe, Xavier Fricaudet. Xavier est un jeune homme de 38 ans, il est professeur des écoles à l'étranger.

Il revient de Moscou, il a retrouvé sa fiancée avec laquelle il doit se marier au mois de juillet. Personne parmi les passagers n'a conscience du danger qui guette. Derrière la porte des pilotes, des alarmes vrombissent.

Une fois encore, l'équipage fait face aux incohérences d'une sonde d'incidence. La sonde d'incidence fonctionnait très bien avant le décollage, mais à un moment, pendant le décollage, elle a bugué. On ne sait pas ce qui s'est passé. Un impact d'oiseau ou un ballon.

Ce sont des capteurs assez délicats. Tout au long de ma carrière, j'ai constaté pas mal de problèmes sur les sondes d'incidence. Pour diverses raisons.

Souvent c'est dû à la pluie, à la glace ou à des courts circuits. L'histoire semble se répéter. Comme lors de l'accident de l'Aionair, la sonde de gauche envoie de fausses informations au pilote. Alors que l'avion est en bonne position, le capteur défectueux enregistre une inclinaison de 75 degrés. C'est trois fois la valeur limite de décrochage.

Ils ont le manche qui vibre, le tac tac tac tac tac qui leur dit attention on est proche du décrochage et à ce moment là, ils rentrent leur volet. Quand ils ont rentré les volets, ils ont libéré le monstre, MKAS. Les pilotes connaissent maintenant la procédure à suivre. Mais ils ignorent encore quelque chose de capital.

Ils doivent agir à la seconde. Avant même le premier vol, Boeing détenait un document stipulant que si le pilote ne réagissait pas dans les 10 secondes, cela pouvait entraîner une catastrophe. C'est ainsi que vous concevez un avion ?

C'est surréaliste. 10 secondes, c'est dingue. Ce n'est pas un avion, c'est une machine à tuer. Boeing a fait des hypothèses vraiment agressives sur la rapidité avec laquelle les êtres humains seraient capables de réagir dans une situation de crise, avec des alarmes tout autour d'eux.

Vous êtes là à chercher, quelle est ma vitesse, quelle est mon altitude, est-ce que je décroche, est-ce que je ne décroche pas ? 10 secondes c'est bien trop court, surtout lorsque toutes ces alertes fausses et intempestives se déclenchent. Six secondes après l'activation du logiciel, le pilote tire enfin sur le manche et reprend la main sur le stabilisateur horizontal.

L'avion remonte doucement, mais il a pris énormément de vitesse en piquant. Et cela va empirer. Le copilote poursuit la procédure et désactive totalement le système. Le MCAS est mis hors d'état de nuire pour le moment.

Ils ont compris que le problème était lié au MCAS puisqu'ils ont fait exactement ce que Boeing leur avait dit de faire. Ils ont tout éteint. Et je me souviens d'avoir lu la transcription et de m'être dit Bien joué, allez c'est parti, nous allons réparer ce truc C'est à la main que les pilotes doivent arrêter le piqué de l'avion, en tournant une manivelle fixée sur une petite roue à côté d'eux. Une roue reliée par des câbles au stabilisateur horizontal.

Le copilote dit que ça ne marche pas. Les pilotes ne sont pas capables de tourner cette roue de compensation manuelle à cause des forces qui s'exercent sur les surfaces de l'avion. Personne n'en a conscience, mais l'avion est en survitesse.

Lors du déclenchement du MCAS, l'avion a piqué pendant plusieurs secondes et pris une immense accélération. Pire, contrairement à ce que prévoit la procédure d'urgence, les réacteurs tournent à plein régime depuis le décollage. Pourquoi ont-ils laissé l'avion à pleine puissance ? C'est un mystère pour tout le monde.

Ils n'ont jamais touché les manettes de gaz. L'avion était proche de la vitesse supersonique. Ce mystère, c'est Joe Jacobson qui l'a fait.

a résolu. Selon lui, les pilotes auraient essayé de réduire leur vitesse en 20. Ce qu'il s'est passé, c'est que la sonde défectueuse envoyait beaucoup d'informations erronées dans le cockpit. L'ordinateur qui contrôle la poussée des moteurs n'y comprenait absolument rien. Il a donc choisi de ne rien faire. La pression aérodynamique sur la queue de l'appareil est colossale.

Impossible pour le copilote de faire bouger quoi que ce soit manuellement. C'était comme sortir 20 tonnes de ciment du fond d'un puits. Le commandant de bord tente tant bien que mal de redresser le nez de l'avion, mais cela n'est jamais suffisant.

L'appareil pique toujours plus vers le sol. C'était un cauchemar. L'avion plonge, les pilotes le redressent, essaient de le rétablir, et à nouveau il pique.

Et dès qu'il plonge, l'avion accélère rapidement. Beaucoup d'experts, de pilotes, ont pu nous raconter ce qui se passe physiquement dans l'avion. Les gens sont aspirés vers le haut et sont happés vers le bas.

Ce qui se passe dans l'avion, c'est de la peur, de l'angoisse, des cris, c'est la panique. Il est 8h43. L'avion est hors de contrôle. Les pilotes n'arrivent pas à le stabiliser à la main. Ça ne fonctionne pas.

Et donc le commandant de bord a fait le choix de rallumer l'interrupteur comme une ultime tentative pour faire remonter l'avion. Je me souviens avoir pensé Fais pas ça ! Mais il était déjà trop tard. Le MCAS s'est réveillé immédiatement et cela a fait baisser le nez encore plus.

C'était fini. Après seulement 6 minutes de vol, l'avion s'écrase à plus de 900 km heure dans un champ, à une soixantaine de kilomètres de l'aéroport. 149 passagers et 8 membres de l'équipage meurent dans l'accident.

Je me vois ouvrir l'ordinateur, je vois une photo d'avion et je vois crash, Éthiopie, aucun survivant. Je ne vois que ça. Dans un premier temps, je m'effondre, un peu dans une forme de sidération, de panique, je ne comprends pas ce qui se passe, mais je crois qu'il faut que ça passe par cette sorte de cri. Virginie Fricaudet, la sœur de Xavier, se rend trois jours plus tard en Afrique sur les lieux du drame avec les autres familles des victimes. Le bus s'arrête, on y est, on descend et c'est immense.

Le périmètre qui a été délimité est immense. Au milieu de ce périmètre, il y a un énorme trou qui est le cratère laissé par l'avion. Et dans ce cratère, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses, beaucoup de débris d'avion, beaucoup de vêtements, de chaussures.

C'est forcément morbide et funeste, des petites chaussures de bébé. Tout est découpé, déchiré. Il ne reste rien, en fait. Pour Boeing, ce nouveau crash est accablant.

Car contrairement à l'accident de Lion Air, les pilotes éthiopiens connaissent le MCAS et les recommandations de Boeing en cas de problème. C'est évident que là, ce n'est pas qu'un incident isolé. Il y a un problème systémique.

Boeing plonge au cœur d'une crise sans précédent. Immédiatement après le crash d'Ethiopian Airlines, les pays du monde entier bannissent le 737 MAX de leur espace aérien. Partout, les mêmes images. Des Boeing cloués au sol. C'est horrible quand on doit immobiliser un avion.

Perte de réputation, perte financière, c'est assez dévastateur. Preuve de la gravité de l'avion. de la situation, le congrès américain se saisit du dossier.

Les conclusions sont explosives. Avions mortellement défectueux, certification bâclée, dissimulation d'informations. Lorsque l'INR avait demandé une formation supplémentaire pour leurs pilotes, Boeing les avait traités d'idiots dans un email en interne.

Ils ont été beaucoup plus attentifs à Wall Street et ont pris des décisions qui ont permis à l'entreprise de se faire enlever. d'entreprise d'être plus rentable. Ils ont mis beaucoup de pression sur la main d'oeuvre et sur leurs fournisseurs pour réduire les coûts.

Aveuglés par le profit, Boeing a-t-il mis en danger la vie d'autrui ? Ces drames auraient-ils pu être évités ? Ed Pearson, le directeur de la chaîne de production, est interrogé par le congrès américain à qui il raconte la course contre la montre du 737 MAX.

Pendant cette période, les ouvriers étaient sous pression, fatigués. Il y avait énormément d'heures supplémentaires. Au début, c'était 47 avions par mois, puis 52 par mois. C'est presque deux avions par jour, c'est à peine croyable. Nous avons commencé à voir les taux de malfaçons augmenter.

Et alors je me suis dit, oh mon Dieu, nous prenons vraiment des risques inutiles, c'est dangereux. Alors j'ai écrit au responsable pour lui demander de fermer l'usine. Sa demande reste sans réponse. La production continue. Trois mois après ce courrier, un premier 737 MAX s'écrasait en Indonésie.

Puis un deuxième. C'est la première fois que je ne voulais pas qu'un membre de ma famille monte dans cet avion. Et c'est une chose terrible à dire, surtout en tant que directeur de production.

Moi je suis... vraiment scandalisé par ce qui s'est passé avec Boeing. On a caché les choses, on a fait taire les ingénieurs.

J'ai perdu ma fille, Camille, qui avait 28 ans. J'ai tellement de colère, en fait. Je sais de quoi ils sont capables, quoi. En fait, c'est-à-dire que je connais la duplicité, je connais les compromissions, je connais les mensonges. Notre devise avant c'était, si ce n'est pas Boeing, je n'y vais pas.

Aujourd'hui, c'est je ne te crois pas et je vais vérifier. Ce n'était pas une simple perte de confiance. C'était toute la relation avec la compagnie qui volait en éclats.

Un lien de confiance pulvérisé. Avec le public, les pilotes, les compagnies aériennes. Et des pertes financières colossales.

Boeing a perdu 17 milliards de dollars au cours des trois dernières années. Ce qui efface plusieurs années de profits très élevés. Alors le constructeur américain s'est retroussé les manches pour sortir de la plus grave crise de son histoire. Il a décidé d'indemniser les victimes pour éviter des procès à répétition.

Ces ingénieurs ont travaillé pendant 20 mois sur le 737 MAX pour lui apporter des modifications. Le MCAS ne peut plus s'activer de façon répétée. Il ne dépend plus d'un seul capteur. Et les pilotes ont également besoin d'une formation sur simulateur.

Ils ont passé beaucoup de temps avec les compagnies aériennes et leurs clients à repenser le programme de formation. Il est impératif que tout le monde sache parfaitement ce que fait ce système, pourquoi il le fait, quand il le fait, comment il le fait. Tout cela a été repensé.

Convalescent, le constructeur n'est toutefois pas totalement sorti d'affaire. Son 737 MAX fait toujours débat. Ed Pearson, qui a quitté son poste chez Boeing, et qui est aujourd'hui considéré comme un lanceur d'alerte, a enquêté. Et découvert que 30% des 737 MAX qui volaient aux Etats-Unis avaient rencontré un incident en vol dans le pays.

l'année qui a suivi leur remise en service. Certains des rapports étaient assez préoccupants. Dans certains cas, c'était même des situations d'extrême urgence.

Et si nous rencontrons ces problèmes dès la première année de mise en service, que va-t-il se passer dans 5, 10 ou 15 ans ? De nouveaux incidents qui ont poussé le Congrès américain à lancer rapidement un audit de toutes les chaînes de production de Boeing. Car d'autres types d'avions du constructeur ont aussi connu des déboires.

Réacteur en feu, chute de débris. Jusqu'à ce nouveau crash en 2022 d'un autre 737 en Chine. Un crash dont on ne connaît toujours pas la cause, des mois plus tard.

Si l'avionneur n'est pas responsable de tous ces problèmes, le doute est là. Le mal est profond. A chaque accident, à chaque avarie, les regards se tournent désormais vers lui. C'est vrai qu'on voit les accidents de Boeing d'un autre oeil. On dit, et si nous avions caché quelque chose ?

Boeing est actuellement à la croisée des chemins. Ils doivent décider s'ils veulent être une société d'ingénierie, de haute technologie, qui fabrique un produit de qualité. ou s'ils veulent continuer à faire ce qu'ils ont fait, c'est-à-dire dépouiller de tous ces dollars l'héritage de cette grande entreprise.

Personne n'aime reconnaître ses erreurs, surtout quand il y a eu des morts. Mais il faut les reconnaître. C'est comme cela qu'on avance, pour être sûr que cela ne se reproduise pas. Revenir aux fondamentaux, la sécurité d'abord.

C'est à cette condition que la série noire prendra fin. Et que Boeing reprendra le contrôle d'une firme qui a écrit parmi les plus belles pages de l'aviation mondiale.