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Réflexions sur l'humanité et ses défis

HLP Terminale, 2ème semestre. L'humanité en question, introduction. Et voici enfin la partie 2 tant attendue. Si vous avez pas encore vu la partie 1, go sur ma playlist HLP Terminale et vous la trouverez. La période de référence qui est liée à ce thème est le 20ème et le 21ème siècle.

Donc il est important pour vous de situer votre réflexion dans ce contexte. Même si évidemment vous avez toujours le droit de citer des auteurs qui ne font pas partie de cette période, et vous allez voir que moi aussi je vais le faire. Au début du 20ème siècle, l'humanité nourrit l'espoir d'un monde meilleur.

Que ce soit sur le plan politique et économique, ou sur le plan de la vie. Dans un désir toujours plus fort de créer une égalité réelle entre les citoyens, mais aussi sur le plan scientifique où les progrès deviennent de plus en plus impressionnants. Mais subitement, cette croyance au progrès va être battue en brèche par l'apparition d'une violence inouïe, à tel point que le XXème siècle deviendra le siècle de la barbarie la plus totale. Génocide, violence sociale, guerre mondiale, et même le progrès scientifique devient de plus en plus inquiétant lorsque l'humanité commence à prendre conscience de son pouvoir destructeur. La bombe atomique, la pollution, la destruction des forêts et des espèces animales, démontrent chaque jour que les avancées technologiques sont très loin d'améliorer notre existence sur Terre, à tel point qu'elles représentent aujourd'hui une menace pour la survie de l'humanité.

Toutes ces questions vont être abordées dans cette partie du programme à partir de trois entrées que je vais traiter successivement. création, continuité et rupture. Ensuite, dans la deuxième partie, histoire et violence. Et enfin, dans une troisième partie, l'humain et ses limites. création, continuité et rupture.

Nous allons d'abord définir ces trois termes. Le terme création... signifie donner l'existence à quelque chose.

Le terme continuité signifie quelque chose qui se prolonge dans l'espace et dans le temps sans interruption. Le terme rupture désigne au contraire une interruption brusque. Nous allons maintenant interroger ces trois termes sur deux plans différents.

Le premier plan est celui de la morale. Et le deuxième plan est celui de l'esthétique, autrement dit, le point de vue de l'histoire de l'art. Première partie, les valeurs morales et la mort de Dieu. Le philosophe Nietzsche affirme que Dieu est mort au sens où la science peut désormais se passer de l'idée d'un dieu créateur pour expliquer le monde.

Grâce à Darwin, nous pouvons expliquer la complexité du vivant sans recourir à un grand ingénieur. Si votre œil est un outil aussi complexe, ce n'est pas parce qu'il aurait été pensé par un grand ingénieur créateur du monde, mais parce qu'il est le résultat de milliers de mutations génétiques qui ont été sélectionnées au cours de l'histoire et qui ont procuré un avantage sélectif aux animaux qui avaient la possibilité de voir. Plus tard, sur le plan de la physique, la théorie du Big Bang va également remplacer l'idée d'un dieu créateur. Mais faut-il pour autant devenir nihiliste ?

Être nihiliste, c'est rejeter toutes les croyances, ne plus croire en rien. Si on ne croit plus en rien, y a-t-il encore des valeurs morales qui pourraient guider nos vies ? S'il n'y a plus personne pour nous juger là-haut, à quoi bon faire le bien ? L'écrivain Dostoevsky fera dire à l'un de ses personnages dans Les frères Karamazov Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis.

Cela signifie que si Dieu n'existe pas, alors la morale s'effondre avec lui. Dans les sociétés traditionnelles et religieuses, les valeurs sont dictées par des textes religieux qui instaurent une forme de hiérarchie dans la société. Il y a des interdits qui fixent les limites des comportements. Dans une société traditionnelle, ce sont les anciens qui détiennent le savoir, et on les respecte pour ce savoir, mais dans notre société moderne, la science a remplacé la tradition.

Désormais, la vérité n'est plus en arrière, mais dans le futur, car la science progresse. Nos enfants connaîtront des vérités scientifiques que nous ne connaissons pas, et leurs enfants seront encore plus proches de la vérité scientifique au fur et à mesure des nouvelles découvertes. C'est pareil pour les nouvelles technologies. Nos grands-parents ne savent pas les utiliser la plupart du temps, Et ça nous amène parfois à penser que nous sommes supérieurs à eux.

Alors que dans les sociétés traditionnelles, c'est l'inverse. Les jeunes apprennent de l'expérience des plus anciens. Cette perte de sens et de repère va s'exprimer notamment dans la littérature et le théâtre.

Dans L'Étranger de Camus, on est dans une philosophie de l'absurde. La première phrase du roman, ce qu'on appelle l'Inquipit, est l'une des plus célèbres de la littérature française contemporaine. Aujourd'hui, maman est morte.

Ou peut-être hier, je ne sais pas. Le narrateur ne sait même pas quand sa mère est morte. tellement il est devenu étranger à sa propre vie. Meursault, le narrateur, va finir par commettre un meurtre de sang-froid, et lorsqu'on l'interroge sur les motifs de son crime, il dira au juge avoir commis son acte à cause du soleil, ce qui déclenche l'hilarité de l'audience. Camus va exprimer sa philosophie de l'absurde dans un essai intitulé Le mythe de Sisyphe L'essai porte bien son nom car Sisyphe est un personnage de la mythologie grecque qui est surtout connu pour son châtiment consistant à pousser une pierre au sommet d'une montagne, d'où elle finit toujours par retomber.

Ce châtiment est une métaphore de l'absurdité de la condition humaine. On passe notre temps à construire des projets, puis on vieillit et on meurt. Et nos enfants prennent le relais ensuite, pour finir par mourir à leur tour, et ainsi de suite dans un cycle sans fin. Pour le philosophe Sartre, il faut se confronter à cette absurdité de l'existence.

Selon lui, l'être humain n'a pas de fonction, il ne sert littéralement à rien. Et c'est la raison pour laquelle nous ressentons cette absurdité. Les objets que nous utilisons chaque jour servent à quelque chose.

Une bouteille sert à contenir du liquide. Le smartphone que tu as dans les mains... Ça sert à regarder des vidéos ou à passer des appels. Mais l'être humain, ça sert à quoi ? Si tu veux approfondir ce point, n'hésite pas à regarder ma vidéo sur le sens de la vie.

L'être humain, selon Sartre, n'a pas de fonction, car il n'a pas été conçu par quelqu'un dans le but de servir à quelque chose. Et c'est une très bonne nouvelle, puisque personne ne peut vous enfermer dans une fonction. Une femme, par exemple, n'est pas obligée d'être une maman. Elle est libre de s'inventer la vie qu'elle désire.

La philosophie de Sartre est aussi anti-religieuse, parce qu'elle refuse de penser que l'homme a été conçu pour servir Dieu. Il est libre de s'inventer en fonction de ses désirs. Et c'est finalement pareil sur le plan moral.

Aucune valeur morale ne s'impose à nous de l'extérieur sans que nous l'ayons choisie au préalable. Un jour, pendant la Seconde Guerre mondiale, un étudiant vient voir Sartre avec le dilemme suivant. S'engager dans la résistance ou rester auprès de sa mère qui est malade.

Sartre lui répond qu'en venant le voir, il aimerait se soulager de ce choix en se soumettant à ses conseils. Mais en réalité, Sartre lui répond qu'il est condamné à devoir faire un choix. Et même s'il se soumettait à la vie de Sartre, c'est encore un choix. Ce que Sartre formule ainsi, nous sommes condamnés à être libres.

C'est-à-dire que nous devons faire des choix et personne ne peut nous enfermer dans une fonction. Essayons à présent de voir comment ce sentiment de l'absurde a bouleversé notre rapport à l'art au XXe siècle. L'art moderne et contemporain. Pendant longtemps, la peinture devait représenter quelque chose... et même raconter une histoire.

C'est le principe qu'on retrouve chez Horace ou de Pictura Poesis, selon lequel il y a un lien entre la poésie et la peinture, au sens où la peinture doit raconter quelque chose comme la poésie. La peinture s'organise alors comme un discours, notamment dans le tableau des Ambassadeurs de Holbein, en 1533, où le regard passe successivement plusieurs étapes. On admire d'abord la tenue d'apparat des ambassadeurs, qui représente le luxe, puis on observe les objets, instruments de musique, livres de mathématiques, globes terrestres, un compas.

Bref, tout ce qui représente les arts et la science et la technique. Puis notre regard va vers cet étrange objet en bas qui est une anamorphose, c'est-à-dire une image déformée, mais lorsqu'on la regarde sous un certain angle en collant son œil près du tableau, on se rend compte que c'est un crâne humain. C'est très difficile à faire devant votre écran, mais devant la toile, ça saute aux yeux.

Bref, de face, on voit les sciences, les arts et les habits luxueux, et on ne voit pas le crâne, mais en collant son œil près du tableau, c'est l'inverse. Tout disparaît et on ne voit plus que la mort. Qu'est-ce que tout cela signifie ? Tout simplement que nous avons beau accéder au luxe, aux sciences et aux arts, nous allons tous finir par mourir.

C'est ce qu'on appelle un memento mori, ou bien une vanité. Ce qui signifie Souviens-toi que tu vas mourir Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Ensuite, le regard se porte vers la gauche du tableau, où on remarque un crucifix à moitié caché par un rideau, et qui arrive comme une réponse à cette angoisse de la mort.

Nous allons tous mourir, mais la religion peut finalement sauver notre âme. Donc la peinture doit raconter quelque chose et produire un contenu moral ou religieux. Mais à partir de la fin du XIXe siècle, tout ça commence à être bouleversé.

Notamment à partir de l'impressionnisme, qui représente des scènes de la vie ordinaire, en provoquant toutes les règles morales et bourgeoises. L'œuvre emblématique de cette période, c'est le Déjeuner sur l'herbe de Manet en 1863, qui scandalisa toute la bourgeoisie, en représentant une femme nue en train de pique-niquer avec deux hommes habillés. À partir de là, l'art va progressivement se libérer de toutes les règles, et même de la figuration.

C'est-à-dire que l'artiste n'est plus obligé de représenter la réalité telle qu'elle est. C'est l'apparition de l'art abstrait, notamment avec les tableaux de Kandinsky. Un peu plus tard, et principalement à partir de l'après-guerre en 1945 avec l'art contemporain, on insiste sur la rupture avec les traditions antérieures. Toutes les règles volent en éclats.

L'art contemporain signifie littéralement l'art de notre époque, l'art du présent, au sens où il ne se rattache plus au passé. On décide de se libérer du passé par toutes sortes de pratiques artistiques. Chaque œuvre d'art est alors une provocation qui vise à déstabiliser toutes nos représentations morales, esthétiques, religieuses ou politiques.

L'une des œuvres emblématiques de cette période sont les Merdes d'artistes de Manzoni, qui a mis ses propres excréments dans des boîtes de conserve étiquetées, numérotées et signées. Manzoni se moque ainsi ouvertement du marché de l'art qui est capable de valoriser n'importe quoi, même des matières fécales, pourvu que ce soit labellisé par un artiste. Et l'ironie de l'histoire, c'est que ces boîtes se sont toutes vendues à prix d'or. On comprend alors que le XXe siècle est le siècle des ruptures les plus radicales, non seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan esthétique, où les œuvres d'art deviennent de véritables provocations destinées à nous choquer et bouleverser les codes qui conditionnent notre vision de l'existence.

Ces ruptures radicales ne doivent pas pour autant masquer certaines continuités, et notamment dans le domaine de l'art contemporain. Un artiste contemporain comme Damien Hirst va réinventer le genre du memento mori en 2007 avec un crâne entièrement incrusté de diamants qu'il nomme For the God of Love aussi connu sous le nom de Skull Star Diamond On retrouve ainsi l'idée qu'on avait vu chez Holbein dans Les Ambassadeurs avec le crâne, mais sous une nouvelle forme. Deuxième partie, histoire et violence.

Tout d'abord, commençons par définir les termes. La violence, c'est lorsqu'on abuse de sa force pour contraindre quelqu'un. L'histoire, c'est non seulement le passé de l'humanité, la suite d'événements qui le constituent, mais c'est aussi la discipline qui étudie ce passé, en essayant de le reconstituer et de le comprendre.

Si ces deux termes sont ici en rapport, c'est parce que l'histoire est constituée en majeure partie par des événements violents et des rapports de force. Première partie, la vision progressiste de l'Histoire dans la philosophie. Lorsqu'on étudie les disciplines scientifiques, on se rend compte qu'il existe des lois qui permettent d'établir des récurrences constantes. À chaque fois que vous lâchez un objet, il va tomber. C'est la loi de la gravitation qu'on peut résumer dans une formule mathématique.

Mais lorsqu'on étudie l'histoire, il serait bien difficile de dégager de telles lois, car les événements semblent chaotiques et imprévisibles. Pourtant, le philosophe Hegel pense qu'il existe une direction, une progression. L'histoire a un sens. Ce progrès est dialectique, c'est-à-dire qu'il se fait à chaque fois en trois temps, comme dans une dissertation.

La thèse rencontre une antithèse, et c'est ce qui permet le progrès dans une troisième partie. Pour progresser, il faut toujours rencontrer une adversité, et parfois même une violence. Sans la Révolution française, pas de démocratie.

Donc on a la monarchie qui rencontre la violence révolutionnaire, ce qui aboutit à l'émergence de la démocratie. Mais dans votre vie, c'est pareil. Si vous restez dans votre zone de confort, sans vous faire violence, alors vous ne progresserez jamais. Pour progresser, il faut se faire violence, prendre des risques. Et c'est seulement là qu'on peut vraiment s'améliorer.

Donc la violence a quelque chose de positif, et c'est même vrai dans le sport. Pour se muscler, il faut exercer une violence contre son propre corps, en le soumettant à des charges extrêmement lourdes. Hegel distingue principalement trois formes de civilisation qui permettent de démontrer cette progression de l'histoire en trois temps.

Tout d'abord l'âge du despotisme oriental, où seul un tyran dispose de sa liberté alors que tous les autres hommes en sont privés. Puis vient l'âge aristocratique de la culture gréco-romaine, où quelques hommes disposent de leur liberté, mais ils vivent sur le dos d'une multitude d'esclaves. Et enfin le christianisme, qui affirme la liberté universelle de tous les individus, et qui trouve son avènement dans l'état moderne tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Il y a donc un sens de l'histoire. Plus le temps passe, plus la rationalité s'affirme. Notre société est aujourd'hui organisée sur des bases rationnelles.

C'est la démocratie où chacun dispose d'un même pouvoir de décision, mais c'était pas le cas dans l'Antiquité et au Moyen Âge, où le pouvoir est exercé par une petite élite au détriment de tous les autres. Mais il faut bien comprendre que, pour Hegel, cette rationalité n'apparaît pas immédiatement, car les grands hommes qui font l'histoire... ne sont pas toujours animés par leur raison mais plutôt par leur passion pour le pouvoir, pour la gloire et l'argent.

C'est ce qu'il appelle la ruse de la raison. Les grands hommes comme Napoléon ont soif de pouvoir et de conquêtes violentes, et ils croient faire l'histoire alors qu'en réalité, ils sont déterminés par le sens de l'histoire qui va nécessairement les amener à faire progresser la raison et donc la liberté des individus. En d'autres termes, il y a une sorte de loi de l'histoire qui va dans le sens du progrès et les grands hommes, malgré tout leur projet personnel de pouvoir, sont au service de ce progrès.

Ils sont en quelque sorte les marionnettes d'une loi de l'histoire qui va dans le sens du progrès. Mais finalement, ce progrès reste assez mystérieux chez Hegel. Les humains seraient-ils manipulés par une sorte de divinité qui aurait déjà tracé le sens de l'histoire ? On peut penser tout à fait que Hegel a raison lorsqu'il constate un progrès de nos valeurs démocratiques par rapport à l'Antiquité et au Moyen Âge. Mais son explication de ce progrès reste quand même très mystérieuse.

Celui qui va réussir à donner une explication plus concrète, plus convaincante de ce progrès, bah c'est le philosophe et économiste Karl Marx. En effet, selon Karl Marx, il y a bien un progrès dans l'histoire, mais il explique cela de manière matérialiste, c'est-à-dire sans faire appel à un esprit ou un dieu tout puissant qui déterminerait l'histoire. Pour Marx, l'histoire, c'est l'histoire de la lutte des classes.

À chaque époque, il y a un conflit entre une classe dominante et une classe qui se fait exploiter. Et finalement, pour résoudre ce rapport de force, les hommes sont finalement obligés de progresser vers une société plus égalitaire. Dans l'Antiquité, il y a une lutte des classes entre les maîtres et les esclaves.

Et ça produit des guerres et des violences, notamment ce qu'on appelle les guerres serviles. Les esclaves se révoltent contre leur maître, et la plus connue est celle de Spartacus contre le pouvoir romain. Allez voir la série Netflix, ça vaut le détour. Ensuite, au Moyen Âge, on passe de l'esclavage au servage.

Le seigneur exploite un serf qui travaille pour lui du matin au soir. Mais l'aristocratie va finalement être combattue violemment, notamment pendant la Révolution française en 1789. Ensuite, au XIXe siècle, on assiste à une nouvelle forme de lutte des classes, cette fois-ci entre le capitaliste qui possède les moyens de production, c'est-à-dire les usines et les terres agricoles, et le prolétaire qui n'a pas d'autre choix que de vendre sa force de travail pour un salaire de misère. Ce rapport de domination va une nouvelle fois engendrer de terribles violences, notamment pendant l'insurrection de la Commune de Paris en 1871. Enfin, ce que Marx espère, c'est l'avènement d'une société communiste, complètement égalitaire à une société sans classe, qui met fin à la violence de l'histoire. En résumé, ce que vous devez retenir ici, c'est que l'histoire, c'est l'histoire de la lutte des classes.

C'est-à-dire que l'histoire est une succession d'événements violents qui permettra d'aboutir finalement à une société pacifiée et égalitaire. C'est ce qu'on appelle alors la fin de l'histoire. La violence de l'histoire dans la littérature.

Les références littéraires que vous pouvez utiliser sur le thème de la lutte des classes sont très nombreuses, mais le roman germinal de Zola est particulièrement pertinent car il décrit de manière extrêmement réaliste et documentée les conditions de vie terribles des ouvriers dans les mines en France. à la fin du 19ème. La dernière phrase du roman suggère que les efforts collectifs des ouvriers et leur refus de leur vie misérable portent en germe les révoltes futures. Des hommes poussés, une armée noire vengeresse qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur. et dont la germination allait faire bientôt éclater la Terre.

Germinal, 7ème partie, chapitre 6. On ressent ici toute la colère des ouvriers qui risquaient leur vie chaque jour pour un salaire de misère. Dans son roman le plus célèbre, Le Voyage au bout de la nuit, l'écrivain Louis Ferdinand Céline raconte d'une manière terriblement juste la condition ouvrière dans les usines Ford en 1932. C'est ce que Marx appelait l'aliénation d'ouvriers. L'aliénation, c'est lorsqu'on devient étranger à soi-même, qu'on est dépossédé de soi-même, qu'on est transformé en machine. Quand à 6 heures tout s'arrête, on emporte le bruit dans sa tête. J'en avais encore moi pour la nuit entière de bruit et d'odeur à l'huile, aussi comme si on m'avait mis un nez nouveau, un cerveau nouveau, pour toujours.

Au cinéma, vous pouvez également citer deux excellents films sur l'aliénation de l'ouvrier, Les Temps Modernes de Charlie Chaplin et Métropolis de Fritz Lang, qui mettent en scène l'aliénation de l'ouvrier et la lutte des classes. Le premier dans un registre comique, et le second d'une manière tragique. L'humain et ses limites. Au XXème siècle, les progrès scientifiques deviennent fulgurants, à tel point que l'homme est en mesure de partir à la conquête de l'espace, mais aussi de comprendre et modifier sa propre génétique, et pourquoi pas un jour de trouver un remède contre la mort. Mais en transformant ainsi la nature, ne risque-t-on pas non seulement de la détruire, mais aussi de perdre notre propre humanité ?

C'est toute la question de la limite qui se pose ici. Faut-il mettre des limites à notre désir de savoir, de conquête et de puissance ? L'homme peut-il devenir un dieu ? Première partie, le pouvoir de la technique.

Dans le dialogue Protagoras, Platon prend une légende grecque bien connue, le mythe de Prométhée. Les dieux décidaient un jour de créer des êtres vivants et chargèrent Épiméthée de donner à chacun d'entre eux certains attributs pour leur permettre de survivre. Au serpent revint le venin, à l'éléphant la puissance, à l'antilope la rapidité, etc. Quand vint le tour de l'homme, Épiméthée avait épuisé tous les attributs possibles. L'homme était là devant lui, tout nu et vulnérable, sans fourrure, sans crocs puissants et sans griffes.

Comment allait-il survivre un seul instant ? Sous ce climat et face aux prédateurs. Son frère Prométhée décida alors de voler aux dieux la techné. La techné en grec, c'est ce savoir-faire qui nous permet de transformer la nature, notamment grâce à la maîtrise du feu. Un mythe en philosophie, ce n'est pas une histoire qu'il faut prendre au pied de la lettre.

Platon ne croyait certainement pas que cette histoire se fût réellement passée. Mais ce qui est intéressant, c'est le contenu du mythe, ce qu'il signifie. L'être humain a beau être le plus vulnérable des êtres vivants, Il est le plus puissant par sa maîtrise technique.

Le philosophe Aristote dira aussi que c'est pas un hasard si l'animal le plus intelligent de la planète est précisément celui qui possède des mains. Car la main est moins puissante qu'un sabot ou qu'une griffe d'ours, mais elle permet de construire des outils perfectionnés bien plus puissants et redoutables que les animaux les plus féroces. Un fusil de chasse créé par la main la plus fragile aura raison des sept tonnes de l'éléphant. La technique n'est pas seulement un outil de survie. A partir de la Renaissance, elle sera couplée à la science Et elle produira alors les progrès les plus incroyables.

C'est ce qu'on appelle la technologie. L'alliance du savoir et de la technique. Le mythe de Prométhée tend à se confirmer. L'homme est en train de devenir un dieu tout puissant, c'est ce qui fera dire à Descartes, qui assiste à la naissance de la science moderne, que la science doit nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.

En effet, le progrès technologique a permis l'allongement de l'espérance de vie, et certains ingénieurs imaginent des technologies qui nous permettront peut-être un jour de vaincre la mort elle-même, en devenant immortels. Dans sa forme la plus extrême, cette perspective est aujourd'hui incarnée par le transhumanisme, un courant de pensée qui prône l'amélioration de nos capacités physiques et mentales grâce à la technologie. La question qui se pose maintenant est la suivante.

Pour se civiliser, l'homme a réussi à dominer non seulement la nature extérieure, mais aussi sa propre nature animale. Mais ne risque-t-on pas de passer de la domination à la destruction ? Le XXe siècle a été marqué par deux guerres mondiales dévastatrices qui ont instrumentalisé la technique à des fins terrifiantes.

La chambre à gaz utilisée par les nazis ou la bombe atomique utilisée par les américains sont des inventions technologiques qui sont directement impliquées dans la mort de millions d'individus. Mais le XXème siècle est aussi le siècle de toutes les catastrophes écologiques qui menacent aujourd'hui notre survie sur cette planète. Mais cette question n'est pas simplement la question de la survie de l'humanité au sens propre.

Elle implique aussi une question morale. Le progrès technologique illimité n'est-il pas aussi en train de briser ce qui fait notre humanité ? Dès 1931, l'écrivain Aldous Huxley avait déjà très bien compris tous ces enjeux en écrivant le roman dystopique Le meilleur des mondes.

Une dystopie est un récit de fiction qui dépeint une société imaginaire organisée de telle façon qu'il soit impossible de lui échapper, et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur liberté. Le récit évoque une société futuriste et eugéniste. Le génisme, c'est une pratique qui vise à sélectionner le patrimoine génétique des générations futures.

Dans ce nouvel état mondial, les bébés naissent en éprouvettes et sont ensuite conditionnés pour remplir une fonction au sein de la société toute leur vie. Et pour que tout le monde puisse se sentir le plus heureux possible, une drogue appelée le Soma est distribuée qui permet à chaque individu, même d'une classe inférieure, de se sentir le plus heureux du monde. Cet ouvrage interroge nos valeurs les plus profondes. Que recherchons-nous au juste vraiment dans l'existence ?

Certes, le progrès technologique peut nous apporter le plaisir, le confort, mais n'avons-nous pas aussi le désir de vivre librement et d'exprimer notre singularité, c'est-à-dire ce qui fait aussi notre originalité ? Le meilleur des mondes n'est-il pas alors le pire des mondes possible ? Ce qui nous amène à la question suivante.

La société moderne représente-t-elle un progrès pour l'humanité ? Le philosophe Heidegger va s'opposer de manière très forte à la vision de Descartes sur laquelle, rappelez-vous, l'homme doit devenir maître et possesseur de la nature. C'est ce que Heidegger appelle L'arraisonnement de la nature.

Dans le mot arraisonnement, il y a d'abord un sens de maîtrise, de contrôle. On dit par exemple de la douane qu'elle arraisonne un avia. Mais il y a aussi le sens de raison.

C'est-à-dire que la raison humaine par l'intermédiaire des technosciences a pris le contrôle sur la nature en le transformant en stock de ressources disponibles. Un fleuve comme le Rhin était emmuré dans du béton pour nous servir de centrale hydroélectrique. La nature est ainsi transformée en pile électrique.

Le film Avatar est d'ailleurs construit entièrement sur ce thème. L'écrivain et philosophe Henri David Thoreau était conscient des ravages de l'industrialisation au XIXe siècle, et c'est la raison pour laquelle il décide de partir vivre dans une cabane dans la forêt, et d'écrire sur cette expérience dans un ouvrage autobiographique qui s'appelle Walden ou La vie dans les bois. C'est l'un des premiers penseurs écologistes de l'histoire, et voici l'un de ses raisonnements. Qu'est-ce qui est plus confortable, demande Thoreau ? Un appartement en plein centre-ville ou un wigwam d'Indien ?

Un wigwam, c'est une sorte de cabane. Dans l'appartement, vous avez l'eau courante, Le chauffage et une très bonne isolation. Dans le Wigwam, il y a moins de place et les conditions sont un peu plus difficiles.

Faut aller à la rivière pour se baigner et se chauffer avec du feu et de la fourrure. On pourrait crier au génie de notre technologie qui nous a enfin permis de sortir du Wigwam. Et pourtant, Toro dit l'inverse. Combien d'années un ouvrier ou un employé doit-il travailler pour se payer cet appartement ?

Un appartement assez moche en banlieue parisienne peut coûter en moyenne 20 ans de salaire. C'est-à-dire que notre employé a consacré 20 ans de sa vie... dans un boulot parfois extrêmement pénible et répétitif, à payer un appartement dans une barre de béton en banlieue parisienne.

À côté de ça, l'Indien met deux jours à construire son wigwam, et il est libre de faire ce qu'il veut de sa vie au grand air. Et dès qu'il veut partir ailleurs, il lui suffit de le détruire pour le reconstruire ailleurs. Il ne possède rien, mais il est infiniment plus libre que nous.

Non seulement le progrès technologique a tendance à détruire la nature, mais d'une certaine manière, il ne nous libère pas vraiment du labeur, puisque l'ouvrier doit sacrifier sa vie entière pour profiter de ce confort. Thoreau résume ce raisonnement dans cette formule On est riche de tout ce dont on peut se passer En conclusion, nous pouvons dire que l'être humain rencontre aujourd'hui des limites à son désir de toute puissance, ce que les Grecs appelaient l'hubris, la démesure, l'arrogance, l'orgueil. Ces limites sont à la fois écologiques, mais aussi morales, et c'est peut-être là le rôle de l'art et plus particulièrement du poète.

Le poète nous apprend à voir le monde d'une nouvelle manière, non pas pour la raisonner, comme dirait Heidegger, c'est-à-dire pour le transformer en stock de ressources disponibles, mais pour contempler sa beauté et s'en inspirer. Rappelez-vous du Rhin qui a été emmuré dans du béton pour être transformé en centrale hydraulique. Voici comment un poète comme Alderlin contemple ce même fleuve.

Mais à présent, au-dedans du massif, tout au fond sous les cimes argentées, et sous la joyeuse verdure où les forêts frissonnent envers lui, la voix est-elle du plus noble des fleuves, du Rhin librement né, une énigme et le surgissant pur ? Le Rhin, Friedrich Alderlin. Le poète ne voit pas le fleuve du Rhin comme une simple ressource qu'il s'agirait d'exploiter pour en tirer le maximum d'énergie, mais comme quelque chose qui possède une existence propre en dehors de lui. C'est l'idée de liberté qui est à l'œuvre dans ce poème, mais aussi l'idée d'énigme, à laquelle le poète est si sensible.

Une énigme et le surgissant pur. La nature possède son propre mystère que l'esprit scientifique occidental est parfois pressé de résoudre en transformant la nature pour ses propres besoins. Le poète, au contraire, se laisse surprendre par la nature, par son mystère. par sa beauté. C'est peut-être le regard du poète sur le monde qui nous sauvera de sa destruction par l'espèce humaine.

Voilà, ce cours HLP est maintenant terminé. Vous pouvez me poser toutes vos questions dans les commentaires. Si ces vidéos vous ont été utiles, n'oubliez pas de liker et de partager sur les réseaux. A très bientôt !