Monsieur l'administrateur, mesdames et messieurs les professeurs, si cette circonstance solennelle où vous me laissez avec la parole l'illusion du savoir ne faisait déjà naître une vive émotion, je verrais une bonne raison d'être troublé dans un fait tout simple. L'enseignement que vous suffra à... me font l'honneur de me confier, concerne un domaine encore assez peu familier, en dépit du succès de mode que lui fit le structuralisme français des années 60, pour que beaucoup d'usagers n'aient guère de certitude, ni quant à la prononciation de la langue.
du mot de linguistique qui le désigne, ni quant à son sens, le linguiste étant souvent pris pour un garant de la norme, ou bien pour un polyglotte. Et je puiserai un second motif de trouble dans un autre fait simple, à savoir qu'en présentant ces observations, je fais par la même et déjà de la linguistique. Oui, de toutes les disciplines, celle-ci, dont j'ai cultivé dès l'enfance, une forme alors bien rudimentaire, est la seule qui est pour... objet le discours même qu'elle en tient.
La linguistique, une matière qui sait à peine articuler son nom et qui, étudiant la langue, le fait en langue. Ne concevez-vous pas quelque inquiétude d'avoir offert une telle tribune à un tel objet ? Pour en apaiser une part, je marquerai ma gratitude au-delà des discours, dans le soin que je prendrai des études exaltantes, encore qu'à peine majeures, que vous voulez bien accueillir.
Le Collège de France n'est pas loin d'exaucer le rêve de toucher à la vie, chercheur, se consacrer à sa seule recherche. Si redoutable que soit désormais ma responsabilité, je m'efforcerai de mériter la confiance des hommes éminents à qui je dois d'être ici. Monsieur Jacques Gernet, Jean-Marie, Jean-Marie Zemm et Gérard Fussmann qui encouragèrent ce projet, sans parler de ceux nombreux dont la bienveillance me soutint. Je les remercie tous, bien que je me demande si, en sollicitant leur vote, je n'ai pas cédé à quelques goûts ambigus de la brimade.
Car la condition naturelle du chercheur est de trouver, parfois, en se trompant souvent, droit inaliénable. alors que l'hôte de cette vénérable maison est dans le cas douloureux d'être frappé d'un interdit d'erreur. Je veux croire que vous me laisserez le violer, vous qui savez mieux que quiconque que la recherche est une quête au pignâtre d'un peu de lumière pour éclairer de loin en loin beaucoup d'obscurité.
Laissez-moi également exprimer ma reconnaissance envers André Martinet, à qui l'on doit une des plus grandes contributions du siècle au progrès des sciences du langage, ainsi qu'envers André Audricourt, Bernard Potier, Jacqueline Thomas, tous prêts sans doute à m'accorder que contester un enseignement est une manière sûre, encore qu'insolite, de le prolonger. Puissent-ils reconnaître dans ma démarche des traces de ce qu'ils m'ont appris et entendre dans ma voix quelques échos de la leur ? Le terme de linguistique n'a jamais jusqu'ici figuré dans le nom d'aucune chaire du Collège de France.
Il n'en a pourtant pas manqué qui eut cet un rapport avec le langage, parmi celles de langue et littérature ou d'histoire et philologie de diverses ères culturelles. La philologie est une des premières choses qui a été utilisée par les philosophes de la France. bien qu'elle n'étudie pas la langue en soi, ayant largement recours à elle. Au XXe siècle, quatre personnalités sont à retenir. La Bérousse-Lot, dont le bref enseignement de phonétique marqua durablement ses auditeurs, Marie-Laurent, qui fit un cours d'histoire du vocabulaire français, Roland Barthes qui illustra la sémiologie littéraire et M.
Zemme qui fut, il y a deux ans, le premier linguiste au sens moderne à entrer ici, sur une chaire de grammaire et pensée allemande. Cependant, l'intitulé de théorie linguistique n'est pas, malgré sa nouveauté, la marque d'une rupture. Il est un signe des temps. Trois professeurs illustres, Bréal, Meillet et Benveniste, ont successivement occupé...
au Collège de France durant près de 100 ans une même chaire de grammaire comparée. Par un étrange concours, c'est à Paris que l'allemand Bopp apprit auprès de grands maîtres le persan, l'arabe, l'hébreu, le sanscrit. Mais son célèbre livre de 1816 sur le système de conjugaison comparée du sanscrit et des langues grecques, latines, persanes et germaniques, où il rejoignait les vues d'un chercheur exceptionnel, le Danuarask, ne fit pas école en France.
Car au début du XIXe siècle, sur le système de conjugaison comparée Seuls deux courants étaient représentés à Paris. Parmi les savants, les uns... se spécialisait dans des langues particulières dont il envisageait guère la dynamique.
Les autres étaient des théoriciens de la grammaire générale, qui, à travers Port-Royal, remontaient à la pensée médiévale et n'avaient pas pris le caractère d'une discipline comparative et historique. Mais en 1866, lorsque Bréal introduit en France la grammaire comparée, en traduisant l'ouvrage de Bop, dont il avait suivi les cours à Berlin, la situation a changé. L'habitude prise de tenir compte des faits sociaux dans l'évolution s'est étendue à la linguistique, science dont le nom apparaît en 1826 chez Balbi et sera repris en 1833 par Naudier.
D'autre part, la discipline s'est dépouillée du mysticisme à relents nationalistes responsables d'une certaine réaction de réserve en France, par exemple à l'égard de Grimm, pourtant reconnu comme celui qui avait pour la première fois en 1822 posé une loi linguistique en posture. postulant les fameuses mutations consonantiques de l'ancien germanique. En 1881, Bréal, accueillante aux grands esprits, confie son enseignement de l'école des hautes études à un savant de 24 ans, Ferdinand Saussure, célèbre depuis son mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, soutenu en 1878 à Leipzig devant les fondateurs de l'école des néogrammériens. Ceci renouvelait les méthodes en expliquant la réalité de la vie de l'homme. les changements de son dans les langues par des lois phonétiques régulières, susceptibles cependant d'être contrariées par les effets de l'analogie ou de l'emprunt.
Ferdinand Saussure ajoute la marque de son génie à cette théorie, dont il retient surtout une réelle perspective historique, enfin substituée à la confusion de l'histoire avec la Genèse, qui caractérisait certains des premiers comparatistes. Saussure demeure dix ans à Paris. Son enseignement allait non seulement constituer une étape importante sur la voie qui devait aboutir à son propre cours de linguistique générale, œuvre fondatrice en 1916 de toute la linguistique de notre siècle, mais encore il allait façonner, par sa rigueur, sa richesse et son élégance, une génération de linguistes enthousiasmés.
Parmi eux, Meillet, successeur de Bréal ici même, en 1906. La notion de système, moins antinomique de celle d'histoire qu'on aime. aime à le dire, est déjà présente dans sa démarche, et même celle toute structuraliste, de très distinctif. De plus, son maître Bréal, qui n'était pas sans méfiance à l'égard du vitalisme simpliste et de certaines divagations organisistes du comparatisme, s'était inscrit, pour une part, dans la tradition française de la grammaire générale, par son traité de sémantique, 1897, bien que la science de l'analyse du sens qui l'y fondait fût loin d'être purement statique. Amélie succède Benveniste en 1937. Tout comme l'un avait tiré de son travail de comparatiste une théorie de la causalité sociale des changements linguistiques, l'autre, dès ses grands livres sur les noms et sur les suffixes nominaux en indo-européen, laissait pressentir une conception du sujet humain du discours dont on n'a pas fini d'exploiter la fécondité.
L'essentiel de ses cours fut bien cependant, comme chez ses deux prédécesseurs, consacré à la théorie de la culture. à la grammaire comparée. C'est pourquoi, même si l'accident de 1969, qui, tragique ironie du destin, priva le linguiste de l'usage de la parole, n'avait pas été suivi par une longue période de près de vingt ans où la linguistique fut absente du Collège de France, tandis qu'elle prospérait ailleurs sous des traits variés, l'enseignement qui commence aujourd'hui ne pourrait nullement apparaître comme succédant à celui d'un homme dont la stature surplombe notre temps.
Bien que... Convaincu comme tous ceux de ma génération, je doive beaucoup à ma veniste, mon dessin est autre, plus modeste et plus téméraire à la fois. Convaincu qu'il n'y a pas de réel divorce entre les deux visées, l'une historique, l'autre de grammaire générale, qui ont tour à tour dominé nos études, je m'efforce de tirer de l'examen des langues les plus diverses et de leur cycle d'évolution un modèle du langage qui puisse contribuer à un projet anthropologique. En créant une chaire de théorie linguistique, le Collège de France a non seulement pris acte de l'évolution de ces problématiques, mais encore il a bien voulu m'éviter des comparaisons à la fois périlleuses et peut-être aussi dépourvues de réelle pertinence. Le dernier rite qui me reste à accomplir sur ce parcours initiatique me fournit l'occasion de rappeler un point essentiel.
Je remercie l'Académie des inscriptions et belles lettres d'avoir bien voulu ratifier le vote des professeurs. professeur du Collège de France. Mais pourquoi pas aussi l'Académie des sciences ? En ne la consultant pas, a-t-on voulu rappeler que la linguistique est vouée, du moins en l'état actuel, à n'être que la plus scientifique des disciplines littéraires ?
Beaucoup de linguistes redoutent que de la boîte de Pandore des sciences humaines, dont certaines ont l'habitude de travailler sur la place publique et de répondre à sa demande, ils ne sortent trop. d'idéologie. Ils ont donc besoin de s'abriter derrière l'assurance réitérée du caractère scientifique de leurs pratiques. Les scientifiques vivant dans la science en parlent moins et même Ils revendiquent parfois cette part de rêve qu'une déduction trop inexorable réduirait à néant, comme disait M.
Philippe Nausière dans la leçon inaugurale de sa chaire de physique statistique. Il leur arrive... d'avoir recours à des métaphores, champs génétiques, chaos, etc. où beaucoup se reconnaissent.
Pourtant, leur pratique demeure bien un modèle légitime pour les linguistes, puisqu'elle consiste à dompter par les... rigueur de la preuve, les impatiences de l'intuition. De fait, le sens commun, porté par l'illusoire transparence d'une activité aussi quotidienne que de parler, produit sur le phénomène de langage un intarissable défi.
Gésère de vision chimérique. Les lettres de l'alphabet représenteraient toutes des sons. Le chinois n'aurait pas de grammaire.
On ne trouverait pas de mots pour exprimer les concepts dans les idiomes australiens ou néo-guinéens. Les dialectes bantous ne posséderaient qu'un lexique très pauvre et ne seraient pas de vraies langues, etc. En rétablissant les faits, le linguiste s'efforce de faire œuvre de recherche objective. L'Académie des sciences peut peut-être, à ce titre, lui octroyer quelque attention.
Mesdames, Messieurs, puisque je viens de parler de science, permettez-moi, en préambule à l'exposé, de la manière dont je conçois cet enseignement, d'esquisser une définition de la discipline. Faire une épistémologie de la linguistique n'est pas une besogne aisée ni sans risque. en s'y consacrant sérieusement, on s'expose, devant le foisonnement des modèles interprétatifs dans le temps et dans l'espace, à ne plus faire que scruter l'histoire des modes de connaissance du langage et canaliser les continuités et les coupures théoriques. c'est-à-dire à faire œuvre de professeur de linguistique plutôt que de linguiste.
Certes, l'un implique l'autre, et je viens moi-même de retracer à gros traits l'évolution depuis le début du IXe siècle en Occident, mais il me fallait bien exposer ce qui s'est dit autrefois en ces lieux comme cadre d'essor à ce que j'entreprends. Il importe davantage de se ménager le temps d'apporter sa pierre, du tel n'être qu'un caillou. À s'éprendre d'histoire, on oublie de bâtir une histoire.
Tout paraît déjà dit. Une voie, certes étroite, est à chercher entre la religion des précurseurs, observée parfois en France, et l'allégresse iconoclaste qu'il arrive de rencontrer aux États-Unis. Le plus profitable me paraît être ici d'interroger sur leur méthode les autres sciences, celles de la nature, celles de l'homme. Dans un article de 1986, Victor Engvi...
ancien physicien américain conseille aux linguistes, l'étant devenu lui-même, d'apprendre leur procédure des scientifiques, non des philosophes. La linguistique, ajoute-t-il, née de la philosophie, comme toutes les sciences, n'a pas, à la différence de ces dernières, vraiment rompu ce lien d'origine. À preuve, la grande place qui tient la polémique, tout comme dans les états anciens de la physique.
Critiquant ce penchant scolastique, l'autre L'auteur recommande de ne retenir qu'un seul aspect, celui par lequel la linguistique est une science expérimentale. Le linguiste, en effet, doit savoir accepter les gifles du réel, non avec l'espoir masochiste de devoir tendre l'autre joue, mais pour en déduire une démarche propre à le lui éviter. Cela suppose que la linguistique n'est pas encore assez mûre pour élaborer un modèle hypothético-déductif et que l'on en a une conception plutôt béconienne que keplerienne. Sans compter qu'il n'y aurait pas eu de loi de Kepler sans les descriptions du mouvement des planètes par Tycho Brahe, ni plus récemment de mécanique quantique sans d'innombrables données spectroscopiques d'abord accumulées.
La linguistique qui dispose elle aussi d'une énorme matière de moins similaires à la langue de l'histoire. Une langue, et peut-être bien davantage, dont beaucoup sont à peine connues, doit par conséquent répondre à trois exigences, rappelant par là les sciences expérimentales. Décrire, ce qui postule le dépouillement d'une masse de faits, et le recours à l'expérimentation, expliquer ce qu'on a décrit en en tirant des lois, enfin prévoir en fonction de ces lois.
Il s'agit bien d'une partie importante de l'activité du linguiste, expérience sur la question de la linguistique. acquisition du langage, recherche sur le rapport entre les sons, segmentaux ou mélodiques, et les contenus qu'ils portent, questionnaires sur divers points de morphosyntaxe, etc. Mais surtout, il existe une expérience naturelle spectaculaire que j'ai proposé d'appeler le laboratoire créole. Les esclaves africains, privés de langue dans le milieu plantocratique des Antilles, ou bien les austronésiens, usagers d'idiomes trop différents entre eux, créent des esclaves. des pidgines qui deviennent des créoles, donnant par là l'image de ce qui est requis pour faire une langue et de ses lignes d'évolution.
Cependant, les langues de substrat, africaines, austronésiennes, etc., ont laissé des traces largement imprévisibles sur les créoles, en sorte que cette expérience n'est pas pure de tout enjeu social. Les besoins de la compréhension déclenchent des forces de fracture, variant avec chaque type de groupe humain. C'est-à-dire que...
que les sciences du langage, puisqu'elles ne sont pas purement expérimentales, pencheraient aussi vers celles du social. En réalité, ces dernières ne peuvent pas davantage fournir à elles seules une voie de méthode à la linguistique. Car les langues reflètent aussi le fonctionnement de la connaissance, puisque leur emploi pour communiquer, s'il les modifie, ne change pas leur nature de langue.
L'encodage des concepts vers les mots mérite d'être étudié comme le décodage des mots vers les concepts. Une linguistique du locuteur face à celle de l'auditeur peut contribuer aux sciences dites cognitives, promues par une partie de la recherche contemporaine en psycholinguistique, en syntaxe transformationnelle, en sémantique générative, en ethnosciences. Les études sur l'intelligence artificielle et sur la communication en langue naturelle avec l'ordinateur reçoivent aujourd'hui, aux États-Unis ou en Allemagne par exemple, les plus importantes subventions.
Le linguiste peut espérer, grâce à ses moyens, mieux saisir le fonctionnement de l'intellect humain en comparant ses performances avec celles de la machine. Cependant, on doit formuler au moins trois réserves. D'abord, la bonne exécution d'un programme ne garantit pas que le système construit soit bien le modèle des opérations linguistiques et de l'activité cognitive de l'homme.
Ensuite, les machines sont actuellement incapables de traiter cette propriété fondamentale. fondamentales des langues humaines qu'une même expression peut y correspondre à plusieurs sens et inversement un même sens à plusieurs expressions. Enfin et surtout, ces recherches ne peuvent en aucun cas nous dispenser d'une description toujours plus précise des langues humaines, lesquelles restent encore inégalées comme moyen de raisonner, de résoudre les problèmes et au surplus d'exprimer les affects.
Les ordinateurs n'ont pas de corps. Ainsi, en dépit du profit interdisciplinaire de telles entreprises, où il rencontre par exemple psychologues et mathématiciens, le linguiste se trouve ramené à la complexité de son objet. Celui-ci ne relève exclusivement, comme on vient de le voir, ni des sciences expérimentales, ni des sciences sociales, ni des sciences cognitives. En conséquence, le linguiste doit se persuader que les recherches qu'il accomplit sont d'autant plus utiles à d'autres qu'il a mieux cerné sa propre méthode. On le voit pour deux de ses tentations, la sémiologie et la logique.
Le programme de Saussure, quant à la première, s'est révélé trop optimiste. On n'aperçoit toujours pas l'intérêt direct pour la linguistique des lois qui décrivent la vie des signes au sein de la vie sociale. Quant à la logique, lieu de naissance et ligne de fuite de la linguistique, sa lumière est oblique.
Certes, de nombreux opérateurs de langue révèlent une logique naturelle, et des concepts logiques, comme celui de modalité, sont utiles. Mais c'est parce qu'elle n'est pas figée dans l'intemporel que la langue, même illogique, reste le plus féconde et si bonne. système formel. Rien ne correspond dans le monde aux liens entre phonologie et grammaire. Rien n'y correspond non plus aux catégories qui sont créées par abstraction, comme complément, pronom, transitivité, possession, etc.
Les linguistiques les trouvent toutes prêtes dans les langues. Le point qui fait difficulté néanmoins est qu'en les analysant, on n'épuise pas pour autant la matière à étudier. Car les langues, posant des problèmes multiples, échappent en partie aux linguistes et convoquent d'autres sciences.
Il se trouve cependant que ces dernières sciences humaines, biologie, dont la neurologie, pleine de promesses, ne peuvent fournir aucune base aux assertions proprement linguistiques sur le langage. Cette complexité et nos ignorances explique peut-être la dispersion actuelle en temps d'école, à moins simplement qu'il n'y ait, dans ce que l'homme a de plus humain, un enjeu assez lourd pour susciter la controverse. Parmi les doctrines, les plus intéressantes sont parfois les plus éphémères.
Leur courte espérance de vie provient de ceux qu'en expliquant bien une petite part des faits, elles en laissent une très grande inexpliquée. Mais elles n'ont pas toujours le temps d'exploiter leurs découvertes.... D'autres modèles apparaissent, qui posent de nouvelles questions sans répondre aux anciennes, et qui prônent un principe unique d'explication pour tout, sorte de talisman d'un type assez peu familier dans les sciences exactes.
Le vrai progrès dans la recherche pour l'affinement des modes de l'explication, comme pour l'avance cumulative des connaissances, est celui qui intègre, non celui qui abolit. Cependant, le mieux est de rester ouvert à ces théories nombreuses, dont certaines, on le notera, sont attentives à ce que d'autres font. Pour s'en tenir à la France, riche à la fois de thématiques traditionnelles et d'idées importées, parfois défendues avec la ferveur des éclosions différées, on trouve entre autres courants le fonctionnalisme, la psychomécanique et ses adaptations modernes, l'école sémiotique de Paris, les développements locaux de la recherche anglo-américaine en pragmatique, les divers types de la recherche. de linguistique formelle, les théories de l'énonciation, les versions françaises des étapes de la grammaire générative et de ses prolongements dans les théories du liage et modulaire ou, pour ce qui concerne le domaine des sons, dans les phonologies métriques et autosegmentales.
J'ouvrirai volontiers ce sanctuaire à ceux, français et étrangers, qui voudront bien y présenter leurs travaux. Mais œcuménisme n'est pas abjuration. Et depuis les lecteurs royaux jusqu'à nos jours, en passant par une certaine ordonnance de 1769, la tradition du Collège de France, à laquelle on attend que je me conforme, est d'enseigner aussi ce qui est moins présent dans les universités.
Il me fait donc bien, si coûteux que soit le choix, tracer des frontières définies. Le linguiste me paraît être dans la position incommode d'un homme juché au sommet d'une pyramide à trois arêtes. D'un point ainsi défini, on sait qu'un individu, s'il demeure immobile, ne peut tenir sous son regard qu'une seule face latérale à la fois.
Or, les langues se déploient sur les trois ensembles. Car elles relèvent, par un de leurs aspects, des sciences de la nature. Les messages sont des objets naturels.
Par un autre, d'une axiomatique logico-mathématique. Certaines opérations sont sous-jacentes à l'énonciation. Et par un dernier, des disciplines psychosociales.
Les langues sont parlées par des individus au sein de groupes. Le tracé d'un territoire exige des critères. Le plus important pour moi est le rapport entre les sens et les formes. S'il est stérile de s'asservir aux formes en esquivant les sens, il est hasardeux pour un linguiste de poser des catégories considérables. sans se soucier de leur trouver, dans le tissu formel du discours, des traces pour repères égarants.
Car il n'y a plus alors de limite à l'extension du domaine et à la création d'artefacts sémantiques. Le langage n'appartient pas au seul linguiste, mais celui-ci est seul à tenir sur lui un discours qui articule des contenus sur des supports. À égale distance de l'idéalisme des concepts purs et du matérialisme de la matière inerte et fétichiste, le linguiste a pour tâche de montrer que les formes sont habitées par des sens. Les marques formelles du sens, transparentes dans les cas les plus simples, peuvent en d'autres cas... être moins évidente, et de types variés, depuis l'intonation, grand oublié des théories modernes, jusqu'à l'ordre des mots, que je considère comme un véritable morphème séquence, sans oublier le contexte antérieur, immédiat ou large, ni les parentés structurales, révélée par les rapprochements entre énoncés d'une même famille sémantique. On apprend plus sur le langage en interrogeant la substance des langues qu'en posant des schèmes profonds dont le discours serait la réalisation de surfaces précaires et en-dessous.
On apprend plus aussi lorsque, refusant le gonflement encyclopédique d'une linguistique hypertrophiée qui répond par un autre excès aux vues immanentistes des structuralismes autosuffisants, on accepte de reconnaître que les formes de la linguistique hyper-trophique sont en fait des formes de la linguistique hyper-trophique. sont porteuses d'assez de sens pour que la signification d'un énoncé ne dépend pas uniquement de sa réussite comme acte de langage. On voit à quoi tend mon propos. Apprenez une linguistique des langues. Cette chaire s'intitule théorie linguistique.
Chacun de ces deux termes pèse pour moi d'un poids égal. Il n'y a de théorie concevable que celle qui n'occulte aucune langue pour cause de fait récalcitrant. La précision de la théorie linguistique est et souvent la technicité des analyses ne sauraient être incompatibles avec la hauteur des synthèses. Je vois une totale continuité entre une activité d'homme de terrain et l'interrogation théorique.
L'extension n'est pas l'opposé de la compréhension, et du reste, certaines langues bien connues permettent d'équilibrer la profusion par l'intensité. Le matériau de base demeure l'immense diversité des langues humaines. C'est là le trait qui est défini, et non pas.
un profil accidentel. Il est toujours aussi urgent de le rappeler quand ce ne serait que pour conjurer la tentation européocentriste des sciences humaines de l'Occident. On sait qu'un aspect subtil et récent de cette tentation est le refus des particularismes sous le prétexte surprenant qu'il y aurait à les trop souligner quelques formes clandestines de racisme.
Cela dit, l'intérêt pour les langues les plus diverses fort de les pratiquer toutes, mais il est un rempart contre l'idolâtrie des modèles. Je ne sacrifierai pas une langue à un paradigme. Épris des langues, je ne m'éprends pas de leur glose savante.
Puisque, sans un cadre pourvoyeur de grandes problématiques, la recherche n'est qu'une accumulation de savoirs invertébrés, c'est la capacité explicative d'une théorie qui doit servir de critère pour la retenir. Les modèles ne sont pas des fins en soi. Et il ne suffit pas d'évaluer leur mérite comparé en magnifiant les concepts jugés les moins coûteux et en ne demandant aux langues que de rares et partielles vérifications.
En outre, les langues sont des corps vivants. Le passé des mots, des groupes de mots, des phrases hantent leur présent. Il faudrait donc, afin de suivre le travail de la langue dans l'activité de parole, débrouiller les chevaux de la temporalité et dépasser par la même l'opposition entre synchronie et diachronie. Une situation linguistique ne se saisit vraiment qu'à travers les tendances qui la dynamisent. C'est pourquoi un haut degré de formalisation et le fréquent recours à des symboles agencés en schémas algorithmiques qui suscitaient des doutes un peu polémiques de Karl Popper risquent de masquer en les figeant une partie des faits.
Certes, il est souvent utile de simplifier pour exposer et de formaliser pour traiter une masse de données. mais on ne les a pas pour autant expliquées. On ne saurait bannir un énoncé sous prétexte qu'il contredit un calcul. Le linguiste doit interroger les ressources des langues, non les domestiquer pour les intégrer à un formalisme.
Où trouver alors un principe d'explication ? Sinon, dans la comparaison des langues. La recherche d'universaux, liée à l'enquête typologique, voilà donc bien une entreprise essentielle.
raison en outre la justifie. D'abord, toute science explore les invariants qui subsument la trop grande diversité des phénomènes sous quelques principes organisateurs. Le linguiste doit donc distinguer les traits communs à toutes les langues et ce qui nous sont attestés que dans certains types. En second lieu, cette sorte de grammaire comparée nous apprend beaucoup sur les manières différentes dont les langues structurent le disciple.
Ainsi par exemple, bien que le vouloir suppose un dire intérieur ou proféré, il n'y a pas de verbe dire exprimé dans un mot comme vouloir en français. Alors qu'en Amérique, langue d'Ethiopie, ou en Yatmoul et en Cathay, toutes deux langues de Nouvelle-Guinée, le verbe vouloir qui est peu usité ou même absent, s'exprime de préférence par un verbe dire plus un futur ou un impératif. Autre exemple, en français, un déterminant nominal...
et une proposition relative, comme dans le livre du père et le livre que tu lis, sont, malgré leur parenté, de structures différentes. Alors qu'en Yaka, langue bantou du Zahir, et dans bien d'autres langues bantou d'Afrique, le traitement par flexion tonale est exactement le même. Pour tous les très étudiés, à une démarche déductive doit faire pendant une démarche inductive de contrôle.
L'étude des universaux des langues sert donc à la fois de fondement et de contre-épreuve à un cadre général de traitement des énoncés linguistiques. Le triple traitement que j'y propose met les énoncés en relation du point de vue 1, morphosyntaxique, qui suppose une étude phonologique préalable, avec le système de la langue. Du point de vue 2, sémantico-référentiel, avec ce dont il est question. Et du point de vue 3, énonciatif hiérarchique, avec les participants de l'interlocution. Les rapports sujet, actant, thème d'une part, et prédicat, procès, rême d'autre part, soudent étroitement les trois stratégies.
Un contenu sémantique et un choix énonciatif ne sont reconnus qu'autant qu'ils sont portés par des marques formelles, quelles qu'elles soient. La syntaxe est la partie la plus structurée de la langue, avec la phonologie, laquelle, comme on sait, a joué un grand rôle à la fin des années 30, dans la naissance du structuralisme. La syntaxe examine, une fois que la morphologie a été étudiée, les types d'unités, verbes, noms, etc., et leurs relations. Je m'efforcerai de montrer qu'au lieu d'opposition entre nom et verbe, il faut parler de polarité et qu'il y a un continuum fonctionnel, plutôt que des catégories tranchées, définies par des traits binaires, ainsi que l'enseigne la tradition. Mais en outre, beaucoup de faits syntaxiques, comme l'ordre des mots, la détermination, la structure accusative ou ergative de l'énoncé, s'expliquent des points de vue deux et trois par la coïncidence complexe de pressions sémantiques et énonciatives qui mettent en jeu des valeurs scalaires, que les degrés de virtualité, d'inérence, de dynamisme, etc.
La théorie des trois points de vue intègre les stratégies énonciatives, que l'on peut illustrer par la succession d'un rème sur registre aigu et d'un thème sur registre grave, dans un annoncé français comme celui-ci par exemple, remarquable cet édifice. De ce fait, la théorie implique un éclatement du cadre de la phrase. thématique du discours ne peut se saisir qu'au niveau du paragraphe oral ou écrit comme succession de phrases.
On observe que dans de nombreuses langues indo-européennes, les propositions relatives déterminatives proviennent de la fusion d'une phrase avec une autre, subséquente, vis-à-vis de laquelle la première représentait une information déjà donnée. En outre, diverses langues, par exemple de Colombie ou bien des Philippines, possèdent des morphèmes signalant que, vu D'une phrase à l'autre, on change de fil directeur. Enfin, toutes les langues ont des marques de cohésion qui ne peuvent s'expliquer qu'à un niveau plus englobant que celui de la phrase isolée. Mais au-delà, tous ces phénomènes postulent un cadre assez général d'interprétation qui dépasse l'antinomie entre la langue comme système et la parole comme activité. Il ne saurait y avoir deux linguistiques articulée sur ces deux axes, car le système n'est pas concevable sans sa mise en acte et réciproquement.
Le modèle provisoire que je propose ici est celui du linguistique que j'appelle socio-opérative. Celle-ci prend pour base la relation dialogale qui enracine les circonstances de l'échange de paroles ainsi que les structures de la langue, les données de ces deux types ayant les unes et les autres un fondement dans la société et dans la culture. De là, la qualification de cette linguistique comme socio-opérative. Le sens produit par un locuteur et interprété par un auditeur, autre face du même, se répartit en trois zones.
Une seule des trois est codée, celle des composantes qui correspondent à des marques formelles. Ces composantes sont notamment le référent reconstruit, le signifié des signes, la sémantique des relations syntaxiques, le sens lié à l'environnement contextuel. De subtiles opérations sont mises au jour par l'analyse conduite pour de nombreuses langues de marques. de modalités dénoncées, d'aspects verbaux de personnes, etc.
Cependant, le linguiste ne peut ignorer l'étude, périphérique par rapport à son domaine, des deux autres zones du sens, non codées quant à elles, et par conséquent contingentes. et non prévisible, à savoir la zone des incidences situationnelles et celle des signifiances inconscientes. Car les circonstances ponctuelles de l'énonciation, les statuts sociaux des protagonistes de l'acte, Les malentendus, les lapsus font partie du sens, bien que la linguistique soit aujourd'hui dépourvue encore d'appareils qui puissent les traiter d'une manière adéquate. Au centre de ce modèle se trouve l'homme, surgissant dans la réalité concrète de l'échange de paroles.
Je propose de le conceptualiser comme énonceur psychosocial. Le terme de psychosocial intègre les deux axes. qui définissent le cadre de toute communication.
Mais l'homme est avant tout un énonceur, au deux sens de locuteur et d'auditeur. La linguistique tire des langues seules ce qu'elle peut avoir à dire, puisque par l'effet de la porie épistémologique mentionnée à l'instant, Pour l'instant, aucune des sciences qui s'intéresse aussi aux langues n'est en mesure de lui fournir le moindre instrument d'analyse. C'est la linguistique au contraire qui peut servir ces sciences. Les lois qui régissent les langues, les forces qui les modifient, la genèse de l'arbitraire dérobant le disciple au mimétisme des bruits du monde, voilà les lieux, proprement linguistiques, où se saisit le fait psychosocial qu'est la langue.
L'énonceur fait la langue en la mettant en place. mettant en parole, ce qui veut dire que par sa nature, et au-delà des a priori désuets sur son être social ou sur son psychisme, il est foncièrement dialogal. De fait, un réseau complexe de contraintes et de libertés relie la langue à l'énonceur.
Et la linguistique apporte ici sa part, mais sur la base de faits précis, à une connaissance de l'homme pondérant les déterminations Le communisme de sa condition par la persévérance de ses choix. La langue présente à l'enfant qui commence à l'acquérir une sorte d'avant-goût de la vie, du droit, de la morale, le système phonologique, les règles de morphosyntaxe. Plus ou moins contraignantes selon les langues, les réseaux de sèmes dans le lexique, les expressions idiomatiques sont autant de lieux de violence conventionnelle.
Car l'enfant est forcé de les apprendre, sauf à se retrancher dans la socialité pathologique du refus de langue. Mais en même temps, une ère de liberté s'ouvre à l'énonceur dans l'exercice de la parole. Car les parties les plus structurées de la langue ont des fuites.
Même l'emploi des marques de fonction peut laisser place à quelque initiative. C'est le cas, parmi bien d'autres exemples, pour le complément d'objet défini dans de nombreuses langues, dont le persan ou le birman. En outre, à travers l'histoire des langues, la syntaxe se construit autour de l'ego humain, source de tout discours, siège d'assignation de l'animé et de l'inanimé, commandant les oscillations d'un axe de personnalité.
Enfin... L'énonceur signe sa présence dans le lexique par les chicanes de la parole, double entente, connivence périphrastique, effraction connotative, activité épisodique ou permanente de création poétique, détournement à son profit de l'inexorable logique des cohabitations sémantiques. C'est en fait toute une anthropologie qu'implique une telle conception de la linguistique. L'homme de parole dirige obscurément le destin des langues. C'est là un processus semi-inconscient mais volontaire.
que l'on voit se déployer. Car, contrairement à ce qu'on sous-entend lorsque l'on dénie au locuteur, comme il est si fréquent de le faire, toute conscience des changements, inconscience n'implique pas absence d'intentionnalité. La volonté d'énonceurs psychosociales surgit en pleine lumière dans l'étude de la morphogenèse et en particulier des processus de grammaticalisation qui seront le sujet du cours cette fin d'année et l'an prochain. Une réalité fascinante que l'on y découvre, c'est que ces processus ne sont pas linéaires mais cycliques, ou plus exactement, la répétition n'étant jamais une identité mécanique, qu'ils déroulent une spirale.
Le désir de s'exprimer librement produit... La nécessité de la compréhension collective dépassant les aléas de l'invention individuelle impose des contraintes qui figent sur la compréhension collective. Ces formes, c'est la naissance d'une morphosyntaxe.
Mais à son tour, cette dernière se relâche sous la pression du sens à dire et les formes se renouvellent ou abritent de nouveaux sens tout en retrouvant des schémas anciens. On voit naître, se résoudre et renaître un conflit capital entre deux besoins qui commandent toute l'évolution des langues. Économie des formes d'une part et d'autre part expressivité. L'une abrège ou supprime, l'autre rallonge ou ajoute. Les mots noms.
sont raccourcis pour accélérer le rythme du dialogue, mais ensuite des éléments les accroissent pour conjurer le risque d'ambiguïté par homophonie et pour répondre aux besoins humains de marquer sa présence dans le discours. Parallèlement, s'aiguisent puis se résolvent les conflits entre la simplicité de formation des mots et des phrases et leur complexité ou leur opacité. Évidemment, de tels processus ne peuvent s'apercevoir à une certaine profondeur de durée, parfois plusieurs siècles, sinon plusieurs millénaires.
De ces cheminements cycliques, on peut donner bien des illustrations. Condensation, quasiment universelle, de phrases entières en composés nominaux, bases de départ à leur tour de nouvelles phrases. Alternance des verbes être et avoir, dans la conjugaison par auxiliaire, de nombreuses familles linguistiques, du celtique au slave. Renouvellement des formes verbales.
ansémitiques, processus de réduplication en austronésien ou en dravidien, évolution de la négation dans plusieurs groupes de langues, créolisation, décréolisation ou encore, d'un point de vue plus externe, dialectalisation d'une langue commune aboutissant à une nouvelle langue commune par sélection d'une norme dialectale. Dans le cas des créoles, les créateurs de langues humains parcourent en un temps extrêmement bref ce sorte de glossogénète ou de démurge transhistorique à fleur de conscience, le chemin qui conduit, dans la forme des mots et dans la syntaxe, du synthétique à l'analytique, puis de recherche de l'analytique au synthétique. À travers tous ces itinéraires, nous voyons l'homme, dans sa langue comme dans l'ensemble de ses activités socioculturelles, façonner son rapport avec le monde en même temps qu'il en est lui-même façonné. De là trois conséquences.
En premier lieu, le débat sur la priorité ontologique ou chronologique de la pensée par rapport au langage perd une bonne partie de son intérêt, avec cependant une réserve. La relation étant de va-et-vient, il importe, face à la longue tradition qui ne veut retenir que l'influence de la pensée sur le langage, de rappeler une réalité symétrique. L'homme conçoit et distingue moins facilement ce que sa langue n'exprime. n'explicite pas, comme l'a montré la difficulté de rendre compréhensible certaines notions des évangiles, latins ou grecs, à partir de traductions littérales dans de nombreuses langues, de l'extrême-orient par exemple, qui n'exprimaient pas directement ces notions. Il existe donc une sorte de prédétermination instrumentale de la pensée par le langage.
En le soulignant, il ne s'agit évidemment pas d'oublier qu'à l'inverse, il existe aussi une sorte de prédétermination instrumentale de la pensée par le langage. Un reflet en langue des schémas d'organisation conceptuelle de l'univers, ainsi que le montrerait par exemple dans de nombreux idiomes du Caucase, d'Afrique, d'Amérique, d'Asie du Sud-Est, les classes nominales répartissant le monde et la nature en fonction des propriétés matérielles et fonctionnelles des objets. En deuxième lieu, c'est seulement quand l'ancêtre d'homme spécifie le langage comme faculté, en langue comme réalisation.
que l'urgence sociale accentue le rôle de ces dernières en tant qu'instrument de communication. Alors que jusque-là, l'espèce humaine devait se distinguer surtout par son aptitude sémiotique. À partir des signes fabriqués, on construit d'autres signes par modélisation en série.
Mais avec l'avènement des langues, l'homme, pour pouvoir communiquer, apprend aussi à segmenter dans la chaîne parlée, en même temps qu'à différencier dans les paradigmes. Ainsi que le confirme l'étude des diverses formes de l'aphasie. Et il ne va plus cesser dès lors de perfectionner ces langues, les adaptant à ses besoins.
On le voit par exemple en phonologie historique, dans le processus dit de transphonologisation, par lequel les oppositions sonores décisives du fait de leur utilité pour la compréhension sont conservées, même sous un matériau phonique nouveau. Pliant ces langues à ses besoins, l'homme les adapte également au milieu, tout comme ses autres outils. mais il va de soi.
qu'elles s'en distinguent en étant simultanément bien davantage que de simples outils. Enfin, les langues humaines sont d'abord orales. Je veux espérer que les professeurs du Collège de France, où l'étude de l'écrit tient une grande place, ne regretteront pas d'avoir accordé leur caution à mes recherches quand ils auront pris conscience que la théorie linguistique qui va s'enseigner ici donne pour sa part un rôle important à l'oralité, et qu'elle s'alimente notamment, mais non exclusivement, il va de soi, d'un matériau constitué de langues uniquement orales, langues africaines, amérindiennes, océaniennes, asiatiques, etc.
C'est le choix du canal vocal auditif, de préférence à d'autres possibles, qui a forgé définitivement le destin des langues et du même coup celui de l'espèce humaine. C'est dans le tissu oral du discours, proféré et perçu, non dans sa trace graphique, que le linguiste peut trouver les discriminants sans lesquels son travail n'a pas de sens, si je puis dire aussi littéralement. C'est avant tout dans la parole émise et reçue que germe les changements des systèmes de langue. Que serait-une linguistique qui, s'intéressant en priorité aux langues écrites, n'apporterait d'autres contributions au vaste projet anthropologique où elle doit nécessairement s'intégrer que de négliger ou de traiter que par prétérition une immense partie de l'humanité, celle où se parlent des langues non écrites, et celle qui, en pays de langues écrites, est illettrée. Cela dit, on étudiera ici, comme toute recherche, cherche doit le faire, les phénomènes dans leur réalité observable et entière.
Il ne saurait être question, sous le prétexte d'un primat de l'oralité, de sous-estimer la part prise dans le destin de nombreuses langues par la révolutionnaire invention de l'écriture, ni d'oublier l'influence qu'a parfois exercée la graphie sur les changements phonétiques eux-mêmes. De cette influence, le français, par exemple, offre certaines illustrations. On se gardera également de négliger la place de... de l'écrit dans la fixation de la norme de nombreuses langues, très importantes socialement, parmi celles qui recouvrent de vastes aires culturelles.
Et l'on se rappellera aussi la tentation esthétique de certains grands créateurs de langues écrites, séduits par les graphismes. Surtout, on se souviendra que la naissance de la grammaire comparée et de la linguistique proprement dite elle-même est liée à l'exploitation de textes écrits. Mais tout cela n'est pas assez, à mon sens, pour pour remettre en question l'importance de l'oralité dans une linguistique qui prend l'homme pour projet et fin dernière. Étant donné une telle conception, une dernière question peut se poser.
À quoi sert la linguistique ? Au premier abord, à rien. Sinon, à satisfaire, comme toute recherche, une intense et douloureuse avidité de savoir.
Ou bien dira-t-on qu'elle n'a d'autre utilité que de faire vivre, comme le suggère le livre, géré autrefois erasme par dérision, quelques grammairiens qui disputent la perte d'haleine sur les dangers que peut faire courir aux gens humains la consternante confusion des conjonctions avec les adverbes. En fait, la linguistique est en mesure de rendre quelques services. D'abord, à un premier niveau simple, de pure application, l'expérience du linguiste peut être mise à profit dans un domaine externe, celui de la planification.
Entreprise, votre entreprise. volontariste par laquelle l'homme s'assure la maîtrise de sa langue, conçue comme un bien naturel, inaliénable, qu'il s'agisse de fixation de la norme interdélectale, de régulation néologique, comme en français contemporain, ou de réforme de l'orthographe, le cas échéant. Un autre domaine où la contribution de la linguistique est essentielle est celui de l'histoire des civilisations.
Ainsi, nous n'avons aucun texte, aucun monument, aucune trace qui peut puisse attester l'existence des populations désignées sous le nom d'Indo-Européens. Notre unique témoignage, ce sont bel et bien les langues Indo-Européennes. Il en est de même pour d'autres familles génétiques, des Ouraliens aux Tibétos-Birmans en passant par les Algonquins. Dans l'ingustique, et elle seule, nous tend le fil secourable qui, nous guidant à travers d'épaisses ténèbres d'ignorance, nous aide à reconstruire le plus vraisemblablement des habitants.
notre passé. Ainsi, dans l'effort opiniâtre, bien qu'en partie désespéré, pour découvrir le sens d'un univers apparemment chaotique et écartelé, le langage fait sourdre une lueur, éclairant faiblement un chemin d'harmonie. Enfin, ce que la linguistique nous apprend n'est pas sans ainsi.
qui danse même sur la prise en main de notre avenir face aux défis qui s'accumulent sur notre horizon. Alors que la faculté de langage, qui caractérise dès l'origine l'homo habilis, est une par définition, l'élan de la langue est un élément de la langue. sont diverses.
Mes recherches me suggèrent de m'aventurer plus loin encore. Elles sont diverses dès leur naissance elles-mêmes. C'est pour moi une forte présomption, sinon d'ores et déjà une certitude.
Il ne faut voir là, en fait, que le reflet de l'aptitude de l'homme, seul parmi toutes les espèces, à s'adapter au milieu, non par son organisation biologique, mais par son intelligence et par sa vocation socio-culturelle. L'homme exerce sur son environnement une activité consciente et c'est par elle qu'il parvient à réduire les pressions sélectives de la nature. Or, un instrument de cette activité consciente, c'est le langage, la linguistique adroge. a donc bien un rôle éminent à jouer dans l'entreprise conduite par toutes les sciences humaines pour parvenir à une connaissance toujours plus approfondie de l'homme.
L'enjeu d'une telle connaissance, c'est tout simplement notre destin lui-même. La puissance des médias va-t-elle accélérer d'une manière exponentielle l'évolution du langage ? Les réalisations de la machine lui tracent-elles un avenir incertain ? Des signes qu'on en a, on ne peut rien prédire. Car l'homme, qui a toujours si bien adapté son outillage, est capable de tous les retournements.
Inventera-t-il des formes originales de communication ? Répartira-t-il différemment les fonctions, assignant à ses langues une place nouvelle ? On ne demande heureusement pas à un professeur au Collège de France de faire acte de prophétie.
Mais je demeure résolument optimiste. Et cela parce que pour moi, les langues, lourdes de toutes les présences dialogales à culte, accumulés par des temps immémoriaux, sont images de vie. Le linguiste, obstinément attaché à la recherche austère des lois, derrière les enivrements sonores et la turbulence des mots, reconnaît dans les langues l'activité vitale d'un énonceur qui y a laissé, à travers un très lointain passé, la trace d'opérations semblables à celles qu'il accomplit lui-même dans le discours quotidien d'aujourd'hui. C'est parce qu'il en est fasciné, en même temps que soucieux, de les soumettre à la recherche.
mettre aux analyses sereines de la raison que celui qui a le langage pour métier peut aimer à aller débusquer les secrets des langues exotiques. Tel était également en harmonie avec la quête obstinée du linguiste le souhait rayonnant du poète qui écrivait Ceux qui campent chaque jour plus loin du lieu de leur naissance, ceux qui tirent chaque jour leur barque sur d'autres rives, savent mieux chaque jour le cours des choses illisibles. Et remontant les fleuves vers leur source, entre les vertes apparences, ils sont gagnés soudain de cet éclat sévère où toute langue perd ses armes. Et du côté des eaux premières, me retournant avec le jour, comme le voyageur à la Néoménie, dont la conduite est incertaine et la démarche est aberrante, voici. que j'ai dessin des raies parmi les plus vieilles couches du langage, parmi les plus hautes tranches phonétiques, jusqu'à des langues très lointaines, jusqu'à des langues très entières et très parcimonieuses, comme ces langues qui n'eurent pas de mot distinct pour hier et pour demain.
Venez et nous suivez qui n'avons mot à dire. Nous remontons ce pur délice sans graphique. où court l'antique phrase humaine. Nous nous mouvons parmi de claires élisions, des résidus d'anciens préfixes ayant perdu leur initiale et devançant les beaux travaux de la linguistique. Nous nous frayons nos voix nouvelles jusqu'à ces locutions inouïes où l'aspiration recule au-delà des voyelles et la modulation du souffle se propage au gré de telles labiales mi-sonores En quête de pur final vocalique.
Et ce fut au matin, sous le plus pur vocable, un beau pays, sans haine ni lésine, un lieu de grâce et de merci pour la montée des surprisages de l'esprit. Ce texte de Saint-Jean-de-Perse me rend anxieux, je l'avoue. Anxiété de celui qu'habite le désir d'entrevoir quelques-uns des morts. des mystères des langues, dont la plupart encore se dérobent implacablement à notre curiosité.
J'ai conscience de la difficulté de ma tâche et ne suis pas sans la redouter, bien qu'en même temps, j'espère pouvoir... poser du moins quelques questions, puisse l'avenir dissiper une partie de mes craintes, même s'il doit arriver, qui ne justifie pas le tout de mon espoir. Applaudissements