Alors Thomas Pradeux... que je présente rapidement, Thomas Pradeux est un philosophe. Il est un philosophe de l'immunologie, c'est-à-dire que pendant sa thèse, peut-être même encore après, il a fait l'effort de venir dans les laboratoires des immunologistes, essayer de comprendre leur charabia. leur vocabulaire, leurs techniques, leurs habitudes, leur sociologie, etc.
Et fort de tout cela, il a écrit une thèse, des livres, et il continue de réfléchir, avec l'idée que la théorie et la philosophie, ce n'est pas seulement pour faire joli, mais que ça pourrait aussi, ça devrait pouvoir nous aider, nous, scientifiques, à modifier nos façons de penser, à penser à de nouvelles expériences, à définir peut-être des nouvelles frontières, des nouvelles disciplines. Il va nous l'expliquer là. Donc, il est au CNRS et à l'Université de Bordeaux récemment, après avoir été de nombreuses années. Il est peut-être encore d'ailleurs rattaché à l'IHPST de Paris.
Voilà, je lui laisse la parole. Thomas. Merci beaucoup pour cette introduction, merci beaucoup à Françoise et puis à l'AFP SVT pour cette invitation.
J'étais jusqu'à récemment maître de conférence dans le département de philosophie à l'université Paris-Sorbonne et effectivement... J'ai rejoint le CNRS. Je travaille maintenant dans une unité d'immunologie et donc je continue à faire ce que je fais depuis des années, c'est-à-dire de la philosophie au contact de la science. Maintenant, c'est un contact vraiment très régulier et plus expérimental. mental qu'auparavant.
Mais ce que je vais essayer de vous dire aujourd'hui, c'est que de la même manière qu'il est très difficile d'établir les frontières du système immunitaire, de l'immunologie, comme Philippe Kouriski vient de le montrer assez magistralement, je dois dire, il n'y a pas de délimitation claire entre l'immunologie et d'autres disciplines, y compris les sciences humaines et y compris la philosophie. Et on peut, à mon sens, proposer une réflexion à l'interface entre de la philosophie et dans mon cas, la philosophie des sciences et l'immunologie. Je vais donc parler de l'intégration de l'autre, soit non-soi et identité en immunologie. La question centrale que je voudrais me poser, c'est celle de savoir s'il est possible, encore possible, de parler de l'immunologie comme science du soi et du non-soi.
Et que signifient ces notions de soi et de non-soi ? La suggestion selon laquelle on pourrait appeler l'immunologie science du soi et du non-soi est relativement ancienne. Elle date principalement des années 60, je vais y revenir, et de Frank McFerland Burnett. Elle a été constamment reprise dans les années 70, 80 et jusqu'à nos jours, par exemple dans un ouvrage de 2008. limite.
Et une des choses que je voudrais me demander, c'est ce que signifient ces notions de soi et de non-soi, qui sont initialement des notions philosophiques, proprement philosophiques, ce qu'elles signifient en immunologie, et s'il est toujours légitime de considérer ces notions comme devant être centrales dans l'immunologie actuelle. Alors, un exemple extrêmement simple qu'on a tous à l'esprit, c'est celui des allogreffes pour comprendre les notions de soi et de non-soi. Par exemple, les greffes de rein qui sont pratiquées de manière tout à fait courante en clinique. On c'est qu'en l'absence de traitement immunosuppresseur administré receveur, on va avoir un rejet de la greffe, alors même que, bien sûr, on est extrêmement attentif aux questions d'histocompatibilité.
Tout se passe comme si, en conséquence, au cœur de l'immunologie se trouvait l'idée de rejet. Et plus précisément, tout se passe comme si, se trouvait au cœur de l'immunologie l'idée de rejet de l'autre, rejet du non-soi, défini comme tout ce qui diffère du soi. Et bien sûr, ce qui est extrêmement important de comprendre, c'est qu'au moment où cette théorie du soi et du non-soi, dont je vais parler tout à l'heure, a été construite, ce qui a surpris les gens, alors que ça nous paraît extrêmement évident aujourd'hui, c'est qu'un organisme peut rejeter quelque chose qui lui serait utile. Ça a beaucoup surpris les gens au moment de la Première et la Deuxième Guerres mondiales. On voulait commencer à faire des greffes, et on s'est demandé à quel point on pouvait comprendre, comment on pouvait comprendre que l'organisme soit stupide au point de rejeter l'organe de l'autre.
Et c'est comme ça que la théorie du soi et du non-soi... soi est né par une réflexion initialement principalement sur la transplantation. Avant, on avait une théorie assez proche de la théorie du danger. Je reviendrai dans les questions si ça vous intéresse.
Donc la question est de comprendre ce que signifie ce rejet et est-ce qu'il y a effectivement dans l'immunologie la centralité de cette idée d'un rejet du non-soi. Je vais faire quelques remarques pour caractériser l'immunologie actuelle. Trois remarques essentiellement. Je vais ensuite présenter très rapidement la théorie du soi et du non-soi, puis procéder à une critique de cette théorie et suggérer qu'on peut concevoir autrement La question de l'identité et de l'individualité qui a été mentionnée par Françoise en proposant cette idée d'intégrer l'autre vers un interactionnisme co-constructionniste, ça a l'air terriblement pompeux comme ça, d'ailleurs c'est extrêmement simple ce que j'ai à vous dire sur cette question et peut-être que vous êtes d'ores et déjà convaincus par le contenu de ce...
que je vais présenter. Je commence par quelques remarques pour caractériser l'immunologie actuelle et qui, je crois, vont faire écho à un certain nombre de choses qui ont été dites par l'oratrice et l'orateur précédent. Une première chose que je voudrais dire, c'est qu'on n'a pas le droit de négliger l'immunologie. Et ça s'adresse moins à vous qu'aux gens qui font par exemple de la médecine ou des sciences du vivant à l'université et qui disent, ah l'immunologie c'est très compliqué, ça m'ennuie, je ne vais pas m'en occuper. On n'a juste pas le droit, ce n'est pas possible d'un simple point de vue statistique, l'immunologie est devenue une discipline reine des sciences actuelles.
Vous ne pouvez pas ouvrir un numéro de Nature ou de Science sans voir plein de choses sur l'immunologie. Il est indispensable de s'intéresser à cette discipline, notamment parce qu'elle est à la confluence, je ne sais pas si vous le savez. entre la science fondamentale et la médecine. Quelque chose qui a été passionnant pour moi quand j'ai commencé à faire de l'immunologie, en ayant été d'abord formé comme philosophe, c'est que c'est à la fois un domaine très expérimental, très moléculaire, et aussi un domaine incroyablement conceptuel, incroyablement théorique.
Philippe Kouriski vient, là encore, de vous donner un très bon exemple de ça. C'est une discipline qui est portée par une réflexion conceptuelle depuis sa naissance, ou quasiment depuis sa naissance. Je me suis intéressé à d'autres domaines des sciences du vivant de manière relative.
relativement approfondi ces derniers temps, par exemple la biologie du développement, domaine fascinant, mais croyez-moi sur parole, la puissance conceptuelle et théorique de la biologie du développement n'est pas exactement la même que celle de l'immunologie, en tout cas quand on vient de l'extérieur. C'est très intéressant de voir que des notions comme soie, non-soie, tolérance, stress, danger, système, réseau, auto-immunité, etc. sont à la fois des notions centrales de l'immunologie et des notions qu'il est extrêmement difficile de définir. Il y a donc à mon sens besoin constamment de revenir sur ces notions.
pour savoir si elles sont légitimes et pour savoir comment les définir. Et il me semble que c'est l'une des raisons pour lesquelles les philosophes ont leur place dans un dialogue avec les immunologistes, en coopération, en collaboration avec les immunologistes, pour mieux comprendre ces concepts. Deuxièmement, c'est une science qui est très difficile de définir. De nombreuses définitions ont été proposées. La plus fréquente, c'est celle qui consiste à dire que l'immunologie, c'est le domaine étudiant les défenses contre les pathogènes.
Problème, comme Françoise l'a mentionné, que faire des cancers de la transplantation. de l'auto-immunité normale, etc. Peut-on dire que l'immunologie, c'est la science du système immunitaire ?
On peut, mais évidemment, il faut définir ce qu'est un système immunitaire. C'est possible, mais ça déplace, disons, la difficulté de définition. Par ailleurs, il n'est pas évident que toute immunité présuppose, à proprement parler, un système.
Si vous considérez, par exemple, qu'il y a une immunité dans chaque cellule, ce que le cas des plantes pourrait nous inciter à faire, eh bien, il n'est pas évident que dans une cellule, vous ayez véritablement un système immunitaire. Merci. Doit-on dire que l'immunologie, c'est la science du soi et du non-soi ? On va essayer de montrer ici que ce n'est pas une définition très appropriée. Doit-on dire que c'est la science du maintien de l'homéostasie ?
Il y a quelque chose de très intéressant là-dedans. Et je pense que les réflexions récentes de Philippe Kouriski vont dans le sens d'une précision de cette idée qui, à mon avis, est extrêmement féconde. Néanmoins, quand on se contente, quand on se contentait par le passé de dire que c'était la science du maintien de l'homéostasie, comme certains l'ont fait, il me semble qu'on aboutit à quelque chose qui est problématique, c'est que l'immunologie se retrouve en situation de recouvrir toute l'ancienne physiologie.
avec évidemment toute la connaissance actuelle. C'est-à-dire qu'au fond, une immense majorité des biologistes feraient, peut-être sans le savoir, de l'immunologie. Est-ce que c'est problématique ou pas ? Je pense que c'est relativement problématique du point de vue de la délimitation des disciplines, mais peut-être que c'est, au fond, l'une des choses que l'on pourrait retirer de ce qui a été dit précédemment, c'est-à-dire que l'immunologie se confond avec les autres sciences du vivant ou s'interpénètre avec elles. Alors, il me semble que l'activité définitionnelle, qui est typiquement une activité philosophique, trouve un magnifique terrain d'application dans l'immunologie puisque je viens d'essayer de vous montrer...
montrer qu'au fond, personne ne sait ce qu'est l'immunologie, personne ne sait définir avec précision le système immunitaire et personne ne sait définir avec précision les concepts centraux de l'immunologie. Je vous mets au défi, par exemple, de trouver une définition consensuelle du terme tolérance, qui est pourtant utilisée de manière extrêmement courante dans la littérature immunologique. Alors, l'une des manières de définir une science en biologie, bien sûr, et un domaine d'objets biologiques, c'est de dire, on va penser l'évolution de ces objets.
Je pense que c'est une piste extrêmement intéressante, extrêmement importante, qui a été été trop ignorée récemment par les immunologistes. Ça pose à la fois la question du domaine de l'immunologie, c'est-à-dire quels sont les organismes qui possèdent une immunité, et la question de l'évolution de l'immunité. Alors de ce point de vue, il faut insister sur le fait qu'il y a eu une véritable révolution en immunologie au cours des 20 dernières années, avec une extension progressive des organismes considérés comme possédant une immunité. On est passé de l'idée qu'il n'y avait que les vertébrés à mâchoire qui possédaient une immunité, parce qu'ils possédaient une immunité adaptative, alors pensée comme une immunité à mémoire.
Alors qu'aujourd'hui, on a plutôt tendance à considérer que la définition de l'immunité adaptative, c'est que c'est une immunité recombinante, j'y reviendrai si vous le souhaitez. Mais en tout cas, ce qui est clair, c'est qu'avec le temps, et notamment sous l'effet des recherches de Bruno Lemaitre, on a eu l'idée que, bien sûr, la drosophile possède une immunité adaptative. On a été stupides de ne pas le voir.
Bien sûr, les plantes ont une immunité. Et même, plus récemment, les prokaryotes, en particulier les archébactéries, les archées, auraient une immunité. Ça, c'est relativement consensuel maintenant dans le domaine. C'est quelque chose, si vous vous transportez dans le temps, il y a 15 ans, et vous dites ça à un immunologue...
biologistes, vous le tuez immédiatement sur place. Il n'y a aucun sens de parler d'immunité chez ces organismes. Peut-on reconstruire l'évolution de l'immunité ? Eh bien, évidemment, tout dépend de la définition que vous allez adopter d'immunité.
Si vous considérez qu'il y a une immunité chez les archées et chez les bactéries, vous n'allez pas proposer la même reconstruction de l'évolution de l'immunité que si vous considérez qu'il n'y a d'immunité que chez les vertébrés à mâchoire. Il y a eu des travaux très importants sur l'évolution de l'immunité adaptative ces derniers temps, c'est de Max Cooper, de nombreux autres travaux extrêmement intéressants. Il n'est pas évident néanmoins de déterminer quel est l'avantage en termes de fitness d'un système immunitaire adaptatif.
Philippe Kourilski nous a donné des clés pour comprendre ces avantages, mais ce n'est pas évident. Beaucoup de chercheurs se demandent comment ça se fait que l'immunité dite adaptative soit apparue alors qu'on a une immunité innée chez certains organismes qui est extrêmement efficace selon tous nos critères d'efficacité. Travaux également sur l'évolution de l'immunité innée, mais il me semble que beaucoup de travail reste à faire sur ces questions. Il est difficile de définir l'immunologie, par conséquent, il est difficile de définir l'immunologie.
difficile de définir les concepts centraux de l'immunologie, il est difficile de reconstruire l'évolution de l'immunité, et bien comment être surpris dans ces conditions qu'il soit difficile d'enseigner l'immunologie ? Ça vous concerne bien sûr, ça nous concerne tous, c'est extrêmement difficile d'enseigner l'immunologie à mon sens, et c'est très important en conséquence de tenter de réformer cet enseignement, également dans l'enseignement supérieur, et même en fait dans la recherche. Alors je vais contribuer à ce travail un petit peu de déconstruction conceptuelle à propos des notions de soi et de non-soi ici, et puis parce que je ne voudrais pas vous laisser...
laisser sur une note de déconstruction. Je vais essayer de reconstruire un tout petit peu une perspective en immunologie sur ces questions d'identité et d'individualité qui me préoccupent beaucoup et je vais essayer de vous proposer une autre manière de concevoir le système immunitaire ou en tout cas l'immunité puisque je me méfie maintenant de tous les mots que j'emploie. La théorie du soi et du non-soi en immunologie, je vais être extrêmement rapide sur cette question en rappelant seulement quelques points fondamentaux. D'abord l'artisan principal de cette théorie c'est Franck Mathieu.
Kirlen Burnett, un virologiste, et je signale juste par parenthèse que l'immunologie a été constamment réformée par des non-immunologistes. C'est extrêmement important, et je pense que ça va encore se passer à l'heure actuelle. C'est intéressant aussi sur le caractère auto-centré des immunologistes qui devraient cesser pour s'ouvrir à d'autres disciplines, puisque c'est souvent de l'extérieur que cette science a été modifiée. Je reviendrai si vous le souhaitez.
Deux principes fondamentaux dans cette théorie, extrêmement simples, extrêmement faciles à comprendre. à comprendre en liaison avec ce que j'ai montré tout à l'heure, à savoir la transplantation d'organes. Premièrement, premier principe, l'organisme déclenche une réponse immunitaire de rejet contre toute entité qui lui est étrangère, c'est le non-soi, que Burnett va petit à petit définir comme un non-soi de type génétique ou plutôt un non-soi phénotypique qui est le reflet d'un non-soi génétique.
Deuxièmement, l'organisme ne déclenche pas de réponse immunitaire de rejet contre ses propres constituants, le soi. Cette réflexion de Burnett naît essentiellement en 1937, je reviendrai sur le parcours de cette pensée si ça vous intéresse. intéresse, mais en gros c'est quelque chose qui naît dans les années 30 et qui devient extrêmement mûr dans les années 60 et en particulier dans cet ouvrage de 1969 qui s'appelle Soi et non-soi Alors généralement quand on parle de la théorie du soi et du non-soi à des chercheurs, à des enseignants, ils disent oui mais plus personne ne pense l'immunologie comme ça.
Je suggère sur la base de recherches relativement extensives que j'ai faites sur cette question que c'est totalement faux. Cette idée est totalement fausse. Ce qui est vrai c'est que... que la théorie et le vocabulaire du soi et du non-soi étaient extrêmement explicites jusqu'au milieu des années 90. Depuis le milieu des années 90, la plupart des immunologistes se méfient, parce qu'on leur a dit de se méfier, des concepts et des théories du soi et du non-soi. Néanmoins, j'ai essayé de montrer dans le détail que la théorie et la conceptualisation implicite des immunologistes actuels restent, dans l'immense majorité des cas, le soi et le non-soi.
C'est-à-dire que les immunologistes vont se méfier de ces concepts et de ces théories, ne pas trop les employer, mais c'est malgré tout. C'est tout comme ça qu'ils vont penser la plupart de leurs découvertes et de leurs programmes de recherche. Alors j'ai plusieurs exemples de ça. J'ai parlé tout à l'heure du système immunitaire des bactéries.
Lorsque le système CRISPR-Cas a été mis en évidence, donc c'est le système immunitaire, dit système immunitaire des bactéries, immédiatement, donc essentiellement à partir de 2005, surtout en 2007, immédiatement, les termes qui ont été utilisés pour comprendre ça, ça a été comment on peut comprendre qu'une bactérie reconnaisse l'étranger et le détruise. Lorsque les travaux sur l'interférence ARN ont été liés à l'immunologie, de la même manière, De la même manière, le vocabulaire dans lequel ces découvertes ont été interprétées, ça a été le vocabulaire du soi et du non-soi. En conséquence, je voudrais simplement vous rendre sensible au fait qu'il y a eu une longue histoire de réflexion sur le soi et le non-soi, née dans les années 30, vraiment formalisée dans les années 60, et jusqu'à aujourd'hui, je pense que c'est dans ce vocabulaire-là que l'immense majorité... des immunologistes pensent leurs découvertes et leurs programmes de recherche. Alors évidemment, certains acteurs ont été très importants dans le maintien et la reconstruction progressive de cette théorie du soi et du non-soi.
Des acteurs extrêmement importants ont été Philippe Couris. ce qui est Jean-Michel Claverie, notamment dans les années 80. Plusieurs articles fondamentaux, par exemple en 1986, que vous connaissez probablement. J'aime bien cette citation de Jean-Michel Claverie. Vous savez que Jean-Michel Claverie est devenu aujourd'hui un des principaux spécialistes de virologie en France, mais il a été un grand immunologiste et il a dit les choses avec la clarté qui le caractérise. C'est bien le caractère d'individualité qui est en jeu dans ce processus.
Il parle du rejet de greffe, puisqu'une greffe de l'individu à lui-même, autogreffe, est toujours tolérée. C'est donc l'autre. l'étranger qui apparaît au sens propre épidermiquement intolérable c'est une manière strictement soit non soit de penser ce qui se passe dans le système immunitaire avec laquelle je pense beaucoup d'immunologistes serait en désaccord aujourd'hui dans le vocabulaire utilisé mais il me semble et j'ai fait beaucoup de recherches sur cette question que c'est véritablement un vocabulaire qui est encore très présent dans les journaux actuels voyez ici un article récent dans science qui est extrêmement explicite sur le fait que c'est comme ça qu'on va interpréter le fonctionnement du système immunitaire. Donc, il faut vraiment distinguer conceptualisation-théorisation explicite et conceptualisation-théorisation implicite.
Je pense que c'est très, très important de voir ce que les immunologistes font avec leur science, même lorsqu'ils le disent de manière peut-être moins explicite que par le passé. Critique de la théorie du soi et du non-soi. La théorie du soi et du non-soi fait face à un grand nombre de difficultés conceptuelles et expérimentales. Il y a essentiellement deux branches ou deux manières de montrer qu'il y a ces difficultés.
La première est liée au premier principe que j'ai mentionné tout à l'heure. à savoir le principe selon lequel un organisme ne déclencherait pas de réponse immunitaire contre ses propres constituants. En réalité, on sait depuis le milieu des années 90 au moins que les systèmes immunitaires passent l'essentiel de son temps à la réponse immunitaire. une grande partie de son temps, on va dire, à avoir pour cible des constituants endogènes, des constituants qui viennent du dedans, des constituants du choix, si vous voulez parler ainsi. C'est le cas lorsque vous regardez, par exemple, la phagocytose des cellules mortes.
C'est le cas lorsque vous regardez ce que font, dans la plupart des cas, des lymphocytes. C'est le cas lorsque vous regardez le fonctionnement des cellules T régulatrices. C'est le cas lorsque vous vous intéressez à des cellules comme les cellules NK ou les cellules gamma delta, qui, en fait, sont des cellules autoréactives qui sont toujours en prévention d'exercer leur autoréactivité. Autrement dit, dans l'immense majorité des cas, ou disons dans la majorité des cas, les cellules du système immunitaire, les constituants du système immunitaire, sont dans une situation d'auto-réactivité, voire d'auto-immunité normale, c'est-à-dire qu'elles activent des réponses immunitaires, pensez par exemple à la phagocytose que je viens de mentionner, qui cible des constituants du soin. Cette auto-immunité normale, fort heureusement, ne tombe pas toujours sous la définition d'une auto-immunité pathologique.
pathologique, c'est-à-dire d'une maladie auto-immune. Mais il y a là une continuité bien plus forte que ce que l'on a cru pendant des années. A mon avis, l'auto-immunité est absolument centrale dans le fonctionnement de l'immunité.
Je rejoins tout à fait ce que Philippe Couriski vous a dit sur cette question. J'ai même la conviction, mais pour l'instant je ne peux pas le démontrer, que l'auto-immunité a été en fait le principal moteur évolutionnaire de l'apparition et du maintien de l'immunité. Je pense que c'est principalement ça qui a été le moteur de l'évolution de l'immunité.
S'occuper de ce qui se passe au-dedans, gérer ce qui se passe au-dedans et ça a des conséquences, comme Philippe Kouridiski l'a dit, sur la gestion des pathogènes qui pénètreraient au sein de l'organisme. Mais c'est une conséquence, alors que généralement on considère que la raison même de l'évolution de l'immunité, ça a été la nécessité de se débarrasser des pathogènes venant de l'extérieur. Deuxième grand problème qui a à voir avec la tolérance immunitaire, qui s'oppose donc au principe, second principe, le principe... sur lequel l'organisme déclenche une réponse immunitaire de rejet contre les entités qui lui sont étrangères.
En fait, on le sait maintenant de manière tout à fait massive, essentiellement depuis les années 2000, avec des travaux très importants de métagenomique qui ont clarifié ce point d'une manière, à mon sens maintenant, indiscutable. Nous savons qu'il y a toute une série de phénomènes qui indiquent que tout organisme est en fait porteur d'un très grand nombre de constituants qui sont d'origine étrangère, qui sont en fait du non-soi. Chaque organisme est massivement... constitué par du non-soi si on veut absolument conserver ce vocabulaire.
La tolérance phétomaternelle, le chimérisme, les greffes... pensait que chez de nombreux organismes dans la diversité du vivant, le chimérisme et les greffes ne fonctionnent pas du tout comme chez les êtres humains. Et le cas du microbiote sur lequel je vais m'apesantir un tout petit peu.
Chez pratiquement tous les organismes dans lesquels des recherches ont été effectuées, on s'est rendu compte que l'organisme est justement porteur d'un très grand nombre d'entités qui sont d'origine étrangère, du non-soi si l'on veut, et en particulier des bactéries. Chez les mammifères, l'intestin comprend 10 puissance... 514 bactéries réparties de manière inégale dans la géographie de l'intestin, entre 500 et 1000 espèces.
On cite très souvent ce chiffre qui est à prendre avec des pincettes, mais qui donne une idée assez précise de cette colonisation massive des micro-organismes dans l'organisme. A savoir que chez les mammifères, tout mammifère serait constitué à 90% de cellules bactériennes et seulement à 10% de cellules eucaryotes. C'est en gros exact, même si ces chiffres sont extrêmement...
En gros, il ne faudrait pas le dire aux étudiants, mais il faudrait juste leur dire que c'est massivement le cas que les mammifères sont constitués de bactéries. D'un point de vue génétique, on avance souvent les chiffres, là encore à prendre avec des pincettes, 99% bactériens et 1% humains. Mais est-ce qu'on doit encore dire que c'est 1% humain ou est-ce qu'on doit dire que tout humain est constitutivement porteur de ces gènes bactériens ? La situation d'interaction entre hôtes et... Ces micro-organismes sont généralement de type mutualiste, c'est-à-dire que d'un point de vue évolutionnaire, on est dans une situation de bénéfice mutuel du point de vue de la fitness.
Ce n'est pas seulement l'intestin qui est concerné, même si l'intestin est extrêmement important. Toutes les interfaces de l'organisme, la peau, la bouche, les organes sexuels, etc., les poumons sont concernés. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement des bactéries, c'est également des virus, par exemple, et des champignons. Il y a énormément de travaux en ce moment. moment sur ce qu'on appelle le virobiote, qui est quelque chose qui va nécessairement exploser en termes statistiques dans les années qui viennent.
Ça va être extrêmement important de se rendre compte à quel point les êtres vivants sont constitutivement porteurs de ces virus qui ont été internalisés. Le microbiote n'est pas seulement présent dans l'organisme, il joue des rôles fondamentaux dans l'organisme, du point de vue de la digestion, du métabolisme, plus surprenant de l'immunité et du point de vue du comportement. Il est absolument clair que... à mon sens, que la neuropsycho-immunologie qui a été mentionnée tout à l'heure est un domaine extrêmement prometteur. C'est quelque chose qui a été regardé avec suspicion, à mon avis, à raison pendant les 15 dernières années.
Là, maintenant, on a des éléments, je reviendrai si vous le souhaitez, qui sont extrêmement prometteurs sur le lien, par exemple, entre microbiote et stress. Ce sont des données qui sont tellement robustes que je pense qu'il serait de mauvais allois de rester sceptique à l'égard de ce rapprochement entre neurologie et immunologie dans les conditions actuelles. Ce sont donc le microbiote constitue un véritable organe de l'organisme.
Philippe Pouriski l'a mentionné. Je suis totalement convaincu par cette idée qu'il est devenu relativement courant d'affirmer aujourd'hui. Mais il y a dix ans, lorsque j'affirmais cela avec d'autres, bien sûr, en m'inspirant d'autres, la réception n'était pas exactement la même. La conséquence, c'est que tout organisme est mélangé, hétérogène. Il est fait de constituants initialement étrangers.
Un organisme est constitué par l'intérêt. internalisation constante, alors constante avec différentes étapes, mais l'internalisation constante d'entités initialement étrangères. Il n'y a pas d'organisme homogène, il n'y a pas d'organisme pur, si bien que plusieurs ont proposé récemment de penser l'organisme comme un holobionte, c'est-à-dire une entité qui est un hôte avec ses symbiotes. L'influence du microbiote s'exerce à la fois sur le fonctionnement de l'organisme, mais aussi sur sa construction.
Je pourrais vous le montrer si vous le souhaitez en détail. le développement même des organismes présuppose, dans un très grand nombre de cas, quasiment dans tous, l'implication de micro-organismes. Sans ces micro-organismes, vous ne vous développez pas.
Et donc, on va proposer ici une perspective qui est totalement à l'opposé de ce qu'on peut appeler l'internalisme. L'internalisme, c'est une position générale que l'on trouve très souvent en biologie, qui consiste à dire que l'organisme est principalement... autoconstruit et dans une large mesure clos à son environnement, qu'il exerce un effet de clôture sur son environnement.
La théorie du soi et du non-soi constitue à mon avis un excellent exemple d'internalisme, une réalisation d'internalisme qui a renforcé d'autres formes d'internalisme. qu'on a trouvé au cours du XXe siècle en génétique, en biologie du développement. Et à l'opposé de cette perspective, je voudrais suggérer ce terme totalement barbare d'interactionnisme co-constructionniste, qui veut simplement dire que l'immunologie va apporter sa pierre à une réflexion très importante sur l'idée selon laquelle tout organisme...
constamment construit son environnement et est construit par son environnement. Alors qu'est-ce que ça veut dire dans le détail ? J'arrive à cette dernière partie sur intégrer l'autre vers un interactionnisme co-constructionniste.
Face à la critique de la théorie du soi et du non-soi dont j'ai parlé, que doit-on faire ? Les immunologistes pourraient souhaiter modifier cette théorie du soi et du non-soi. Certains essaient de faire ça. D'autres pourraient, et c'est une attitude extrêmement fréquente dans l'immunologie, actuelle suggérer d'abandonner toute théorie vous nous embêter avec ces histoires de théorie vous nous embêter avec ces histoires de concepts a fortiori vous nous embêter avec vos questions philosophiques on n'a pas besoin de théorie pour faire de l'immunologie le proche problème, c'est que ça, en philosophie des sciences, on sait depuis très longtemps qu'il est impossible de faire de la science hors d'un cadre théorique. Il reviendra si vous le souhaitez, mais c'est quelque chose qui est forcément vain.
Dans l'immense majorité des cas, les gens qui, dans leur recherche, entendent faire fi des concepts généraux et des théories, restent en fait implicitement porteurs de concepts et de théories. C'est exactement ce que j'ai essayé de vous montrer tout à l'heure sur les concepts et théories de soi et de non-soi. Une autre possibilité, bien sûr, c'est de proposer une...
une ou plusieurs autres théories. De nombreuses théories ont été proposées les années 60 à l'heure actuelle pour ne pas rester dans le cadre du soi et du non-soi, notamment certains exemples des théories systémiques, certaines formes de la théorie du réseau édiotypique de Yerni, certaines applications de l'idée d'autopoyage et d'auto-organisation, De manière assez importante, dans les années 90, principalement à partir de 1994, j'ai oublié une lettre, c'est Matt Singer, pas Matt Zinger, excusez-moi. Pauli Matt Singer a proposé la théorie du danger qui me semble faire difficulté, je reviendrai si vous le souhaitez, d'un certain nombre de points de vue, mais qui a eu un effet très fort pour susciter de nouvelles réflexions conceptuelles et critiques en immunologie. J'ai proposé avec des collègues la théorie de la discontinuité dont je vais vous parler très rapidement, mais ce que je voudrais vous dire...
dire, c'est qu'à l'heure actuelle, aucune de ces grandes conceptions, aucune de ces grandes théories n'a réussi à susciter un nouveau consensus, un nouvel accord au sein de l'immunologie, si bien qu'on peut dire que, dans les termes de Thomas Kuhn, le grand historien des sciences, on est en situation de crise en immunologie actuelle. C'est extrêmement paradoxal de voir cette discipline qui est incroyablement efficace, incroyablement effervescente, qui est, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'une des disciplines les plus... plus en vue et légitimement en vue des sciences du vivant actuelles. Je pense néanmoins qu'elle est en situation de crise au sens kounien, c'est-à-dire que le paradigme du soi et du non-soi est en train de s'effacer progressivement sans qu'un autre paradigme ait réussi à prendre le dessus pour l'instant. Que dit la théorie de la discontinuité, qui est une modeste proposition sur laquelle j'ai travaillé avec des immunologistes et récemment surtout avec Eric Vivier qui dirige le CIML à Marseille.
Ce qu'on a essayé de proposer... c'est une explication qui nous semblait unifiante et relativement simple de ce qui se passe dans un système immunitaire. Notre suggestion, c'est qu'une réponse immunitaire est déclenchée non pas par la présence de non-soi dans l'organisme, mais par toute modification rapide.
rapide, des motifs moléculaires avec lesquels les récepteurs immunitaires interagissent. La clé étant la vitesse de changement dans l'organisme. Un changement extrêmement soudain dans l'organisme, qu'il soit endogène ou exogène, que ça vienne du dedans ou que ça vienne du dehors, va provoquer une réponse immunitaire effectrice.
Lorsque, à l'opposé, vous avez une présence antigénique qui reste relativement constante ou qui est modifiée de manière extrêmement progressive. vous allez avoir tendance à avoir une réponse immunitaire de type tolérogène, une réponse immunitaire de type tolérance. Et ces phénomènes vont s'auto-renforcer.
Une réponse immunitaire effectrice va susciter plus de probabilités d'avoir une réponse immunitaire effectrice forte, et réciproquement, une réponse tolérogène va susciter plus de probabilités d'avoir une réponse tolérogène. L'essentiel dans cette conception, ou en tout cas un paramètre essentiel, c'est la variation de quantité d'antigènes par rapport au temps, le DQ sur DT. Donc une simple dérivée nous permettrait, selon notre interprétation, de mieux comprendre...
ce qui se passe en termes de réponse immunitaire dans un organisme. Dit de la manière la plus simple, et sans doute un petit peu simpliste, ce qui est très important pour comprendre la réponse immunitaire, c'est de savoir si des motifs inhabituels, et massivement et rapidement inhabituels, apparaissent dans un organisme. Il me semble que cette théorie de la discontinuité est une manière de contribuer à une réflexion sur ce qui fait justement la tolérance immunitaire, et en ce sens, elle peut apporter sa pierre à... La réflexion qui se produit dans les sciences du vivant en général depuis au moins le milieu des années 90, qui est cette réflexion sur le co-constructionnisme, affirmant, comme je l'ai dit tout à l'heure, que l'organisme construit constamment son environnement et réciproquement.
C'est une conception qui a été proposée... notamment par Richard Lewontin, qui est probablement le plus grand biologiste de l'évolution vivant, un très grand généticien des populations de Harvard, qui a proposé cette perspective dans un cadre général, disons, de génétique, de biologie du développement, d'écologie et d'évolution. Son livre, La Tripélisse, est une excellente manifestation.
Même chose avec le livre de Susan Oyama, dans une perspective beaucoup plus psychologique, qui est, à mon avis, extrêmement intéressante. Plus récemment, dans le livre de Gilbert et Apple sur la biologie de développement écologique. Tout ça constitue une réflexion sur le co-constructionnisme.
Et il me semble que ce que je vous ai dit, par exemple, sur le microbiote et sur la manière dont le système immunitaire accepte le microbiote, constitue, à mon sens, une pierre dans cette réflexion. réflexion en montrant que constamment, un organisme va influer sur son environnement, par exemple en modifiant les pathogènes, mais aussi les micro-organismes non pathogènes qui se trouvent dans l'environnement. Et réciproquement, constamment, l'organisme est influencé par son environnement au sens extrêmement fort, où il va internaliser des constituants qui sont initialement des constituants de l'environnement et qui vont devenir des constituants même de cet organisme.
Conséquence sur la question de l'identité, je pense que l'immunologie a énormément à nous dire sur ces questions. ces questions d'identité et d'individualité, mais pas via les concepts de soi et de non-soi, qui sont, à mon avis, à proscrire ou à redéfinir de manière tellement forte qu'à la fin, il vaudrait quand même mieux utiliser d'autres notions. Dans ma conception, un organisme doit être compris à la manière de Galatea Ospher, qui est un des grands tableaux de Salvatore Dali.
Vous voyez, selon l'endroit où vous vous trouvez, vous allez voir plutôt une Galatea unie. vérifiée, si vous vous rapprochez beaucoup, au contraire, vous allez voir qu'elle est constituée de ces sphères. Un organisme, c'est ça, et l'immunologie peut nous permettre de penser ça.
Un organisme vu de loin a une forte unité, vu de près, vous allez voir qu'il est extrêmement complexe, extrêmement hétérogène, qu'il est fait de constituants très divers, puisque appartenant même à des espèces différentes, à des règnes différents, d'un strict point de vue biologique. Mais si vous refaites un zoom arrière, vous allez voir que cette unité existe malgré tout. Pour moi, le système immunitaire, c'est ça. Le système immunitaire, c'est quelque chose qui va constamment...
Unifier du multiple, unifier du pluriel, unifier de l'hétérogène, c'est-à-dire intégrer des éléments qui viennent de l'extérieur et qui sont hétérogènes en un tout qui va être constitutif de cet organisme. Je conclue en disant qu'il est difficile de définir l'immunologie, que l'immunologie est dominée par des termes souvent imprécis appelant à un travail constant de redéfinition. La théorie du soi et du non-soi doit faire face à de nombreuses difficultés probablement liées à son imprécision conceptuelle. Il est possible et probablement souhaitable...
d'élaborer, grâce à une collaboration étroite entre biologistes et philosophes, de nouvelles manières de concevoir le système immunitaire. Et j'ajouterai les notions d'identité et d'individualité telles qu'elles peuvent être pensées aujourd'hui d'une manière renouvelée, donc, par l'immunologie. Et les résultats restants de l'immunologie, notamment sur le microbiote, conduisent à voir tout organisme comme hétérogène, c'est-à-dire comme l'unité d'un ensemble de constituants d'origines différentes.
Merci beaucoup de votre attention.