Comment éradiquer la pauvreté ? On peut mettre en place des programmes d'aide pour donner de l'argent aux sans-argent, de la nourriture aux affamés et un travail aux sans-emploi. Et bam !
Problème résolu. Mais trop souvent, au lieu d'aider les populations, on déséquilibre les économies les plus pauvres. Le don de vêtements des pays du Nord aurait détruit l'industrie textile des pays du Sud, et les aides permettraient à des régimes autoritaires et totalitaires de se développer et de se maintenir au pouvoir.
En même temps, si on ne fait rien, les gens meurent de et dans la pauvreté. L'absence d'aide ne semble pas être une solution non plus. La situation est complexe, les conceptions du monde et de la pauvreté s'entrechoquent, et pendant ce temps-là, on n'a toujours aucune idée de comment éradiquer la pauvreté.
Du coup, on fait quoi ? Une possibilité serait tout simplement d'arrêter de se poser des questions aussi imprécises, larges, irrésolubles et dé... décourageante.
Après tout, la médecine ne progresse pas en essayant d'éradiquer la mort. Et si la question était le vaccin contre la rougeole éradique-t-il la mort ? Mais les résultats avant après seraient pas franchement encourageants. L'argument paraît stupide mais rappelez-vous vous êtes stupide economics. Et est-ce qu'on n'est pas en train de faire la même chose avec notre question comment éradiquer la pauvreté ?
Parce qu'en face d'une question aussi insoluble, ce sont les trois i qui triomphent. Idéologie, ignorance et inertie. Alors sans ignorer la question, cherchons à l'exploser.
Boom En regardant les chiffres de la pauvreté et de la mortalité infantile, on peut noter une forte corrélation. Cause-conséquence, c'est pas encore tout à fait clair. Mais on peut émettre une hypothèse. La mortalité infantile est une cause de la pauvreté. Pour savoir s'il s'agit d'une cause, d'une conséquence ou d'un peu des deux, il faut d'abord diminuer la mortalité infantile.
Alors, quelle est la meilleure ? manière de réduire la mortalité infantile. Et bien tout dépend des situations, il y a l'accès à l'Oscène, la mise en place d'un système de santé, des campagnes d'information, la vaccination des enfants, mais dans pas mal de situations justement la vaccination a été prouvée comme étant la plus efficace.
Du coup on part là dessus et on va mettre en place des dispensaires qui vont vacciner les enfants, et ce, gratuitement. Please solve the problem, problem solved ! Pas encore. Dans ce cas de figure, seul un faible pourcentage des enfants sont vaccinés, trop peu pour avoir un quelconque effet sur quoi que ce soit.
Mais à partir de là, on peut vraiment se demander si les pauvres ne le font pas exprès. Dans les pays développés, la vaccination n'est pas toujours gratuite, et pourtant, les enfants sont tous immunisés. Salaud de pauvre !
Mais il y a une explication à ça. La vaccination c'est de la prévention. C'est un coût aujourd'hui pour un bénéfice hypothétique futur.
Pour notre ami l'Homo economicus, la question ne se pose pas. Si le bénéfice futur est plus grand que l'investissement initial, alors la décision rationnelle, c'est d'aller se faire vacciner dès que possible. pour les hommes de chair d'os et d'irrationalité que nous sommes, à cause de l'inconsistance temporelle.
C'est la manière dont notre conception du temps influe sur la valeur que nous accordons aux choses. Plus un coût ou un bénéfice s'éloigne de notre présent, et plus il diminue. C'est comme ça.
C'est la raison pour laquelle 3 heures d'attente dans un dispensaire semble très coûteuse aujourd'hui pour un bénéfice qui est très lointain et donc diminue. Et c'est la même chose qui se passe avec 3 heures de révision maintenant pour diminuer le risque d'échec au bac dans 2 mois. Par exemple.
Pour contrer ça, l'incentive devrait pouvoir nous aider. Il s'agit d'un truc positif ou négatif qui va motiver une personne à effectuer une action précise. Ça peut être une décharge électrique, 3kg de coke, 1kg de lentilles ou un e-woke. Peu importe, tant que ça aide à réaliser l'action en question. Par exemple sur Tipeee, Usul vous propose l'envoi d'un commentaire audio pour 10€ de don.
Ce don à un créateur peut être considéré en partie comme une action ayant un bénéfice hypothétique à long terme. Grâce à votre soutien, le vidéaste va continuer à créer. Mais l'incentive, dans notre cas l'accès à un compte supplémentaire, peut aider à ce que votre décision se fasse au...
en rapprochant le bénéfice de votre présent. Mais maintenant on veut aussi prouver qu'on obtient des meilleurs résultats grâce à un incentive. Pour ce faire, revenons sur la médecine et voyons comment dans ce domaine on prouve l'efficacité d'un médicament.
D'abord on y met une hypothèse précise. Le vaccin contre la rougeole permet-il de réduire le nombre de... de morts de la rougeole dans un temps donné. Et on réalise un essai randomisé contrôlé. On réunit 30 000 personnes dans une expérience et on divise cette population en 3 groupes différents au hasard.
Et c'est important le hasard. Dans le groupe 1, on leur donne le vaccin. Dans le groupe 2, on leur donne un vaccin placebo. Et dans le groupe 3, on leur donne pas de vaccin du tout. On laisse tourner genre 3 ans et puis on regarde les résultats.
Dans le groupe 1, on a 50 morts, dont 2 de rougeole. Dans le groupe 2, 70 morts, dont 27 de rougeole. Dans le groupe 3, 100 morts, dont 43 de rougeole. Et si le groupe 1 performe mieux que le groupe 2 et 3, comme dans cet exemple, alors il y a une efficacité et elle est prouvé.
Sinon, non et poubelle. Voilà pour la manière de tester. Maintenant, il nous faut aussi quelqu'un pour mettre tout ça en place.
Et la bonne nouvelle, c'est que certains économistes ont compris que les débats d'idées font de très belles tribunes dans les journaux, mais qu'à un moment, il faut aussi se confronter au réel. C'est notamment le cas d'Esther Duflo, une économiste franco-américaine avec un CV de 12 pages de long, une passion pour les lentilles et un livre qu'elle a coécrit avec Abhijit Banerjee. Pour Economics. A partir de là, on a tout ce qu'il nous faut. Des économistes motivés, une hypothèse qui peut être testée, la possibilité d'ajouter des incentives, et un test qui nous permette de voir les résultats.
C'est parti ! Pour réaliser l'expérience, direction l'Inde. On prend une région entière, où pratiquement personne n'est immunisé contre des maladies aussi infectieuses que faciles à prévenir, comme par exemple la rougeole. Et on commence par répartir tous les villages en trois groupes au hasard.
Dans le groupe 1, la vaccination est gratuite et encouragée par un incentive. Dans le groupe 2, la vaccination est simplement gratuite. Et dans le groupe 3, pas de vaccination gratuite.
Rien du tout, même pas de dispenseur. Par contre, on n'a toujours pas choisi notre incentive. Vous l'avez peut-être deviné, c'est le fameux kilo de lentilles.
Pour chaque vaccination, un kilo de lentilles sera donné à la famille. Et le résultat, elle mérite d'être claire. On peut faire en sorte que la vaccination soit deux fois plus efficace en y joignant un programme d'incentive. Mieux que ça, le coût par vaccin est divisé par deux malgré le fait que l'on donne des lentilles en plus, parce que ça permet d'optimiser le temps des infirmières.
Un euro utilisé à financer un programme de vaccination avec un incentive est donc beaucoup plus efficace qu'un euro investi dans un programme de vaccination sans. Du coup, ça soulève une question sur la nature même de la pauvreté, parce que ça implique que les pauvres ont besoin d'encouragement pour prendre soin d'eux, alors que les riches non. On ne reçoit pas de Happy Meal quand on va se faire vacciner dans un pays développé, et pourtant, on est tous immunisés. Mais ça serait oublier que sans vaccin on ne peut pas mettre ses enfants à l'école ou aller à l'étranger. A priori c'est des incentives assez efficaces.
Et c'est d'ailleurs ce qu'on oublie trop souvent. Vivre dans un pays développé c'est aussi disposer de mécanismes éprouvés, d'incentives et de procédures automatiques invisibles qui nous évitent de devoir faire des choix et des efforts au quotidien. L'eau est traitée pour nous, nos déchets disparaissent automatiquement, des rendez-vous médicaux sont organisés, etc. Reste que le résultat de cette expérience ne nous dit pas comment éradiquer la pauvreté d'un coup.
C'est pas un grand pas pour l'humanité, mais c'est au moins un petit pas pour l'homme, un indice pour nous permettre un jour de répondre à une question jusqu'à maintenant insoluble. Par contre, la démarche des économistes qui, comme Esther Duflo, utilisent des outils modernes pour répondre à des problématiques complexes, représente peut-être ce grand pas pour l'humanité. Quoi qu'il en soit, je vous encourage vraiment à lire Pour Economics, c'est une parfaite introduction à l'économie expérimentale et qui vous aidera à répondre à la question suivante.
Si vous avez 100€ à investir dans un programme humanitaire dédié à l'éducation des plus pauvres, que financer pour maximiser le retour en termes d'années supplémentaires étudiées ? Non, la réponse n'est pas évidente du tout, mais vous devriez la trouver en suivant les liens dans la description de l'épisode. Et si vous souhaitez faire en sorte que vos dons soient aussi efficaces que possible, je vous invite à consulter la liste des associations et programmes recommandés par les auteurs de Pour Economics sur leur site.