Cette vidéo traite de thèmes difficiles de manière graphique et peut donc heurter certaines sensibilités. Des thèmes très peu mis en avant par YouTube, voire totalement invisibilisés par son algorithme. Donc si comme moi tu considères qu'il reste quand même très important de les aborder, n'hésite pas à aider à participer à la diffusion de cette vidéo en la partageant au maximum de personnes, en la commentant, etc.
Il y a des images dont tu peux sentir l'intensité et la gravité sans même avoir le contexte. La première fois que j'ai vu cette photographie, je me suis d'abord longuement interrogé sur les raisons du regard de cette femme, perdue, sans émotions, quasiment vide. J'ai mis du temps à remarquer la blouse militaire, les rangers avec la saleté sur le tapis de bain. Et plus de temps encore avant de remarquer cet homme dont le portrait trône juste à côté d'elle.
Cette photo cache l'histoire la plus surréaliste, et j'utilise ce terme volontairement, de l'histoire de la seconde guerre mondiale. Cette femme, c'est Lee Miller. A la fois mannequin, actrice, photographe, journaliste, aventurière, correspondante de guerre.
Mais au-delà de ses mille et une vies, elle est surtout à l'origine de la série de photographies la plus importante et bouleversante de tout le XXe siècle. Remembrer le Holocauste n'est qu'un premier pas. Apprendre et enseigner à l'éducation. Tout ce qui s'est passé dans la Seconde Guerre mondiale en tant que racisme, antisémite et xénophobie est le prochain pas responsable.
Et avec ce pas, nous sommes tous dépendants de l'autre. Elizabeth Miller naît dans une famille protestante et pourtant très progressiste en 1907 à Poughkeepsie, dans l'État de New York, et son père Théodore, qui est ingénieur, va très tôt lui inculquer, à elle et à ses frères, des valeurs fortes qu'elle va conserver tout au long de sa vie. D'abord, des traits de caractère comme la...
détermination, la frontière de l'entêtement, ou la curiosité, cette capacité à constamment poser sans aucune gêne toutes les questions qui lui passent par la tête. Son père est un grand passionné de photographie et elle va grandir en jouant dans la petite chambre noire qu'il a installée sous le cagibi, au milieu des produits chimiques, à le voir développer ses négatifs, négatifs des photos dont elle est très souvent de sujet. Parce qu'il apparaît très tôt que Lee ressemble à une petite poupée, et sa beauté va très vite attirer beaucoup d'éloges, chose qu'elle va très vite intégrer. C'est ça. Toute son enfance, toute son adolescence, elle va poser pour son père.
Mais si sa jeunesse se passe dans un milieu heureux et très créatif, elle va aussi connaître deux drames qui vont la marquer à vie. Enfant va l'envoyer passer quelques temps chez des amis de la famille. Ses amis ont un fils militaire qui va les rejoindre pendant une permission. On a très peu de détails sur les événements, mais Lee va subir un viol.
Et double peine, elle va devoir subir un traitement très douloureux pour guérir de la maladie vénérienne qu'elle va contracter. à l'époque la pénicilline n'a pas encore été découverte, elle a à peine 7 ans. Alors pour essayer de la sauver du traumatisme, ses parents et les psychiatres qui vont consulter vont lui enseigner à décorréler la sexualité de l'amour. C'est un acte physique et mécanique pour en fait lui éviter le sentiment de culpabilité, lui faire comprendre qu'elle y est pour rien. Ça c'est quelque chose qui va la suivre dans toutes ses relations sentimentales de sa vie en lui donnant un goût pour l'indépendance amoureuse.
Mais c'est pas la seule leçon très difficile que la vie va lui donner. Elle sera aussi confrontée très tôt au deuil. En pleine adolescence, son tout premier amour va mourir noyé devant elle, alors qu'ils sont tous les deux sur une barque. Alors pour essayer de compenser toutes ces tragédies, ses parents la gâtent et lui passent tout, y compris en ravalant leur frustration de l'avoir se faire renvoyer de plusieurs établissements à cause de sa conduite.
Conduite rebelle, mais c'est surtout qu'elle est bien trop intelligente pour le système scolaire et qu'elle supporte aucune forme d'autorité. Un jour, il y a quand même une ancienne professeure qui va proposer d'amener Lee avec elle en Europe pendant quelques temps. Et là, ses parents sont ravis, forcément ça va lui mettre un petit peu de plomb dans la tête. Et puis bon, elle sera chaperonnée.
Bien sûr. Lee, elle, elle est super chaude à l'idée de débarquer à Paris. Et à l'instant où elle comprend comment fonctionne la ville, bim, elle lâche direct la vieille.
Et là son père qui reçoit une lettre, bon bah j'ai décidé de devenir artiste, voilà, j'ai trouvé une école de théâtre, ce serait cool si vous pouvez me la payer, et puis sinon, bah je vais me démerder. Voilà, à 18 ans, elle devient déjà indépendante et vit à Paris, où elle va y découvrir le bouillonnement culturel des années 20. C'est les premières heures du surréalisme, un mouvement qui explore l'inconscient et le rêve pour libérer l'imagination de la logique et des conventions sociales. C'est des noms comme Paul Eluard ou André Breton évidemment pour la littérature, Marcel Duchamp, Max Ernst, René Magritte pour la peinture. Et on y associe des fois des noms comme Picasso, Miro, Braque. Et en photographie, on a aussi des noms comme Il y a un nom qui est sur toutes les bouches, dans toutes les conversations, Man Ray.
L'île a des étoiles dans les yeux quand elle entend parler de ces artistes qui commencent à devenir des légendes. Mais au bout d'un an, son père, le Théodore, parce qu'il ne veut peut-être pas déconner, il revient la chercher Manu Minitari pour la ramener par la peau des fesses à la maison aux US. La vie à la ferme, bon, évidemment que ça ne va pas lui convenir.
Théodore va donc lui accorder d'aller étudier à l'Art Student League à New York. Elle continue d'aider son père de temps en temps. avec qui elle a un profond lien d'amour sur son travail photographique, et elle suit des cours un petit peu sans passion de dessin ou de peinture.
On ne saura jamais ce que cette voix aurait pu donner, parce que le destin va s'emmêler sous la forme d'un accident. Un jour, alors qu'elle traverse sans regarder une rue dans Manhattan, sans doute une habitude qu'elle a prise en France, une voiture fonce sur lit, sans la voir, quand soudain, quelqu'un la tire en arrière et lui évite l'accident mortel. L'homme qui l'a sauvée, c'est Condé Nast, le mania de la presse, juste le gars à qui on doit des magazines comme The New Yorker, Vanity Fair, GQ, Wired, Vogue, rien que ça. Je t'ai dit que l'île était belle, j'ai pas précisé qu'elle était très, très belle. Et en la voyant, Nast est subjuguée par sa beauté froide, tu sais, la parfaite incarnation des années folles.
Donc il lui propose immédiatement de le rejoindre pour devenir mannequin à Vogue. Comme ça. Et pas seulement mannequin, il va la rendre célèbre en la faisant devenir le modèle principal du photographe le mieux payé du monde à l'époque, Edward Station, qui fait d'elle un des premiers top modèles, on pourrait dire, avec le fast et la vie débridée qui va avec. Oui, je sais, on dirait un scénario de film. D'ailleurs, La vie de Lee a été adaptée en film.
Son biopic va très bientôt sortir au cinéma. C'est la très talentueuse Kate Winslet qui s'est battue pour pouvoir incarner ce rôle. Voilà, j'ai très hâte de le voir.
I'm never wrong. That's our Lee. T'as sans doute déjà vu cette image, aujourd'hui c'est devenu un poster qu'on voit partout. Je crois qu'il n'y a pas un bar lunch où il n'est pas affiché. C'est en fait la couverture du Vogue de mars 1927, représentant la New Yorkaise par excellence, illustrée par Georges Le Pape.
Cette femme, c'est évidemment Lee Miller. C'est une période de célébrité pour elle. Et elle prend encore plus conscience du... pouvoir qu'elle a sur les hommes. Elle écrivra J'étais très belle.
Je ressemblais à un ange, mais à l'intérieur j'étais un démon. Et pourtant, sa carrière va s'arrêter aussi vite qu'elle a commencé, là aussi à cause d'un coup du hasard. Sans qu'elle ait un quelconque mot à dire sur la question, une de ces images va être utilisée pour de la publicité.
Mais pas à n'importe quel pub, pour un produit sur lequel on n'associe normalement jamais une personne réelle, mon dieu, oulala. Des produits qui concernent l'intimité féminine. Attends, mais rends-toi compte, scandale ! C'est donc une marque de serviettes hygiéniques qui va signer la fin de la carrière de Lee. Je sais pas pourquoi je le dis avec une tête aussi triste, hein, parce que la concerner, elle, ça la fait bien marrer d'avoir autant froissé la pudibonderie américaine.
Et puis bon, si l'univers de la mode, bon, ça lui plaisait, au final, ses jours heureux, ils étaient plutôt à Paris. La culture qu'elle y avait trouvée mélangée... à son éducation auprès de son père photographe, désormais, elle en est sûre. J'aime mieux prendre une photo qu'en être une.
A 22 ans, avec toutes ses économies en poche, elle retourne en France avec la ferme intention de devenir artiste. Tu te souviens du plus grand photographe parisien et au-delà de l'époque ? Man Ray. Lee, elle se pose pas de questions.
Elle débarque instant en bas de chez lui, rue Campagne 1ère à Montparnasse. Bon, pas de bol, il vient de sortir et le concierge lui dit qu'ensuite il va partir en voyage pendant plus d'un mois. Lee est désespéré, son plan génial est tombé à l'eau, donc elle va noyer son chagrin dans le bar d'à côté.
Mais voilà, on l'a vu, l'histoire de Lee c'est un petit peu la chance sourit aux audacieux. Euh, cieuse, pour le coup. Et c'est qui qu'elle voit débarquer, dans le bar ?
Eh ben Manre, là, tranquillou. Bon, je crois que tu commences à connaître l'oiseau. Bien sûr qu'elle va pas louper une occasion pareille.
Je lui dis sans détour que j'étais sa nouvelle élève. Il me répondit qu'il ne prenait pas d'élève et que, de toute façon, il quittait Paris pour aller en vacances. Je sais, lui dis-je, je viens avec vous. Et c'est ce que je fis. Nous vécûmes ensemble trois années.
On m'appelait Madame Manret, car c'est ainsi qu'on fait les choses en France. Elle sait être convaincante, c'est sûr, et elle va devenir donc son apprentie et son amante. Ces trois années vont transformer Ellie en une figure montante de l'avant-garde. avant même son développement en France.
Je te redonne une définition du courant surréaliste, celle d'André Breton, qui est à l'origine... C'est un automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. En gros, c'est essayer de représenter l'intériorité, mais sans la censure de la raison. En photographie, ça va s'exprimer par le concept de l'image trouvée.
Cet instant où un élément fait d'un coup surgir l'extraordinaire qui se cache dans la trivialité du quotidien. Un concept que Lee va adapter à tout son travail photo au cours de sa vie. Certaines de ces images sont encore très marquantes aujourd'hui, comme ce diptyque d'un sein sectionné suite à une mastectomie et gisant dans une assiette. Avec Man Ray, ils vont aussi développer la technique de la solarisation, c'est-à-dire une inversion totale ou partielle de la densité d'une photographie après une surexposition durant le développement.
Découverte surtout due à Lee et à la sérendipité, puisque c'est en faisant une petite erreur dans le labo qu'ils se sont rendus compte Et ça va ensuite devenir une des signatures de Man Ray, surtout dans son travail sur la mode, un domaine dans lequel Lee va le pousser, avec ses connaissances et ses connexions dans le domaine, et surtout en tant que modèle. Mais c'est surtout Lee l'artiste qui gagne en renommée. Elle fait désormais partie du cercle d'artistes surréalistes qu'elle admirait il y a quelques années. Au tout début des années 30, place à la Lee actrice, où Jean Cocteau la prend pour son film Le sang d'un poète, son film le plus personnel où il y décrit la...
La souffrance de la création chez les artistes. Évidemment, il y a des scandales à l'époque, évidemment, ça amuse Lee, mais au final, jouer à l'actrice, c'est pas forcément son truc, et elle le refera plus au cours de sa vie. Mais oui, c'est bien elle qui joue dans une des oeuvres majeures de l'un des plus grands cinéastes de l'histoire. Vous n'avez pas l'as de coeur, mon chère. Vous êtes un homme perdu.
Lee est au top de sa vie d'artiste, Man Ray aussi, qui grâce à elle va créer ses plus grandes oeuvres. autant en photographie qu'en peinture, des oeuvres qui représentent souvent les affres de leurs relations très... orageuses. Faut savoir que dans le milieu artistique du Paris des années folles, bon, tout le monde était plus ou moins en couple libre, mais souvent plutôt dans la vision masculine du couple libre, à savoir, oui oui, on peut aller voir qui on veut, hein, si ce on, c'est moi. Toi, bon, bah, t'es une femme quand même.
Chose qui correspond assez peu au caractère de Lee, ni à sa vision de la sexualité, très détachée des sentiments comme on l'a vu. Etouffé par la jalousie assez maladive de Ray, en 1932, Lee décide qu'il est temps pour elle de rentrer en Amérique. Lee Miller Studio Inc. C'est le studio photo qu'elle crée à son retour dans un appartement de New York.
Et malgré l'état économique du pays, qui subit encore les conséquences de la crise de 29, c'est un succès retentissant. Autant dans ses travaux publicitaires, qu'avec des grandes personnalités qui viennent se faire tirer le portrait juste pour avoir cette petite French touch sur laquelle elle joue, évidemment. En plus, elle travaille avec son frère, Eric, qu'elle a engagé.
Tout se passe bien pour elle. Sauf l'ennui. Je pense qu'on est beaucoup de créatifs à passer par là un jour.
Trop de travail commerciaux, les œuvres personnelles vont lui manquer. Et le surréalisme, il faut dire qu'il n'est pas très bien compris encore aux US. L'IL a besoin d'aventure, et la vie va lui en proposer une. Enfin, celui qui va faire une proposition, c'est surtout Aziz Heloui Bey.
Aziz, lumière oui, mais c'est surtout un homme d'affaires égyptien qu'elle a rencontré en Europe, qui était tombé éperdument amoureux d'elle et où ils étaient devenus amants. C'est d'ailleurs l'ambivalence de ses sentiments pour lui et pour Man Ray qui avait poussé Lee à quitter Paris. Le voilà le nouveau changement de vie qu'il lui faut.
Donc t'as sa maman un jour qui reçoit un coup de fil. Eh, tu te souviens d'Aziz, le gars que je vous ai présenté la dernière fois ? Oui ? Ouais, bon bah voilà, je l'ai épousé ce matin. Petite consternation dans la famille, mais bon, il commençait à connaître.
Par contre, grosse consternation de l'état civil US, qui vont la mettre en garde, parce que le monsieur, là, il est... Enfin, il est... il est... il est pas d'ici, quoi. Eh ben, écoute, pas de souci, il file direct se marier au consulat royal d'Egypte de New York, sous la loi musulmane, le 19 juillet 1934, et le couple part ensuite s'installer au Caire.
C'est donc le début de sa nouvelle vie d'épouse, épouse d'un homme richissime, je sais pas si je l'avais précisé. Et très vite, le fait de ne pas avoir travaillé, ou du moins d'avoir laissé son fidèle relais flex de côté, et bien ça va très profondément ennuyer la jeune femme. Ben oui, mais voilà, mais c'était sûr, bon au bout d'un an, elle va quand même se découvrir une nouvelle passion, les longues expéditions dans le désert avec des amis, quitte à se mettre en danger.
Mais ça relancera aussi sa passion pour la photographie. D'ailleurs, son œuvre la plus célèbre, elle est prise durant un de ses voyages là. Portrait of Space, qui est une image même du surréalisme, une métaphore de l'intériorité et de l'extériorité.
Voilà, c'est une illustration de comment une simple image banale peut capturer et représenter des pensées complexes. C'est cette photo qui deviendra indubitablement la source d'inspiration de Magritte pour le baiser. Mais malgré tout ça, l'oisiveté de la vie égyptienne, ça continue à faire dépérir l'île petit à petit.
Sa vie d'artiste bohème lui manque, et Aziz, il le voit bien. En 1937, il lui offre un voyage à Paris, pour qu'elle puisse renouer avec ses origines artistiques. Dès sa première soirée à la capitale, elle retrouve tout son cercle d'amis, d'artistes, parmi lesquels Mark Searnst, Paul Eluard, même Man Ray, qui est ravi de la revoir, et ils enterrent très très vite la hache de guerre, parce que malgré leurs disputes, il y a toujours eu... profond respect entre les deux et c'est au cours de cette même soirée à peine arrivé qu'elle va rencontrer roland penrose oui le poète anglais et le dernier grand homme de la vie de lee ils ont chacun un coup de foudre immédiat cet été là elle va encore une fois renouer avec sa vocation photographique entouré par partout ces artistes à faire par exemple des tas de portraits de son ami Picasso qui venait d'arriver à Mougins avec Doramart pour situer là il vient juste de terminer Guernica. Picasso qui fera aussi six tableaux de lit d'ailleurs.
Le retour à la vie mondaine en Egypte est alors très très dur pour elle et elle confessera dans une lettre à Aziz Quant à moi, je ne sais franchement pas ce que je veux, si ce n'est avoir ma part et la dévorer. Je désire la combinaison utopique de la sécurité et de la liberté et, sur le plan émotionnel, j'ai besoin d'être complètement absorbée dans un travail ou un homme que j'aime. Je pense que la chose la plus importante pour moi, c'est d'avoir plus de liberté. Même si ça ne marche pas, la lutte me gardera en vie et éveillée.
L'été suivant, elle repart en voyage, cette fois dans les pays de l'Est, en compagnie de Roland Penrose, avec qui elle entretient une correspondance passionnée. Dans les photos qu'elle en fait, dans les images trouvées durant ce voyage, on peut déjà voir en filigrane comme le bruit des bottes qui commence à se faire entendre en fond dans ses contrées. A son retour en Égypte, elle est rejointe par Roland, qui lui offre un recueil de poèmes entremêlés de photos sur leur voyage en commun.
Cet ouvrage, c'est un des grands classiques du surréalisme. The road is wider than long. Ah bah oui, comment tu veux pas craquer après ça, hein ?
La poésie et les films. Aziz, toujours fou amoureux d'elle, et quand même bien trop réaliste pour croire qu'il peut encore sauver son mariage, il sait qu'il peut pas la rendre heureuse. Donc ils vont se séparer avec sa bénédiction, en lui promettant de l'aimer jusqu'à sa mort.
Promesse qui tiendra. Un petit détour par la France, elle rejoint Londres avec Roland, mais le jour même de leur arrivée, t'as des sirènes antiaériennes qui hurlent partout dans le ciel. C'est plus des simples rumeurs maintenant, la seconde guerre mondiale vient juste d'être déclarée.
L'ambassade américaine la contacte immédiatement par courrier pour la faire monter sur le premier bateau. Les Etats-Unis veulent pas du tout se mêler du conflit et y rappellent tous leurs ressortissants pour leur sécurité. Lee, évidemment, déchire la lettre. J'ai mangé mon pain blanc, maintenant je vais affronter les fusils.
La première année, les affres de la guerre sont assez peu visibles en Angleterre. Et Lee, avec un petit peu de magouille, va réussir à obtenir un permis de travail et se faire engager à... Vogue, dont la rédactrice en chef Audrey Withers va devenir sa grande amie.
Lee redevient donc photographe de mode durant la guerre, illustrant les femmes le stylisme en essayant de donner un semblant de normalité à tout ça. En 1940 commence le Blitz. Londres a été bombardée pendant des mois.
Au-delà du ravage, du nombre de morts, qui s'élèvera quand même jusqu'à 50 000 civils, le but réel du IIIème Reich, c'est surtout la démolition de la France. la mise au pas du peuple britannique. Ils vont obtenir tout l'inverse et tous les anglais vont avoir la rage de rejoindre l'effort de guerre. Et parmi eux, une belle américaine, Lee, qui va lutter avec son roly-flex pour seule arme contre le nazisme. Les photos qu'elle fera de sa vie londonienne durant le blitz vont donner naissance à son ouvrage le plus connu, Grim Glory, Pictures of Britain and the Fire.
Il sera édité aux Etats-Unis et servira à montrer aux Américains, toujours neutres dans le conflit, la violence de la réalité à laquelle sont confrontés les Britanniques. Réalité illustrée à la façon de Lee. Parce que j'ai décidé de parler de sa vie dans cette vidéo, j'avoue que je m'attarde assez peu sur ses photos, le compte pour une chaîne photo, on aurait pu faire un petit peu plus d'analyse, mais ses images du Blitz...
illustre vraiment le talent qu'avait cette femme, sa capacité à trouver ses images trouvées. Elle leur a piqué sa vision poétique, sensible, et elle leur a soufflé mille niveaux d'interprétation. Un oeuf pas ordinaire, la chapelle non conformiste, Remington réduite au silence.
Dans chaque image de Lee se mélangent l'humour et la colère. Le surréalisme c'est aussi... L'illustration de ce vide angoissant qu'est l'absurdité de l'existence. Un jour, Audrey Waters va confier une nouvelle mission à Lee, photographier l'effort de guerre fourni par les femmes britanniques.
C'est fantastique, et elle va harceler Audrey pour la laisser écrire elle-même les articles qui accompagnent les images, afin de pouvoir poser ses propres mots sur ses photos. Lee devient journaliste. C'est aussi à cette époque qu'elle va commencer à travailler avec David Sherman, un photographe américain missionné par le magazine Life.
Ils vont collaborer ensemble pendant toute la durée de la guerre. Au matin du 7 décembre 1941, Pearl Harbor est bombardée. Le lendemain même, les États-Unis sortent enfin de l'isolationnisme et déclarent la guerre aux forces de l'Axe. The American people in their righteous might will win through to absolute victory. David Sherman fait alors des pieds et des mains parmi toutes ses connaissances et parvient à ce que Lee soit accrédité comme photographe pour les forces armées américaines.
Elle obtient même un grade honorifique. La jeune fille insolente, la muse des artistes bohèmes de Paris, est désormais la capitaine Elizabeth Miller. Elle va continuer de documenter la vie des femmes dans la Royal Air Force ou la Navy, et aussi maintenant qu'elle a accès aux installations militaires américaines.
Mais elle sait ce qui se prépare, et elle a qu'une idée en tête, quitter l'Angleterre et rejoindre le conflit sur le terrain. En juin 1944, la nouvelle tombe, ce que tout le monde attendait est arrivé, au prix du sacrifice d'un nombre colossal de vies. Les américains ont réussi ce qu'on pensait quasiment impossible.
Ils viennent de poser le pied sur les plages de Normandie. Si on envoie les infirmières dès le premier jour rejoindre le débarquement, il va quand même falloir au capitaine Miller, en tant que photographe, mais surtout en tant que femme, cinq semaines de lutte acharnée pour pouvoir obtenir une accréditation. À l'été 1944, elle revient enfin en France, sa terre de cœur qu'elle n'a pas revue depuis toutes ces années d'occupation.
Elle est déterminée, finie de documenter à l'arrière, elle veut rejoindre ceux qui se battent directement et suivre l'avancement des troupes pour libérer la France. Lee est désormais correspondante de guerre. Pour sa toute première mission, Lee doit couvrir le 44ème hôpital d'évacuation US à Brickville.
Elle va revenir à Londres avec 35 rouleaux de pellicules et un texte d'une dizaine de milliers de mots. Le rythme de travail était plus rapide qu'à l'hôpital. Les médecins et les infirmières étaient encore plus épuisés et savaient qu'avant la fin de la nuit, ils allaient manquer de sang.
Les blessés n'étaient pas des chevaliers aux armures étincelantes, mais des corps brisés, sales, débraillés, abasourdis. Ils arrivaient du poste de secours du bataillon, situé sur la ligne de front, avec des pansements de fortune activement appliqués, des garrots, des bandages ensanglantés. Certains à bout de force, inanimés.
Audrey Wither, la rédactrice en chef de Vogue, sait désormais qu'elle publie plus qu'un simple magazine de mode, mais qu'elle rentre, avec ce matériel, dans une autre dimension. Lee, elle, n'a qu'une idée en tête, c'est de retourner immédiatement sur le terrain. Elle a compris une chose, c'est que tous ceux qui pensent que le débarquement signifie la fin de la guerre se trompent. Elle est loin d'être terminée. Alors elle s'invite à bord d'un navire de débarquement US pour Saint-Malo, navire qui est malheureusement détourné pour décharger du matériel.
Elle se fait porter à terre sous les applaudissements de tout l'équipage et va continuer son voyage en stop. Elle rejoint comme ça la 83ème division qui lutte pour reprendre les forteresses de Saint-Malo au colonel... Van On Lock et elle va partager leur terrible quotidien.
Je me réfugiais dans une tranchée boche derrière les remparts. Mon talon écrasa la main arrachée d'un mort et je me suis mise à maudire les allemands pour l'effroyable et meurtrière destruction qu'ils venaient de provoquer dans cette ville jadis si jolie. Je me demandais où étaient les amis que j'avais rencontrés ici avant la guerre.
Combien d'entre eux avaient été contraints à l'infidélité et au déshonneur ? Bien avait été abattu, ou affamé, ou proie encore. Je ramassais la main et la lançais à travers la rue. Et je rebroussais chemin en courant, me tordant les pieds, trébuchant sur les pierres entassées et instables, et glissant dans des flaques de sang.
Mon Dieu, c'était effrayant. A la reddition du colonel allemand, elle continue son chemin avec les troupes, jusqu'à rejoindre la libération de Paris. Il photographie la joie, les enfants, Jean Copteau qui avait été battu au point de devenir presque aveugle après avoir refusé de saluer le drapeau français sous lequel défilaient les Français de la Légion Allemande, mais aussi les femmes tendues pour avoir capitulé face à l'ennemi. Avec toujours cet œil, cette vision surréaliste des images trouvées. Des images trouvées qui servent désormais plus qu'à illustrer la banalité du mal.
Lee, elle n'a qu'une obsession, c'est retrouver ses anciens amis. On la voit ici avec ceux qu'elle a pu réunir. Roland Penrose, Louis Aragon, Picasso, Neuch et Paul Éluard.
Elsa Triolet. Elle va rester comme ça un long moment des semaines à l'Hôtel Scribd avec David Sherman qui arrive aussi à Paris, à faire des piges et même à recommencer pour Vogue à faire des images. De mode.
Le monde entier veut désormais savoir ce que vont faire les grands couturiers de Paris. Le monde entier veut surtout retrouver un semblant de normalité. Mais Lee, elle a déjà commencé à changer.
Et tout ça, ça lui paraît fade. Et surtout, elle, elle sait que la guerre n'est pas terminée. Les alliés vont bientôt rentrer en Allemagne, et c'est là qu'elle doit être. Lee rejoint Orl Alsace en plein hiver glacial.
Les allemands sont adossés aux reins, ils font face aux américains qui luttent, accompagnés des troupes françaises libres, avec les soldats de la légion étrangère, des contingents marocains, espagnols, russes, argentins même. Les journalistes restent dans des campements et récoltent les informations qu'on goûte. Pas Lee.
Il faut réussir à l'imaginer au plus proche de la mitraille, avec ses deux relais flex autour du cou et au plus près des soldats. Il n'y avait pas de téléobjectif à cette époque. Un jour Dave Sherman l'a rejoint, il vient d'acheter une Chevrolet 1937 et ensemble ils vont sillonner les routes pour rejoindre chaque conflit en étant désormais soit les premiers, soit les seuls journalistes sur place.
Et les batailles s'enchaînent. Le général Patton s'est emparé de Nuremberg. La fin est toute proche désormais. Lee est désormais habituée à l'horreur.
Elle a vu au plus près plus de blessés, de morts qu'elle ne pourrait même pas les compter. Elle ne tressaille plus devant les atrocités, alors même que des GIs aguerris sont en train de vomir à côté d'elle. Mais pourtant, rien ne l'a préparé à ce qui va suivre. Lee et Dev suivent la Rainbow Company de la 45ème division. Ils viennent juste d'échanger quelques coups de feu pour libérer une fortification.
Lee et Dev font partie des premiers à passer les grilles du Juraus, sur lequel est inscrit en lettres de fer forgé Arbeit macht frei Le travail rend libre Lee et Dev font partie des premiers à pénétrer dans les camps de Dachau et Buchenwald. Lee n'a aucune autre solution que d'exprimer son choc et sa colère par la photographie. Tétanisée et muette, elle l'air dans les camps en capturant tout ce qu'elle voit, au milieu des G.I. désemparés face à l'idée qu'un carnage pareil puisse être possible sur des civils. C'est tellement inconcevable que ceux des militaires non présents à qui on raconte la situation se mettent à croire à une mise en scène de leur propre camp, à des fins de propagande.
Parce que ce qu'on leur raconte, ça peut pas exister. Elle se donne alors la mission de mettre le monde face aux horreurs perpétrées ici. Lee Miller est la personne à qui on doit les premières images des camps de concentration.
Les images des quelques rescapés, squelettiques et affamés. Les images des fours qui en tournaient jusqu'à la fin. Les tas d'ossements de corps dont l'âge ou le sexe étaient juste un critère uniquement bon qu'à équilibrer les piles.
Les images de la cendre, des excréments et du vomi au milieu des maladies. Elle sait qu'elle va devoir lutter pour forcer le monde entier à faire face au choc. Le monde entier qui voit déjà la victoire et qui parle de mode à Paris.
Elle va alors câbler un message pour accompagner ces images à Audrey Withers en criant tout son désespoir. Je vous supplie de croire que c'est la vérité. Et à force de lutte, elle va y parvenir à convaincre sa rédaction. Les photos, probablement les plus importantes de ce siècle, les premières images confrontant le monde à la réalité de la seconde guerre mondiale, sont publiées dans Vogue, un magazine de mode. Elles sont prises par Lee Miller, jeune artiste surréaliste, modèle et photographe de mode.
Le titre de cet article restait célèbre. Reprend la supplication de Lee Bélévit Croyez-le Lee et Dave sont à Munich Ils sont dans un vieil immeuble L'intérieur est banal, ordinaire Un appartement de la classe moyenne Mais sur l'argenterie En est de croix gammée, il y a une initiale. A.H.
Il vient de trouver l'appartement du Führer, le fameux Niedegg. Il l'ignore encore, mais au moment où Lee et Dave prenaient possession des lieux, lui venait de se mettre fin à ses jours avec Eva Braun dans un bunker. Lee a qu'un désir en retrouvant cette illusion du confort, se débarrasser de la souillure de ses derniers jours. Et elle réfléchit à l'image qu'elle veut en garder, peut-être l'image la plus surréaliste. qu'elle fera.
Elle organise la salle de bain, positionne son cadrage, charge David de déclencher, et se glisse dans la baignoire. Il y a des images dont on peut sentir l'intensité et la gravité, mais qui te frappe encore plus au cœur quand on saisit le contexte. Je pourrais parler pendant des heures, analyser ce qui fait partie, pour moi, d'une des plus grandes photos jamais prises. Je pourrais souligner la position de cette statue, une métaphore du culte du corps des nazis.
Les rangers sales, sales de la boue des camps qui imprègnent le tapis de bain du chef du 3ème Reich. Je pourrais parler de la femme nue qui se lave des crimes dans la baignoire de celui qui les a commis. Alors que son portrait semble l'observer à ses côtés, mais elle, elle regarde ailleurs. La première fois que j'ai vu cette image, et à chaque fois que je l'observe depuis, je vois d'abord le regard de Lee Miller, le regard d'une femme qui à force de témoigner de ce qu'elle a vu, semble perdue pour le monde. Juste perdu.
Parce qu'évidemment, il y aurait encore des choses à dire sur le reste de la vie de Lee, qui ne s'est pas arrêtée à ses images. Pendant un temps, elle a continué à travailler, mais c'est devenu de plus en plus difficile pour elle d'écrire et de photographier. Quelque chose dans sa psyché s'est brisé et elle le sait. Sa beauté et son talent sont partis, elle le sait, et elle rentrera en dépression au fil des années due au syndrome post-traumatique. Même les nouveaux bonheurs qu'elle va rencontrer ne suffiront pas.
Son mariage avec le dernier homme de sa vie, Roland Penrose, ou même la venue au monde de leur fils Anthony, qui est l'auteur de cette biographie sur laquelle je me suis basé d'ailleurs pour écrire cette vidéo. et d'où toutes les citations sont tirées. Mais fragile idée, sa naissance sera plutôt l'occasion d'une autre dépression, post-partum, celle-là. Elle essayera de se reconvertir avec une nouvelle passion, la cuisine.
Elle deviendra une femme d'intérieur et touchera plus à ses appareils photos, même pour des photos de famille, en expliquant que... On ne peut pas être amateur quand on a été professionnel. Rien n'y fait.
Ce qu'elle a vécu, la honte, l'alcool, les médicaments, vont avoir raison de la personne qu'elle était. Ses relations avec son fils sont tendues, son caractère devient acerbe. Elle refuse aussi de parler de ce qu'elle a fait, malgré les nombreuses sollicitations de ceux qui voudraient raconter son histoire.
Et elle refuse avec une telle force que son histoire, justement, finit petit à petit par être effacée. Qui connaît aujourd'hui le parcours de Leigh Miller ? Touchée par un cancer, elle va s'éteindre le 21 juillet 1977 dans les bras de Roland.
C'est une des dernières images qu'on a de Leigh, prise par Marc Riboud à Arles. Je trouve qu'elle est redevenue belle et j'arrive pas à reconnaître son regard, celui qui m'obsède. Le regard d'une femme, d'une artiste surréaliste qui a découvert que personne... ne pouvait concurrencer la réalité elle-même quand il s'agit d'en confronter l'absurdité et l'absence de sens. Même face à ça, elle est restée Lee Miller, la femme qui a préféré prendre des photos, quel qu'en soit le coup, plutôt qu'en être une.