Bonsoir et bienvenue sur Athénée Noctua, votre podcast de philosophie du vendredi soir. Nous nous retrouvons ce soir pour aborder le thème individu et communauté au programme des classes préparatoires scientifiques cette année et j'aborderai aujourd'hui l'auteur Echille dans la pièce des suppliantes. Je travaillerai à partir de quelques citations autour du thème de l'individu et j'interrogerai la place que l'individu peut avoir au sein de ces sociétés décrites dans les suppliantes.
Le titre même de l'œuvre, Les suppliantes avec ce pluriel, rend anonyme chacune des cinquante Danaïdes qui viennent supplier le roi d'Argos. Quant aux enfants d'Égyptos, des Égyptiades, qui sont donc les cousins des Danaïdes avec lesquels on voudrait les contraindre à se marier, ils sont encore un groupe indifférencié. Ils sont les cinquante fils d'Égyptos. Ils n'ont pas de prénom, les individualisons. Les Danaïdes, dans cette œuvre, sont un cœur, un ensemble.
Existe aussi, à la fin de la pièce, le cœur des suivantes des Danaïdes. Un ensemble l'a encore indifférencié. De la même façon, existe un individu qui vient d'Egypte, un héros, c'est-à-dire un messager, qui n'a pas de nom.
Si bien que l'on comprend que ne pas être nommé au pluriel comme les Danaïdes ou les Égyptiades ne suffit pas à faire un individu. Ce n'est pas parce qu'un être isolé, un héros égyptien, un individu séparé, arrive dans la pièce qu'il existe pour autant en tant qu'individu. Et si j'ai commencé à parler de lui comme étant un individu égyptien, c'était sans doute par abus de langage, puisque cette notion, l'individu, nous la confondons souvent avec la personne, un être singulier. Deux autres personnages sont nommés, il s'agit notamment du père des Danaïdes, Danaos, qui est l'arrière-petit-fils d'Épaphos.
Il est nommé et il incarne en effet une position individuelle, puisqu'il donne son avis dans la pièce, conseille ses filles. Dès la première partie de la pièce de théâtre, partie qu'on appelle le parodos, le corifé qui parle au nom du cœur implore Zeus d'accorder sa protection aux Danaïdes, aux 50 filles de Danaos qui ont fui jusqu'en Argolie de la cité d'Argos. Durant ce moment, le corifé évoque le fait que c'est Danaos qui a inspiré la révolte des Danaïdes.
Je cite le texte. Et Danaos... Il y a donc chez ce personnage de Danaos un projet qui engage toutes ses filles, qui est la fuite hors de leur cité pour éviter le mariage avec les Égyptiades.
Un projet de fuite donc apparaît comme une révolte, au sens où cette révolte se fait à l'encontre des lois du mariage. Alors c'est vrai qu'on pourrait se dire, mais ce mariage entre cousins ne relève-t-il pas de l'inceste, thème que l'on aborde souvent à travers le mythe d'Oedipe. Or il se trouve que, selon Sommerstein, qui est un commentateur d'Échille, les mariages entre cousins n'étaient pas rares durant la période grecque. Il existait une institution qui s'appelle l'épicléra, les épiclères, où des héritières qui n'avaient pas de frères pouvaient se marier avec leur cousin ou avec un parent proche pour sauvegarder le patrimoine. Dans la pièce, les autres êtres qui ont l'air d'être individualisés, ne serait-ce que parce qu'ils sont appelés par leur prénom, sont plutôt des divinités.
Zeus, puis le personnage de la génisse Yo, qui met au monde l'ancêtre des Danaïdes, et pas fausse, voilà quelques noms. qui traverse l'œuvre et qui semble suggérer qu'il y a bien des individus qui président à l'existence des communautés, qui sont à l'origine des communautés. En revanche, lorsqu'on se situe au plan humain et qu'on oublie les ascendants divins de ces êtres humains, on ne les aborde que sous ce pluriel communautaire.
Les suppliantes qui viennent demander de l'aide n'attendent pas d'ailleurs un accueil individuel, mais attendent un peu de fraternité. Je cite encore le texte. Trouverai-je ici des frères prêts à veiller sur mon exil loin de la terre brumeuse ? Le personnage de Pélasgos, qui est donc le roi d'Argos qui vient accueillir les Danaïdes, est appelé dans la pièce roi plus précisément le roi.
Et lorsqu'il se présente au Danaïde, il ne se présente pas comme un individu, mais comme le fils d'eux, celui qui appartient à une terre, s'inscrit dans une lignée, une communauté qu'on pourrait appeler la famille. Voici ce qu'il dit au Danaïde. Je suis le fils de Palaectone, qui naquit de la terre, Pélasgos, chef suprême de ce pays, et le peuple des Pélages, qui cultive ce sol, a naturellement pris le nom de son roi.
Donc il a bien un prénom, il est individualisé, mais cette individualité n'est posée qu'a posteriori. Il est d'abord le fils d'eux. On pourrait considérer que l'individu se pose comme une réalité seconde, il n'y a pas d'individualité sans un ancrage communautaire plus global, celui de la famille de la lignée. Il est surtout le roi.
c'est-à-dire un être qui parle non pas en son nom propre, mais au nom de tout son peuple. Et comme accueillir ces femmes, c'est prendre le risque d'une guerre, il ne veut pas prendre de décision à la légère. Je cite encore le texte On le voit, quoiqu'un individu ayant en effet autorité, il n'est pas un tyran. ne conçoit pas ses décisions politiques comme individuelles ou éventuellement des caprices individuelles, ce qui est le propre de la tyrannie abordée notamment par le philosophe Platon, qui y voit l'expression d'un individu capricieux comme un enfant et qui ne sait pas raisonner ou écouter la parole d'autrui. Lors de cette rencontre entre le cœur et le roi, qui constitue le premier épisode de la pièce, on voit que le cœur a bien cerné que le roi n'était pas un individu.
En effet, le cœur lui dit C'est toi la cité, c'est toi le conseil. Chef sans contrôle, tu es le maître de l'hôtel, foyer commun du pays. Un individu est donc, dans ce cadre, celui qui représente la communauté, qui s'identifie absolument à elle, puisque lorsqu'il prend une décision, c'est pour sa communauté, au nom de sa communauté et avec l'aval. de sa communauté.
Le cœur des Danaïdes aimerait que le roi se décide, se décide dans l'instant, prenne une décision, au nom de son peuple certes, mais une décision individuelle. Le roi s'y refuse. Il lui semble essentiel de consulter ses citoyens.
Aussi le roi dit-il, décider ici n'est point facile. Ne t'en remets pas à moi pour décider. Je te l'ai déjà dit, quel que soit mon pouvoir, Je ne saurais rien faire sans le peuple.
De la part du roi, on le sent, le discours est tout à fait explicite, aucun doute sur sa position. Il ne veut pas être seul à décider de l'avenir des suppliantes. Cependant, le cœur revient à la charge, et notamment par des verbes qui l'incitent à l'action individuelle. Je reprends ces passages. Une première formulation commence par pense donc puis une autre par refuse-toi Enfin, ne consent pas.
Le cœur a sans doute eu raison d'insister, car après ces trois formulations, le roi se ravise et réfléchit, réfléchit individuellement, en son âme et conscience, pour prendre enfin la meilleure décision qui soit. Il sort enfin de ce dilemme, dois-je aider les Danaïdes et aller dans le sens de Zeus qui les a amenés jusqu'à moi ? au risque d'une guerre terrible contre les Égyptiades, où dois-je refouler hors de mon sol ces vierges et abandonner les femmes, abandonner les suppliantes, rompre donc avec les lois qui consistent à accueillir les êtres en détresse, ce qui là encore blessera nécessairement les dieux.
Lorsque le roi prend enfin sa décision, il le dit d'une manière très simple. Mes réflexions sont faites, ma barque a touché. Si l'individualité se caractérise par la pensée, puis par des choix qui nous engagent, qui contredisent sans doute ce que l'ordre nous demande, ce que l'on nous conseille, en rompant avec la parole des uns et des autres pour faire un choix absolument assumé, on peut dire que ce personnage est un individu.
Pour autant, je pense qu'il faut apporter une nuance. Dans la mesure où... cette décision qu'il prend. Ne l'engage pas seulement.
Elle engage tout son peuple, et c'est pour ça d'ailleurs qu'elle était si difficile à prendre. Il n'est pas un simple citoyen, il a à charge un peuple, il est roi. Lorsqu'il prend une décision individuelle, Il l'apprend en tant qu'il est roi. Il est le représentant. On retrouve ici une théorie qui a été développée notamment par le philosophe du XVIIe anglais Thomas Hobbes dans le Léviathan, qui est la théorie de la représentation.
Thomas Hobbes distingue l'individu qui prend une décision en son nom et celui qui la prend au nom d'un groupe ou d'un peuple. Lorsque vous êtes une personne naturelle, explique Hobbes, Vous décidez en votre nom, c'est ce que vous faites par exemple lorsque vous allez voter individuellement. Mais lorsque vous avez par exemple, non seulement votre vote à faire, mais procuration pour voter pour quelqu'un d'autre, et bien là vous devenez une personne artificielle.
Même chose lorsque vous devenez par exemple député en France, ou président de la République. La difficulté de Pélas Goss, ça n'est pas de prendre une décision qui l'agrée, qui lui plaise, qui satisfasse. Son intérêt propre, privé, c'est de prendre une décision qui soit la meilleure, qui mette le moins en danger la communauté dont il est le représentant principal. Raison pour laquelle Pélasgos demande à Danaos de déposer sur les hôtels des dieux nationaux de la cité les rameaux qui sont la preuve en quelque sorte de la demande d'accueil des suppliantes. Quelque chose d'officiel doit être accompli.
auprès des dieux nationaux ainsi que des citoyens. Je vous lis le passage. Antébras prend ses rameaux et va les déposer sur d'autres autels de nos dieux nationaux afin que tous les citoyens voient cet insigne suppliant et ne rejettent pas les propositions qui leur viendront de moi. Et Pélasgos a bien eu raison de consulter son peuple avant de se décider.
Car lorsque Danaos, dans le deuxième épisode de la pièce, annonce à ses filles que les Argiens ont accepté leur supplication, vont leur accorder l'asile, ils précisent que cette décision a été prise à l'unanimité, autrement dit d'une seule voix. Je cite Argos s'est prononcé d'une voix unanime Cette personnification de la cité d'Argos qui parle d'une voix unanime semble suggérer le caractère individuel de cette décision. Pour autant, cette individualité n'est que de façade, car c'est l'accord de toutes les consciences des argiens qui a permis d'obtenir cette décision unanime. L'unanimité est toujours celle d'une communauté. Elle est l'absolue accord bien supérieur à la majorité.
Et si Hobbes, le philosophe anglais dont nous parlions tout à l'heure, ne croit pas en la décision unanime, la pense, impossible au sein des hommes car il y aura toujours un homme, un individu, Pour rompre avec cette voie unanime, et croit seulement à l'existence possible d'une majorité, nous sommes là confrontés à une sorte de cité idéale qui a su s'exprimer sans aucun désaccord. Cette analyse de quelques citations des suppliantes d'Échille s'achève, je vous remercie de l'avoir écoutée. Si vous appréciez ce travail, n'hésitez pas à en parler autour de vous, à soutenir la chaîne en vous y abonnant.
Quant à moi, je vous dis à très vite pour philosopher un peu à l'heure bleue. Musique