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Comprendre la Laïcité et la loi de 1905

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Par exemple, dans les premiers "Star Wars",   Anakin Skywalker, c'est une arlésienne,  on en parle toujours, mais sans jamais le   voir… jusqu’à ce qu’il révèle qui il est  vraiment : Dark Vador ! Et c’est la même   chose avec la “Mère” dans "How I met your  Mother", ou Big Brother dans "1984". Bref,   vous avez capté l’idée : on a parfois du mal  à les identifier, à les définir précisément,   et pourtant ils sont fondamentaux, tout  tourne autour d’eux, tout repose sur eux ! Eh bien aujourd’hui, je vous propose de nous  attaquer à une grande arlésienne de l’histoire   moderne française : la laïcité. Eh ouais, la  laïcité, c’est un de ces concepts que tout le   monde connaît, et qui pourtant sont difficiles  à définir. C’est d’autant plus vrai que le sujet   est très politique : invoquer la laïcité, en  France, c’est souvent l’arme rhétorique ultime,   parce que attenter à la laïcité, ça relève du  sacrilège contre la République ! Sauf qu’avant   de devenir un des piliers communs  de notre société, la laïcité ça a   été un enjeu de combats vraiment acharnés.  D’ailleurs, on en sent encore les échos de  nos jours ! Et le pire, c’est que comme l’a fait  remarquer Jean Baubérot, un grand spécialiste  de la question, parler de “la”  laïcité au singulier, c’est quand   même très simplificateur : en réalité, pleins  de formes se sont opposées à travers l’Histoire,   et ça continue ! On va donc replonger un peu dans le passé, pour y voir plus clair. Le mot laïcité vient en fait de distinctions  sociales assez fondamentales. Dès la Grèce   antique, comme dans "l’Iliade" d’Homère, par  exemple, on parle de "laos" et de "démos" : ces   deux mots désignent le peuple, à la fois comme  une nation, qui a un chef, une loi commune,   mais aussi un territoire. "Démos", par  exemple, a donné le mot “démographie”,   parce qu'il y a l’idée d’une quantité de gens  rassemblés, d’un territoire, d’une étendue.   Dans le mot "laos", on a une nuance un peu plus  marquée : ça concerne des relations du groupe,   qui se reconnaît un chef, un objectif, et qui  agit de concert. On dit que toutes ces choses   appartiennent au "laos" : elles sont "laikos",  laïques. Donc déjà là on a une super idée,   assez enthousiasmante : les humains forment une  communauté, ils partagent quelque chose de commun. Mais avec le temps, certains ont utilisé les  mots "laos" et "laikos" pour désigner, justement,   “les gens du commun”. Donc pas la nation toute  entière, mais seulement sa plus grande partie,   composée des couches populaires, qui n’ont pas  forcément reçu d’instruction spécifique. Cette   éducation un peu élitiste, un peu privée,  est vue comme un héritage particulier,   un lot à part : on l’appelle "kléros". Il y a donc d’un côté tout ce qui est "laikos",   commun et populaire, et de l’autre  côté tout ce qui est "kléricos",   c’est le domaine réservé aux clercs, les  religieux qui ont été instruits dans le culte. Eh bien, cette distinction entre le laïque  et le clérical, née durant l’Antiquité,   va continuer pendant des siècles, jusqu’à  nos jours. Au Moyen Âge, trois ordres   constituent la société : il y a la Noblesse  dirigeante, mais on distingue aussi le Clergé   religieux du Tiers-Etat travailleur. En fait,  ces réalités sociales, qui vivent côte à côte,   peuvent devenir des pouvoirs politiques,  qu’on peut distinguer et séparer. L’idée de séparer le pouvoir religieux et le  pouvoir politique, ou pour le dire autrement,   le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel,  c’est vieux comme le monde. On la retrouve   même dans la Bible :”Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”,   déclare Jésus de Nazareth. Oui,  mais voilà, au fil de l’histoire,   la religion a souvent été très intimement liée  au pouvoir politique, certains dirigeants pouvant   d’ailleurs cumuler les deux couronnes. Et ce n’est  pas étonnant : un peu comme un mille-feuille,   les deux pouvoirs se superposent sur le même  territoire, et concernent les mêmes personnes ! Par exemple, en France, qui doit  nommer les évêques ? Après tout,   ils gèrent les diocèses, donc des territoires  où s’appliquent certaines lois religieuses,   auxquels les sujets du roi sont soumis. La  réponse est évidente pour les gallicans :  comme leur nom l’indique, pour eux ce  qui compte c’est le territoire de Gallia,   la Gaule. En terre de France,  c’est le roi de France qui prime,   et devrait distribuer donc distribuer les charges,  y compris religieuses. C’est le gallicanisme,   qui a des équivalents dans d’autres pays :  par exemple, l’Anglicanisme en Angleterre.   Mais à l’inverse, il y a l’ultramontanisme : là  encore, c’est le nom qui permet de comprendre   de quoi on parle. Les ultramontains pensent que  le pouvoir vient de l’autre côté des montagnes,   c’est-à-dire, d’Italie. C’est le pape, à Rome, qui doit nommer les évêques, car même   s’il n’habite pas le pays, les questions  religieuses, c’est lui que ça concerne ! Donc déjà là il y a un débat qui est assez énorme ! Mais le mille-feuille est pas fini,   parce que les pouvoirs du pape et du roi ne font pas que s’affronter,   bien au contraire ! Ils se  soutiennent aussi l’un l’autre. La religion joue un rôle crucial pour  légitimer le pouvoir politique : le roi   est « de droit divin », il est « sacré », et en  contrepartie, il doit défendre la religion d’État,   en l’occurrence le catholicisme.  Dans un tel système, fatalement,   les minorités religieuses sont au mieux  marginalisées, et au pire persécutées : en   France, ce sont surtout les juifs et les  protestants qui en ont fait les frais. Évidemment, ici c'est qu’un tableau brossé à  très, très gros traits : il faudrait sûrement   plusieurs épisodes pour rendre toute  la complexité de l’histoire religieuse   d’avant la Révolution. Mais c’est justement  ce qui nous intéresse ici : la Révolution. À cette époque, ça fait longtemps que le  catholicisme est discuté. En interne, même au sein   du clergé, les débats ont été nombreux : comment  s’adapter à la Réforme protestante ? Comment   évangéliser le Nouveau Monde, qui est encore en  cours d’exploration ? Comment gérer les biens   de l’Église, qui est un énorme propriétaire  foncier dans la vieille Europe ? Quelle place   donner aux moines et aux religieuses qui  vivent en communauté, selon une règle, et   qu’on appelle donc le clergé “régulier” ? Bref : entre nouveaux horizons, nouvelles religions,   crise des vocations, et nécessité de se  réformer… les discussions ne manquent pas ! Cette discussion existe aussi  en dehors des rangs de l’Église,   et elle peut même tourner à la contestation.  Au sein de l’élite,notamment, on moque parfois   certaines valeurs religieuses. Ce qu’on  remet surtout en cause, c’est la place de   l’Église : c’est bien pratique pour contrôler les  masses et unifier le pays, mais ça a aussi son lot  de contraintes morales ! Pour parodier un  petit peu, il faut imaginer un bourgeois ou   un noble lettré, riche et libertin, fan de  Voltaire et des idées nouvelles : et on se  dit qu'il aimerait bien utiliser les lois  de l’Église pour contraindre les paysans,   mais sans être lui-même concerné par  ces mêmes lois ! Bref, la société   de privilèges, il n’a rien contre, et il se verrait bien à son sommet ! Sauf que voilà,   un texte fondateur vient bouleverser tout ça : la  Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Là, en principe, je devrais  vous détailler cette source  historique de 1789… Mais  attention, parce que déjà,   son titre est clair : ce  texte, c’est avant tout un  texte de droit, donc c'est franchement pas  la spécialité de la chaîne. Et en plus,   ce texte sert encore aujourd’hui de base à nos  lois, notre société, et notre système judiciaire.  Alors, on va quitter le passé pour le présent,  encore une fois. Mais vu que c’est pas trop mon   domaine, eh bien j’ai besoin d’un petit coup  de main ! Alors, c'est parti, transition ! [Seb] Bonjour, je suis Seb, de la  chaîne Vous Avez Le Droit. Et ma  spécialité eh bien… c'est le droit ! On  va reprendre tout ça dans l'ensemble. La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789  est l’une des clés de voûte de notre système   juridique. En effet, le droit français  est conçu selon un modèle pyramidal,   tout en haut il y a la Constitution, et au dessous, il y a les lois, les décrets,   etc. Chaque texte juridique doit  être conforme à la norme supérieure,   et à chaque fois il y a un mécanisme, une  procédure en quelque sorte, un mécanisme  de contrôle de cette conformité. Pour la loi,  ça s’appelle le contrôle constitutionnel,   et c’est le conseil du même nom qui s’en  occupe. Il vérifie si la loi qui vient d’être   votée par le Parlement est bien conforme à  la Constitution, et d'ailleurs pas seulement   à la Constitution elle-même, mais  plutôt au bloc de constitutionnalité.  Donc la vérification se fait  également vis à vis en plus de la Déclaration des Droits  de l’Homme, vis à vis du  préambule de la Constitution  de la Quatrième République,   qui insiste davantage sur les réseaux sociaux, et  enfin la charte de 2004 qui introduit au sommet de   notre droit positif les préoccupations  contemporaines pour l’environnement. [Ben] Alors ok Seb, mais la laïcité dans tout ça, on en est où ? [Seb] Alors j’y viens. Le Conseil Constitutionnel a déduit de l’article 10 de la Déclaration des   Droits de l’Homme que la liberté d’opinion, y compris la liberté religieuse, est une liberté   absolue. C’est à dire qu’aucune loi ne peut  jamais y apporter aucune limite. En revanche,   la pratique religieuse est libre heureusement, sous réserve de respecter l’ordre public.  Comme vous le voyez, la Déclaration des Droits  de l’Homme n’est pas seulement une déclaration   symbolique destinée à promouvoir les droits  humains de façon un peu abstraite. Elle est aussi   un véritable outil juridique destiné à protéger  efficacement nos droits et nos libertés.  Si l’opinion religieuse elle même, la foi, est absolument libre, sa mise en œuvre en revanche   peut être organisée par la loi. Mais ça, c’est  un autre texte qui s’en occupe : la loi de 1905. [Ben] De juillet à octobre 1789, les privilèges sont donc abolis. Mais là, gros malaise : sans   les privilèges, sans les impôts spéciaux comme la  dîme, beaucoup de membres du clergé n’ont plus de   quoi vivre. En balayant les injustices, on en  a créé une nouvelle, car les ecclésiastiques   ont bien une réelle utilité sociale : ce sont  notamment eux qui entretiennent de très nombreux   hôpitaux, hospices, et centres d’accueil pour  les pauvres et les malades. Paradoxalement,   en cumulant des siècles et des siècles de  dons, l’Église de France possède un énorme   patrimoine immobilier, mais n’a plus les moyens de l’entretenir ! Je dirais même qu'il y a un   double paradoxe : car en perdant ses privilèges,  le clergé perd aussi ses obligations. Désormais,   l’État est censé tout prendre en charge, alors  que ça tombe mal, car les caisses sont vides ! Alors, dès le 2 novembre 1789, nouveau décret :  les biens du clergé sont mis à la disposition de   la Nation. Je vous explique le calcul : en gros l’État s’empare de cette énorme masse   immobilière, et va pouvoir éponger ses  dettes. La paysannerie et la bourgeoisie   vont pouvoir acheter des lots, et le pays  comptera donc plus de propriétaires. Enfin,   en 1790, on vote la Constitution civile du clergé.  Puisque le clergé n’a plus ni biens ni privilèges,   mais garde un rôle social important,  l’État va le salarier : les prêtres seront   donc des fonctionnaires. L’État financera  également l’entretien des lieux de culte. Bref, sur le papier, tout le monde est censé être  gagnant. Et vous voyez, c’est pas forcément l’idée   qu’on se fait de 1789 ! En fait, l’État ne se  désintéresse pas du tout des cultes, au contraire,   il s'immisce à fond dedans, plus que jamais  auparavant ! On dirait bien que les gallicans   ont gagné la partie. Sauf que les ultramontains,  et le pape en tête, ont encore leur mot à dire… Aux yeux de Rome, la Déclaration des Droits de  l’Homme repose sur des principes qui semblent   incompatibles avec l’ancienne société chrétienne.  C’est bien beau de dire que l’Homme a des droits,   sauf que c’est compromettre les droits de Dieu  et de l’Église. On pourrait même dire que face   à Dieu, l’homme n’a pas de droits, mais que  des devoirs. Cette condamnation radicale   des principes d’égalité et de liberté  comme fondations d’une nouvelle forme   de société va durer jusqu’à la fin du 19e  siècle. Les choses vont lentement évoluer,   jusqu’au concile qui a lieu en 1963 au Vatican,  qui reconnaît les Droits de l’Homme, et même   ses droits universels, ceux proclamés quelques  années plus tôt, en 1948, par les Nations Unies. Mais on va se recentrer un  peu sur la France du 18e  siècle : de fait, à l’époque, l’entente part  plutôt mal ! La Constitution civile du clergé,   c’est bien joli sur le papier, mais ça pose  plein de nouvelles questions. Par exemple,   puisque les évêques font maintenant  partie de la fonction publique,   ils devraient être élus par des électeurs du département. Idem pour chaque prêtre dans   son propre district. Sauf que les électeurs ne  seraient même pas forcément des catholiques ! Et   en plus, les membres du clergé devront prêter  serment envers le pouvoir. Et là encore, ça coince   : le clergé ne devrait rendre compte qu’au Pape.  Pie VI est donc outré et proteste ouvertement. Assez vite, on voit apparaître deux clergés :  il y a le prêtre jureur, qui a prêté serment,   et fait donc partie du clergé constitutionnel  reconnu. Et il y a le prêtre réfractaire,   qui refuse de se soumettre à Paris plutôt  qu’à Rome, et qui continue à pratiquer,   mais dans l’illégalité. Là, on pense tout de suite aux Chouans de Bretagne ou aux Vendéens,   leurs voisins. Sauf qu’en réalité, cette  division des deux clergés a lieu à peu   près partout… Et le résultat, c'est que les tensions sont fortes à travers tout le pays. Et c’est pas tout ! Après la chute de  Louis XVI et l’arrivée de la République,   les républicains les plus radicaux  souhaitent en fait explicitement   déchristianiser le pays ! Eux ne veulent pas d'une République neutre et bienveillante,   mais un État qui combat les religions,  en particulier la religion chrétienne. C’est le cas par exemple du député Joseph  Fouché, ou du pamphlétaire Jacques-René Hébert,   et ses Hébertistes, qui sont si radicaux qu’à l’époque on les surnomme “les exagérés”.   C’est à cette époque que des églises  deviennent des “temples de la Raison”,   tandis que l’archevêque de Paris, Jean-Baptiste  Gobel, se déprêtrise devant la Convention   elle-même. Mais cette vague anticléricale  menée par des athées reste minoritaire,   et le Comité de Salut Public, Robespierre en  particulier, la voit d’un mauvais œil. Très vite,   la déchristianisation est enrayée et ses acteurs  les plus virulents marginalisés, voire exécutés. Robespierre, pour sa part, aspire à la création  d’un culte civique qui serait une sorte de   syncrétisme susceptible d’accueillir  toutes les sensibilités religieuses,   en considérant que la République  reconnaît l’existence d’un Être   suprême. Mais l’idée est trop complexe pour être  bien comprise, et rebute les plus anticléricaux.   Elle ne disparaîtra pourtant pas  avec Robespierre, car d’autres cultes   républicains, comme la théophilanthropie, vont ensuite voir le jour, sans plus de succès. De fait, après la chute de Robespierre, la  Convention thermidorienne et le Directoire   adoptent une politique religieuse  différente : ils vont cesser  de salarier les cultes, et c’est  la fin du clergé constitutionnel. En effet, pour la Constitution de l’an III, nul ne peut être empêché de pratiquer son culte dans   le respect de la loi, et nul ne peut être forcé  d’en pratiquer ou d'en financer un. Du coup,   la République n’en salarie aucun. Les  revendications des catholiques et les   tensions avec le Pape ne cessent donc de grandir. Bon, déjà, les biens nationalisés ne sont pas   rendus, donc sans salaire,  le clergé est 100% perdant.  Et durant les guerres d’Italie, le  pape Pie VI finit par mourir dans   les prisons françaises. Alors la laïcité  est encore loin d’être si neutre que ça. En plus, si elle garantit la pratique  des cultes, ça n’est pas le cas pour la   liberté de conscience ! Bien souvent  les prêtres, notamment réfractaires,   sont les cibles du gouvernement qui y voit  de potentiels “ennemis de l’intérieur.” La   Révolution finit donc par s’empêtrer dans  un paradoxe : elle a voulu mettre tous les   cultes sur un pied d’égalité, mais sans leur  donner les moyens de s’exercer librement. En fait cet engrenage, il a tellement divisé  qu’il a même pu contribuer à l’échec de la   République ! Et du coup, lorsqu’il fait  son coup d’État, Napoléon Bonaparte,   il est bien conscient qu’il doit forcément régler  la question religieuse s’il veut pacifier le pays. C’est la naissance du Concordat,  en 1801. Pour le nouveau pape,   Pie VII, comme pour le Premier Consul,  il s’agit de trouver un compromis,   et le rapport de force est évidemment en  faveur de la France. On ne revient pas sur la   nationalisation des biens du clergé, mais on offre  une nouvelle contrepartie en échange : à nouveau,   les prêtres seront salariés par l’État. Ils devront donc fidélité au gouvernement,   et le catéchisme de l’époque se met alors à enseigner la fidélité à l’Empereur. D’autre part, si le catholicisme ne  redevient pas une religion d’État,   que le pouvoir reconnaîtrait comme la seule  valable, elle est quand même admise comme   étant la religion “de la grande majorité des  Français”. L’État ne se prononce toutefois pas  sur sa valeur spirituelle,  car ce n’est pas son rôle. D’une certaine manière,  avec le Concordat, Bonaparte  fait accepter à Pie VII ce que  son prédécesseur Pie VI avait   refusé. La querelle entre réfractaires et  constitutionnels est globalement résolue,   puisque tous doivent démissionner et ensuite être  renommés, à la fois par le Pape et le Consul. Mais vous connaissez Napoléon Bonaparte : très  vite, dès 1802 en fait, il outrepasse ce qui   a été convenu avec le Pape, avec de nouvelles  lois qui s’appellent les Articles organiques. Avec ces articles, il organise bien plus  précisément le fonctionnement du culte catholique,   puis des cultes protestants et juifs. Le  pluralisme gagne en visibilité. Et avec   le Code Civil, l’armature législative  de la France n’est plus calquée sur le   religieux : le mariage et le divorce, par  exemple, sont désacralisés. Et c’est encore   le cas de nos jours : avant de célébrer un  mariage religieux, le célébrant doit vérifier   qu'un mariage civil a d’abord eu lieu, et s’il  ne le fait pas, c’est une infraction pénale ! Dans le même temps, l’Église perd son monopole  sur la médecine et l’enseignement. Bref,   les années napoléoniennes posent les  bases d’un nouveau rapport au religieux,   qui va longtemps survivre à  l’Empire, avec des variantes. Dans la France du 19e siècle, la dispute entre  cléricaux et anticléricaux continue à jouer en   fond, avec des hauts et des bas. Sous la  Restauration de 1815-1830 par exemple,   le catholicisme redevient la religion d’État.  Mais le concept n’est pas bien défini,   et d’ailleurs les autres cultes sont toujours  protégés et salariés. Le pouvoir politique   punit toutefois de mort le sacrilège sur les  hosties, et de son côté le clergé s’active   pour condamner certaines danses ou pratiques  sexuelles et sociales jugées impies. En 1830,   c’est donc une nouvelle bouffée  d’anticléricalisme qui fait son retour. Après la Monarchie de Juillet, c’est la 2nde  République qui naît en 1848, puis le Second   Empire en 1852. Dans les années 1860, le pape Pie  IX condamne à nouveau l’idée de libertés et de   droits de l’Homme comme socle social. En 1870,  la Commune de Paris tente à nouveau de séparer   l’Église et l’État, mais les insurgés de la ville  tombent dans des excès sanglants, notamment en   exécutant monsieur Darboy, l’archevêque de  Paris. Tout ça choque la population rurale,   et entraîne une réaction : c’est la  période de l’Ordre moral, des années 1870. Bref : au début de la Troisième République,  la compatibilité entre le régime républicain   et le catholicisme fait encore douter pas  mal de monde ! Pendant tout un siècle,   chaque nouvelle secousse politique a  été l’occasion de relancer le débat. En politique internationale : Rome  est une monarchie absolue élective,   que des Républicains italiens veulent renverser.  Leurs voisins français, selon leur camp politique,   veulent soit soutenir ces libéraux, soit  empêcher l’unification de l’Italie qui,   avec celle de la Prusse, menacerait  les équilibres géopolitiques en place.   La question des États Papaux divise donc  les Français à l’intérieur même du pays. En politique intérieure d’ailleurs, le débat  se prolonge dans le monde de l’éducation,   car quelle place doit y tenir l’Église  ? Pour beaucoup, la religion apporte   une nécessaire éducation morale. D’autres  pointent qu’elle entre aussi parfois en   conflit avec les méthodes scientifiques et  critiques : en 1864, dans son “Syllabus”,   le pape Pie IX dénonce ce qu’il considère  comme des erreurs du monde moderne. Parmi   les positions dénoncées, il condamne à la fois le libéralisme, la rationalité,   la liberté de conscience, et la liberté des  cultes… Ce qui choque même les catholiques ! Tout au long du 19e siècle donc, le contrôle de  l’éducation est à son tour disputé : domination,   limitation, ou élimination totale de l’Église  dans ce milieu ? Au début des années 1880,   la République s’enracine, et les lois  Ferry viennent donner un point d’équilibre. Et attention à l’idée reçue : ces lois ne créent  pas une école « laïque, gratuite et obligatoire   ». En réalité, elles rendent l’instruction  obligatoire, et une école laïque et gratuite   est mise sur pied pour répondre à ce besoin. Mais  donc, d’autres modes d’instruction continuent   d’exister à côté, comme les écoles religieuses,  ou l’enseignement à domicile ! Le but, c'est de   s’assurer que chacun apprenne… pas de contrôler  qui décide d’éduquer son enfant de quelle façon. Mais de fait, cette liberté de choix  concerne seulement ceux qui ont les   moyens de payer une éducation privée.  L’école laïque gratuite devient donc un   important lieu d’éducation des masses, au  sein desquelles elle contribue à déraciner   peu à peu la religion. Sauf que même là,  on applique la loi intelligemment : certes,   le catéchisme et la présence de crucifix sont  interdits à l’école. Mais on doit les tolérer,   parce que les retirer créerait trop de troubles.  Par exemple, arracher la croix au centre de   la place du village en face de l’école, ça serait choquant, et donc contre-productif ! Les observateurs les plus lucides de l’époque  le soulignent : la laïcité est distribuée à   petite dose, pour faire effet au fur et à  mesure. Et tant pis pour les plus radicaux,   qui rêveraient d’une grande  offensive frontale contre les   religions ! C’est ce qui rend les lois Ferry  si redoutablement efficaces sur la durée,   alors qu’elles avaient le potentiel pour  créer une véritable guerre scolaire. À la même époque, d’autres lois laïques sont  votées, influençant les autres pans de la   société, comme la déchristianisation des  cimetières, ou la légalisation du divorce. Mais c’est une autre loi qui tâche de rétablir  l’équilibre : celle de la liberté de la presse,   qui gagne énormément de terrain.  Donc si l’influence religieuse est   combattue dans les institutions, en  revanche ses partisans peuvent plus   facilement manifester leur opposition  à l’État au sein du débat public. Il ne faut pas non plus oublier que le  Concordat court toujours : l’Église et   l’État ne rompent pas le dialogue. Si les extrêmes  de chaque camp, catholiques comme anticléricaux,   dénoncent parfois ce lien qu’ils jugent  contre-nature, il faut reconnaître que   ça permet de pacifier les rapports. Dans les  années 1890, le pape reconnaît la République : on   parle alors du “ralliement”, car une bonne  quantité de catholiques lui emboîtent le pas. Mais à la même époque, les tensions  de l’affaire Dreyfus poussent une   partie des catholiques vers des positions  extrêmes, comme l’antiparlementarisme,   l’antiprotestantisme, judaïsme  et maçonnisme. Pour résumer :  en perdant sa place de numéro un, l’Église  catholique trouve désormais dans ces factions   des rivales sérieuses. Ce qui ne facilite pas les  choses, c’est que de fait le courant anticlérical   se concentre au même moment sur les catholiques,  considérant les autres minorités religieuses   comme du menu fretin. Et donc ça renforce  l’impression de rejet, et même de menace. Attention, on parle souvent de la grande Affaire  Dreyfus, des tourments des lois anticléricales,   etc. Mais il y a deux petits rappels  que je voulais vous faire : le premier,  c'est que la majorité des Français  se place quelque part entre ces deux   pôles extrêmes, quand elle se montre pas tout simplement   indifférente. Et le deuxième point que je  voulais vous rappeler, c'est que j’ai déjà  fait des épisodes sur l’affaire  Dreyfus et la Deuxième République,   donc si ça vous intéresse de mieux comprendre  l’ambiance de l’époque,  hésitez pas à aller les voir ! N’empêche que l’opposition entre les deux  extrêmes se fait de plus en plus tendue. En 1901,   le gouvernement d’union républicaine  de Waldeck-Rousseau vote par exemple   la loi sur les associations : entre les  mains du radical Combes à partir de 1902,   elle a pour conséquence de mettre à terre  nombre de congrégations religieuses.  Mais à chaque offensive contre la religion,  l’Église s’adapte : quand on interdit   l’enseignement aux congréganistes, l’Église  donne un statut spécial à ceux qui quittent   les ordres, et qui peuvent donc recommencer  à enseigner. Et comme l’enseignement public   pour filles est insuffisant, l’État doit bien s'accommoder des religieuses enseignantes. Mais c’est à nouveau la politique internationale  qui va faire monter la pression, et même achever   le Concordat. Durant le 19e siècle, le Royaume de  Piémont-Sardaigne a successivement conquis Milan,   Florence, les États papaux, la Sicile, Naples,  Venise, et enfin Rome. Le Pape a donc été spolié   de ses États, qui ont été annexés. Alors quand  en 1904 le président de la République Française   Émile Loubet rend une visite officielle au  Royaume d’Italie, c’est un geste lourd de sens   à l’international. Les relations diplomatiques  entre le Vatican et la République sont rompues. On ne voit pas trop comment le Concordat  peut continuer de s’appliquer, et c’est   dans ce contexte que naît en 1905 la fameuse  loi de séparation des Églises et de l'État.   Alors attention, si de nos jours on y voit  un texte fondateur et essentiel, il faut se   dire qu’à l’époque, c’est plutôt perçu comme un  compromis, qui va satisfaire pas grand monde. [Seb] C’est là qu’intervient la loi de 1905. Son  nom complet est "loi concernant la séparation  des Églises et de l’État". Ce texte pose tout   d’abord le principe selon lequel la République  garantit la liberté de conscience. En fait,   elle ne fait que reprendre le principe déjà énoncé  par la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789,  tout en le précisant un petit peu. Mais en  revanche, elle affirme également que l’État   ne reconnaît plus, ni ne salarie aucun culte. Et  ça, c’est un véritable bouleversement. En effet,   jusqu’à présent, les relations entre l’État et la  religion étaient régies par le Concordat de 1802.   Ce texte considérait la religion catholique comme  étant la religion de la majorité des Français,   tout en autorisant aussi les autres religions.  De plus les évêques sont nommés par l’État,   qui les rémunère ainsi que tous les  ministres du culte. Enfin, les pratiques   religieuses des différentes confessions  sont gérées par des établissement publics. À partir de la loi de 1905, tout change.  L’État se doit maintenant de respecter une   stricte neutralité vis à vis des opinions  religieuses. Ça veut dire plusieurs choses. Les signes religieux doivent disparaître  de tous les monuments publics.  Les prêtres, les pasteurs et les rabbins  cessent d’être salariés par l’État. Et surtout, l’État, en pratique les services  publics, ne doit tenir aucun compte de votre   religion, pas plus que de la couleur de  votre peau, ou votre origine sociale.  La conséquence, c’est que l’État n’entrave pas  non plus la pratique de quelque culte que ce soit,   à une seule condition : que sa pratique  ne soit pas contraire à l’ordre public.  Mais un article de la loi de 1905 fait  particulièrement débat : il s'agit de l’article 4.  En effet, puisque l’État ne gère plus les cultes, et que les établissements publics cultuels sont   dissous, eh bien il faut bien que quelqu’un  d’autre le fasse ! Et ce quelqu’un d’autre va   être à la source de très nombreux conflits. Il  s’agit de l’obligation de créer des associations   spécialement dédiées à la gestion de l’exercice  des différents cultes. Les protestants, qu’ils   soient calvinistes ou luthériens, et les juifs  accueillent favorablement la loi, puisqu’elle   correspond à leur mode d’organisation. C’est  pourquoi ils vont créer rapidement leurs propres   associations cultuelles. Autant les catholiques en revanche vont refuser de le faire. La religion   catholique est organisée de façon hiérarchique,  et le Vatican voit dans la loi de 1905 une arme de   guerre contre leur influence sur les catholiques  français. Ce refus, qui donne lieu à de nombreux   affrontements, notamment lors des tentatives  d’inventaires des biens des églises par les   autorités publiques, va conduire à une véritable   situation de blocage. Dans les années qui suivent, plusieurs lois   successives viennent donc pallier le refus par les  catholiques de créer des associations cultuelles   en leur donnant le droit d’utiliser gratuitement  de nombreux bâtiments religieux, des églises,   des presbytères qui appartiennent à l’État. Le résultat de ce micmac politico-législatif,   c’est que la loi de séparation  de l’Église et de l’État a  paradoxalement rapproché les  catholiques français du Vatican. [Ben] Pour en revenir à 1905 donc, sur le coup, les gens sont loin d’avoir l’impression   qu’une décision fondatrice est tombée. Il y a de grands insatisfaits dans les deux camps. Pour une bonne part des catholiques français,  cette loi a le tort de priver le clergé de   son traitement. Après tout, est-ce  que ce n’était pas une compensation,   en échange de la nationalisation des biens  du clergé ? On aurait donc spolié l’Église,   et toutes les générations de fidèles qui ont  contribué à bâtir des édifices à vocation   religieuse. Mais les plus anticléricaux, comme  Clemenceau, ne sont pas non plus satisfaits,   on aurait pu aller plus loin dans la  laïcisation, et la confirmation du   lien avec Rome semble inacceptable. C’est  pourtant bien ce compromis qui a été voté. La loi de 1905 est donc une tentative pour  résoudre le conflit en ménageant la chèvre   et le chou. Mais son application  est vite difficile : en 1906,   on lance un inventaire général de toutes les  possessions des églises. Certains catholiques   s’y opposent physiquement, et cette « querelle  des inventaires » cause un mort. Clemenceau,   entre-temps parvenu au pouvoir, va-t’il durcir  le ton ? Eh bien non : il préfère modérer les   choses. Les inventaires cessent,  pour que la loi s’applique en paix. Autre grande difficulté : si bien  des évêques français trouvent la loi   raisonnable et pensent qu’elle permet un  équilibre, le Pape en revanche la rejette   totalement. L’Église refuse de créer  les fameuses associations cultuelles,   et c’est un nouveau coup de pression diplomatique.  Là encore, la République s’arrange : on vote un   statut d’exception pour les catholiques. Pour  sauver la loi de 1905, on choisit donc de ne   l’appliquer qu’en partie ! Il faudra attendre  les années 1920 pour que des associations   diocésaines soient bel et bien créées, suite  à la reprise du dialogue entre Paris et Rome. On peut le dire : la laïcité  est née dans la douleur ! Entre   rapports de force et usage de la raison,  la République a d’ailleurs continué - et   continue encore - de reconnaître  des exceptions à la loi de 1905. Par exemple, lors de la  colonisation, la laïcité n’a pas  été un “produit d’exportation” : la religion jouant un rôle   important dans l’éducation et le contrôle des  populations, plusieurs territoires d’Outre-Mer   comme la Guyane continuent à appliquer un  régime spécial qui finance certains cultes. Idem pour l’Alsace et la Moselle, qui ont  été réintégrées à la France après 1918,   et qui ont refusé d’adopter la loi de 1905,  et continuent donc d’appliquer le Concordat.   Les timides tentatives pour revenir sur  ce statut sont restées lettres mortes,   et bien peu des défenseurs de la laïcité  s’offusquent aujourd’hui de ce particularisme. Et on retrouve la même chose  pour la construction de la Grande  Mosquée de Paris, financée par l’Etat  Français, grâce à une loi de 1920   permettant une dérogation de celle de 1905. Le but était cultuel,   mais aussi culturel, diplomatique et  social : il fallait instituer la France,   dirigeante d’un vaste empire colonial,  comme une puissance musulmane européenne.  Il s’agissait aussi de reconnaître les mérites  des soldats musulmans tombés pendant la Première   Guerre mondiale, et d’entretenir des  liens internationaux privilégiés avec   différentes puissances musulmanes.  Encore de nos jours, les enjeux sont   importants, le rectorat de la Grande  Mosquée et le Conseil Français du Culte   Musulman se tirant parfois dans les pattes, parce que chacun   embrasse plutôt la tendance algérienne,  ou bien marocaine, de l’Islam de France. Finalement, la “République une et indivisible”... elle reste assez   multiple ! Le Conseil Constitutionnel  l’a encore récemment prouvé. La laïcité   comprend plein de variations, qui  sont les fruits d’une histoire  assez compliquée. Dans le débat public, elle est  souvent essentialisée à outrance, et parfois à  coups de simplifications et  de contresens, faut le dire. [Seb] Par exemple, un petit dernier pour la route : la laïcité, c’est une neutralité   imposée, mais imposée à l’État ! À ses  composantes, à ses fonctionnaires. Mais   en revanche ça ne s’impose pas du tout aux  usagers ! Par exemple, une professeure de   maternelle ne portera jamais de voile ou de  croix ostentatoire, alors qu’une maman d’élève le  peut tout à fait. Oui, mais lors d’une sortie  scolaire, si une maman accompagne des élèves,   est-ce qu’elle reste une simple citoyenne qui  collabore occasionnellement au service public,   ou est-ce qu’on doit la considérer au contraire comme une membre du personnel à part entière ? C’est sur ce genre de petits détails   que le débat public s’emporte parfois, mais comme  vous voyez, y’a pas de quoi fouetter un chat ! [Ben] Et lors de ces débats, la loi de 1905  est aussi souvent invoquée que méconnue. Le   plus aberrant dans tout ça, c'est sans doute de sacraliser la laïcité, d’en parler au singulier,   comme notre Arlésienne chérie… Alors que, justement, la laïcité c’est le refus que   l’État professe un culte, quel qu’il soit, y compris le culte de l’État lui-même. Dans   ce projet émancipateur, chacun devrait  pouvoir suivre en toute indépendance son   chemin personnel en matière de croyances,  tant qu’il ne nuit pas à autrui. C’est le   célèbre article 1 de la loi de 1905, je cite :  “La République assure la liberté de conscience.   Elle garantit le libre exercice des cultes.” Une  garantie qu’il faut bien souvent renouveler ! Et pour faire ce job, j’ai vraiment pu compter  sur l’écriture du camarade Antoine Resche, de la   chaîne Histony, vous savez déjà que sur des sujets  délicats comme ça je peux lui faire confiance les   yeux fermés, parce que c’est clair et sérieux,  donc merci à lui ! J'aimerais également  remercier Seb de la chaîne Vous Avez Le Droit,  merci Seb d'avoir participé à cet épisode ! [Seb] Ah bah c'était un plaisir de donner un petit  peu de ma visibilité à un jeune youtubeur débutant ! [Ben] Ah bah écoute ! Voilà en  tout cas on espère que ça vous  a plu ! N'hésitez pas à aller  vous abonner, parce que vraiment sa chaîne vaut le détour !  Merci également à tous d'avoir  suivi cet épisode, et on se  retrouve très bientôt sur YouTube !