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Bref, vous avez capté l’idée : on a parfois du mal à les identifier, à les définir précisément, et pourtant ils sont fondamentaux, tout tourne autour d’eux, tout repose sur eux ! Eh bien aujourd’hui, je vous propose de nous attaquer à une grande arlésienne de l’histoire moderne française : la laïcité. Eh ouais, la laïcité, c’est un de ces concepts que tout le monde connaît, et qui pourtant sont difficiles à définir. C’est d’autant plus vrai que le sujet est très politique : invoquer la laïcité, en France, c’est souvent l’arme rhétorique ultime, parce que attenter à la laïcité, ça relève du sacrilège contre la République ! Sauf qu’avant de devenir un des piliers communs de notre société, la laïcité ça a été un enjeu de combats vraiment acharnés. D’ailleurs, on en sent encore les échos de nos jours ! Et le pire, c’est que comme l’a fait remarquer Jean Baubérot, un grand spécialiste de la question, parler de “la” laïcité au singulier, c’est quand même très simplificateur : en réalité, pleins de formes se sont opposées à travers l’Histoire, et ça continue ! On va donc replonger un peu dans le passé, pour y voir plus clair. Le mot laïcité vient en fait de distinctions sociales assez fondamentales. Dès la Grèce antique, comme dans "l’Iliade" d’Homère, par exemple, on parle de "laos" et de "démos" : ces deux mots désignent le peuple, à la fois comme une nation, qui a un chef, une loi commune, mais aussi un territoire. "Démos", par exemple, a donné le mot “démographie”, parce qu'il y a l’idée d’une quantité de gens rassemblés, d’un territoire, d’une étendue. Dans le mot "laos", on a une nuance un peu plus marquée : ça concerne des relations du groupe, qui se reconnaît un chef, un objectif, et qui agit de concert. On dit que toutes ces choses appartiennent au "laos" : elles sont "laikos", laïques. Donc déjà là on a une super idée, assez enthousiasmante : les humains forment une communauté, ils partagent quelque chose de commun. Mais avec le temps, certains ont utilisé les mots "laos" et "laikos" pour désigner, justement, “les gens du commun”. Donc pas la nation toute entière, mais seulement sa plus grande partie, composée des couches populaires, qui n’ont pas forcément reçu d’instruction spécifique. Cette éducation un peu élitiste, un peu privée, est vue comme un héritage particulier, un lot à part : on l’appelle "kléros". Il y a donc d’un côté tout ce qui est "laikos", commun et populaire, et de l’autre côté tout ce qui est "kléricos", c’est le domaine réservé aux clercs, les religieux qui ont été instruits dans le culte. Eh bien, cette distinction entre le laïque et le clérical, née durant l’Antiquité, va continuer pendant des siècles, jusqu’à nos jours. Au Moyen Âge, trois ordres constituent la société : il y a la Noblesse dirigeante, mais on distingue aussi le Clergé religieux du Tiers-Etat travailleur. En fait, ces réalités sociales, qui vivent côte à côte, peuvent devenir des pouvoirs politiques, qu’on peut distinguer et séparer. L’idée de séparer le pouvoir religieux et le pouvoir politique, ou pour le dire autrement, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, c’est vieux comme le monde. On la retrouve même dans la Bible :”Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”, déclare Jésus de Nazareth. Oui, mais voilà, au fil de l’histoire, la religion a souvent été très intimement liée au pouvoir politique, certains dirigeants pouvant d’ailleurs cumuler les deux couronnes. Et ce n’est pas étonnant : un peu comme un mille-feuille, les deux pouvoirs se superposent sur le même territoire, et concernent les mêmes personnes ! Par exemple, en France, qui doit nommer les évêques ? Après tout, ils gèrent les diocèses, donc des territoires où s’appliquent certaines lois religieuses, auxquels les sujets du roi sont soumis. La réponse est évidente pour les gallicans : comme leur nom l’indique, pour eux ce qui compte c’est le territoire de Gallia, la Gaule. En terre de France, c’est le roi de France qui prime, et devrait distribuer donc distribuer les charges, y compris religieuses. C’est le gallicanisme, qui a des équivalents dans d’autres pays : par exemple, l’Anglicanisme en Angleterre. Mais à l’inverse, il y a l’ultramontanisme : là encore, c’est le nom qui permet de comprendre de quoi on parle. Les ultramontains pensent que le pouvoir vient de l’autre côté des montagnes, c’est-à-dire, d’Italie. C’est le pape, à Rome, qui doit nommer les évêques, car même s’il n’habite pas le pays, les questions religieuses, c’est lui que ça concerne ! Donc déjà là il y a un débat qui est assez énorme ! Mais le mille-feuille est pas fini, parce que les pouvoirs du pape et du roi ne font pas que s’affronter, bien au contraire ! Ils se soutiennent aussi l’un l’autre. La religion joue un rôle crucial pour légitimer le pouvoir politique : le roi est « de droit divin », il est « sacré », et en contrepartie, il doit défendre la religion d’État, en l’occurrence le catholicisme. Dans un tel système, fatalement, les minorités religieuses sont au mieux marginalisées, et au pire persécutées : en France, ce sont surtout les juifs et les protestants qui en ont fait les frais. Évidemment, ici c'est qu’un tableau brossé à très, très gros traits : il faudrait sûrement plusieurs épisodes pour rendre toute la complexité de l’histoire religieuse d’avant la Révolution. Mais c’est justement ce qui nous intéresse ici : la Révolution. À cette époque, ça fait longtemps que le catholicisme est discuté. En interne, même au sein du clergé, les débats ont été nombreux : comment s’adapter à la Réforme protestante ? Comment évangéliser le Nouveau Monde, qui est encore en cours d’exploration ? Comment gérer les biens de l’Église, qui est un énorme propriétaire foncier dans la vieille Europe ? Quelle place donner aux moines et aux religieuses qui vivent en communauté, selon une règle, et qu’on appelle donc le clergé “régulier” ? Bref : entre nouveaux horizons, nouvelles religions, crise des vocations, et nécessité de se réformer… les discussions ne manquent pas ! Cette discussion existe aussi en dehors des rangs de l’Église, et elle peut même tourner à la contestation. Au sein de l’élite,notamment, on moque parfois certaines valeurs religieuses. Ce qu’on remet surtout en cause, c’est la place de l’Église : c’est bien pratique pour contrôler les masses et unifier le pays, mais ça a aussi son lot de contraintes morales ! Pour parodier un petit peu, il faut imaginer un bourgeois ou un noble lettré, riche et libertin, fan de Voltaire et des idées nouvelles : et on se dit qu'il aimerait bien utiliser les lois de l’Église pour contraindre les paysans, mais sans être lui-même concerné par ces mêmes lois ! Bref, la société de privilèges, il n’a rien contre, et il se verrait bien à son sommet ! Sauf que voilà, un texte fondateur vient bouleverser tout ça : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Là, en principe, je devrais vous détailler cette source historique de 1789… Mais attention, parce que déjà, son titre est clair : ce texte, c’est avant tout un texte de droit, donc c'est franchement pas la spécialité de la chaîne. Et en plus, ce texte sert encore aujourd’hui de base à nos lois, notre société, et notre système judiciaire. Alors, on va quitter le passé pour le présent, encore une fois. Mais vu que c’est pas trop mon domaine, eh bien j’ai besoin d’un petit coup de main ! Alors, c'est parti, transition ! [Seb] Bonjour, je suis Seb, de la chaîne Vous Avez Le Droit. Et ma spécialité eh bien… c'est le droit ! On va reprendre tout ça dans l'ensemble. La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 est l’une des clés de voûte de notre système juridique. En effet, le droit français est conçu selon un modèle pyramidal, tout en haut il y a la Constitution, et au dessous, il y a les lois, les décrets, etc. Chaque texte juridique doit être conforme à la norme supérieure, et à chaque fois il y a un mécanisme, une procédure en quelque sorte, un mécanisme de contrôle de cette conformité. Pour la loi, ça s’appelle le contrôle constitutionnel, et c’est le conseil du même nom qui s’en occupe. Il vérifie si la loi qui vient d’être votée par le Parlement est bien conforme à la Constitution, et d'ailleurs pas seulement à la Constitution elle-même, mais plutôt au bloc de constitutionnalité. Donc la vérification se fait également vis à vis en plus de la Déclaration des Droits de l’Homme, vis à vis du préambule de la Constitution de la Quatrième République, qui insiste davantage sur les réseaux sociaux, et enfin la charte de 2004 qui introduit au sommet de notre droit positif les préoccupations contemporaines pour l’environnement. [Ben] Alors ok Seb, mais la laïcité dans tout ça, on en est où ? [Seb] Alors j’y viens. Le Conseil Constitutionnel a déduit de l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme que la liberté d’opinion, y compris la liberté religieuse, est une liberté absolue. C’est à dire qu’aucune loi ne peut jamais y apporter aucune limite. En revanche, la pratique religieuse est libre heureusement, sous réserve de respecter l’ordre public. Comme vous le voyez, la Déclaration des Droits de l’Homme n’est pas seulement une déclaration symbolique destinée à promouvoir les droits humains de façon un peu abstraite. Elle est aussi un véritable outil juridique destiné à protéger efficacement nos droits et nos libertés. Si l’opinion religieuse elle même, la foi, est absolument libre, sa mise en œuvre en revanche peut être organisée par la loi. Mais ça, c’est un autre texte qui s’en occupe : la loi de 1905. [Ben] De juillet à octobre 1789, les privilèges sont donc abolis. Mais là, gros malaise : sans les privilèges, sans les impôts spéciaux comme la dîme, beaucoup de membres du clergé n’ont plus de quoi vivre. En balayant les injustices, on en a créé une nouvelle, car les ecclésiastiques ont bien une réelle utilité sociale : ce sont notamment eux qui entretiennent de très nombreux hôpitaux, hospices, et centres d’accueil pour les pauvres et les malades. Paradoxalement, en cumulant des siècles et des siècles de dons, l’Église de France possède un énorme patrimoine immobilier, mais n’a plus les moyens de l’entretenir ! Je dirais même qu'il y a un double paradoxe : car en perdant ses privilèges, le clergé perd aussi ses obligations. Désormais, l’État est censé tout prendre en charge, alors que ça tombe mal, car les caisses sont vides ! Alors, dès le 2 novembre 1789, nouveau décret : les biens du clergé sont mis à la disposition de la Nation. Je vous explique le calcul : en gros l’État s’empare de cette énorme masse immobilière, et va pouvoir éponger ses dettes. La paysannerie et la bourgeoisie vont pouvoir acheter des lots, et le pays comptera donc plus de propriétaires. Enfin, en 1790, on vote la Constitution civile du clergé. Puisque le clergé n’a plus ni biens ni privilèges, mais garde un rôle social important, l’État va le salarier : les prêtres seront donc des fonctionnaires. L’État financera également l’entretien des lieux de culte. Bref, sur le papier, tout le monde est censé être gagnant. Et vous voyez, c’est pas forcément l’idée qu’on se fait de 1789 ! En fait, l’État ne se désintéresse pas du tout des cultes, au contraire, il s'immisce à fond dedans, plus que jamais auparavant ! On dirait bien que les gallicans ont gagné la partie. Sauf que les ultramontains, et le pape en tête, ont encore leur mot à dire… Aux yeux de Rome, la Déclaration des Droits de l’Homme repose sur des principes qui semblent incompatibles avec l’ancienne société chrétienne. C’est bien beau de dire que l’Homme a des droits, sauf que c’est compromettre les droits de Dieu et de l’Église. On pourrait même dire que face à Dieu, l’homme n’a pas de droits, mais que des devoirs. Cette condamnation radicale des principes d’égalité et de liberté comme fondations d’une nouvelle forme de société va durer jusqu’à la fin du 19e siècle. Les choses vont lentement évoluer, jusqu’au concile qui a lieu en 1963 au Vatican, qui reconnaît les Droits de l’Homme, et même ses droits universels, ceux proclamés quelques années plus tôt, en 1948, par les Nations Unies. Mais on va se recentrer un peu sur la France du 18e siècle : de fait, à l’époque, l’entente part plutôt mal ! La Constitution civile du clergé, c’est bien joli sur le papier, mais ça pose plein de nouvelles questions. Par exemple, puisque les évêques font maintenant partie de la fonction publique, ils devraient être élus par des électeurs du département. Idem pour chaque prêtre dans son propre district. Sauf que les électeurs ne seraient même pas forcément des catholiques ! Et en plus, les membres du clergé devront prêter serment envers le pouvoir. Et là encore, ça coince : le clergé ne devrait rendre compte qu’au Pape. Pie VI est donc outré et proteste ouvertement. Assez vite, on voit apparaître deux clergés : il y a le prêtre jureur, qui a prêté serment, et fait donc partie du clergé constitutionnel reconnu. Et il y a le prêtre réfractaire, qui refuse de se soumettre à Paris plutôt qu’à Rome, et qui continue à pratiquer, mais dans l’illégalité. Là, on pense tout de suite aux Chouans de Bretagne ou aux Vendéens, leurs voisins. Sauf qu’en réalité, cette division des deux clergés a lieu à peu près partout… Et le résultat, c'est que les tensions sont fortes à travers tout le pays. Et c’est pas tout ! Après la chute de Louis XVI et l’arrivée de la République, les républicains les plus radicaux souhaitent en fait explicitement déchristianiser le pays ! Eux ne veulent pas d'une République neutre et bienveillante, mais un État qui combat les religions, en particulier la religion chrétienne. C’est le cas par exemple du député Joseph Fouché, ou du pamphlétaire Jacques-René Hébert, et ses Hébertistes, qui sont si radicaux qu’à l’époque on les surnomme “les exagérés”. C’est à cette époque que des églises deviennent des “temples de la Raison”, tandis que l’archevêque de Paris, Jean-Baptiste Gobel, se déprêtrise devant la Convention elle-même. Mais cette vague anticléricale menée par des athées reste minoritaire, et le Comité de Salut Public, Robespierre en particulier, la voit d’un mauvais œil. Très vite, la déchristianisation est enrayée et ses acteurs les plus virulents marginalisés, voire exécutés. Robespierre, pour sa part, aspire à la création d’un culte civique qui serait une sorte de syncrétisme susceptible d’accueillir toutes les sensibilités religieuses, en considérant que la République reconnaît l’existence d’un Être suprême. Mais l’idée est trop complexe pour être bien comprise, et rebute les plus anticléricaux. Elle ne disparaîtra pourtant pas avec Robespierre, car d’autres cultes républicains, comme la théophilanthropie, vont ensuite voir le jour, sans plus de succès. De fait, après la chute de Robespierre, la Convention thermidorienne et le Directoire adoptent une politique religieuse différente : ils vont cesser de salarier les cultes, et c’est la fin du clergé constitutionnel. En effet, pour la Constitution de l’an III, nul ne peut être empêché de pratiquer son culte dans le respect de la loi, et nul ne peut être forcé d’en pratiquer ou d'en financer un. Du coup, la République n’en salarie aucun. Les revendications des catholiques et les tensions avec le Pape ne cessent donc de grandir. Bon, déjà, les biens nationalisés ne sont pas rendus, donc sans salaire, le clergé est 100% perdant. Et durant les guerres d’Italie, le pape Pie VI finit par mourir dans les prisons françaises. Alors la laïcité est encore loin d’être si neutre que ça. En plus, si elle garantit la pratique des cultes, ça n’est pas le cas pour la liberté de conscience ! Bien souvent les prêtres, notamment réfractaires, sont les cibles du gouvernement qui y voit de potentiels “ennemis de l’intérieur.” La Révolution finit donc par s’empêtrer dans un paradoxe : elle a voulu mettre tous les cultes sur un pied d’égalité, mais sans leur donner les moyens de s’exercer librement. En fait cet engrenage, il a tellement divisé qu’il a même pu contribuer à l’échec de la République ! Et du coup, lorsqu’il fait son coup d’État, Napoléon Bonaparte, il est bien conscient qu’il doit forcément régler la question religieuse s’il veut pacifier le pays. C’est la naissance du Concordat, en 1801. Pour le nouveau pape, Pie VII, comme pour le Premier Consul, il s’agit de trouver un compromis, et le rapport de force est évidemment en faveur de la France. On ne revient pas sur la nationalisation des biens du clergé, mais on offre une nouvelle contrepartie en échange : à nouveau, les prêtres seront salariés par l’État. Ils devront donc fidélité au gouvernement, et le catéchisme de l’époque se met alors à enseigner la fidélité à l’Empereur. D’autre part, si le catholicisme ne redevient pas une religion d’État, que le pouvoir reconnaîtrait comme la seule valable, elle est quand même admise comme étant la religion “de la grande majorité des Français”. L’État ne se prononce toutefois pas sur sa valeur spirituelle, car ce n’est pas son rôle. D’une certaine manière, avec le Concordat, Bonaparte fait accepter à Pie VII ce que son prédécesseur Pie VI avait refusé. La querelle entre réfractaires et constitutionnels est globalement résolue, puisque tous doivent démissionner et ensuite être renommés, à la fois par le Pape et le Consul. Mais vous connaissez Napoléon Bonaparte : très vite, dès 1802 en fait, il outrepasse ce qui a été convenu avec le Pape, avec de nouvelles lois qui s’appellent les Articles organiques. Avec ces articles, il organise bien plus précisément le fonctionnement du culte catholique, puis des cultes protestants et juifs. Le pluralisme gagne en visibilité. Et avec le Code Civil, l’armature législative de la France n’est plus calquée sur le religieux : le mariage et le divorce, par exemple, sont désacralisés. Et c’est encore le cas de nos jours : avant de célébrer un mariage religieux, le célébrant doit vérifier qu'un mariage civil a d’abord eu lieu, et s’il ne le fait pas, c’est une infraction pénale ! Dans le même temps, l’Église perd son monopole sur la médecine et l’enseignement. Bref, les années napoléoniennes posent les bases d’un nouveau rapport au religieux, qui va longtemps survivre à l’Empire, avec des variantes. Dans la France du 19e siècle, la dispute entre cléricaux et anticléricaux continue à jouer en fond, avec des hauts et des bas. Sous la Restauration de 1815-1830 par exemple, le catholicisme redevient la religion d’État. Mais le concept n’est pas bien défini, et d’ailleurs les autres cultes sont toujours protégés et salariés. Le pouvoir politique punit toutefois de mort le sacrilège sur les hosties, et de son côté le clergé s’active pour condamner certaines danses ou pratiques sexuelles et sociales jugées impies. En 1830, c’est donc une nouvelle bouffée d’anticléricalisme qui fait son retour. Après la Monarchie de Juillet, c’est la 2nde République qui naît en 1848, puis le Second Empire en 1852. Dans les années 1860, le pape Pie IX condamne à nouveau l’idée de libertés et de droits de l’Homme comme socle social. En 1870, la Commune de Paris tente à nouveau de séparer l’Église et l’État, mais les insurgés de la ville tombent dans des excès sanglants, notamment en exécutant monsieur Darboy, l’archevêque de Paris. Tout ça choque la population rurale, et entraîne une réaction : c’est la période de l’Ordre moral, des années 1870. Bref : au début de la Troisième République, la compatibilité entre le régime républicain et le catholicisme fait encore douter pas mal de monde ! Pendant tout un siècle, chaque nouvelle secousse politique a été l’occasion de relancer le débat. En politique internationale : Rome est une monarchie absolue élective, que des Républicains italiens veulent renverser. Leurs voisins français, selon leur camp politique, veulent soit soutenir ces libéraux, soit empêcher l’unification de l’Italie qui, avec celle de la Prusse, menacerait les équilibres géopolitiques en place. La question des États Papaux divise donc les Français à l’intérieur même du pays. En politique intérieure d’ailleurs, le débat se prolonge dans le monde de l’éducation, car quelle place doit y tenir l’Église ? Pour beaucoup, la religion apporte une nécessaire éducation morale. D’autres pointent qu’elle entre aussi parfois en conflit avec les méthodes scientifiques et critiques : en 1864, dans son “Syllabus”, le pape Pie IX dénonce ce qu’il considère comme des erreurs du monde moderne. Parmi les positions dénoncées, il condamne à la fois le libéralisme, la rationalité, la liberté de conscience, et la liberté des cultes… Ce qui choque même les catholiques ! Tout au long du 19e siècle donc, le contrôle de l’éducation est à son tour disputé : domination, limitation, ou élimination totale de l’Église dans ce milieu ? Au début des années 1880, la République s’enracine, et les lois Ferry viennent donner un point d’équilibre. Et attention à l’idée reçue : ces lois ne créent pas une école « laïque, gratuite et obligatoire ». En réalité, elles rendent l’instruction obligatoire, et une école laïque et gratuite est mise sur pied pour répondre à ce besoin. Mais donc, d’autres modes d’instruction continuent d’exister à côté, comme les écoles religieuses, ou l’enseignement à domicile ! Le but, c'est de s’assurer que chacun apprenne… pas de contrôler qui décide d’éduquer son enfant de quelle façon. Mais de fait, cette liberté de choix concerne seulement ceux qui ont les moyens de payer une éducation privée. L’école laïque gratuite devient donc un important lieu d’éducation des masses, au sein desquelles elle contribue à déraciner peu à peu la religion. Sauf que même là, on applique la loi intelligemment : certes, le catéchisme et la présence de crucifix sont interdits à l’école. Mais on doit les tolérer, parce que les retirer créerait trop de troubles. Par exemple, arracher la croix au centre de la place du village en face de l’école, ça serait choquant, et donc contre-productif ! Les observateurs les plus lucides de l’époque le soulignent : la laïcité est distribuée à petite dose, pour faire effet au fur et à mesure. Et tant pis pour les plus radicaux, qui rêveraient d’une grande offensive frontale contre les religions ! C’est ce qui rend les lois Ferry si redoutablement efficaces sur la durée, alors qu’elles avaient le potentiel pour créer une véritable guerre scolaire. À la même époque, d’autres lois laïques sont votées, influençant les autres pans de la société, comme la déchristianisation des cimetières, ou la légalisation du divorce. Mais c’est une autre loi qui tâche de rétablir l’équilibre : celle de la liberté de la presse, qui gagne énormément de terrain. Donc si l’influence religieuse est combattue dans les institutions, en revanche ses partisans peuvent plus facilement manifester leur opposition à l’État au sein du débat public. Il ne faut pas non plus oublier que le Concordat court toujours : l’Église et l’État ne rompent pas le dialogue. Si les extrêmes de chaque camp, catholiques comme anticléricaux, dénoncent parfois ce lien qu’ils jugent contre-nature, il faut reconnaître que ça permet de pacifier les rapports. Dans les années 1890, le pape reconnaît la République : on parle alors du “ralliement”, car une bonne quantité de catholiques lui emboîtent le pas. Mais à la même époque, les tensions de l’affaire Dreyfus poussent une partie des catholiques vers des positions extrêmes, comme l’antiparlementarisme, l’antiprotestantisme, judaïsme et maçonnisme. Pour résumer : en perdant sa place de numéro un, l’Église catholique trouve désormais dans ces factions des rivales sérieuses. Ce qui ne facilite pas les choses, c’est que de fait le courant anticlérical se concentre au même moment sur les catholiques, considérant les autres minorités religieuses comme du menu fretin. Et donc ça renforce l’impression de rejet, et même de menace. Attention, on parle souvent de la grande Affaire Dreyfus, des tourments des lois anticléricales, etc. Mais il y a deux petits rappels que je voulais vous faire : le premier, c'est que la majorité des Français se place quelque part entre ces deux pôles extrêmes, quand elle se montre pas tout simplement indifférente. Et le deuxième point que je voulais vous rappeler, c'est que j’ai déjà fait des épisodes sur l’affaire Dreyfus et la Deuxième République, donc si ça vous intéresse de mieux comprendre l’ambiance de l’époque, hésitez pas à aller les voir ! N’empêche que l’opposition entre les deux extrêmes se fait de plus en plus tendue. En 1901, le gouvernement d’union républicaine de Waldeck-Rousseau vote par exemple la loi sur les associations : entre les mains du radical Combes à partir de 1902, elle a pour conséquence de mettre à terre nombre de congrégations religieuses. Mais à chaque offensive contre la religion, l’Église s’adapte : quand on interdit l’enseignement aux congréganistes, l’Église donne un statut spécial à ceux qui quittent les ordres, et qui peuvent donc recommencer à enseigner. Et comme l’enseignement public pour filles est insuffisant, l’État doit bien s'accommoder des religieuses enseignantes. Mais c’est à nouveau la politique internationale qui va faire monter la pression, et même achever le Concordat. Durant le 19e siècle, le Royaume de Piémont-Sardaigne a successivement conquis Milan, Florence, les États papaux, la Sicile, Naples, Venise, et enfin Rome. Le Pape a donc été spolié de ses États, qui ont été annexés. Alors quand en 1904 le président de la République Française Émile Loubet rend une visite officielle au Royaume d’Italie, c’est un geste lourd de sens à l’international. Les relations diplomatiques entre le Vatican et la République sont rompues. On ne voit pas trop comment le Concordat peut continuer de s’appliquer, et c’est dans ce contexte que naît en 1905 la fameuse loi de séparation des Églises et de l'État. Alors attention, si de nos jours on y voit un texte fondateur et essentiel, il faut se dire qu’à l’époque, c’est plutôt perçu comme un compromis, qui va satisfaire pas grand monde. [Seb] C’est là qu’intervient la loi de 1905. Son nom complet est "loi concernant la séparation des Églises et de l’État". Ce texte pose tout d’abord le principe selon lequel la République garantit la liberté de conscience. En fait, elle ne fait que reprendre le principe déjà énoncé par la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, tout en le précisant un petit peu. Mais en revanche, elle affirme également que l’État ne reconnaît plus, ni ne salarie aucun culte. Et ça, c’est un véritable bouleversement. En effet, jusqu’à présent, les relations entre l’État et la religion étaient régies par le Concordat de 1802. Ce texte considérait la religion catholique comme étant la religion de la majorité des Français, tout en autorisant aussi les autres religions. De plus les évêques sont nommés par l’État, qui les rémunère ainsi que tous les ministres du culte. Enfin, les pratiques religieuses des différentes confessions sont gérées par des établissement publics. À partir de la loi de 1905, tout change. L’État se doit maintenant de respecter une stricte neutralité vis à vis des opinions religieuses. Ça veut dire plusieurs choses. Les signes religieux doivent disparaître de tous les monuments publics. Les prêtres, les pasteurs et les rabbins cessent d’être salariés par l’État. Et surtout, l’État, en pratique les services publics, ne doit tenir aucun compte de votre religion, pas plus que de la couleur de votre peau, ou votre origine sociale. La conséquence, c’est que l’État n’entrave pas non plus la pratique de quelque culte que ce soit, à une seule condition : que sa pratique ne soit pas contraire à l’ordre public. Mais un article de la loi de 1905 fait particulièrement débat : il s'agit de l’article 4. En effet, puisque l’État ne gère plus les cultes, et que les établissements publics cultuels sont dissous, eh bien il faut bien que quelqu’un d’autre le fasse ! Et ce quelqu’un d’autre va être à la source de très nombreux conflits. Il s’agit de l’obligation de créer des associations spécialement dédiées à la gestion de l’exercice des différents cultes. Les protestants, qu’ils soient calvinistes ou luthériens, et les juifs accueillent favorablement la loi, puisqu’elle correspond à leur mode d’organisation. C’est pourquoi ils vont créer rapidement leurs propres associations cultuelles. Autant les catholiques en revanche vont refuser de le faire. La religion catholique est organisée de façon hiérarchique, et le Vatican voit dans la loi de 1905 une arme de guerre contre leur influence sur les catholiques français. Ce refus, qui donne lieu à de nombreux affrontements, notamment lors des tentatives d’inventaires des biens des églises par les autorités publiques, va conduire à une véritable situation de blocage. Dans les années qui suivent, plusieurs lois successives viennent donc pallier le refus par les catholiques de créer des associations cultuelles en leur donnant le droit d’utiliser gratuitement de nombreux bâtiments religieux, des églises, des presbytères qui appartiennent à l’État. Le résultat de ce micmac politico-législatif, c’est que la loi de séparation de l’Église et de l’État a paradoxalement rapproché les catholiques français du Vatican. [Ben] Pour en revenir à 1905 donc, sur le coup, les gens sont loin d’avoir l’impression qu’une décision fondatrice est tombée. Il y a de grands insatisfaits dans les deux camps. Pour une bonne part des catholiques français, cette loi a le tort de priver le clergé de son traitement. Après tout, est-ce que ce n’était pas une compensation, en échange de la nationalisation des biens du clergé ? On aurait donc spolié l’Église, et toutes les générations de fidèles qui ont contribué à bâtir des édifices à vocation religieuse. Mais les plus anticléricaux, comme Clemenceau, ne sont pas non plus satisfaits, on aurait pu aller plus loin dans la laïcisation, et la confirmation du lien avec Rome semble inacceptable. C’est pourtant bien ce compromis qui a été voté. La loi de 1905 est donc une tentative pour résoudre le conflit en ménageant la chèvre et le chou. Mais son application est vite difficile : en 1906, on lance un inventaire général de toutes les possessions des églises. Certains catholiques s’y opposent physiquement, et cette « querelle des inventaires » cause un mort. Clemenceau, entre-temps parvenu au pouvoir, va-t’il durcir le ton ? Eh bien non : il préfère modérer les choses. Les inventaires cessent, pour que la loi s’applique en paix. Autre grande difficulté : si bien des évêques français trouvent la loi raisonnable et pensent qu’elle permet un équilibre, le Pape en revanche la rejette totalement. L’Église refuse de créer les fameuses associations cultuelles, et c’est un nouveau coup de pression diplomatique. Là encore, la République s’arrange : on vote un statut d’exception pour les catholiques. Pour sauver la loi de 1905, on choisit donc de ne l’appliquer qu’en partie ! Il faudra attendre les années 1920 pour que des associations diocésaines soient bel et bien créées, suite à la reprise du dialogue entre Paris et Rome. On peut le dire : la laïcité est née dans la douleur ! Entre rapports de force et usage de la raison, la République a d’ailleurs continué - et continue encore - de reconnaître des exceptions à la loi de 1905. Par exemple, lors de la colonisation, la laïcité n’a pas été un “produit d’exportation” : la religion jouant un rôle important dans l’éducation et le contrôle des populations, plusieurs territoires d’Outre-Mer comme la Guyane continuent à appliquer un régime spécial qui finance certains cultes. Idem pour l’Alsace et la Moselle, qui ont été réintégrées à la France après 1918, et qui ont refusé d’adopter la loi de 1905, et continuent donc d’appliquer le Concordat. Les timides tentatives pour revenir sur ce statut sont restées lettres mortes, et bien peu des défenseurs de la laïcité s’offusquent aujourd’hui de ce particularisme. Et on retrouve la même chose pour la construction de la Grande Mosquée de Paris, financée par l’Etat Français, grâce à une loi de 1920 permettant une dérogation de celle de 1905. Le but était cultuel, mais aussi culturel, diplomatique et social : il fallait instituer la France, dirigeante d’un vaste empire colonial, comme une puissance musulmane européenne. Il s’agissait aussi de reconnaître les mérites des soldats musulmans tombés pendant la Première Guerre mondiale, et d’entretenir des liens internationaux privilégiés avec différentes puissances musulmanes. Encore de nos jours, les enjeux sont importants, le rectorat de la Grande Mosquée et le Conseil Français du Culte Musulman se tirant parfois dans les pattes, parce que chacun embrasse plutôt la tendance algérienne, ou bien marocaine, de l’Islam de France. Finalement, la “République une et indivisible”... elle reste assez multiple ! Le Conseil Constitutionnel l’a encore récemment prouvé. La laïcité comprend plein de variations, qui sont les fruits d’une histoire assez compliquée. Dans le débat public, elle est souvent essentialisée à outrance, et parfois à coups de simplifications et de contresens, faut le dire. [Seb] Par exemple, un petit dernier pour la route : la laïcité, c’est une neutralité imposée, mais imposée à l’État ! À ses composantes, à ses fonctionnaires. Mais en revanche ça ne s’impose pas du tout aux usagers ! Par exemple, une professeure de maternelle ne portera jamais de voile ou de croix ostentatoire, alors qu’une maman d’élève le peut tout à fait. Oui, mais lors d’une sortie scolaire, si une maman accompagne des élèves, est-ce qu’elle reste une simple citoyenne qui collabore occasionnellement au service public, ou est-ce qu’on doit la considérer au contraire comme une membre du personnel à part entière ? C’est sur ce genre de petits détails que le débat public s’emporte parfois, mais comme vous voyez, y’a pas de quoi fouetter un chat ! [Ben] Et lors de ces débats, la loi de 1905 est aussi souvent invoquée que méconnue. Le plus aberrant dans tout ça, c'est sans doute de sacraliser la laïcité, d’en parler au singulier, comme notre Arlésienne chérie… Alors que, justement, la laïcité c’est le refus que l’État professe un culte, quel qu’il soit, y compris le culte de l’État lui-même. Dans ce projet émancipateur, chacun devrait pouvoir suivre en toute indépendance son chemin personnel en matière de croyances, tant qu’il ne nuit pas à autrui. C’est le célèbre article 1 de la loi de 1905, je cite : “La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes.” Une garantie qu’il faut bien souvent renouveler ! Et pour faire ce job, j’ai vraiment pu compter sur l’écriture du camarade Antoine Resche, de la chaîne Histony, vous savez déjà que sur des sujets délicats comme ça je peux lui faire confiance les yeux fermés, parce que c’est clair et sérieux, donc merci à lui ! J'aimerais également remercier Seb de la chaîne Vous Avez Le Droit, merci Seb d'avoir participé à cet épisode ! [Seb] Ah bah c'était un plaisir de donner un petit peu de ma visibilité à un jeune youtubeur débutant ! [Ben] Ah bah écoute ! Voilà en tout cas on espère que ça vous a plu ! N'hésitez pas à aller vous abonner, parce que vraiment sa chaîne vaut le détour ! Merci également à tous d'avoir suivi cet épisode, et on se retrouve très bientôt sur YouTube !