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Analyse de la crise de l'euro

Et aujourd'hui on explique pourquoi il n'y a que les pays du sud qui ont galéré pendant la crise de l'euro. Ouais, alors c'est pas encore le moment de trop rentrer dans le détail. Oh non, on va encore se faire une vue d'ensemble ? Non mais moi je voudrais savoir pourquoi les pays du sud sont moins robustes que les pays du nord, comme t'as dit dans le premier épisode. On va commencer à répondre, mais désolé, toujours en gardant une perspective très générale.

Et puis on va aussi commencer à parler d'un graphique qui va nous emmener assez loin, celui-là. Euh, ok. On parle juste d'un seul graphique aujourd'hui ?

Eh bah dis donc, t'es balèze en teasing toi. Bah tu me connais, je vais t'en faire voir de toutes les couleurs, mais il y aura toujours un lien avec ce graphe. et on continuera même d'en parler dans d'autres épisodes.

Bon d'accord, je sais pas, je me sens pas ultra motivé là. T'inquiète pas, ça ira mieux après le générique. 16h30 bonjour ! J'ai pas de bonnes nouvelles à vous annoncer.

Qu'est-ce qui se passe ? Allez défibrillateur, vite ! Faites un massage cardiaque, sinon on le perd !

Qu'est-ce que vous faites Dr Shepard ? On tente de sauver l'Euro. Va falloir tenter une hyposition.

On va enlever la graisse ! Dans le premier épisode de cette série, on a notamment expliqué via ce graphique que contrairement à ce qu'on peut parfois entendre, les gouvernements du sud de la zone euro n'ont pas augmenté leur niveau d'endettement entre la mise en place de l'euro et le début de la crise des subprimes. C'est seulement à partir de 2007-2008 que le niveau d'endettement public a augmenté. On a également expliqué que cette tendance était mondiale, elle ne s'est pas limitée aux pays européens. Merci de faire un petit rappel, mais c'est bon, je me souviens.

Parfait. L'une des raisons qui fait qu'on a tendance à penser que les gouvernements du sud de la zone euro se sont endettés de façon déraisonnable entre 99% et 100% et 2008, c'est ce fameux graphique que je t'ai déjà montré dans un épisode précédent. Eh oui, mais je me souviens de ça aussi.

L'euro, pourquoi deuxième partie ? Ah ouais ? Ah là, tu m'impressionnes complètement. Ha ! Mémoire photographique.

Par contre, j'ai juste retenu la forme, je suis incapable de dire à quoi correspondent ces courbes. Alors, ça représente le taux d'intérêt auquel les différents pays de la zone euro empruntent sur les marchés financiers pour des obligations ayant une maturité à 10 ans. Donc, ce qu'il faut retenir de ce graphe, c'est que depuis le traité de Maastricht qui a entériné le projet de l'euro, les taux demandés par les investisseurs aux États européens pour pour les financer ont baissé et convergé.

Tu peux voir par exemple que pour le gouvernement italien, il fallait payer 14,5% d'intérêt en 1992 alors qu'en 2000 le taux était tombé à moins de 5,5%. Egalement, tu peux voir que chaque état a un taux d'intérêt qui lui est propre avant 2000, tandis qu'après cette date on constate que c'est un peu le même prix pour tout le monde, en tout cas jusqu'en 2008. Si je te fais une moyenne Nord-Sud pondérée par la population, voilà à quoi ça ressemble. Le Sud paye plus d'intérêt que le Nord avant la mise en place de l'euro. Ensuite, il n'y a presque plus de différence jusqu'au fameux choc de septembre 2008 dont on a déjà parlé aussi dans une vidéo précédente.

Le fameux choc de septembre 2008, ça par contre ça ne dit rien. Je te laisse le temps d'y penser, on y reviendra. Donc ici on constate que les Etats du Sud ont largement bénéficié de la mise en place de l'euro.

Le coût de la dette a été considérablement réduit et grosso modo tous les pays de la zone euro ont pu s'endetter en payant ce que payait le plus sûr de tous les pays européens, à savoir l'Allemagne. Avec des taux très bas, il est logique de penser que les Etats auraient pu en profiter pour faire n'importe quoi. Sauf qu'on a déjà dit que c'était pas le cas. Exact.

Mais est-ce qu'il ne faudrait pas aussi vérifier que ce ne seraient pas les entreprises et les ménages qui auraient majoritairement exploité ces taux très bas ? Après tout, il y a trois agents économiques, l'Etat, les entreprises et les ménages. Ouais, mais là ce sont les taux d'intérêt qui s'appliquent aux Etats, pas aux ménages ni aux entreprises. Oui, mais les taux d'intérêt appliqués aux Etats servent de référence pour ensuite déterminer ceux qui seront appliqués au secteur privé. On parlera beaucoup plus en détail des taux d'intérêt dans une prochaine vidéo, mais en gros, la banque centrale commence par définir le taux plancher, c'est-à-dire le taux le plus bas du marché.

Ensuite, via la loi de l'offre et de la demande, le taux auquel l'Etat peut emprunter vient théoriquement se placer quelque part au-dessus de ce taux plancher. Et enfin, les banques utilisent le taux obtenu par l'Etat comme une référence à partir de laquelle elles vont faire tout un tas d'hypothèses et de calculs pour, cas par cas, proposer un taux d'emprunt aux entreprises et aux ménages. Donc si le taux d'emprunt de l'Etat baisse, la base de calcul des taux pour le secteur privé diminue et donc les entreprises et les ménages bénéficient de taux plus avantageux. Donc ça veut dire que cette baisse des taux a permis aux Etats ménages ménage et entreprise d'emprunter pour moins cher. Tout à fait.

Et si on regarde comment les niveaux d'endettement des ménages et des entreprises non financières ont évolué dans le Nord et dans le Sud, eh bien voilà ce que ça donne. Ici, j'ai fait exprès d'agréger les données françaises au sein des pays du Nord, sinon le graphe devenait difficile à lire. Les entreprises non financières ? Eh bien pourquoi pas les entreprises financières aussi ? Ah oui, c'est vrai.

Alors, on pourrait regarder la dette de tout le monde. Le problème, c'est que souvent, les banques et d'autres acteurs financiers se prêtent de l'argent entre eux. Ils empruntent d'un côté pour repréter de l'autre.

Du coup, ça donne des dettes qui s'éloignent. s'annulent les unes les autres et il faut être capable de remonter toute la chaîne pour voir ce qu'il faut supprimer. Donc bien souvent, on ne regarde que la dette des entreprises non financières car là au moins, il n'y a pas besoin de retraiter l'information. Et alors pourquoi tu n'as pas retraité les données ?

Oui, bien sûr, j'ai que ça à faire, je peux sortir une vidéo tous les 3 ans aussi si tu veux. Allez, qu'est-ce que tu peux me dire de ce graphe ? Ok donc, la dette grimpe à mort dans le sud, que ce soit au niveau des ménages ou au niveau des entreprises, par contre dans le nord, c'est beaucoup moins important.

Et voilà, ce n'est pas le secteur public qui a profité de la baisse des taux pour augmenter son niveau d'endettement, c'est le secteur privé. Les entreprises et les ménages du sud de la zone euro ont largement saisi l'opportunité d'augmenter leur niveau d'endettement grâce à la baisse des taux rendue possible par la mise en place de l'euro. Et ici, il faut bien que tu comprennes qu'on ne parle pas simplement de dette, on parle de niveau d'endettement, c'est-à-dire qu'on compare un niveau de revenu avec un stock de dette. Euh oui, je croyais que j'avais compris, mais là du coup tu me fous le doute. Ok.

Sur ce graphique, je te montre l'évolution du PIB par habitant pour les pays du sud de la zone euro entre 1999 et 2008. Tu peux voir que mon indice passe de 100 à 148 en 10 ans. Ce qui veut dire qu'en moyenne, la population a vu son revenu augmenter de 48% en 10 ans. Ça ne veut pas dire que le pouvoir d'achat a augmenté de 48%.

Ici, je ne parle que de l'augmentation du PIB par habitant, je ne tiens pas compte de l'inflation. Ouais, donc ok, le revenu augmente de 48%, mais comme les prix augmentent aussi, ça ne veut pas dire que les mecs sont 48% plus riches. Voilà, en réalité, si on tenait compte de l'inflation, on tomberait plutôt sur 14% d'augmentation et pas 48%. Bref, comme je veux rajouter la dette, je suis obligé de faire sans l'inflation parce que sinon ça devient compliqué.

Donc, voici un indice qui représente le stock de dette publique pour les pays du Sud. Tu peux voir que la quantité de dette publique évolue en ligne avec le PIB par habitant. Le stock de dette publique augmente, mais puisque le PIB augmente aussi, eh bien le ratio de dette sur PIB est à peu près constant. C'est ce qu'on a déjà vu dans l'épisode précédent. Ouais, ok, d'accord, je suis.

Maintenant, voyons voir ce qui se passe si j'ajoute les indices correspondants à la dette des entreprises et des ménages. Attends, attends, laisse-moi comprendre. Ça veut dire que les entreprises et les ménages s'endettent plus vite que le PIB monte, donc leur dette augmente plus vite que leur revenu.

Exactement. Le PIB a bien augmenté dans les pays du Sud. Il y a eu de la croissance. Simplement, la dette des ménages et des entreprises a augmenté encore plus vite. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'y a que le secteur public qui a su maintenir son stock de dette dans les clous par rapport au rythme d'enrichissement des pays.

Ah ouais. Et alors du coup, qu'est-ce qui se passe après 2008 ? Eh bien, le PIB se met à diminuer à cause de la crise des subprimes, puis à cause de celle de l'euro. Les revenus de la population baissent. Les entreprises et les ménages font tout pour se désendetter.

Tu peux voir que la quantité de dette commence par croître moins rapidement, et puis finit carrément par diminuer. Et du coup, pour compenser ce ralentissement et cette diminution, le stock de dette du secteur public se met à augmenter. Ici, la corrélation avec le PIB a disparu.

Pour compenser, pourquoi ce serait une compensation ? Pourquoi il faut toujours que la quantité de dette augmente ? Alors, je te renvoie vers les deux derniers épisodes sur les subprimes et sur celui de récap.

La dette, c'est un moyen de réinjecter la monnaie de l'épargne dans l'économie, et c'est aussi le seul moyen pour créer de la monnaie. Or, pour qu'il y ait de la croissance, il faut que la quantité de monnaie en circulation augmente. Donc, a priori, à moins que les gens ne décident d'utiliser davantage leur épargne pour consommer, la quantité de dette doit toujours augmenter. Sachant que les gens ont plutôt tendance à épargner davantage en période de crise, alors dans une situation pareille, la quantité de dette dans l'économie doit augmenter encore plus rapidement.

Si les ménages et les entreprises épargnent et refusent de s'endetter, alors c'est l'État qui se met à essayer de compenser. Une autre façon de le dire, c'est les dépenses des uns sont les revenus des autres. Quand les entreprises et les ménages s'endettent moins et épargnent plus, ils dépensent moins.

Moins de dépenses, donc moins de revenus. L'État se met à s'endetter, donc à dépenser plus, pour essayer de contrer le fait que les revenus issus du secteur privé diminuent. Ce mécanisme de compensation est plus ou moins automatique, comme on l'a déjà expliqué dans l'épisode précédent.

Structurellement, quand le PIB d'un pays... diminue, les revenus de l'Etat, qui dépendent de ce dernier, diminuent également. D'un autre côté, moins de PIB veut dire moins de revenus pour la population, donc plus de chômage des travailleurs pauvres, ce qui augmente les dépenses d'ordre social pour soutenir ces populations. Donc alors, attends un peu. Si on reprend le graphe avec les endettements Nord-Sud, dans le privé, on voit bien que dans le Sud ça explose, alors que dans le Nord ça monte beaucoup plus tranquillement.

C'est quoi la raison derrière cette tendance ? Pourquoi ça augmente beaucoup dans le Sud et moins dans le Nord ? Alors, il y aurait beaucoup à en dire, mais en gros, quand une entreprise démarre son activité, elle commence par dépenser beaucoup d'argent pour payer les usines, les machines de production, les bureaux, les ordinateurs, les salaires, etc.

Une entreprise va mettre du temps avant de pouvoir transformer un tel investissement initial en un profit. Autrement dit, les entreprises s'endettent beaucoup dans un premier temps afin d'investir pour espérer gagner de l'argent plus tard. Les ménages utilisent le même mécanisme quand ils s'endettent pour acheter des maisons, voitures, etc. Sauf que dans leur cas, on ne parle pas vraiment d'investissement, on dit plutôt que les ménages s'équipent. Mais encore une fois, la logique est la même.

On s'achète une maison à crédit et le plan derrière, c'est d'aller travailler pendant 30 ans pour rembourser. Et puisqu'il faut payer les intérêts, il s'agit bien de gagner plus d'argent que le montant dépensé initialement. Ouais, enfin, les ménages ne cherchent pas à dégager des profits comme les entreprises.

Ok, alors je ne veux pas rentrer dans ce débat-là, il y aurait beaucoup trop à dire. Oui, la logique de l'endettement par les entreprises et les ménages est différente. Dans le cas des ménages, on pourrait parler d'équipement.

ou de surconsommation. Et la distinction n'est pas évidente. Mais d'une manière générale, le crédit aux ménages développe l'activité économique d'un pays.

Il augmente le pouvoir d'achat de la population, ce qui permet aux entreprises d'augmenter leur chiffre d'affaires. Également, les intérêts payés servent à payer les banquiers et donc participent au calcul du PIB. Finalement, une population qui s'endette, c'est aussi une population qui travaille et qui s'estime capable de rembourser.

On a confiance en la vie. Donc on s'équipe et on investit dans le but de créer petit à petit plus de richesses et s'en servir pour rembourser et payer les intérêts. Et puis de toute façon, si la dette des ménages et des entreprises n'allait pas dans le sens de la croissance, les banques auraient coupé les vannes du crédit, tu crois pas ? C'est moi ou je détecte un soupçon d'ironie là ?

Reprenons. Si je fais le classement des PIB par habitant en zone euro en 2000, tu peux voir que, mis à part l'Irlande, tous les pays du Sud sont en fin de classement. Ce sont donc eux qui, a priori, doivent investir le plus pour rattraper les autres.

Donc là, si je comprends bien, t'es en train de me dire que c'est pas si débile de voir que les pays du Sud se sont endettés à mort à partir de la mise en place de l'euro. Voilà. Le truc, c'est que normalement, quand une entreprise A s'endette pour acheter des ordinateurs, par exemple, elle les achète à une entreprise B.

Cette dernière peut ensuite utiliser l'argent pour rémunérer ses salariés et ses actionnaires. Si les entreprises A et B sont issues du même pays, alors la dette de A a au final permis de faire travailler et de rémunérer une partie de la population du pays. Donc parce que A s'est endetté à hauteur de 100... Le PIB affiche désormais 100 au compteur.

Ici, le PIB et la dette ont augmenté en même temps et du même montant. Il n'y a a priori pas besoin de voir une décorrélation entre PIB et dette. Ah, ça me dit quelque chose ça. Voilà, on a déjà fait un schéma complet pour suivre l'argent dans l'économie dans les épisodes sur les subprimes.

Le problème, c'est que parfois l'entreprise B fait partie d'un autre PIB. Si c'est le cas, alors la dette contractée dans le PIB n°1 par l'entreprise A sert à rémunérer les salariés et actionnaires du PIB n°2 et donc à faire augmenter le PIB dans ce pays. Ça veut dire que si les entreprises et les ménages d'un pays se mettent à investir massivement pour rattraper leur retard, ils vont nécessairement devoir s'endetter, mais l'argent de cette dette peut tout à fait venir enrichir la population d'un autre pays. Ça voudrait dire que l'augmentation de la dette des ménages et des entreprises des pays du Sud aurait servi à faire augmenter le PIB d'autres pays dans le monde ? Pas uniquement, on a vu que la croissance des pays du Sud était bel et bien réelle.

Mais oui, une partie de la dette privée issue des pays du Sud a servi à générer de la croissance dans d'autres pays. Quel pays ? Tu peux pas deviner ?

Juste avant la crise de 2006, 43% des déficits commerciaux des pays du sud étaient orientés vers les pays du nord. Ah ouais, l'argent de la dette est parti dans le nord ! En partie oui. Pour pouvoir te montrer concrètement le phénomène, je vais devoir te parler de la balance courante. C'est presque la même chose que la balance commerciale, mais en plus précis.

Je te donne un exemple. Mettons que je fasse apparaître les économies de deux pays. Dans ces deux nations, je pars du principe que les ménages disposent de 100 euros. Ces 100 euros sont dépensés par les ménages afin d'acheter 100 téléphones fabriqués par les entreprises.

Grâce aux 100 euros de chiffre d'affaires, les entreprises peuvent lancer la production de 100 nouveaux téléphones et rémunérer les travailleurs et les actionnaires. Cette rémunération permet aux ménages de récupérer les 100 euros qui serviront à acheter les 100 nouveaux téléphones qui viennent d'être produits. Ce cycle de production, rémunération, consommation, c'est la machine économique qui tourne. Les dépenses des uns sont les revenus des autres. Donc là, il n'y a pas de croissance.

Pas de croissance, pas d'épargne, pas de marché financier, pas de banque, pas d'État. C'est un exemple simplifié parce que sinon, on y est encore demain matin. Imagine désormais que les entreprises du pays numéro 2, en utilisant les 100 euros disponibles, arrivent à produire 120 téléphones au lieu de 100. Qu'est-ce qui va se passer ? Eh ben rien, il n'y a pas assez d'argent dans l'économie pour acheter 20 téléphones de plus. Ok, alors imaginons maintenant que les ménages du pays numéro 1 s'endettent à hauteur de 20 euros pour justement venir acheter les 20 téléphones supplémentaires.

La consommation dans le pays numéro 1 passe à 120 téléphones, tandis que les revenus de la population ne sont pourtant que de 100 euros. A l'inverse... La consommation du pays numéro 2 est toujours de 100 téléphones, pourtant les revenus de sa population sont de 120 euros. Ah mais oui, c'est comme ce qu'on vient de dire avec les pays du sud qui s'endettent mais l'argent s'en va dans le nord. C'est le même principe, oui.

Pour le moment, on vient de montrer que la balance commerciale du pays numéro 1 est déficitaire, c'est-à-dire que le pays importe davantage qu'il n'exporte, ou encore que le pays consomme plus que ce qu'il gagne ou que ce qu'il produit, et donc ça l'oblige à s'endetter. En revanche, le pays numéro 2, lui, il produit plus que ce qu'il consomme, donc il gagne plus d'argent. sa balance commerciale est excédentaire, ce qui le pousse à faire des réserves.

Typiquement, les ménages vont placer les 20 euros quelque part sur un compte en banque. Évidemment, ici j'ai pris un cas très simplifié dans lequel les pays sont soit 100% exportateurs, soit 100% importateurs. En réalité, c'est plus complexe, tous les pays sont toujours un petit peu des deux, il faut chercher quelle est la tendance dominante. Autre simplification, ici je suis parti du principe que ce sont les ménages qui s'endettent pour consommer des produits fabriqués à l'étranger.

Mais cette consommation aurait pu venir des entreprises, et on aurait pu imaginer un exemple dans lequel les entreprises du pays 1 s'endettent pour acheter les machines produites dans le pays numéro 2. Et le résultat aura été exactement le même. Bien, maintenant question, quel est le PIB du pays numéro 1 et celui du pays numéro 2 ? Eh ben, 100 euros pour le...

Ah oui, non, alors, donc 120 euros pour... Euh... D'accord, donc le PIB, ça dépend de la consommation ou des revenus ? Eh ben, ni l'un ni l'autre, en fait. Le PIB dépend de la production.

La question, c'est, qui a produit les téléphones ? Ah ok je vois. Donc du coup, du coup c'est chaud.

Le pays numéro 1 fait 100 de PIB alors qu'il vient de s'endetter à hauteur de 20, tandis que le numéro 2 augmente son PIB à 120 alors qu'il n'a pas de dette. Tout à fait. Mais pour être vraiment précis, il faut aller un peu plus loin.

Imaginons maintenant que les ménages du pays numéro 1 soient actionnaires des entreprises du pays numéro 2. Du coup, sur les 120 euros de rémunération, 110 euros restent dans le pays numéro 2, mais 10 euros reviennent dans le pays numéro 1 par l'intermédiaire de dividendes. Quel est désormais le PIB de mes deux pays ? Eh ben, 110 euros des deux côtés ?

Eh non, rappelle-toi, ce qui compte, c'est le lieu de la production des richesses. Ici, les dividendes qui quittent le pays numéro 2 n'ont pas d'impact sur son PIB. Celui-ci reste inchangé.

Les revenus ont beau être équivalents, les 120 téléphones ont bel et bien été produits dans le pays numéro 2. Donc son PIB reste à 120 euros. Cela dit, si les ménages du pays numéro 1 souhaitent toujours consommer 120 téléphones l'année suivante, ils n'auront pas besoin de s'endetter à hauteur de 20, il ne leur manquera plus que 10. Est-ce que tu vois où je veux en venir ? La balance courante est plus précise pour mesurer la tendance des agents économiques d'un pays à l'endettement.

En regardant le déficit de la balance commerciale du pays numéro 1, on a l'impression que les habitants vivent largement au-dessus de leurs moyens, ils consomment 20 de plus que ce qu'ils gagnent. En revanche, si on regarde la balance courante, on se rend compte que ce train de vie n'est pas aussi exubérant qu'attendu. Parce que si on intègre les revenus qui viennent de l'étranger, on constate que les ménages ne consomment en réalité que 10 de plus que ce qu'ils gagnent. Donc la balance courante a tendance à améliorer les choses.

Dans ce cas précis, oui, mais imagine que ce ne soit pas les ménages du pays 1 qui soient actionnaires des entreprises du pays 2, mais l'inverse. Les habitants de 2 possèdent les entreprises de 1. À ce moment-là, dans le pays numéro 1, les ménages ne gagnent plus que 90, tandis que ceux du pays numéro 2 gagnent 130. Ce qui veut dire que si les habitants de 1 souhaitent toujours consommer 120 téléphones l'année suivante, Eh bien, ils devront emprunter 30 au lieu de 20. Ok, c'est chaud, mais je crois que je suis. Petite précision, j'imagine que c'est le même principe que pour les importations-exportations.

En fait, c'est jamais un pays qui possède toutes les entreprises d'un autre. C'est plus compliqué que ça, non ? Tout à fait.

En réalité, on doit toujours faire la différence entre les entreprises détenues par les habitants d'un pays, mais qui réalisent des profits à l'étranger, et celles présentes sur le territoire national, mais qui vont rapatrier leurs profits. Je précise aussi qu'il n'y a pas que les dividendes qui rentrent en ligne de compte. Il y a aussi tous les autres types de revenus, comme les intérêts, les loyers, etc. Et puis il y a aussi certaines personnes qui gagnent de l'argent dans un pays, mais qui envoient une partie de cet argent à leurs proches dans un autre pays. On appelle ça des transferts.

Tous ces flux doivent être pris en compte pour calculer la balance courante. Ok, donc c'est encore plus compliqué, mais d'accord, je crois que j'ai à peu près compris l'idée. Pourquoi tu viens de m'expliquer tout ça en fait ?

Eh bien, voilà à quoi ressemble la balance commerciale des pays du sud de la zone euro. Tu peux voir qu'à partir de la mise en place de l'euro, le déficit commercial s'accentue d'année en année. L'euro permet aux entreprises et aux ménages de s'endetter à faible taux et cette dette sert notamment à financer des achats de biens et de services qui sont produits à l'étranger. Mais la vraie question c'est, est-ce que la balance courante arrange ou empire les choses ? Et bien c'est plutôt la deuxième option.

La balance courante accentue la tendance. Autrement dit, non seulement la dette sert en partie à rémunérer des entreprises qui sont en dehors des pays du Sud, c'est ce que nous indique la balance commerciale déficitaire, mais en plus de ça, une partie des revenus associés au PIB, donc à la croissance dans le Sud, a tendance à aller rémunérer des ménages qui ne sont pourtant pas résidents de ces pays du Sud. Ah ouais, donc alors attends, juste pour être sûr que j'ai compris, les ménages et entreprises s'endettent dans le Sud, mais une partie de l'argent va faire augmenter le PIB d'autres pays, et en plus, même une partie du PIB qui augmente dans le Sud correspond quand même à des revenus qui se barrent de ces pays. Tout juste. Autrement dit, les pays du Sud sont des vrais passoires.

Ben, c'est un peu l'idée. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que la situation est désespérée, simplement, les pays du Sud investissent massivement et s'équipent. Sauf que les équipements achetés ne sont majoritairement pas produits sur place. Et s'ils le sont, ils le sont par des entreprises parfois détenues par des gens qui n'habitent pas sur place. Ok, mais alors du coup, sur ton graphique, on voit bien que la tendance s'améliore largement à partir de 2012. La balance commerciale redevient positive, ce qui veut dire que les entreprises et les ménages consomment désormais moins que ce qu'ils produisent.

Donc, finie la phase d'investissement, c'est le moment de pouvoir enfin faire des profits et mettre de l'argent de côté. Bon, par contre, c'est vrai que la balance courante continue de limiter le succès. On voit bien qu'il y a toujours des revenus qui se barrent, mais bon. C'est quand même encourageant. C'est vrai.

Cela dit, gardez en tête qu'il y a deux scénarios qui peuvent expliquer pourquoi la population d'un pays consomme moins que ce qu'elle produit. Soit tout le monde a déjà tout ce qu'il faut, l'excédent de production peut être vendu à l'étranger, tous les ménages, travailleurs et actionnaires peuvent mettre de l'argent de côté, soit les entreprises n'ont pas le choix que de vendre une partie de la production à l'étranger parce que toute une frange de la population est trop pauvre pour pouvoir s'offrir ses biens et ses services. Or, je te rappelle que le taux de chômage moyen dans les pays du Sud était toujours de 15% en 2016. Et même si la tendance est clairement à la baisse, on ne peut pas exclure que le succès apparent des pays du Sud, si on ne regarde que la balance commerciale, est fort probablement à nuancer. Oh, tu me déprimes.

Ok, est-ce qu'on ne peut pas faire le même genre d'analyse pour les pays du Nord, pour voir si eux aussi, ils ne seraient pas dans le même cas de figure ? Allons-y. Voilà à quoi ressemble la balance commerciale pour les pays du Nord. Et à côté, je rajoute la balance courante.

Ah ouais, donc là, c'est positif quoi qu'il arrive. Ça veut dire que les mecs produisent plus que ce qu'ils consomment. Par contre, la balance courante ne va pas toujours dans le bon sens, du coup ça veut dire que là aussi il y a des revenus qui ont tendance à se barrer ailleurs.

Voilà, les pays du Nord n'ont commencé à recevoir de l'étranger plus de revenus qu'ils n'en envoyaient qu'à partir de 2006, grosso modo. Par contre, il n'y a jamais de déficit. Le niveau d'endettement n'a pas besoin d'augmenter comme dans le Sud.

Comme tu l'as dit, les ménages... Les entreprises du Nord produisent en moyenne plus de richesses qu'elles n'en consomment. Cela veut aussi dire que la population gagne plus d'argent qu'elle n'en dépense.

Bon, du coup ça confirme plutôt pas mal le truc, le Sud s'endette et tout l'argent finit dans le Nord. Encore une fois, il faut nuancer, il est très difficile de suivre tous les flux monétaires. Cela dit, étant donné que le principe de l'Union Européenne, c'est justement la facilitation des échanges entre les pays membres, il est clair que l'endettement massif du secteur privé dans le Sud de la zone euro a contribué à la croissance des pays du Nord. Ce qui explique aussi en partie pourquoi quand cet endettement s'est arrêté, la croissance dans le Nord a été freinée. Freinée vraiment ?

De ce que je me rappelle de l'épisode précédent, la croissance est quand même assez vite repartie dans le Nord après la crise des subprimes, non ? C'est vrai, mais pas au même rythme qu'avant. Ici, je te montre la moyenne des taux de croissance des pays du Nord et du Sud sur trois périodes.

A partir de la mise en place de l'euro jusqu'à la crise des subprimes, ensuite la grande récession de 2008-2009, et enfin la période qui démarre avec la crise de l'euro en 2010 et qui court jusqu'à aujourd'hui. Le taux de croissance du PIB dans le Nord est aujourd'hui aux alentours de 1%, tandis qu'il était proche des 2% avant 2008. Et même si on peut proposer de nombreuses possibilités quant à l'origine de ce ralentissement, le désinvestissement massif du secteur privé dans les pays du Sud est un facteur important. Voici un dernier graphique qui te montre la manière dont a évolué le stock de dette des secteurs publics et privés en zone euro.

Tu peux voir que la seule courbe qui ne suit pas la tendance, c'est celle de la dette du secteur privé issu des pays du Sud. Une partie du problème que les instances européennes cherchent à résoudre à l'heure actuelle, c'est... Comment parvenir à relancer l'investissement privé dans le sud ?

Et là, est-ce que ce serait pas le moment de faire un petit récap ? T'as raison, reprenons. Première chose, les taux d'intérêt dans le sud ont largement diminué au moment de la mise en place de l'euro.

On a tendance à penser que cette baisse des taux a principalement profité aux états, mais en réalité elle a profité à l'ensemble des agents économiques, les états, les entreprises et les ménages, qui ont pu s'endetter pour moins cher. Contrairement à une autre idée reçue, cette baisse des taux a essentiellement été exploitée par le secteur privé, c'est-à-dire par les entreprises et les ménages. Mais pas par les États qui ont su maintenir l'augmentation de leur stock de dette dans les limites de la croissance du PIB. Le stock de dette du secteur privé pour les pays du Sud a complètement explosé dans les années précédant la crise des subprimes.

Ce fort endettement, que l'on peut se représenter comme une forme d'investissement, n'a pas uniquement bénéficié à la croissance des pays du Sud. En effet, la balance commerciale de ces États était largement déficitaire, ce qui implique que les ménages et les entreprises consommaient plus que ce qu'elles produisaient. Cette consommation excessive, ou cet investissement, c'est selon...

a nécessairement permis à d'autres entreprises d'engranger du chiffre d'affaires et de rémunérer des salariés et des actionnaires. S'il est faux de dire que seuls les pays du nord de la zone euro ont bénéficié de cet endettement, il est néanmoins certain qu'ils en ont largement profité. De fait, la balance commerciale des pays du nord était et est toujours excédentaire.

Le nord pouvait donc produire plus que ce qu'il consommait, en partie parce que le sud consommait plus que ce qu'il produisait. Et si aujourd'hui les balances commerciales du nord et du sud sont toutes les deux positives, c'est bien parce qu'il y a quelque part un groupe de pays qui consomme... plus que ce qu'il produit et fort probablement sans dette pour y arriver.

Pour en rajouter une couche, l'analyse de la balance courante montre que les pays du sud ont tendance à perdre des revenus pourtant générés sur leur territoire par le jeu des participations. En gros, certaines entreprises implantées dans ces pays sont détenues par des non-résidents qui rapatrient une partie des profits dans leur pays d'origine. Si on regarde la manière dont a évolué le stock de dette privé dans les pays du sud, on constate une stagnation à partir de 2008 et même une diminution à partir de 2010. Depuis que le stock de dettes privées n'augmente plus dans le sud, et bien même s'il y a d'autres facteurs à prendre en compte, force est de constater que la croissance des pays du nord et du sud a largement ralenti.

Parfait, j'ai les idées bien claires là, je vais pouvoir te poser une question qui tue. Dans l'épisode sur les subprimes, on avait montré que l'augmentation du niveau d'endettement du secteur privé aux Etats-Unis avait en fait servi à financer la bulle spéculative des subprimes. Un genre de mélange dégueulasse entre bulle de l'immobilier et bulle financière. Sauf que là, on vient d'expliquer que le même genre de phénomène augmentation massive du niveau d'endettement privé dans les pays du sud, a en fait financé la croissance des pays du nord. Alors, est-ce qu'il n'y aurait pas un truc qui cloche ?

Ben non, ce que je voulais te montrer ici, c'est que quand un ensemble de pays définit des règles communes, et même une monnaie commune, pour essayer de maximiser les échanges commerciaux, la santé économique des uns implique nécessairement celle des autres. Quand dans le sud, le secteur privé a décidé de s'endetter, d'investir sur le long terme, ou peut-être de surconsommer, le nord en a tiré un profit immédiat. Donc si aujourd'hui on veut critiquer ou remettre en question le bien fondé de cette décision, eh bien il ne faut pas oublier de remettre aussi en question une partie de la croissance économique dont le Nord a bénéficié.

Ok d'accord monsieur donneur de leçons, mais là tu viens de me faire une double esquive de la question. Quand la dette privée augmente plus vite que le PIB, ça ne donne pas forcément une bulle spéculative en fait. Ben avec tout plein de dettes, tu peux financer de la croissance et de la spéculation, l'un n'empêche pas l'autre.

Tout ce que je viens de t'expliquer est juste, mais regarde ce graphique. Ici je te montre les niveaux d'endettement privé et public pour toute la zone euro. C'est toujours la même histoire. Pas d'augmentation côté public jusqu'en 2007 alors que le privé s'en donne à cœur joie, puis inversion de la tendance au moment de la crise des subprimes.

Si l'augmentation des niveaux d'endettement privé dans le sud avait été compensée par une croissance dans le nord, ma courbe noire aurait été stable. En plus de ça, les niveaux d'endettement privé dans le nord n'ont jamais été décroissants pour compenser le fait que ceux du sud étaient croissants. L'augmentation de la dette privée était supérieure à l'augmentation du PIB partout et en même temps.

Simplement, la tendance était moins prononcée dans le nord. Tu peux donc être sûr que les faibles taux qui ont été exploités par le secteur privé dans toute la zone euro ont en partie servi à financer une augmentation de prix quelque part qui n'a rien à voir avec de la croissance. Ah la vache, je savais que tu étais ironique tout à l'heure. Ok, ok, j'ai compris, j'aurais pas dû faire mon malin.

Je vais quand même enfoncer un peu le clou. Voici un graphe qui, pour la zone euro, compare l'évolution des prix boursiers avec l'évolution du PIB. On voit clairement la bulle spéculative de 2000, la fameuse bulle internet, et puis on voit aussi celle des subprimes.

Et voici un autre graphe qui compare les prix de l'immobilier par rapport aux revenus moyens pour les Etats-Unis, la France, l'Irlande et l'Espagne. Si ça c'est pas de la bulle spéculative, je sais pas ce qu'il te faut. Oh my god, c'est encore pire qu'aux US !

T'inquiète pas, spéculation et crise de l'euro, on a de quoi faire. Mais alors attends, je repense à un truc du coup. Si on reprend ce graphique du début avec les taux d'intérêt nord-sud, en fait t'as dit que les taux avaient baissé avec la mise en place de l'euro. Genre c'est un truc normal. Mais en fait, pourquoi l'euro a fait baisser les taux ?

Et puis, c'est quoi cette histoire de choc de septembre 2008, au moment où les taux se mettent à diverger ? Eh bien alors, t'as toujours pas fait le lien ? La faillite de Lehman Brothers ? Ah oui ! Attends, c'est quoi le rapport entre la faillite de Lehman Brothers, une banque américaine, et les taux d'intérêt en zone euro ?

Je suis largué là. Je garde tout ça pour un prochain épisode, j'étais déjà tout récapitulé juste avant, donc... Non, non, non, tu peux pas me laisser comme ça ! Merci d'avoir suivi ce deuxième épisode sur la crise de l'euro. Vous l'aurez compris, sauf changement de cap de ma part, dans le prochain épisode, on va détailler le rôle des banques, les marchés financiers, et puis on va essayer de comprendre aussi pourquoi la faillite de Lehman a été un des éléments déclencheurs de la crise.

Comme d'habitude, je vous invite à liker, partager, commenter la vidéo. Si les t-shirts vous plaisent, allez faire un tour dans la description. Vous y trouverez les liens vers le site Tostadora qui me les envoie. Toujours un immense merci aux tipeurs qui me soutiennent financièrement et qui m'envoient des tas de messages d'encouragement.

Vraiment, c'est super sympa. Merci à vous. Sur ce, je vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d'année et à l'année prochaine pour une prochaine vidéo.