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Comparaison du troc et de la monnaie

Dans une vidéo postée en mai avec Gilles de la chaîne Eureka, on avait étudié la différence entre une économie de troc et une économie monétaire. Vous vous souvenez, il était question d'une île, de Schwarzenegger et de Papaye. Et on avait vu qu'une économie de troc et une économie monétaire en apparence identiques exhibaient en réalité des propriétés très différentes. Mais on s'était arrêté à l'étude de la première période de ces économies. Alors ce que je vous propose dans cette vidéo, c'est qu'on étudie les périodes suivantes afin de voir si on ne pourrait pas trouver de nouvelles propriétés à nos deux économies. Et pour commencer, on va résumer rapidement ce qui s'était passé au cours de la première période, et puis ensuite on enchaîne sur les suivantes. Dans les deux camps, on a une île, avec un champ qui produit des papayes, et un fermier, propriétaire du champ, qui embauche des gens pour récolter les papayes. Il embauche au total 8... employés qui récoltent chacun 10 papayes ce qui fait 80 papayes de récoltés. Puis un second fermier arrive sur l'île avec deux employés pour défricher un nouveau champ en vue de produire aussi des papayes. Mais ce nouveau champ ne produira pas de papayes tout de suite. Il faut d'abord qu'il soit complètement déchiré. défrichés. Dans l'économie de troc, le premier fermier verse un salaire de 8 papayes à chacun de ses employés, ce qui fait 64 papayes en tout. Et les papayes restantes, soit 16 papayes, forment son profit. Comme il y a déjà assez à faire avec les papayes issues des récoltes précédentes, il place ces 16 papayes dans une banque à papayes. Ce qui tombe bien car le second fermier va emprunter ses papayes pour payer ses deux défrichés à 8 papayes chacun et avoir un champ prêt pour produire des papayes au tour suivant. Au final, toutes les papayes sont consommées. Le premier fermier a un avantage de 8 papayes. à la banque de 16 papayes et le second une dette de 16 papayes. Dans l'économie monétaire maintenant toutes les transactions se font en monnaie donc les salaires sont payés en monnaie et les fermiers espèrent réaliser des profits monétaires. La banque de Lille joue alors un rôle crucial car c'est elle qui crée la monnaie nécessaire à la mise en route du circuit économique. Le premier fermier emprunte donc 64 euros à la banque pour pouvoir payer 8 euros de salaire à chacun de ses huit employés et pareil pour le second fermier qui emprunte 16 euros pour payer ses deux défricheurs. Les Les employés de la première ferme récoltent toujours 80 papayes et ceux de la seconde défrichent le champ. Afin d'avoir le même niveau de consommation pour les employés que tout à l'heure, on considère que chaque papaye vaut donc il y a 80€ de papayes produites. Les employés consomment pour un montant de 64 plus 16 égale ce qui permet au premier fermier de vendre l'intégralité de ses papayes et de toucher 80€. Sur ces 64 lui servent à rembourser son emprunt bancaire, du coup on peut supprimer ces deux flèches et la dette du premier fermier envers la banque. banque. Et 16 forment son profit qu'il place à sa banque comme pour l'économie de troc. Au final, on a aussi 80 papayes produites et consommées et si on ne garde que les flux résiduels, le premier fermier a un avoir de 16 euros à sa banque et le second une dette de 16 euros. Donc ces deux économies sont en apparence similaires mais en réalité elles ont des propriétés très différentes que ce soit concernant l'origine du chômage, l'origine des profits, la relation entre dépôt et crédit ou encore la possibilité d'une crise de surproduction. Je ne reviens pas dessus puisqu'on en a... déjà longuement parlé dans la précédente vidéo. Donc maintenant on passe au second tour et pour cela il faut qu'on se demande combien de personnes vont travailler dans le nouveau champ des frichés. Et parce que c'est pratique pour les calculs, on va supposer que quatre personnes vont travailler dans ce nouveau champ et qu'ils produisent autant que ceux du premier champ, à savoir 10 papayes chacun, soit au total 40 papayes pour ce champ. On regarde maintenant comment évolue notre économie de troc et ensuite on passera à l'économie monétaire. La première ferme produit toujours 80 papayes dont 64 servent à rémunérer les employés. et 16 font les profits du premier fermier. Et la deuxième ferme sur laquelle travaillent 4 employés va produire 40 papayes et sur ces 40 papayes, il y en aura 8 x 4 égale 32 qui serviront à rémunérer les employés et donc 8 qui formeront les profits du second fermier. Avec son profit, le second fermier peut commencer à rembourser le premier puisqu'il avait une dette de 16 papayes vis-à-vis du premier fermier via la banque qui a servi d'intermédiaire. On peut considérer qu'il lui verse par exemple 4 papayes, il lui restera alors encore 12 papayes à rembourser. Et il se garde donc quatre papayes pour sa consommation personnelle. Et si tout se passe bien, au rythme de quatre papayes par tour, encore trois tours, il ira rembourser toute sa dette. Donc dans notre économie de troc, à moins d'avoir une catastrophe naturelle, on ne voit pas bien quel problème il pourrait y avoir. Toutes les papayes sont distribuées et l'économie semble pouvoir tourner comme ça indéfiniment. Mais maintenant passons à l'économie monétaire. Le second fermier embauche bien quatre employés mais cette fois il doit les rémunérer avec de la monnaie. Et comme il n'a pas de sous et que chaque employé est payé 8 euros, il va falloir qu'il emprunte 32 euros à la banque qui va créer l'argent correspondant puis il versera ces 32 euros à ses employés. Quant au premier fermier, on pourrait être tenté de dire qu'il fait pareil qu'au premier tour, c'est-à-dire qu'il emprunte à la banque les 64 euros nécessaires pour au paiement des salaires de ses employés. Oui, mais il dispose de 16 euros de profit gagnés au premier tour. Donc il pourrait aussi décider de consacrer une partie de ses profits au paiement des salaires de ses employés. Comme ça, il est un peu moins dépendant de sa banque, parce que là, si la banque lui refuse un prêt, eh bien il ne peut plus produire et n'a plus qu'à mettre la clé sous la porte. Ça lui évite aussi de payer un intérêt à chaque tour à la banque sur les sommes empruntées. Intérêt qu'on a négligé ici pour faire simple, mais qui existe bien dans la réalité. Donc supposons que ce premier fermier décide d'utiliser la moitié de sa banque. de ses profits soit 8 euros pour financer les salaires de ses employés et qu'avec les 8 euros restants il prévoit d'acheter des papayes. Ca fait qu'au lieu d'emprunter 64 euros à la banque, il n'a plus qu'à emprunter 64 moins 8 soit 56 euros pour payer les salaires de ses employés. Il y a maintenant 80 papayes produites dans le premier champ et 40 dans le second soit 120 papayes en tout. Et côté revenus, les employés du premier champ ont 64 euros, ceux du second champ 32 euros et le premier fermier prévoit d'acheter 8 euros de papayes avec son profit. En effet, les employés de la banque ont un revenu de 6 euros par mois. Le second, lui, n'a pas encore réalisé de profit mais il va en réaliser pendant le tour. Il y a donc au total une demande de 104 euros pour le moment. Pour faire simple, on suppose que les employés n'épargnent pas, ce qui accentuerait le phénomène qu'on veut montrer, à savoir que même sans se préoccuper de l'épargne, il peut y avoir un décalage entre les revenus et la production. Aussi, on va supposer que le prix des papayes est toujours de 1 euro et qu'il ne baisse pas, même si la demande est insuffisante. C'est le cas généralement dans nos économies, on dit que les prix sont rigides à la baisse et que les ajustements se font davantage sur le prix. par les quantités que par les prix. Mais de toute manière on pourra le montrer dans une autre vidéo, même une baisse des prix ne permettrait pas ici de résoudre le problème. Donc il y a une demande de 104 euros et 120 papayes à vendre à 1 euro. Comme toutes les papayes ne pourront pas a priori être vendues, il faut décider quelles sont les papayes que les gens vont acheter en premier. Et comme il faut bien faire un choix, on va supposer qu'ils achètent d'abord des papayes au second fermier. On considère que c'est un nouveau champ et donc que les gens sont curieux de goûter ces nouvelles papayes. Du coup dans la seconde ferme, les 40 papayes produites vont être être achetés à 1€ chacune, soit un total de 40€. Il ne reste donc plus qu'une demande de 64€ dans l'économie pour acheter les papayes du premier champ. Le second fermier a donc vendu 40€ de papayes. Avec ces il va pouvoir rembourser les 32€ empruntés en début du tour pour payer les salaires de ses employés. On peut donc effacer les flèches correspondantes, il lui reste alors un profit de 8€. Ce profit, si on raisonne comme dans l'économie de troc, on va considérer qu'il va en consacrer la moitié, soit au remboursement de sa dette du premier tour. Celle-ci n'est alors pas la seule plus que de 12 euros et les 4 euros restants il va les utiliser pour acheter les papayes. La demande de papayes restantes est donc désormais de 68 euros. Il y a donc au total 68 euros de disponibles pour acheter les papayes du premier fermier. Le problème c'est qu'il a 80 euros de papayes à vendre. Il se retrouvera donc avec un stock de 12 papayes invendus ce qui risque de l'inciter à moins produire au tour suivant et donc à licencier une partie de ses employés puisqu'il va se dire à quoi bon continuer à payer des gens pour produire des papayes si ensuite je n'arrive pas à les vendre. Donc à nouveau, alors que tout semblait aller pour le mieux dans l'économie de troc, on voit que dans l'économie monétaire, une situation de surproduction peut apparaître. Heureusement, cette surproduction est évitable, mais à votre avis comment ? Je vous laisse quelques secondes pour y réfléchir. Et bien il faudrait, comme pour le premier tour, qu'un nouveau fermier arrive sur l'île avec l'intention de défricher un nouveau champ. Si par exemple ce nouveau fermier emprunte 12 euros à la banque pour payer des défricheurs pour son champ, alors ces défricheurs consommeront les papayes invendues et l'économie pourra continuer. continuer à croître. Il faut donc ici que de nouvelles personnes soient payées, non pas pour produire directement des papayes, sinon ça ne marcherait pas, mais pour défricher un nouveau champ. Cette dépense qui consiste à payer des gens pour accroître sa production, non pas immédiatement mais dans le futur, s'appelle... un investissement. Il faut donc que des entreprises investissent pour un certain montant afin de permettre à l'ensemble des entreprises d'écouler leur production. Et vous voyez probablement le problème que ça pose car maintenant l'économie a un troisième champ défriché donc la production de papaye sera plus forte au tour suivant. On ne va pas refaire un tour de circuit parce que ça deviendrait fastidieux mais si vous le faites vous vous apercevrez que la demande risque d'être à nouveau inférieure à l'offre au tour suivant et donc il faudra défricher encore un nouveau champ c'est à dire réaliser un nouvel investissement simplement pour permettre l'écoulement de la production existante. On se retrouve alors avec une sorte de cercle vicieux, proche de celui mis en évidence après la seconde guerre mondiale par un économiste qui s'appelle Domar dans un célèbre modèle qui porte son nom. Il est montré que l'écoulement de la production nécessitait forcément pour que la demande soit suffisante que les entreprises réalisent un certain montant d'investissement. ces investissements, que ce soit de nouvelles machines ou autres, vont accroître la production dans le futur et cette production plus importante nécessitera alors pour permettre son écoulement des investissements plus grands. encore. On se retrouve alors avec un cercle vicieux dans lequel plus de production à écouler nécessite plus d'investissements et plus d'investissements implique plus de production dans le futur. On peut y voir une sorte de métaphore de notre monde moderne. On sait que notre système de production actuel va dans le mur d'un d'un point de vue écologique, et pourtant les gouvernements continuent à inciter les entreprises à investir et produire toujours plus. Pourquoi ? Parce que sans ça, tout le monde craint le retour d'une crise de surproduction, avec hausse du chômage, etc. C'est d'ailleurs un argument imparable lorsqu'une entreprise veut s'installer quelque part, même si cela génère de la pollution. On vous dit ok, on ne sait que ça ne va pas vraiment dans le sens de la transition écologique mais ça va créer de l'emploi. On se retrouve alors avec un système qui doit toujours avancer pour ne pas s'effondrer. Comme quelqu'un qui ferait du vélo verrait un gros mur loin qui ne peut pas être élevé. éviter mais continuerait à pédaler parce que s'il s'arrête il tombe. C'est une sorte de fuite en avant, phénomène qu'on ne retrouve pas du tout en étudiant l'économie de troc. Heureusement, il est possible d'imaginer des solutions car le modèle ne dit rien quant à la nature des investissements. Par exemple, si ces investissements servent à financer la transition écologique, alors on peut espérer à la fois écouler la production présente mais aussi réduire notre empreinte écologique. On peut aussi imaginer que l'état intervienne pour stabiliser l'économie. Par exemple, s'il n'y a pas de nouveaux investissements et que le premier fermier se 12 papayes invendues sur les bras, on pourrait imaginer que le gouvernement de Lille décide d'intervenir. Il pourrait par exemple embaucher de nouvelles personnes pour réparer disons un pont sur Lille, personnes à qui il verserait au total un salaire de 12 euros. L'Etat devrait alors s'endetter auprès de la banque de Lille pour obtenir ces 12 euros puis les verserait à ces deux personnes qui s'en serviraient pour acheter des papayes. Il est intéressant de noter que dans ce cas le premier fermier a pu vendre ses papayes et réaliser des profits parce que l'Etat s'est endetté. Plutôt que d'opposer déficit public et profit privé, privé, ici c'est l'endettement de l'Etat qui a permis aux fermiers de réaliser des profits. D'ailleurs, on avait commencé à aborder l'équation des profits de Kaléki dans la première vidéo. Et bien, si on prend une version élargie de cette équation dans une économie fermée, alors les profits des entreprises sont en fonction à la fois des investissements, de la consommation des propriétaires des entreprises, ce que Kaléki appelle les capitalistes, et des déficits publics, mais on en reparlera dans une prochaine vidéo. Au contraire, dans l'économie de troc, si l'Etat avait emprunté 12 papayes pour dans la mesure où l'ensemble des papayes avaient déjà été répartis entre employés et fermiers, et bien ces 12 papayes prélevées par l'Etat, ça aurait été nécessairement 12 papayes de moins pour le privé. On retrouve un phénomène que les économistes appellent l'effet d'éviction et dont on aura aussi l'occasion de reparler. Pour conclure, on peut rappeler les quelques propriétés supplémentaires qui ont été mises en évidence dans notre économie de troc et notre économie monétaire après avoir fait un second tour à notre modèle. Dans l'économie monétaire, il n'y a pas de raison que la demande soit égale à l'offre, l'économie peut donc connaître des crises de surproduction, ces crises peuvent être alors évitées s'il y a toujours plus de nouveaux investissements. On entre alors dans une sorte de fuite en avant où l'écoulement de la production nécessite toujours plus d'investissements qui généreront à leur tour toujours plus de production. L'Etat a aussi un rôle à jouer en relançant l'économie de manière à égaliser l'offre et la demande. Dans ce cas, la dette de l'Etat c'est plus de profit pour le privé. La chose devient néanmoins plus complexe dans une économie ouverte. Dans l'économie de troc maintenant, aucun de ces problèmes ne semble advenir. Offre et demande ont l'air toujours égales. il n'y a pas de fuite en avant et une intervention de l'État, c'est prendre le risque de priver de ressources le secteur privé, ce qu'on appelle l'effet d'éviction. Comme on le disait dans la première vidéo, les modèles utilisés par une majorité d'économistes et de gouvernements sont fondamentalement des modèles de troc. Des modèles donc dans lesquels nos économies capitalistes semblent plutôt très bien fonctionner. Pas étonnant dès lors que pour les personnes qui travaillent sur ces modèles, les problèmes du capitalisme soient à chercher soit dans ce qu'ils appellent les défaillances de marché, type concurrence imparfaite, externalité, etc. soit dans des interventions inappropriées de l'État. Les économistes qui travaillent dans de véritables modèles monétaires constatent au contraire que nos économies capitalistes peuvent connaître d'importants dysfonctionnements nécessitant une intervention de l'État. Personnellement, quand je regarde le monde, j'ai l'impression que le modèle monétaire est plus juste à la fois dans ses fondements puisqu'il intègre totalement la monnaie et dans ses conclusions. Et donc, il nous permettrait de mieux comprendre et de mieux répondre aux grands défis qui attendent l'humanité au XXIe siècle. Voilà mon humble avis sur la question.