1834, Musset publie cette pièce faussement légère où les jeux de la parole et du cœur déchirent des personnages qui s'aiment pourtant. Nous allons la découvrir ensemble, scène par scène, en expliquant les citations essentielles au fur et à mesure. Commençons par le titre « On ne badine pas avec l'amour » , proverbe au présent de vérité générale, qui fait ressurgir un héritage littéraire du XVIIe siècle. Dans les salons de la préciosité, on improvise de courtes scènes pour faire deviner un proverbe, souvent pour parler d'amour.
Au XVIIIe siècle, ce langage de la galanterie inspire à Marivaux un badinage sophistiqué et léger, le marivaudage. Au XIXe siècle, Musset va au contraire lui donner une gravité particulière avec la négation totale qui annonce déjà que tout cela va mal se terminer. Rendez-vous sur mon site Mediaclasse pour retrouver les œuvres littéraires les plus étudiées, avec les explications linéaires et les dissertations les plus probables, en vidéo, podcast, documents rédigés et fiches téléchargeables.
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» Musset fait allusion à l'origine même du théâtre, où le chœur grec accueillait Dionysos, dieu du vin. Or voilà justement un personnage qui aime boire et marmotte un paternoster. Cette critique de l'église est récurrente dans notre pièce. Maître Blasius nous annonce avec fierté que son jeune élève, Père Dican, le fils du baron, est reçu docteur à Paris.
On devine un jeune homme éloquent, mais peu naturel. Il revient aujourd'hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries qu'on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Le chœur présente aussi Dame Pluche, stéréotype de la dévote, portée par un âne, égrenant son chapelet.
Elle annonce l'arrivée de Camille, la nièce du baron, qui a été éduquée dans un couvent. Ceux qui la verront auront la joie de respirer une fleur de sagesse et de dévotion. Musset partage cette idée de Rousseau. L'éducation et la société altèrent notre capacité à être sincère.
Il faut savoir que le grand-père de Musset était spécialiste de Rousseau et son père l'a même édité. Le baron annonce à son curé, le maître Briden, qu'il veut marier son fils avec sa nièce. Il a obtenu les dispenses du pape pour cela.
On devine que ce mariage sera l'unité d'action de la pièce. Ses enfants s'aimaient d'ailleurs fort tendrement dès le berceau. J'ai disposé les choses de manière à tout prévoir.
Ma nièce sera introduite par cette porte à gauche et mon fils par cette porte à droite. Le baron joue les metteurs en scène avec des indications scéniques qui sont normalement des didascalies. Par ce procédé, Musset invite son lecteur à imaginer une véritable petite scène mentale.
Pourquoi mentale ? Parce que cette pièce n'est pas destinée à être jouée. En effet, la nuit vénitienne, la première pièce de Musset, est un échec.
Il écrit alors son spectacle dans un fauteuil. Il présente ainsi ce livre. à son lecteur. Ouvre-le sans colère et lis-le d'un bon oeil.
Qu'il te déplaise ou non, ferme-le sans rancune. Un spectacle ennuyeux est chose assez commune. Et tu verras le mien sans quitter ton fauteuil. Entre alors Père Dican et Camille, chacun par sa porte.
On va voir que Musset multiplie ses effets de contraste et de symétrie. Comme te vois la grande, Camille, et belle comme le jour. Camille, embrasse ton cousin.
Un compliment vaut un baiser. Mais Camille refuse d'embrasser son cousin aux grandes dames du baron. L'intrigue est bloquée.
Pourquoi Camille refuse-t-elle ce mariage ? Traditionnellement, dans la comédie, ce qui empêche le mariage des jeunes premiers, c'est un obstacle extérieur, l'autorité du père. Dans notre pièce, deux conceptions de l'amour séparent les jeunes gens qui se tournent le dos. Symboliquement, Camille regarde le portrait d'une aïeule en costume religieux, tandis que Perdicant regarde une fleur appelée héliotrope, parce qu'elle se tourne vers le soleil. Perdicant propose à Camille de descendre en bateau jusqu'au moulin, comme il faisait dans leur enfance.
Mais Camille n'en a pas envie. Quoi ? Pas un souvenir Camille ?
Pas un battement de cœur pour notre enfance ? Ce pauvre temps passé si plein de niaiseries délicieuses ? Je ne suis ni assez jeune pour m'amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé.
On trouve dans ce passage les inquiétudes d'une jeunesse désenchantée. Camille refuse la nostalgie de Perdicant. Mais aucun n'a une idée de l'avenir. C'est ce que Musset appelle le mal du siècle. En 1836, en s'inspirant de sa propre vie, Musset écrit un roman « La confession d'un enfant du siècle » où il théorise ce mal qui ronge sa génération en lui donnant des causes historiques.
La restauration a éteint l'élan de la Révolution française et des conquêtes napoléoniennes. Piégé entre un passé révolu et un avenir empêché, la jeunesse est désabusée. Trois éléments partageaient la vie qui s'offrait alors aux jeunes gens. Derrière eux, un passé à jamais détruit, s'agitant sur les ruines de l'absolutisme. Devant eux...
les premières clartés de l'avenir. Entre ces deux mondes, le présent, l'esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n'est ni la nuit ni le jour. Le baron, qui a aperçu la scène de loin, prend Dame Pluche à témoin.
N'est-ce pas malheureux de les voir se parler si froidement ? Mais Dame Pluche n'est pas de cet avis. Il est malséant de quitter la terre ferme seule avec un homme. En vérité, vous êtes une pécore, Pluche.
Je ne sais que penser de vous. Musset se moque de ses règles de morale et passe rapidement d'un ton sérieux à un ton comique. On s'éloigne d'un vaudeville où les histoires d'amour sont toujours légères et truculentes, et du mélodrame où les émotions fortes valorisent finalement la vertu.
Perdicant discute avec le cœur, villageoise et paysan qui l'ont connu enfant. Le cœur incarne maintenant une certaine sagesse populaire. « N'est-ce pas vous qui m'avez porté pour passer les ruisseaux ? Qui vous êtes serré autour de vos tables pour me faire une place au souper ?
» Nous nous en souvenons. On nous a dit que vous êtes savant, mon seigneur. On me l'a dit aussi.
Les sciences sont une belle chose, mais ces prairies enseignent la plus belle de toutes. L'oubli de ce qu'on sait. Père Dican se méfie de sa propre éducation. Arrive alors Rosette, la sœur de lait de Camille, c'est-à-dire la fille de la villageoise qui a allaité Camille.
Il lui demande si elle est mariée. Elle répond que non. Pourquoi ?
Il n'y a pas dans le village de plus jolies filles que toi. Nous te marierons, mon enfant. La beauté de Rosette est reconnue.
Plaît-elle vraiment à Perdicant ? En parlant de son mariage au futur, il fait sans le savoir allusion à la fin funeste de la pièce. C'est de l'ironie tragique. Maître Briden vient voir le baron et accuse Maître Blasius de boire au lieu de s'occuper de son élève. Il montre par la fenêtre Perdicant qui fait des ricochets, assis sur le bord du lavoir avec une paysanne.
Tout est perdu, Briden va de travers, Blasius sort le vin. Et mon fils séduit toutes les filles du village en faisant des ricochets. L'un titube, l'autre zigzag, le troisième jette des cailloux. Cette insistance sur les gestes des personnages fait penser au Lazzi de la Comedia dell'Arte.
Mais Musset donne aussi à ses gestes une dimension symbolique. Les ricochets illustrent bien que l'amour de Perdiccan n'atteint Rosette que par rebond. Camille retrouve Perdiccan dans un jardin. Elle lui explique qu'elle ne veut se marier avec personne, ce n'est pas contre lui. Il la rassure.
L'orgueil n'est pas mon fait, je n'en estime ni les joies ni les peines. Touche-la et soyons bons amis. Je suis bien aise que mon refus vous soit indifférent. Il ne m'est point indifférent Camille. Ton amour m'eût donné la vie, mais ton amitié m'en consolera.
Père Dican donne à l'amour une valeur très élevée. Et Camille semble blessée quand elle se dit bien aise de son indifférence. Nous sommes ici dans un badinage complexe.
Lorsqu'il écrit On ne badine pas avec l'amour, Musset est lui-même dans un grand désarroi amoureux. Il vient de se séparer de Georges Sand, qui lui a proposé de rester amis. Sand a des amants, elle sort en costume sous un nom masculin, elle s'appelle Aurore Dupin.
Elle défie la condition féminine de l'époque et forme avec Musset un couple emblématique du romantisme. De son côté, Musset libertin n'est pas fidèle. Mais à Venise, il tombe malade. Elle a une aventure avec son médecin et décide de rompre. Musset éprouve alors une douleur insoupçonnée.
« Je m'étais dit qu'il fallait revivre, qu'il fallait prendre un autre amour. J'essayais, mais maintenant, j'aime mieux ma souffrance que la vie. Tu veux bien que je t'aime, ton cœur le veut. Tu ne diras pas le contraire.
Et moi, je suis perdu. » Maître Briden, dans la salle à manger, constate que la meilleure place est pour Blasius. Vexé, il décide de retourner à sa cure. « Adieu, mes succulents, bouteilles cachetées. » J'aime mieux, comme César, être le premier au village que le second en Rome.
Ce personnage grotesque, s'opposant au sublime, est héroïcomique. Il décrit ses préoccupations triviales d'une manière élevée. Dans la campagne, Perdicant se promène avec Rosette.
Il l'embrasse en disant qu'il l'aime comme un frère. Rosette se rend bien compte qu'elle manque d'éducation pour décrypter les paroles et les gestes. Des mots sont des mots, et des baisers sont des baisers.
Je m'égare d'esprit et je m'en aperçois. Enfin, Rosette évoque la pluie. Cela émeut Perdicant. La sincérité du cœur est présente dans ses paroles sans arrière-pensée. Au château, maître Blasius dit au baron qu'il a aperçu de loin Camille se fâcher contre Dame Pluche, parlant d'un homme courtisant une gardeuse de dindons.
Le baron est confus. « Au ciel ! » Magnès m'a déclaré ce matin même qu'elle refusait son cousin Perdicant. « Aimerait-elle un gardeur de dindons ?
» Ce baron représente une noblesse décadente qui méprise le peuple et a perdu son autorité. Avec cette crainte pathétique et comique d'une mésalliance, Musset esquisse un scénario à la Roméo et Juliette, où l'image des dindons introduit une note discordante. Stendhal est le premier à défendre un théâtre refusant les règles classiques, pour mieux répondre au goût de son époque.
Il oppose alors Shakespeare à Racine et appelle cela le romanticisme. Le romanticisme... et l'art de présenter au peuple les œuvres littéraires qui, dans l'état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible.
En France, le romantisme prend son essor après l'Angleterre et l'Allemagne, notamment avec Hernani de Victor Hugo, qui provoque de véritables batailles à la comédie française, parce qu'elle enfreint les règles classiques. Musset, à 20 ans, fréquente le Cénacle de Hugo. Le manifeste du drame romantique, c'est la Préface de Cromwell, où Victor Hugo affirme que l'unité d'action doit prendre le pas sur l'unité de temps et de lieu, au nom de la vraisemblance. Croiser l'unité de temps à l'unité de lieu, comme les barreaux d'une cage, et y faire entrer toutes ces figures que la Providence déroule dans la réalité, c'est faire grimacer l'histoire. Hugo élabore une esthétique nouvelle, toute de contrastes d'ombre et de lumière, alliant du sublime et du grotesque, qui incarne selon lui la révolution dans l'art, portée par les romantiques.
Tout dans la création n'est pas humainement beau. Le lait y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l'ombre avec la lumière. Nouveau lieu, nouveau décor, nous sommes maintenant près d'une fontaine dans les bois.
Perdicant retrouve Camille qui veut lui parler. L'intrigue va-t-elle se débloquer ? Je vous ai refusé un baiser, le voilà. Elle l'embrasse.
Vous ne savez pas la raison pour laquelle je pars. Je viens vous la dire, je vais prendre le voile. Ici, les paroles sont un masque que Camille porte pour tester Perdicant.
Ce qu'elle craint avant tout, c'est que l'amour ne dure pas. Elle veut un amour éternel. Or, les réponses de Perdicant ne la rassurent pas. Vous n'êtes point libertin ?
Votre cœur a de la probité ? Avez-vous eu des maîtresses ? Les avez-vous aimées ?
De tout mon cœur. Que me conseilleriez-vous de faire le jour où vous ne m'aimeriez plus ? De prendre un amant ?
Voilà. où se trouve l'écart entre les deux jeunes gens, qui empêche le mariage arrangé. Il y a pour ainsi dire un jeu, c'est-à-dire un dysfonctionnement, un grain de sable dans le mécanisme. Camille insiste.
A-t-elle raison de vouloir rester au couvent ? Et elle évoque les histoires d'amour apportées par Sœur Louise, qui se termine toute mal. Ce passage interroge l'amour, mais aussi la condition féminine de l'époque. Savez-vous ce que c'est que les cloîtres perdicants ? Il y a 200 femmes dans notre couvent.
Plus d'une parmi elles sont sorties du monastère, comme j'en sors aujourd'hui. Vierge et pleine d'espérance. Elles sont revenues peu de temps après, vieilles et désolées. Rester au couvent, c'est au contraire faire l'expérience d'un amour absolu, ne pas prendre le risque d'être blessée. Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir.
Je veux aimer d'un amour immortel, et faire des serments qui ne se violent pas. Voilà mon amant. Elle montre un crucifix.
D'abord, Perdicand lui répond qu'elle est peut-être faite pour être nonne. Mais il la prévient. Selon lui, elles l'ont influencée.
Dans ton monastère, la plupart des femmes ont au fond du cœur des blessures profondes. Elles ont coloré ta pensée virginale de leur sang. Perdicant est certain que ces religieuses regrettent un amour perdu.
Il les compare à des fantômes. Il leur oppose sa propre conception de l'amour, qui nous sauve de la médiocrité du monde. Adieu Camille, retourne à ton couvent.
Et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonné, réponds ce que je vais te dire. Tous les hommes sont menteurs, inconstants, hypocrites. Toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses. Mais il y a une chose, sainte et sublime, c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits. La fin de cette tirade célèbre provient d'une lettre de Georges Sand.
On est souvent trompé en amour, souvent blessé et malheureux, mais on aime. Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se dit « j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé, c'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui » . Il sort. Décidément, les unités de temps et de lieu ne sont pas respectées.
Nous sommes le lendemain devant le château. Le baron renvoie Maître Blasius car il boit du vin en cachette. Et ses accusations contre Camille n'ont rien de plausible.
Ce baron, en conflit avec le gouverneur de son fils, représente bien une crise du pouvoir. Après la révolution des Trois Glorieuses, c'est la monarchie de Juillet. Louis-Philippe n'est plus roi de France, mais roi des Français. Son pouvoir est limité par le suffrage censitaire, limité à ceux qui payent des impôts élevés. Avec la révolution industrielle, les inégalités se sont accentuées.
Perdi-Camp, seul, se sent attristé du départ de sa cousine. Il s'interroge sur ses sentiments dans un monologue ambivalent. « Je l'aime, cela est sûr.
Elle a beau être jolie, cela n'empêche qu'elle naît des manières beaucoup trop décidées. Il est clair que je ne l'aime pas. » Maître Blasius veut prouver qu'il n'a pas menti. Il arrête Dame Pluche qui porte une lettre de Camille. Perdicant arrive et récupère la lettre.
Elle est adressée à une nonne, Sœur Louise. Il l'ouvre. Lettre de Camille. Je pars aujourd'hui, ma chère.
C'est une terrible chose. Ce pauvre jeune homme a le poignard dans le cœur. Il ne se consolera pas de m'avoir perdu. Une parole écrite, interceptée, est-elle une garantie de sincérité ? Camille joue-t-elle un rôle face à son amie religieuse ?
Perdicand ne perçoit rien de tout cela. Blessé dans son orgueil, il se mente à lui-même. « Moi au désespoir ?
Non, non Camille, je ne t'aime pas. Je n'ai pas le poignard dans le cœur et je te le prouverai. » Cet orgueil rappelle l'hubris de la tragédie antique, la démesure qui rend le héros tragique aveugle à son destin.
Perdicand décide de se venger. Il écrit à Camille pour lui donner rendez-vous à la fontaine. Camille arrive en avance au rendez-vous, mais Perdicand est avec Rosette. Elle se cache pour les entendre.
C'est le début d'une scène de théâtre dans le théâtre. « Sais-tu ce que c'est que l'amour, Rosette ? Tu veux bien de moi, n'est-ce pas ?
On n'a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d'un sang infadi ? Tu ne veux pas te faire religieuse ? » Perdicand jette dans l'eau la bague que Camille lui avait donnée. Puis, habilement, il joue avec la double énonciation. En flattant Rosette, il adresse des reproches à Camille, qu'il sait cacher non loin.
A cela s'ajoute même un troisième niveau d'énonciation, celui du lecteur-spectateur qui plaint Camille. Cette confusion des niveaux de lecture renvoie à l'esthétique baroque du théâtre ou mondi. Le monde est un théâtre où chacun joue un rôle.
Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Le chœur entre sur scène et résume la situation. Le ton léger du début laisse place désormais à des nouvelles plus inquiétantes.
Il se passe assurément quelque chose au château. Camille a refusé d'épouser Perdicant. Mais je crois que le seigneur, son cousin, s'est consolé avec Rosette. Hélas, la pauvre jeune fille ne sait pas quel danger a cours en écoutant les discours d'un jeune égalant seigneur.
Dame Pluche entre sur scène. Elle appelle Camille et lui dit que tout est prêt pour le départ. Mais Camille réagit de manière imprévue. « Allez au diable, vous et votre âne.
Je ne partirai pas aujourd'hui. » Dame Pluche s'éloigne, choquée. On devine que le jeu dangereux de Perdicant a fait avancer l'intrigue, décidant Camille à rester.
Mais Briden rapporte au baron qu'il a vu Perdicant faire la cour à une fille du village. Il lui a fait un présent considérable, la chaîne d'or qu'il portait à son bonnet. Ces différents personnages secondaires, maître Briden, ma��tre Blasius et Dame Pluche, sont des personnages fantoches.
de simples marionnettes qui divertissent le spectateur. Tandis que les sentiments et certains accessoires, comme la bague ou la chaîne d'or de Perdicant, jouent un rôle déterminant dans la progression de l'intrigue. Camille a compris que Perdicant a voulu la rendre jalouse. Elle fait alors venir Rosette, qui avoue que Perdicant lui a promis de l'épouser.
« Tu l'aimes, pauvre fille. Il ne t'épousera pas. Et la preuve, je vais te la donner. » Rentre derrière ce rideau.
Ce nouveau stratagème est encore un jeu de cache-cache. Une fois Rosette cachée, Camille fait entrer Perdicant et commence à badiner. « Je voudrais qu'on me file à court.
Vous m'avez proposé de faire une promenade dans la forêt. Fera-t-il clair de lune ce soir ? » Elle lui rend sa bague.
Il s'étonne. Elle est donc allée la chercher dans la fontaine ? Camille lui dit alors une chose.
L'inconstance de ses paroles cache une intention qui, elle, ne change pas. Connaissez-vous le cœur des femmes, Perdiccant ? Savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant quelquefois de langage ?
Sans doute, il nous faut mentir, vous voyez que je suis franche. Mais êtes-vous sûr que tout mente dans une femme lorsque sa langue ment ? Ce passage, si évocateur de la condition féminine de l'époque, laisse entendre à demi-mot qu'elle attendait surtout de lui un serment d'amour éternel. Mais Perdiccant ne le comprend pas.
Je n'entends rien à tout cela et je ne mens jamais. Je t'aime Camille, voilà tout ce que je sais. Vous dites que vous m'aimez et que vous ne mentez jamais.
En voilà une qui dit pourtant que cela vous arrive quelquefois. Elle lève la tapisserie. Rosette paraît dans le fond, évanouie sur une chaise. Camille accuse Perdiccant d'avoir joué avec cette pauvre enfant, par orgueil, et elle le met au défi de l'épouser s'il n'est pas un lâche.
Perdiccant confirme alors qu'il a bien l'intention d'épouser Rosette. On peut penser ici aux liaisons dangereuses de Chouderlot de Laclos, où des libertins jouent avec des victimes innocentes. Camille supplie le baron d'empêcher ce mariage, mais il ne prend aucune décision et va s'enfermer dans sa chambre.
Il n'y aura donc pas de deus ex machina. Aucun personnage puissant ne viendra arranger les choses. Perdicant entre, Camille se moque de lui. Va-t-il épouser Rosette ?
J'en suis vraiment fâché pour vous. Cela fait du tort à un jeune homme de ne pouvoir résister à un moment de dépit. S'ensuit alors un échange vif de répliques courtes, des stichomities, où le badinage se transforme en véritable joute verbale.
Voilà un ton de persiflage qui est hors de propos. Il me plaît trop pour que je le quitte. Je vous quitte donc.
Quand une femme est franche, bonne et belle, je ne me soucie pas de savoir si elle parle latin. Rosette arrive et tombe à genoux en larmes. On dit au village que Perdicant se moque d'elle. Perdicant la rassure, il va lui-même annoncer leur mariage publiquement. Je trouve plaisant qu'on dise que je ne t'aime pas quand je t'épouse.
Par Dieu, nous les ferons bien taire. La demande à mariage, publique, est une parole comparable à un acte. C'est ce qu'on appelle un énoncé performatif. Mais un doute subsiste.
Ces paroles seront-elles vraiment suivies des faits ? Souvent chez Musset, la parole sans les actes n'a pas de valeur. C'est d'ailleurs une réplique célèbre de Lorenzaccio. « Ah les mots ! Bavardage humain !
Ô grand tueur de corps mort ! Grand défonceur de portes ouvertes ! Ô homme sans bras ! » Camille, seule dans une chapelle du château, confie sa douleur dans une prière. « M'avez-vous abandonné, ô mon Dieu ?
Vous le savez ? » Lorsque j'ai refusé de devenir l'épouse d'un autre que vous, j'ai cru parler sincèrement. Perdicant l'a entendu.
Il réalise que seul l'orgueil les sépare. Il en fait alors une véritable allégorie, la personnification d'une idée. Orgueil, le plus fatal des conseillers humains. Qu'es-tu venu faire entre cette fille et moi ? Le bonheur, comme des enfants gâtés, nous en avons fait un jouet.
Ô insensé que nous sommes ! Nous nous aimons. Dès qu'il cesse de jouer... apparaît la première personne du pluriel, ce « nous » qui les rassemble.
La parole dit enfin la vérité du cœur. « Oui, nous nous aimons, perdicant. Laisse-moi le sentir sur ton cœur.
Ce Dieu qui nous regarde ne s'en offensera pas. Il veut bien que je t'aime. » Les deux amoureux s'embrassent, mais on entend soudain un grand cri derrière l'autel. C'est Rosette.
« La pauvre enfant nous a sans doute épiées. Portons-lui secours. Hélas, tout cela est cruel.
Perdicant, paralysé, n'ose pas y aller. » Il fait un court monologue pendant que Camille sort. « Je vous en supplie, mon Dieu, ne faites pas de moi un meurtrier. Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute.
» Camille rentre. « Elle est morte. Adieu, Perdicant. » Malgré ses critiques des institutions religieuses, Musset n'est pas athée, et Perdicant s'adresse finalement à Dieu.
Comme si la pureté de ses intentions pouvait encore produire un Deus ex machina et empêcher le dernier adieu. L'un des poèmes les plus célèbres de Musset reprend ce mot adieu pour dire la douleur de la séparation. Adieu, je crois qu'en cette vie je ne te reverrai jamais. Dieu passe, il t'appelle et m'oublie.
En te perdant, je sens que je t'aimais. Alfred de Musset est reconnu de son vivant comme l'un des plus grands poètes romantiques. Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1845 et à l'Académie française en 1852. Mais il est alcoolique, souffre de troubles neurologiques probablement dus à la syphilis.
et meurt de la tuberculose le 2 mai 1857 à l'âge de 46 ans.