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Industrie de la mode et durabilité

Ravie de vous retrouver pour ce nouveau numéro du Dessous des Cartes. Je vous propose de démarrer cette émission avec des tenues dont vous saurez en principe immédiatement identifier la nationalité. Un kilt écossais.

au même titre qu'un kimono japonais ou encore un boubou africain en clair, ce que l'on appelle des tenues traditionnelles qui racontent une histoire, une culture, un climat local. Sauf qu'à l'heure de la mondialisation, vous le savez, nous assistons à la fois à une standardisation de nos looks, avec notamment le fameux jean, t-shirt, basket, et à la globalisation de l'industrie textile. Conséquence, bien souvent, nos habits font beaucoup de kilomètres avant de se retrouver dans nos placards. Alors tout de suite, voici... quand la planète s'habille et vous allez voir, c'est une vieille histoire.

On estime en effet que l'histoire du vêtement textile commence ici, au Proche-Orient ancien, aux confins des actuelles Turquie, Iran et Irak, quelques 9000 ans avant Jésus-Christ. Les habitants de cette région ont développé l'agriculture et l'élevage et à partir des poils de leurs moutons et de leurs chèvres, ils ont l'idée de faire des fils. C'est la naissance de la laine Une fois tissée en bande, elle va permettre de découper des morceaux d'étoffes, résistants et souples, qui sont cousus pour former des vêtements. La laine n'est pas la seule fibre utilisée par l'homme.

Dans des régions plus chaudes, comme l'actuelle Égypte, on tisse une fibre végétale tirée du lin à partir de 3000 ans avant J.-C. Un peu plus tôt, en Asie, à partir de 5000 avant J.-C. et en Amérique du Sud, C'est un autre végétal qui est majoritairement utilisé par les populations, le coton.

Enfin, à partir de moins 3000, une autre fibre animale cette fois voit le jour dans l'actuelle Chine, la soie, tirée du cocon d'une chenille. Très vite, ces grandes fibres naturelles tissées vont faire l'objet d'un commerce international qui va aller en s'accentuant. La laine, avec les déplacements d'agriculteurs qui remplacent les chasseurs-cueilleurs à partir de moins 7500, conquiert l'Europe.

Et à partir de 1100 avant Jésus-Christ, c'est le lin venu d'Égypte avec les Phéniciens qui pénètre dans toute l'Europe. Le coton, importé par les Arabes depuis l'Inde, arrive chez nous dans les valises des croisés de retour de Jérusalem au XIe et XIIe siècle. Le coton devient l'un des produits les plus commercialisés et lucratifs du monde pendant la période... coloniale, avec l'émergence des empires européens en Amérique et l'esclavage des Africains.

La soie, fibre précieuse et raffinée, monopole de la Chine jusqu'au IVe siècle, fera l'objet d'un commerce important entre la Chine et l'Occident, donnant son nom à plusieurs grandes routes commerciales, les fameuses routes de la soie. Avec le XIXe siècle, le tissage et la fabrication des vêtements vont connaître une révolution. Une révolution technique tout d'abord, avec l'industrialisation du filage, qui va permettre aux Européens de baisser les coûts de fabrication de la matière première et d'en contrôler la qualité.

Cette période va permettre à des régions comme le nord de la France ou les Midlands en Angleterre de se développer considérablement d'un point de vue économique. Cette révolution technique va se doubler en 1932 d'une révolution technologique. L'invention aux Etats-Unis par la marque Dupont de Nemours d'une nouvelle fibre dite synthétique, le nylon.

Tiré d'un dérivé du pétrole, le nylon est une fibre résistante au coût de fabrication très faible si on la compare aux fibres naturelles. Cette première fibre synthétique verra très vite l'apparition de petites sœurs comme le polyester ou l'acrylique, dont les noms vous sont familiers sur l'étiquette de vos vêtements. Aujourd'hui, la production de fibres synthétiques a dépassé celle des fibres naturelles.

48 millions de tonnes de polyester sont utilisées en 2015, contre 26 millions de tonnes pour le coton. Un engouement qui s'explique bien sûr par les faibles coûts de production, la facilité de tissage et la plus grande conservation des couleurs. Ce bouleversement provoqué par l'arrivée des fibres synthétiques va de pair avec l'émergence du prêt-à-porter, qui va lui aussi bénéficier d'inventions techniques et devenir la norme.

Et ce prêt-à-porter qui émerge dans les années 50 va connaître dans la deuxième moitié du XXe siècle un formidable développement. Moins cher à fabriquer, les vêtements sont plus nombreux dans nos garde-robes, la mode se démocratise et à partir des années 2000, nos achats de vêtements ont littéralement explosé. On achète désormais deux fois plus de vêtements qu'il y a 20 ans, qu'on porte en moyenne presque deux fois moins longtemps. C'est ce qu'on appelle la fast fashion. La mode.

objet de consommation, est devenu un véritable phénomène mondial. Des centaines de publications traitent du sujet et influencent les consommateurs. Le magazine Elle compte 45 éditions internationales et Vogue 26. Les tendances sont données par des places fortes comme Paris, Milan, New York et Londres, qui accueillent les Fashion Week deux fois par an. À ces capitales historiques s'ajoutent désormais des villes comme Shanghai et Lagos. Entre 2002 et 2015, l'industrie de l'habillement a vu son chiffre d'affaires passer de 1 000 milliards de dollars à 2 500 milliards de dollars.

Et ses revenus pourraient atteindre 5 000 milliards de dollars d'ici 2025, si la croissance se maintenait. Parmi les plus fervents consommateurs, les britanniques. Avec 26,7 kilos de vêtements par an, soit l'équivalent de 16 jeans et 40 t-shirts. On constate des disparités entre les pays avec une consommation autour de 16 kg pour l'Allemagne et l'Amérique du Nord, 14,5 kg pour l'Italie mais seulement 9 kg pour la France, pourtant royaume autoproclamé de la mode. Un chiffre qui reste encore largement au-dessus de la moyenne mondiale, qui n'est que de 5 kg.

Si les plus gros consommateurs restent pour le moment les occidentaux, les chinois, qui se situent actuellement à 6 kg par an, devraient consommer entre 10 et 16 kg à l'horizon 2030. Véritable eldorado de la mode, la Chine est en effet devenue le premier marché devant les Etats-Unis. Elle porte à elle seule 38% de la croissance mondiale du secteur depuis 10 ans et 35% des dépenses mondiales en biens de luxe sont effectuées par des Chinois. Cette industrie de la mode est par ailleurs une industrie très concentrée.

En 2018, la quasi-totalité des profits ont été réalisés par seulement 20 entreprises. On retrouve en tête du classement en 2018 l'américain Nike. L'espagnol Inditex, avec ses marques Zara, Bershka.

Le français LVMH, l'américain TGX. Les français Kering et Hermès. Le japonais Fast Retailing, avec ses marques Uniclo, Comptoir des Cotonniers ou Princesse Tam Tam. Une industrie très rentable pour ses patrons, qui compte parmi les plus grandes fortunes du monde. Bernard Arnault, PDG de LVMH, 3e au classement Forbes en 2020. avec 76 milliards de dollars.

L'Espagnol Armacio Ortega, PDG d'Inditex, sixième avec 55 milliards de dollars. Ou encore l'Américain Phil Knight, PDG de Nike, 25e avec 30 milliards de dollars. Pour parvenir à de tels succès, l'industrie de la mode n'a cessé de jouer sur les coûts. Après les innovations techniques puis technologiques, c'est la délocalisation qui a permis aux géants de la mode d'augmenter leurs marges, en profitant de main-d'œuvre payées à bas prix, le plus souvent sans protection sociale. Ce sont aussi ces délocalisations qui ont fait baisser le coût des vêtements partout dans le monde.

Les délocalisations qui ont frappé durement l'Angleterre et la France dans la seconde moitié du XXe siècle ont profité à la Chine, laquelle produisait les deux tiers des habits portés dans le monde dans les années 1980. Avec l'augmentation des salaires minimums en Chine dans les années 2000, Les industriels se sont redéployés vers l'Asie du Sud-Est et du Sud, où les salaires minimums restaient faibles. Le Bangladesh est ainsi devenu le deuxième exportateur mondial de vêtements, derrière la Chine. Ces pays connaissant une légère augmentation des salaires minimums, les grandes enseignes se tournent désormais vers l'Afrique, et notamment vers l'Ethiopie, qui avec ses 26 dollars de salaire mensuel est tout en bas de l'échelle mondiale. Cette course au moindre coût n'est pas la seule raison qui pousse l'industrie de la mode à se délocaliser. Ces mêmes pays où elle installe ses usines ont souvent des réglementations moins strictes en matière de protection de l'environnement.

Or, on va le voir maintenant, la mode est l'une des industries les plus polluantes au monde. Ainsi, le secteur émettait 1,7 milliard de tonnes de CO2 par an selon WWF, soit l'équivalent des émissions de CO2 de tous les pays. tous les vols internationaux et du transport maritime combiné.

A cela s'ajoutent les gaz à effet de serre liés à l'agriculture, l'élevage pour le cuir et le transport. 2,1 milliards de tonnes d'équivalent CO2 en 2018. Alors, pour respecter un réchauffement limité à 1,5 degré à l'horizon 2100, la mode devra réduire ses émissions de moitié dans la prochaine décennie. Sans oublier une consommation effrénée d'eau, 4% de l'eau douce mondiale par an, la production d'un seul jean, requiert en effet... 7500 litres d'eau.

A cela s'ajoute la pollution des eaux liées aux teintures et aux traitements des textiles. 20% de la pollution mondiale des eaux industrielles. Et enfin, une pollution plus pernicieuse encore.

Le rejet de microparticules de plastique lorsque les vêtements synthétiques sont lavés. 35% des microplastiques rejetés dans les océans viendraient du lavage de textiles. Voilà pour ce tour du monde de nos vêtements et ce voyage passé-présent qui nous raconte une industrie textile qui s'est mondialisée, offrant à certains pays de nouvelles activités économiques, permettant au plus grand nombre de se vêtir à moindre coût, mais avec aussi pour cette industrie un très mauvais bilan carbone et parfois humain.

Alors qu'en sera-t-il dans le futur ? Comme pour l'industrie alimentaire, il existe aujourd'hui chez certains une volonté de retour aux sources. Retrouver des habits plus naturels avec de nombreuses marques qui développent des fibres bio. Relocaliser les productions.

Enfin, chez les jeunes générations notamment, le marché du recyclage est en plein développement avec l'essor des sites de revente comme quoi demain peut-être, les fashions victimes seront aussi éco-responsables. Pour aller plus loin dans la compréhension de cette industrie ancienne, Mode, textile et mondialisation par Dominique Jacomet, publié aux éditions Economica, Et puis bien sûr, ce voyage au pays du coton, petit précis de mondialisation par l'académicien Éric Orsenna. Ainsi s'achève ce nouveau numéro du Dessous des Cartes.

Rendez-vous bien sûr la semaine prochaine, même endroit, même heure. Et d'ici là, n'oubliez pas notre site internet arte.tv sur lequel vous retrouverez notamment nos leçons de géopolitique. A bientôt.