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L'impact de l'imprimerie dans l'histoire

1984, Vatican. Le pape Benjamin II a échoué. Entouré de ses derniers fidèles, il ne peut que constater son échec.

Après cinq années de durs combats, les forces protestantes ont réussi à submerger les armées du Saint-Siège. Le Vatican vient de tout. Apparu au XVIe siècle, les idées contestataires protestantes ont durement été étouffées par l'Église catholique.

secrètement siècle après siècle ils ont grandi dans la clandestinité à l'abri de la répression se répandant dans toutes les couches de la société au 20e siècle ils sont devenus suffisamment fortes pour affronter les armées catholiques la grande guerre de religion a alors éclaté mais tout ceci n'est jamais arrivé en 1455 un petit gras de sable entre l'invention de l'imprimerie et la diffusion des idées à travers l'Europe. Notre histoire n'est qu'une suite d'événements incroyables. Chacun de nous peut en influencer le cours. De la naissance d'un grand empire millénaire, à la fin d'une civilisation de la guerre, En 1838, Strasbourg, des témoins aperçoivent une mystérieuse machine, cachée au fond de l'atelier d'un certain Gutenberg. Quinze ans plus tard, à la stupéfaction du public, Gutenberg publie le tout premier livre imprimé de l'histoire, une Bible.

1517, Martin Luther fait imprimer en masse ses 95 thèses, qui dénoncent les dérives de l'Église catholique. Ces trois événements intimement liés sont des moments clés de la naissance, puis du développement de l'imprimerie. Elle va révolutionner la société européenne. Région de l'actuel Irak, il y a un peu plus de 5000 ans.

Dans ce vaste territoire fertile, l'humanité est sur le point d'entrer dans une nouvelle ère. Les hommes viennent d'inventer l'écriture. Cette révolution est poussée par la nécessité. L'apparition des premières villes oblige les populations à gérer des réserves de nourriture, arbitrer des conflits. L'écriture permet de garder une trace des échanges, d'enregistrer les événements.

L'humanité s'inscrit dans l'histoire. Dès le 3e millénaire avant notre ère, toutes les grandes cultures du Proche-Orient ont adopté un système d'écriture. Ce ne sont d'abord que quelques signes ou symboles, puis ces systèmes se diversifient en fonction des supports d'écriture utilisés.

En Mésopotamie, des scribes poinçonnent des tablettes d'argile. En Égypte, sur des feuilles de végétaux tressées, le papyrus, on couche les hiéroglyphes. Pour défier le temps, on grave l'histoire des dieux et des pharaons dans la pierre des obélisques ou lors des chambres funéraires.

Mise bout à bout, des feuilles de papyrus forment des rouleaux pouvant atteindre 30 mètres de long. Les volumina, les grecs s'en serviront pour raconter leurs grandes épopées. On dit que sous Jules César, la bibliothèque d'Alexandrie en possède 700 000. Les romains utilisent aussi des tablettes de cire, les chinois du bambou ou des écailles de tortue, puis du papier.

L'invention du robuste parchemin à base de peau et non de végétaux permet une meilleure conservation des écrits. Au volumineux rouleau, on préfère bientôt le codex. Ancêtre du livre, il introduit la notion de feuillet que l'on doit tourner. Au Moyen-Âge, le livre manuscrit, constitué de pages reliées et indexées, est considéré comme un trésor inestimable. Dans des scriptoria répartis à travers l'Europe, des armées de moines copistes reproduisent, lettre après lettre, les textes bibliques, mais aussi les œuvres antiques de Platon, d'Aristophane ou d'Hippocrate.

Siècle après siècle, en recopiant les textes d'un support à l'autre, leur travail rigoureux a permis à d'innombrables œuvres de parvenir jusqu'à nous. Tous les textes qui n'ont pas été transférés régulièrement sur de nouveaux supports ont été irrémédiablement perdus. Bienvenue dans la mémoire de l'humanité.

Ici, nous pouvons contrôler le temps, analyser et comparer des milliards d'événements pour réécrire l'histoire à l'infini. Tous les événements de notre histoire, aussi infimes soient-ils, y sont mémorisés et interconnectés. Il suffit d'en changer un pour bouleverser tous les autres. L'homme utilise un langage articulé depuis plus de 100 000 ans, mais il n'écrit que depuis quelques 5 000 ans.

Écrire revient à transcoder le langage sous une forme visuelle, à dessiner la parole. Il en existe plusieurs systèmes. Les hiéroglyphes consistent à utiliser un symbole pour chaque mot, personne ou notion. Il faut donc énormément de symboles différents pour représenter le monde. Les scribes égyptiens devaient mémoriser une quantité pharaonique de hiéroglyphes différents.

L'invention de l'alphabet est une révolution. En décrivant des sons et non des notions, ce système phonétique permet de former n'importe quel mot, n'importe quelle idée. L'alphabet est un code.

On code lorsque l'on écrit, on décode lorsque l'on lit. Plus complexe à maîtriser, il est aussi beaucoup plus puissant. Il permet de transcoder n'importe quelle langue. Cependant, ces systèmes ont tous le même talon d'agile. Si pour une raison ou une autre, le code est oublié, il est alors impossible de décrypter les textes.

C'est ce qui a failli se passer avec les hiéroglyphes égyptiens. Johann Gensfleisch, dit Gutenberg, a rendez-vous avec un homme d'affaires. Bien qu'issu d'une famille aisée, il a besoin de fonds pour mener à bien son grand projet qu'il garde jalousement secret. Il ne le sait pas encore, mais il est sur le point de bouleverser l'histoire. Gutenberg naît vers 1400 dans la petite ville de Mayence dans le Saint-Empire.

Son père fait partie de l'élite à la tête de la ville. La famille est donc à l'abri du besoin. Mais Gutenberg n'est pas hors. à se satisfaire d'une rente. Passionné d'ingénierie et de mécanique, il aime les activités manuelles et l'artisanat.

La mise au point de mécanismes et de nouveaux concepts semble particulièrement stimuler son esprit inventif. En 1428, il quitte Mayence pour Strasbourg. Rapidement, il trouve des associés pour mener à bien de petites entreprises rentables. Toutes ces expériences, très différentes, lui donnent de solides connaissances en orfèvrerie et dans le travail du métal.

Mais il garde pour lui, caché au fond de son atelier, son projet secret. Un jour, cependant, des personnes prétendent avoir aperçu une sorte de machine. Ils décrivent une chose technique, métallique et démontable.

Apparemment, elle fonctionnerait avec une presse. L'inventeur s'entoure rapidement de mystères. Rien ne sert d'avoir des idées si d'autres personnes ne vous les volent. Mais Gutenberg ne peut pas porter ce projet tout seul.

Il lui faut de l'aide et surtout de l'argent. Il doit prendre le risque d'en parler à un financier. Il se tourne alors vers ses associés, dont Andreas Dredzen, qui meurt avant d'avoir pu voir l'œuvre achevée, mais non pas sans y avoir investi une forte somme d'argent. Les frères du défunt tentent aussi de faire un travail de l'argent.

de récupérer la précieuse machine, un tentant à un procès à Gutenberg. En 1448, l'inventeur est revenu à Mayence, car le travail n'est pas terminé, tout reste à faire. Gutenberg, excellent ingénieur, a besoin d'artisans experts dans leur domaine.

Plus grave, les matériaux coûtent une fortune. Le papier lui-même est à l'époque une denrée rare. Il lui faut de l'argent frais. Il prend alors le risque de présenter son idée à une seconde personne, Johann Fust. L'homme d'affaires croit au projet.

Il décide de financer Gutenberg qui se remet aussitôt à la tâche. La mise au point de la première presse à imprimer à caractère mobile. Nous venons d'arriver à un point de divergence.

Un point de divergence est un événement clé, un carrefour dans notre histoire, où notre monde peut basculer d'un côté ou de l'autre. Gutenberg seul ne peut rien faire. En s'associant avec Johann Fust, il obtient la sérénité financière qui lui permet de se consacrer à 100% à son projet.

Sans cela, il aurait en permanence manqué des matériaux et du savoir-faire indispensable. Il est presque certain que l'aventure se serait arrêtée là. L'imprimerie aurait fini par être développée par quelqu'un d'autre, mais probablement des années plus tard. Gutenberg, comme de nombreux autres inventeurs, en serait sorti ruiné. Son cas est comparable au XXe siècle à celui de Larry Page et Sergey Brin, deux étudiants américains.

Leur objectif était de créer un nouveau moteur de recherche pour Internet plus puissant que tous ceux existants. Après avoir puisé dans leurs propres ressources, ils arrivent à trouver un partenaire financier. Quelques années plus tard, ils créent Google. Aujourd'hui, cette mécanique est remise en question par le système de financement participatif que l'on appelle le crowdfunding. Les internautes peuvent désormais financer toutes sortes de projets, mais le risque est grand.

Le secret doit être en grande partie dévoilé aux yeux de tous. Le travail commence par la sculpture minutieuse d'une lettre imitant l'écriture de l'époque. Une fois durcie, elle devient d'un poinçon d'acier très résistant.

Martelé dans une matrice de cuivre, plus tendre, le poinçon permet d'obtenir un caractère en relief. On le place alors dans un moule dans lequel on coule un alliage très précis de plomb, d'étain et d'antimoine. Cette opération répétée permet d'obtenir des milliers de caractères identiques. On passe alors à l'étape suivante, la composition de la page. Les caractères sont rangés un par un, ligne par ligne, pour former les mots, les phrases, les paragraphes.

Les espaces sont soigneusement calculés pour que chaque ligne se termine rigoureusement sur le bord de la colonne. Puis, le cadre est verrouillé. Les caractères enduits d'une ombre noire et grasse à la composition savamment étudiée pour être ni trop liquide, ni trop visqueuse. On place ensuite une feuille de papier humide sur les caractères sous une pince. Il ne reste plus qu'à actionner le bras.

C'est aussi simple que ça, mais il fallait y penser. En quelques heures, deux artisans accomplissent une tâche qu'un moine copiste aurait mis plusieurs semaines à réaliser. Une révolution. Pourtant, Gutenberg n'a rien inventé.

La presse est déjà utilisée en viticulture, les alliages et les moules dans l'orfèvrerie, alors que les caractères mobiles existent déjà en Asie. Le génie de Gutenberg a été de rassembler tous ces éléments, de les détourner de leurs fonctions premières, de les améliorer et de les accorder tel un chef d'orchestre. Il est à l'origine d'un procédé, certainement le plus important de tout le millénaire, l'imprimerie de masse. Gutenberg a non seulement mis en place toute la méthode de fabrication, mais il l'a aussi imbriqué dans un modèle économique, produire plus rapidement et en quantité des livres bon marché. En cela, on peut dire que Gutenberg a été un visionnaire.

Et cette vision va être couronnée de succès. En 1454, après 21 mois de production, un chef-d'oeuvre sort des ateliers Foust-Gutenberg. La Bible, dite de Gutenberg, est le premier livre imprimé de l'histoire.

Les 180 exemplaires de cette édition auront demandé 232 000 pressages. Et elle est d'une... Une perfection d'impression qui étonne encore aujourd'hui.

Inventer. Une invention est un long processus qui s'appuie sur les recherches et les avancées d'autres personnes. Ce travail de longue haleine commence toujours par une série d'échecs et de tâtonnements qui met à mal la motivation. doute.

Puis, si l'on n'a pas abandonné, on commence logiquement à voir les premiers résultats. Timide, fragile. En perfectionnant la méthode, en la rôdant, on parvient alors peut-être à adapter l'invention pour la commercialisation. C'est souvent seulement à cette étape que l'on sait enfin si l'idée de départ était bonne, si tous ces efforts ont été vains ou non. Tout part d'une idée, d'une intuition, d'une vision.

Gutenberg a imaginé plus qu'une machine. Il a vu un concept global qui démocratiserait la lecture. Steve Jobs, au XXe siècle, n'a pas simplement soudé des composants entre eux. Il a imaginé un monde où chaque foyer disposerait d'un ordinateur à l'utilisation conviviale et instinctive. Aujourd'hui, Elon Musk, directeur des sociétés Tesla Motors et SpaceX, est inspiré par une vision d'un monde futur, tourné vers le progrès et le développement durable.

Notre monde aura toujours besoin de visionnaires. 180 exemplaires ont été édités. La Bible de Gutenberg est un succès technique et artistique indéniable, la preuve irréfutable d'un immense savoir-faire. Mais financièrement, c'est une autre histoire.

Foust, l'homme d'affaires, a investi énormément d'argent. Il en attend un retour sur investissement. Les tâtonnements et la mise au point de la méthode ont été un gouffre financier que les ventes ne parviennent pas à combler.

La relation entre les deux hommes, si fructueuse jusque là, se dégrade rapidement. Ils deviennent méfiants l'un envers l'autre. C'est alors que Foust décide d'attenter une action en justice. Il déclare que son investissement était en fait un prêt et réclame son remboursement avec intérêt.

Gutenberg sort globalement perdant de ce procès. Si financièrement il évite la ruine, il perd une partie de son atelier et son matériel. Mais surtout, voit son ancien associé et financeur devenir son principal concurrent. Car Foust, bien que refroidi par l'aventure Gutenberg, ne renonce en rien à la pression qu'il sait révolutionnaire et prometteuse.

Plus grave, il monte une nouvelle association avec l'ancien apprenti de l'inventeur, le talentueux Peter Schoffer. Le coup est rude. Cependant, Gutenberg continuera son œuvre.

Pour lui, la quantité compte plus que la qualité. La révolution est en marche. L'imprimerie va prendre son essor et conquérir l'Europe entière. Dans le seul 15e siècle, 15 millions d'exemplaires vont sortir des presses. Au siècle suivant, c'est 100 millions.

Si le premier livre imprimé a été une bible, cette nouvelle technologie va séduire tout le monde. y compris les esprits contestataires. En 1517, Martin Luther publie ses 95 thèses, dénonçant les abus et dévoiements de l'Église catholique.

Il n'est pas le premier à entrer en opposition idéologique avec le Saint-Siège, mais clairement le premier à profiter de la production de masse de l'imprimerie. Plus de 300 000 exemplaires de ses écrits vont ainsi être diffusés. Ces idées vont se répandre à travers l'Europe comme une traînée de poudre.

C'est là l'origine de la réforme et de la naissance du protestantisme qui vont changer le visage de l'Europe. La démocratisation du savoir. L'impression de milliers de livres va mécaniquement faire baisser leur prix. Le savoir va sortir des grandes bibliothèques, des universités et des scriptoria et va investir les librairies et les commerces.

Le premier bénéficiaire est l'Église, qui trouve là un excellent moyen de diffuser à plus grande échelle la Sainte Parole. permet aussi à de nombreuses personnes de consulter des livres jusqu'alors inaccessibles. L'esprit critique se développe. Les contestations ne sont plus confinées à une zone géographique, mais largement diffusées.

Sans l'imprimerie moderne, il est presque certain que le protestantisme serait resté marginal. Internet a aujourd'hui le même rôle. Les idées nouvelles parcourent la surface du globe à la vitesse de la lumière et sont reproduites à l'infini. Notre monde s'est brutalement décloisonné. Le vent de renouveau et de connaissances né au 15e siècle souffle encore au 20e et il ne semble pas près de s'épuiser.

15 millions d'exemplaires imprimés au XVe siècle, 100 au suivant et 1 milliard au XVIIIe. L'invention de Gutenberg a tout changé. Notre rapport à la culture et au savoir, notre esprit critique, notre place dans la société. Nous sommes devenus des hommes exigeants, avides de savoir, curieux de tout. Le XXe siècle a été à son tour marqué par d'autres révolutions.

Avec les progrès fulgurants de la micro-informatique, l'humanité a été catapultée dans l'ère du numérique. Internet a tout changé. Nous vivons aujourd'hui dans un monde où l'évolution fulgurante des terminaux de communication et la prolifération des réseaux sont telles que les échanges sont devenus instantanés.

Les livres sont dématérialisés, les bibliothèques numérisées, le savoir stocké en ligne, la mémoire archivée dans des bases de données connectées. Si nous devions numériser tout le savoir produit depuis l'aube de l'humanité jusqu'en 2003, cela représenterait 5 milliards de gigaoctets de données numériques. En 2010, cette quantité est atteinte en seulement deux jours. Chaque utilisateur est devenu auteur, compositeur, réalisateur.

Chaque minute, nous produisons 350 000 tweets, 15 millions de SMS et 200 millions de mails. Notre société croule sous une avalanche de données. Ce tsunami impose une organisation, une gestion du net. A l'image du codex médiéval, avec ses numéros de pages, les moteurs de recherche nous aident à trouver ce que l'on cherche au milieu de cet océan digital.

Pour une question donnée, un algorithme nous propose une sélection de réponses dans un ordre préférentiel. Mais jusqu'à quel point ces moteurs sont-ils influencés par des paramètres économiques ou politiques ? A l'heure du fake news, c'est aujourd'hui à l'utilisateur de faire la part du vrai et du faux. Notre cerveau n'a plus l'obligation de se souvenir de tout, mais il doit maintenant se méfier de tout. Mais ceci est une autre histoire.

La durée de vie moyenne d'une inscription sur la pierre est de l'ordre d'une dizaine de milliers d'années. Sur un parchemin, environ 1000 ans. Sur la pellicule, 100. Le vinyle, 50. Aujourd'hui, nous stockons des quantités exponentielles d'informations sur des supports qui ne survivront certainement pas plus de 20 ans. Jamais dans l'histoire de l'humanité, nous n'avions stocké autant de savoir sur des supports aussi fragiles. Les matériels tombent en panne très vite ou sont dépassés technologiquement.

Les ports USB existeront-ils encore dans 100 ans ? Le codec de compression JPEG sera-t-il encore utilisé pour que nos petits-enfants puissent voir toutes les photos que nous prenons avec nos portables ? La réalité est là.

Nous n'avons actuellement aucune solution technique pour garantir la conservation de notre savoir au-delà de quelques années. On envisage de créer des musées informatiques, des arches de Noé contenant un exemplaire de chacun des ordinateurs qui resteraient en l'état, sans aucune mise à jour. À des coups exorbitants, on parvient à coder des brins d'ADN qui pourraient alors stocker d'énormes quantités de données. Mais la seule solution viable est de recopier régulièrement l'ensemble de notre savoir sur de nouveaux supports, un peu à la façon des moines copistes du Moyen-Âge. Il semblerait bien que nous ayons besoin, encore une fois, d'un nouveau visionnaire.

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