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Entretien avec Jean-Noël Jeanneney

Bonjour Jean-Noël Jannet. Bonjour. Merci d'avoir accepté l'invitation de LCP dans cette série d'entretiens consacrés aux ministres issus de la société civile.

C'est votre cas, en 91 vous entrez au gouvernement d'Edith Cresson comme secrétaire d'Etat au commerce, puis quand Bérégovoy lui succède vous devenez secrétaire d'Etat à la communication. Donc quand vous entrez au gouvernement vous n'avez jamais été dans un parti politique, vous n'avez pas été candidat à des élections, mais on ne peut pas dire non plus que vous êtes complètement étranger au monde politique puisque... Chez les Jannet, on est un peu ministre de père en fils.

Votre grand-père, Jules, a été ministre de Clémenceau. Votre père a été ministre de De Gaulle. Est-ce que, quand vous étiez enfant, vous rêviez de devenir ministre ?

C'est vrai que je suis un peu né dans le chaudron. Et dans votre enfance, c'était un rêve, une ambition ? C'était une proximité, en tout cas. Au fond, j'ai joué sous une cheminée sur laquelle il y avait le bus de Clémenceau.

Juste à portée, il y avait une photo dédicacée du général De Gaulle. Au fond, c'est vrai que pour moi, c'était... C'est pas un mérite, mais c'était un privilège.

C'était quelque chose d'un peu moins étranger, peut-être, que pour d'autres. Il n'empêche que quand on arrive au Conseil des ministres, qu'on s'est assis là pour la première fois, c'est très émouvant. Parce que votre père est entre le gouvernement de De Gaulle, vous avez dit 17 ans. Quand il a quitté ce gouvernement, vous en aviez 27, donc ça fait 10 années. vous étiez dans une position privilégiée pour observer les coulisses du gouvernement.

Est-ce que c'était formateur ? Est-ce que vous vous êtes beaucoup enrichi dans cette période ? Oui, c'est vrai, d'autant plus qu'avec mon père, nous avions beaucoup d'intimité intellectuelle.

Il me racontait beaucoup de choses, il m'associait à ses réflexions, et donc j'ai appris beaucoup par lui. Et en même temps, j'étais historien. Donc j'avais également appris ce que c'était que la République, la troisième, la quatrième, la cinquième.

Et je pouvais combiner dans ma réflexion. La préparation que je faisais pour moi-même devant ces activités, je pouvais combiner cette double expérience, si je puis dire. Dans le deuxième tome de Vos Mémoires que je recommande, le Rocher de Susten, vous racontez que vous vous emménagez au ministère avec vos parents, donc vous êtes vraiment aux côtés de votre père alors que lui exerce sa charge de ministre.

C'est vrai, j'avais été reçu à l'école normale, mais j'ai attendu un an pour y habiter, contrairement à l'usage, pour être prêt. C'est rue de Grenelle, au ministère de l'Industrie, où était mon père. Et c'est vrai que du même coup, j'avais appris en même temps. que de l'histoire du passé, un certain nombre de règles, de comportements peut-être.

qu'on devait observer lorsque le hasard de la vie vous mettait tout à coup dans cette position du dehors, sans avoir été parlementaire, comme vous le disiez, d'accéder au gouvernement de la France. Le gouvernement de la France. Un épisode de cette période, c'est qu'en 68, votre père s'est présenté à Grenoble aux législatives face à Premier Mendès-François, il a d'ailleurs gagné, vous étiez investi dans cette campagne.

Est-ce que ce premier combat électoral auquel vous avez participé vous a donné envie de vous engager en politique ? On ne sait pas ce combat spécifique, un combat qui a eu sa vaillance et qui a au même temps, j'ai au fond un peu regretté parce qu'il n'était pas fait pour se combattre. Il fallait qu'ils soient tous les deux parlementaires. Les circonstances ont fait. Mon père avait refusé en 1967 de se présenter contre Monde France, qui avait été lui-même au gouvernement avec mon grand-père et qui l'estimait beaucoup.

Et puis en 68, il a été choqué par son comportement après mai, le fait qu'il soit allé à Charletti, etc. Et du coup, cette fois-ci, il a cédé aux instances de Pompidou, qui était Premier ministre. il acceptait de se présenter.

Oui, je l'accompagnais naturellement, effectivement. Je ne peux pas dire que... Ça ne vous a pas donné le goût du combat électoral ? C'est pas ça spécialement, non, non, j'avais pas besoin de ça. Et en plus, c'était pas un combat où je me sentais tellement à l'aise à cause de ce que je viens de vous dire.

Parce que vous avez de la tendresse au minimum pour Premier Mendès-France. Tendresse, non, c'est excessif, mais de la considération. J'ai en quelque sorte accédé à la réflexion politique au moment où il entrait au gouvernement. Mon grand-père, qui vivait toujours, l'avait écrit...

j'aimerais retrousser mes manches, il était non ingénieur, pour pouvoir vous accompagner. Son collaborateur Simon Nora, qui était un ami de mes parents, qui avait été étudiant de mon père, venait nous raconter tout ça, ce sont des premiers souvenirs. Mais enfin, on était dans une autre époque, celle de 1968, et cette fois, j'ai approuvé mon père de se présenter, tout en regrettant qu'il ait été contraint à cette extrémité. Au départ, vous êtes historien, professeur d'université, mais après l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir, donc en 1981, vous êtes nommé l'année suivante PDG de Radio France pendant 4 ans. puis vous devenez président de la mission chargée de la célébration du bicentenaire en 89 donc on peut dire que c'est François Mitterrand qui vous a permis d'entrer en politique il a eu un rôle important Bien sûr, bien sûr, cet arrivé dans les affaires publiques correspond à ce septennat et aux deux septennats en vérité même si ce n'est pas directement lui qui m'a nommé à Radio France puisqu'il avait eu le courage politique d'instaurer pour la première fois un sas entre l'audiovisuel public et le gouvernement et c'est la haute autorité...

Présidée par Michel Cotta. Peut-être demander son avis. Vous demanderez à Michel Cotta, elle l'a raconté, elle était présidente. Je lui sais gré de ce choix. Mais c'est vrai que ce qui s'est passé en fait, c'est qu'après la mission du bicentenaire, qui s'est passé en somme convenablement, vous vous rappelez le défilé de Jean-Paul Goude ?

Tout le monde s'en rappelle. Et j'étais évidemment responsable de ça au premier chef. Mais cette rencontre avec Mitterrand, vous l'avez souhaitée ? Elle est arrivée par hasard ?

Non, j'avais publié parmi beaucoup d'autres mon nom dans les listes de soutien en 1974 et en 1981. J'étais de la famille de la gauche sans être membre du PS, vous l'avez dit tout à l'heure. Et donc je me suis senti très très bien dans ce qui se passait, parfois critique bien sûr. J'ai plus connu Mitterrand lorsque j'étais président de Radio France, ça l'intéressait.

Et évidemment beaucoup au moment de la... du bicentenaire. Certains ont dit qu'ils avaient souhaité se faire réélire pour pouvoir célébrer ce bicentenaire.

Je crois que c'est excessif, en vérité. Mais enfin, ça l'intéressait beaucoup, nous avons conversé. Je raconte tout ça effectivement dans le tome 2 de mes mémoires. Et dans ce tome 2, je vais vous raconter, comme vous aviez commencé à l'évoquer, qu'après le succès de la célébration du bicentenaire, François Mitterrand vous convoque et vous promet...

Vous allez entrer au gouvernement, mais il vous l'a proposé spontanément ou il faut quand même faire la demande dans ces cas-là ? Je ne lui ai pas demandé, mais je lui ai apporté le rapport de la mission. Et je lui ai dit, voilà, vous aviez souhaité, monsieur le Président, que je mène une action politique, ce n'était pas une action administrative, même pas une action historiographique.

vous avez souhaité que je fasse une célébration politique portant un certain sens, ayant une signification, pour vous offrir ce défilé au G7 du 14 juillet. Alors c'est vrai que j'ai beaucoup aimé faire cette politique. Il m'a dit oui, la politique c'est bien intéressant. Et c'est à ce moment-là qu'il m'a dit, eh bien, lors du prochain gouvernement, vous serez ministre. Je n'ai pas...

fait la grimace. J'en étais très content. En fait, je crois qu'à l'époque, il pensait que le gouvernement de Rocard serait plus bref qu'il a été, mais la première guerre du Golfe l'a amené à prolonger cela. Effectivement, quand le gouvernement d'Edith Cresson a été créé, il m'a convoqué, je suis entré avec un cœur un peu battant dans son bureau.

Vous avez reçu un coup de fil le matin, vous étiez convoqué l'après-midi à l'Elysée. C'est lui qui me dit que, comme je vous l'ai annoncé, je vous propose un poste, mais... Pour rentrer dans le détail, il m'a dit vous allez être secrétaire d'État, si vous le souhaitez, à l'enseignement technique.

Est-ce que ça vous intéresserait ? J'étais décidé à entrer au gouvernement s'il me le proposait. Mais j'ai ajouté, c'est un beau poste, c'est important, mais enfin j'ai ajouté si par hasard je connais la complexité de la formation d'un gouvernement, c'est comme un jeu de taquin, je sais ce qui se passe parfois à la fin. Le taquin c'est qu'il faut remplacer, trouver la bonne place pour chaque capitaine.

Oui c'est ça, c'est ça. Donc jusqu'au dernier moment les choses bougent. Si par hasard il y avait un poste plus international, je dis... Effectivement, j'en serais content.

Parce qu'à un moment, la rumeur faisait de vous le prochain ministre de la Culture, alors se voir proposer l'enseignement technique, c'était peut-être un peu décevant, non ? Oui, c'était un peu décevant, mais enfin, c'était d'être au gouvernement. Et alors, juste avant l'annonce du gouvernement, il m'a téléphoné, c'est une des rares fois qu'il m'a téléphoné, en me disant ceci. Le poste de secrétaire d'Etat au commerce extérieur se trouve vacant parce que Henri Emanuelli l'a refusé.

Il trouve que ce n'est pas tout à fait digne de lui. Est-ce qu'éventuellement ça pourrait vous intéresser ? Premièrement, j'ai été très reconnaissant à Henri Emanuelli.

Voilà une occasion qu'il a refusé. D'autre part, j'ai répondu oui, beaucoup. Il m'a dit, est-ce que vous vous rappelez que la première ministre, Edith Cresson, a occupé ce poste ? J'ai dit oui, je me le rappelle bien.

Est-ce que vous parlez anglais ? Je me débrouillerais très bien. Est-ce que vous avez autant d'énergie qu'avait Edith Cresson ? J'ai dit ça à M.

le Président, c'est à vous d'en juger, mais en tout cas, sachez que si vous me jugez digne de ce poste, j'en serais extrêmement content. Et puis je me suis mis avec ma famille devant la télévision. La liste a été lue sur le perron, comme toujours, par le secrétaire général. J'avais le cœur légèrement battant. Et le dernier de la liste, c'était moi.

45 ministres dans ce gouvernement, vous étiez le 45ème. Oui, oui. Ça ne vous a pas vexé ?

Vexé ? Pour l'instant, j'étais tellement content. Et plus l'idée d'être au commerce extérieur, d'être à Bercy, de découvrir le fonctionnement de cette machine, ça a ajouté encore à ma satisfaction.

J'étais vraiment très très très content. Et puis ensuite, les événements m'ont permis d'entrer dans ce monde et d'y prendre beaucoup de satisfaction, quelques coups aussi. Le Nirvana, ce n'est pas un lieu de bonheur quotidien, mais comme c'était intéressant, et moi qui avais été historien et qui, il y a 20 ans, m'étais dit, je veux être libre, je veux être universitaire, je veux ne pas dépendre jamais de personne directement, sauf éventuellement politiquement, mais je voudrais bien exercer dans ma vie des activités publiques ou parapubliques, voilà que cela m'arrivait. C'était vraiment une satisfaction dont je n'essaierai pas de vous dissimuler l'importance.

Justement, c'est une question que je me posais quand vous assistez à votre premier conseil des ministres. Est-ce que vous êtes là dans la peau d'un acteur qui est bien décidé à peser ? Ou est-ce que vous êtes aussi l'historien qui a la chance d'être aux premières loges pour observer la comédie du pouvoir ?

Franchement, les deux. C'était émouvant quand on s'assied là. Je me rappelle, j'étais à côté d'un autre secrétaire d'État, qui était pour la première fois aussi au gouvernement, et qui m'a dit je plane Il a fait une belle carrière depuis. J'aurais pu dire un peu la même chose.

Et c'est vrai que constamment, je me suis dit que je voulais laisser quelques marques, une marque en étant là, et que je voulais en même temps être témoin, puisque j'étais historien. Donc j'ai pris énormément de notes, évidemment, tout en essayant d'agir et de changer un certain nombre de choses. Et c'est vrai qu'en arrivant, le fait que mon père m'ait beaucoup raconté, et mon grand-père aussi, leur activité ministérielle m'a permis peut-être d'éviter un certain nombre de pièges.

Et la scène la plus révélatrice auquel vous avez pu assister en conseiller ministre, est-ce qu'il y en a une qui vous a marqué ? Oui, oui, sûrement la dernière, lorsque nous avons tous été battus en 1993 et que François Mitterrand, avant de nous recevoir un par un... a marqué qu'il éprouvait ça comme un moment essentiel, et ça l'était.

Et nous exprimant une reconnaissance modérée, ce n'était pas à cet égard un grand emphatique, mais aussi des vœux pour la suite. Et il l'a fait avec des détails, des exemples historiques qui évidemment m'ont touché, mais vous portez tout de suite à la fin. Oui.

Alors que là, vous venez d'être nommé en réalité au secrétariat du commerce extérieur, alors que ce n'est pas votre spécialité, le commerce extérieur. Non, certains gens m'ont un peu ricané. Oui, et puis même, comment l'administration de Bercy perçoit l'arrivée d'un historien au ministère ?

Comment se faire respecter ? Je ne sais pas comment ils l'ont éprouvé, ou plutôt je l'ai vraiment ressenti, mais je suis arrivé avec deux ou trois idées simples. D'abord, que je n'étais pas économiste, j'avais des économistes autour de moi, je n'étais pas économiste, mais que je dirais aux fonctionnaires qui viendraient à moi, si je ne comprends pas ce que vous me dites, ce n'est pas ma faute, c'est la vôtre. et ça a marché très bien. L'autre règle, mais ça c'était parce que je savais que c'était un danger, c'était de ne pas me faire imposer un directeur de cabinet par l'administration.

Ils ont essayé. Le personnel, on ne sait pas d'où il vient, un historien. Il faut le contrôler, il faut le surveiller de près. Alors on m'a envoyé un monsieur très digne pour me dire, je vais probablement être votre directeur de cabinet. J'ai dit non, je l'ai vu 20 ans après, il m'a dit, vous ne m'aimiez pas.

C'est pas ça, mais je voulais un directeur de cabinet qui n'ait de légitimité que la mienne. Donc j'ai choisi un jeune inspecteur des finances. qui est toujours mon ami et qui est venu.

Donc c'était un premier aspect des choses. D'autre part, j'ai introduit parfois un peu de littérature, c'est vrai, dans les discours techniques. Ça m'amusait aussi. Une fois je les ai réunis à Vancouver, je me rappelle, les conseillers du commerce extérieur et les représentants surtout dans les ambassades de notre commerce extérieur, et je leur ai cité un vers de Michel. Thierry, qui est un poète belge très connu, outre qu'éverain, toi qui palies au nom de Vancouver.

C'était à Vancouver. Et puis, la suite, c'était les soldats pérégrins des trottoirs inconnus. Alors, j'ai vu dans leur regard, vous êtes les soldats pérégrins. Mais enfin, ils commençaient à s'habituer. Mais surtout, ça, c'est la mousse des choses.

La réalité, c'est que c'était absolument passionnant de se plonger dans des dossiers tels que celui-là. Il y avait trois aspects. Il fallait aller en Europe. à Bruxelles, et ça j'étais avec Strauss-Kahn qui était également ministre à Bercy, aller dans les régions de France pour leur dire, il faut faire davantage pour exporter, et puis aller dans une série de régions, de pays étrangers, pour pouvoir porter la parole de la France et encourager ceux qui travaillaient là-bas.

J'ai été le second ministre après Fourreau à aller à Taïwan. C'est la seule fois de ma vie où j'ai eu l'impression d'être accueilli par un chef d'État, comme il n'avait pas eu encore de ministre à l'époque. Enfin voilà, donc ça, ça a été absolument passionnant.

Et quand je suis parti, j'ai un peu regretté. Mais très brièvement, puisque ensuite, l'autre poste était encore plus passionnant. Oui, c'est ce que je me dis, puisque quand Bérégovoy succède à Cresson, vous êtes nommé secrétaire d'État à la communication.

Vous êtes le grand historien des médias en France. J'imagine que c'est le poste de vos rêves. En tout cas, j'étais très content, c'est vrai, j'étais très content.

Je me suis posé tout de suite la question de savoir... Je savais que ça allait être bref, puisque nous approchions des élections de 1993. Il ne fallait pas être grande prophète pour savoir qu'il y avait peu de chances que la majorité de gauche soit... prolongé. Je me suis dit, on a un an.

C'était aussi une expérience historique. Il faut que, pendant cette année-là, je me donne à moi-même, outre le travail quotidien de rapport avec les médias, une ou deux choses majeures qui resteront après moi. Et avec ma petite équipe, on a décidé cela. Et en fait, c'est ce que nous avons réussi à faire.

Il y a eu deux choses dont je suis assez fier, après tout, je n'ai pas de raison de le dissimuler. C'est d'abord que nous avons fait la loi de juin 92 sur le dépôt légal de l'audiovisuel. En tant qu'historien, là, rapidement, vous êtes... D'autant plus que quand j'étais...

J'avais mon séminaire à Sciences Po dix ans plus tôt, j'avais fait un article dans Le Monde pour dire qu'il faut absolument qu'on puisse faire un dépôt légal comme on le fait pour les livres. et qu'on le fasse pour le De. Et ça a été la loi qui a été faite. Vous voyez que désormais, je me suis mis au niveau de François Ier, qui avait fait le déploiement. Sérieusement, en plus, j'ai beaucoup aimé, alors c'est un autre aspect des choses, j'ai beaucoup aimé le travail parlementaire.

Juste avant ça... Pardon, j'en prie, c'est vous qui guidez, mon cher. Je me laissais entraîner, mais je me disais que quand on est ministre de la Communication, est-ce qu'il arrive qu'on reçoive des coups de fil de Matignon ou de l'Élysée qui se plaindraient du traitement que leur réservent les journalistes du service public ?

Est-ce qu'il faut affronter ça ? Ça m'est arrivé une fois. Une fois, Bérégovoy, Premier ministre, m'a dit, je viens de regarder le journal, on déforme complètement mes propos, c'était sur les prisons, je crois, c'est insupportable.

Mais j'ai dit, mais Monde le Premier ministre, vous avez fait des lois qui m'empêchent complètement d'intervenir. Et quand j'étais président de Radio France, je n'aurais pas supporté un instant, je ne l'ai pas supporté un instant. Ils ont compris très vite qu'ils venaient intervenir sur le contenu.

J'étais responsable, j'ai discuté avec les journalistes, mais il n'était pas eu d'intervenir. Je sais bien, il a raccroché. de façon chagrine.

Ça prouve que les politiques vivent quand même sous la pression des journalistes, et c'est quelque chose que vous relevez souvent, c'est-à-dire que le journaliste, lui, s'intéresse à ce qui se passe aujourd'hui, alors que l'homme politique doit anticiper ce qui arrivera demain. Comment résoudre cette contradiction ? Et se rappeler ce qui est arrivé hier, car à mon avis, les hommes d'État, les hommes publics efficaces, sont ceux qui restituent la profondeur de champ. Ça ne veut pas dire qu'ils ne vont pas s'intéresser à toutes les... Les multiples pics qui leur arrivent de partout, évidemment.

Mais en tout cas, j'ai eu l'autre satisfaction, on permettait de le dire, qui était, ça c'était la chance, comme toujours, le hasard, le Rocher de Susten, le titre de mes mémoires, c'est parce qu'un Rocher a failli m'écraser quand j'avais 18 ans, un énorme Rocher. C'est la part du hasard. La part du hasard à jouer, puisque c'est à ce moment-là que la La cinquième chaîne a connu une déconfiture commerciale, contrairement à la six qui a bien marché.

Et donc le réseau, la fréquence s'est trouvée libre, c'est-à-dire ce qu'on y mettrait. Et c'est à ce moment-là que, contre d'autres qui voulaient d'autres choses, j'ai suggéré que ce soit Arte. J'avais été avant au conseil d'administration de la CET qui avait précédé Arte, je n'entre pas dans les détails.

En tout cas que ce soit Arte qui y aille, parce que c'était sur le câble jusque-là. Et je me suis dit que cette belle entreprise culturelle franco-allemande... Il valait la peine de le donner à connaître et de rendre cette chaîne accessible à tous les Français, à toutes les Françaises. Quand on a l'humarté, on pense à vous.

J'ai deux choses. S'il vous plaît, continuez, s'il vous plaît. Alors, quand on est simplement secrétaire d'État, est-ce que parfois, pour devoir défendre son notarité, on pose sa démission en exigeant d'être écouté sous peine de démissionner ? Ça vous est arrivé, ça ? Oui, ça m'est arrivé une fois.

Ça m'est arrivé une fois parce que j'ai appris, c'est assez d'actualité, vous allez voir pourquoi. je veux dire dans la durée des dernières années. J'ai appris un jour que quelqu'un, Zozo de Bercy, avait suggéré à Bérégovoy, devenu Premier ministre, de supprimer la redevance audiovisuelle. et fait croire que ça permettrait de gagner les élections de 1993 quasiment.

C'était évidemment démagogique, c'était absurde. Je ne commente pas l'actualité plus récente, mais c'était une très mauvaise action. Et moi qui avais toujours défendu une idée simple, c'est qu'il fallait absolument qu'à côté de l'audiovisuel privé, prospère un audiovisuel public dans une autre ambition, selon d'autres règles, avec d'autres missions. Je n'allais pas tout à coup rester secrétaire d'État chargé de ce secteur, ministre chargé de ce secteur.

si on supprimait la redevance. Alors c'est vrai, j'ai fait dire à Birgauvois et j'ai fait dire aussi à l'Elysée que je ne pourrais pas rester. Je savais bien que ça ferait une émotion pendant 24 heures.

J'étais vraiment au bout de la table et ça n'aurait pas ému très longtemps. Mais en tout cas, c'était mon moyen de pression. J'ai attendu 24 heures. Je me rappelle, mon directeur de cabinet, j'étais au milieu d'une réunion avec des journalistes, m'a appelé au téléphone, j'y suis allé, il m'a dit ils ont cédé Et effectivement, ils ont pris d'autres décisions de toute façon. Et donc on a maintenu l'art devant ces récits.

Depuis lors, évidemment, chaque fois qu'il était question, et hélas, on l'a instourbi définitivement il y a quelques temps, peut-être pas définitivement, chaque fois j'ai repensé à ce moment-là, car je crois que c'était un instrument fondamental pour la garantie de financement à long terme, donc pour protéger contre l'utilisation par les gouvernements de l'arme financière. et pour donner la sérénité de la moyenne durée aux acteurs de ce champ essentiel pour la démocratie. Vous parliez du fait qu'un ministre doit s'exprimer au Parlement, enfin à l'Assemblée, pour défendre ses projets de loi. Vous êtes professeur d'université, donc vous êtes habitué aux amphithéâtres. J'imagine que vous avez été immédiatement à l'aise à la tribune.

Pas du tout, en tout cas parce que j'ai commencé par les questions au gouvernement. Notamment, les médias s'intéressaient plus que le commerce extérieur. Je me vois devant l'hémicycle, effectivement, et j'ai une réaction de professeur, puisque j'ai eu envie de leur parler avec quelque ampleur.

En haut à droite, il y en avait deux qui bavardaient, c'était à peu près comme si deux étudiants avaient bavardé, j'aurais été chercher leur regard, et je suis devenu de plus en plus emphatique. Et Bérégovoy, qui était au premier rang, avec sa main, a fait comme ça, comme ça, comme ça. Et j'ai compris ce qu'il fallait faire, c'est-à-dire regarder uniquement celui que vous avez interpellé, ne pas...

considérer le bois alentour, être relativement bref et ne pas chercher à séduire un auditoire toujours turbulent. Et ne pas prétendre entendre non plus les cris qui viennent ici et là. C'est seulement au journal officiel, après, que j'ai appris qu'un des parlementaires d'opposition, c'était Pandro, je crois, s'était écrié, il est nul, cet héritier.

Vous auriez réagi si vous l'aviez entendu ? Peut-être si ça avait été... Non, je pense pas que j'aurais réagi.

J'aurais pas dit, il est pas nul, je suis pas héritier. J'étais sûr que j'étais héritier. Nul, c'était le jugement de chacun. C'est votre grand-père, Jules, qui vous disait, lorsque vous étiez plus jeune, il faut une peau de pachyderme pour faire de la politique et résister aux attaques dont on est victime.

Est-ce que vous confirmez ? Oui. Oui, oui, je confirme. Je confirme.

Et le fait de le savoir au début est évidemment déjà une garantie de protection. Maintenant, personne ne peut affirmer qu'il est complètement insensible aux critiques. Ce qui est le plus pénible, probablement, ce sont des critiques qui apparaissent absurdes ou sur des fausses nouvelles. On a tous un talon d'Achille. Mais enfin, vraiment, là encore, mon expérience d'historien, les années 30, la capacité de haine qui circulait partout, mon expérience d'historien, et la quatrième aussi, m'avait tellement appris.

qu'on disait tout et n'importe quoi sur des hommes politiques que ça me protégeait un peu. Tout en sachant qu'il ne fallait pas les négliger. Parce que vous savez...

Est-ce que de ces attaques, certaines ont été plus blessantes et vous ont vraiment marqué ? probablement quelques-unes, mais je n'ai pas envie de les rappeler. En tout cas, une idée fausse devient un fait vrai.

C'est surtout préoccupant si à un moment donné votre réputation ou votre image commence à être marquée fortement dans l'opinion de cette façon-là et que c'est déplaisant. Si c'est un cri de hargne provisoire, comme c'est le cas le plus souvent, alors qu'il... disparaissent dans le ruisseau des méchancetés mortes.

Lors de votre passage au gouvernement, est-ce que les leçons que vous aviez pu apprendre auprès de votre père lorsque vous étiez plus jeune étaient encore d'actualité ou est-ce que les choses avaient vraiment changé, vous qui êtes historien ? Vous voulez dire le fonctionnement du gouvernement ? Le fonctionnement du gouvernement, la manière dont on le dirige, les rapports avec la presse, est-ce que vous avez eu le sentiment que c'était une autre époque ? Non, pas vraiment.

J'ai l'impression que les différences sont plus grandes avec aujourd'hui, à cause de notamment notamment des réseaux sociaux, du poids de l'immédiateté des réactions de l'opinion et de l'obligation de s'exprimer partout. Je n'ai pas le sentiment que... Vous en parlez déjà.

Vous dites déjà que c'était difficile à l'époque de ne pas suivre les journalistes qui attendent toujours des commentaires immédiats. C'est normal, c'est leur métier. Il ne fallait pas s'en indigner. C'est à peu près comme les gens qui s'indignaient quand j'étais à Radio France, des syndicats.

C'est chacun dans son rôle, c'est très important. Donc, il fallait tenir compte de ça. Mais c'est vrai que depuis, il y a une différence considérable.

c'est l'arrivée des réseaux sociaux, je le disais, et des conséquences. que nous n'avons pas fini de mesurer. Et puis, il y a une autre donnée qui fait que Mitterrand était plus proche de De Gaulle que de Macron. C'est que, depuis, il y a eu cette funeste idée du quinquennat.

Oui, évidemment. Le quinquennat que j'ai vu comme historien avec beaucoup de chagrin. C'était des politistes, des constitutionnalistes qui poussaient à ça en disant que c'était plus court et donc serait plus démocratique.

Nous, nos historiens, René Raymond, mon maître en particulier, nous avons tous écrit que ce n'était pas vrai. une des forces de ce régime, c'était la diversité des temporalités. La temporalité de l'Assemblée nationale et puis celle du septennat. C'est ça qui permettait une distinction plus marquée entre le rôle de Premier ministre et le rôle de Président de la République. Vraiment, les relations entre Pompidou et De Gaulle.

Et même Chaban et Pompidou, dans le gouvernement, sont très différentes, me semble-t-il, de celles que l'on observe comme citoyens entre aujourd'hui l'Elysée et Matignon. Et c'est pas bon, c'est pas bon. Vous quittez le gouvernement...

donc vous l'avez dit en 93, en 97 malgré tout la gauche avec Jospin revient au pouvoir, est-ce que vous avez toqué à la porte pour obtenir un nouveau poste de ministre ? C'est pas mon tempérament de toquer à la porte, en effet j'ai pensé que Lionel Jospin aurait bien fait de me recruter, mais j'ai pas bougé du tout naturellement. Il n'a pas proposé aucune proposition ?

C'est le hasard aussi des personnalités, des circonstances. Non, en tout cas, ça ne s'est pas posé. J'ai vaguement pensé qu'en effet, il me ferait signe. Très franchement, mais il ne l'a pas fait.

J'ai continué de faire un métier que j'adorais, c'est-à-dire enseigner, faire des livres d'histoire, etc. en pensant que l'occasion se représenterait d'avoir une autre action publique avant que je devienne chenu. Vous n'êtes pas encore, mais vous avez été ministre, votre père l'avait été, votre grand-père aussi. Vous avez deux fils, dont le plus âgé a moins de 40 ans. Est-ce que vous pensez que cette nouvelle génération, un jour, prendra la relève ?

Il faudra leur demander, je ne veux sûrement pas parler en leur nom, ne méfie, c'est à eux de le dire. Je dirais que je suis un peu inquiet, je ne suis pas du tout de la catégorie des gens qui disent que c'était mieux avant, beaucoup de choses qui étaient beaucoup moins bien. Mais il y a un domaine qui me préoccupe un peu, effectivement, c'est le désir des citoyens de 20 ans, 30 ans, 40 ans, d'entrer en politique et de devenir parlementaire. Et éventuellement de devenir ministre.

Je pensais que c'était le désir faibli. Je crains qu'ils s'émoussent un peu, enfin ce sera un sujet d'une autre émission, vous m'inviterez, mais c'est vraiment une préoccupation. La qualité du gouvernement, même si c'est l'éléphant que nous observions, ceux du Parti Socialiste, depuis notre bout de la table, ne manquait pas d'énergie dans leurs combats intêmes. Ils avaient beaucoup de force et souvent de hargne entre eux, c'était des combats très forts. Néanmoins, il me semble qu'ils avaient une autorité en face du Premier ministre et surtout de l'Élysée.

qui était grande, alors je ne veux pas m'engager dans des comparaisons, mais si vous me demandez pourquoi cette génération, ce qu'on peut dire de cette génération devant la politique, je dirais que c'est essentiel en démocratie que des jeunes femmes et des jeunes hommes aient envie d'entrer en politique en particulier. au Parlement. Et il faut donc y veiller et installer tous les ressorts possibles pour aller dans ce sens-là. C'est un vrai défi démocratique. Heureux de vous l'entendre dire.

Le temps passe vite avec vous, Jean-Noël Jeanneney. Il est temps de vous poser la dernière question, celle que j'ai posée à tous les autres. Feu ! Vous avez passé donc 4 ans au gouvernement, 2 ans au gouvernement.

Quelles sont les 3 qualités indispensables pour être un bon ministre ? Ah, euh, le, l'écoute. Être attentif.

Je ne fais pas de hiérarchie. L'écoute, la distance, je veux dire ne pas vouloir se mêler de tous les détails, et peut-être une certaine capacité pédagogique pour expliquer ce qu'on fait, et que le public le comprenne, et que vos supérieurs comprennent qu'il y a des choses qu'on n'acceptera pas de toute façon. Voilà.

Merci beaucoup Jean-Noël Jeanneney. Merci de votre accueil, j'y suis sensible.