Dans le premier épisode, on a expliqué que le mécanisme des dettes Target 2 n'existe que pour garantir la libre circulation des capitaux au sein d'une zone monétaire, où la monnaie n'est pas unique mais commune. En effet, en zone euro, chaque pays possède sa propre monnaie centrale, qu'il faut pouvoir convertir à chaque fois que cette dernière passe une frontière. Ce mécanisme de conversion, même s'il est en pratique utilisé pour chaque transaction transfrontalière, ne donne pas lieu à l'apparition de balances Target 2 élevées tant que le marché interbancaire est fonctionnel. La faillite de Lehman Brothers et le blocage du marché interbancaire qui a suivi a provoqué l'apparition du vrai faux problème Target 2. En effet, les balances Target 2 ne correspondent pas à des sommes qu'un pays devrait rembourser à un autre pays. Elles ne sont que le reflet de la libre circulation des euros au sein de la zone.
Dans cet épisode, on va s'intéresser à ce qui pourrait se passer au niveau des balances Target 2 si un pays comme l'Italie devait quitter la zone euro. Um... Um... Um...
Si tu as bien suivi tout ce que j'ai raconté dans l'épisode précédent, tu devrais avoir compris que, même si le solde positif Target 2 de l'Allemagne ne veut absolument pas dire que le pays a prêté 884 milliards d'euros aux autres pays européens, il s'agit simplement d'un artifice comptable montrant que des euros créés ailleurs qu'en Allemagne circulent ou sont épargnés en Allemagne, il n'empêche que comptablement, la Banque Centrale Allemande, la Bundesbank, possède une créance sur une bonne partie des banques centrales de la zone euro, et notamment sur les banques centrales espagnoles et italiennes. D'où la question. Qui va rembourser cette dette ? On dirait presque un sujet de philo quid du remboursement d'une dette qui n'en est pas une, mais qui en est une quand même.
Et alors tu répondrais quoi ? Eh ben, j'avoue que c'est pas du tout intuitif, mais si c'est juste de la dette technique qui n'existe que pour montrer que les euros circulent, bah je dirais que personne ne devrait la rembourser. Et techniquement c'est tout à fait juste. Sont associées aux dettes Target 2 uniquement des intérêts, eux-mêmes fixés par les taux directeurs de la BCE, qui sont actuellement à zéro. Cependant, comme on l'a déjà dit dans l'épisode précédent, les dettes Target 2 n'ont aucune date de maturité, aucune date qui contractuellement dit qu'il faudrait avoir tout remboursé à une certaine échéance.
Elles ne sont tout simplement pas prévues pour être remboursées, mais simplement pour s'empiler ou s'annuler les unes les autres au fur et à mesure de la circulation des euros. Ok mais alors du coup il se passe quoi si un pays décide de quitter l'euro ? Ou si la zone euro explose purement et simplement ?
On fait quoi de toutes ces dettes ? Ce qui est intéressant ici c'est que la réponse est a priori purement technique, mais que certaines idéologies pourraient vite provoquer des ravages. Commençons par explorer quelques possibilités. Si je reprends mon exemple semi-fictif de l'Italie et de l'Allemagne, vu dans l'épisode précédent, le solde négatif de l'Italie par rapport à l'Allemagne montre que la quantité de dette en Italie est supérieure à la quantité d'euros en circulation, tandis que c'est l'inverse en Allemagne.
En cas de sortie de l'euro de l'Italie, les euros italiens deviendraient des liens. Mais qu'adviendrait-il de la dette Target 2 de la Banque Centrale d'Italie sur la Bundesbank ? Eh bien il faudrait que la Banque Centrale d'Italie rembourse en euros, ou en liens, ou en un peu des deux. Eh bien toutes les solutions que tu as citées sont potentiellement valides. Il s'agit ici avant tout d'un problème juridique et politique.
Tout est envisageable, il y aurait forcément des négociations entre les parties prenantes. Mais avant même de penser à rembourser, on pourrait simplement figer les dettes Target 2. Figer les dettes ? Il va falloir que tu m'expliques ça. L'idée est toute bête.
Les dettes Target 2 n'ont aucune date de remboursement. L'Italie n'a qu'une seule solution pour rembourser l'Allemagne, se débrouiller pour que des euros jusque là présents en Allemagne soient transférés en Italie. Ouais mais...
Un transfert, c'est pas vraiment un remboursement, c'est plutôt une annulation par effet miroir. Exactement, les dettes Target 2 ne font que s'empiler ou s'annuler. Donc à quoi bon demander à l'Italie de rembourser quelque chose qui n'a pas été conçu pour être remboursé ?
Une solution possible serait de laisser la dette Target 2 italienne là où elle est, de couler du béton par-dessus et de ne plus y toucher. Pareil pour le crédit Target 2 de l'Allemagne. Ça viendrait des genres de relis comptables, quoi.
C'est un peu ça, oui. Encore une fois, les dettes et crédits Target 2 n'existent que pour permettre la circulation des euros. S'il n'y a plus de circulation d'euros entre deux pays, alors on arrête de toucher à ces dettes crédits et on les laisse comme ça.
Ok, mais ça n'aurait pas d'impact, genre ça ne provoquerait pas de l'inflation en Allemagne ? Pourquoi ça en provoquerait ? Après tout, le solde Target 2 positif de l'Allemagne veut simplement dire que des euros issus de l'économie italienne circulent aujourd'hui en Allemagne. Si ces euros devaient provoquer de l'inflation, ne l'auraient-ils pas déjà fait ?
Encore une fois, ces euros sont déjà en train de circuler en Allemagne, ils sont tout à fait utilisables. La dette Target 2 est juste là pour dire que ces euros viennent d'Italie. Eh ok, putain, faut vraiment que j'arrive à me mettre ça dans le crâne. Mais tu as quand même raison.
La Bundesbank, ayant une vision très précise des causes de l'inflation, pourrait penser que ce trop-plein de monnaie scripturale représente un danger potentiel dans le cadre d'une inflation future. Et le problème, c'est que la dette Target 2 est en train de circuler en Allemagne. Le problème, c'est que si elle arrivait à cette conclusion, elle aurait du mal à agir pour supprimer ce trop-plein.
Il lui faudrait disposer d'une quantité d'actifs financiers suffisante à vendre sur les marchés afin de récupérer en guise de paiement le trop-plein de monnaie et de l'immobiliser. Mais c'est pas sûr que la Bundesbank ait suffisamment d'actifs à vendre. Et oui, de son côté, l'Italie a aussi un problème. Son économie a du mal à s'en sortir à cause d'un manque de monnaie par rapport à la quantité de dette.
La banque centrale italienne, une fois sortie de l'euro, pourrait alors opter pour du quantitative easing, comme ce que fait la BCE aujourd'hui. de la création monétaire puis du rachat d'actifs financiers afin d'essayer de remettre de la monnaie dans le système. Je croyais que ça servait plutôt à la spéculation de quantitative easing.
C'est vrai, dès qu'on passe par les marchés financiers, il y a le risque de ne pas voir la transmission à l'économie réelle et de financer majoritairement la spéculation. Mais si on passe par le biais du marché dit primaire, c'est-à-dire si on prête directement aux entreprises ou à l'État plutôt que d'acheter des produits financiers à ceux qui les possèdent déjà, la monnaie se retrouve bien dans l'économie réelle. La banque centrale pourrait également éviter les marchés financiers en utilisant...
d'autres formes d'injection monétaire notamment le QE for people ou quantitative easing pour le peuple dont on parlera peut-être une autre fois. Mais une autre manière pour l'Italie d'injecter de la monnaie dans le système c'est tout simplement de rembourser ses dettes Target 2. Rembourser la dette Target 2 ? Et oui !
Admettons que la Bundesbank n'accepte pas ma première solution. Elle n'accepte pas de conserver un actif Target 2 figé. La Bundesbank pourrait exiger d'être remboursé en euros et en livres ou même un mélange des deux.
Ça permettrait dans tous les cas de résoudre le problème du manque de monnaie de l'Italie. Alors là, je voudrais bien savoir comment. Partons sur un remboursement en euros et en lire. Pour la partie lire, c'est facile. La Banque Centrale d'Italie crée des nouvelles lires qu'elle met à la disposition de la Bundesbank en échange de la suppression de la moitié de la dette Target 2. Mais ces lires ne servent à rien à la Bundesbank en tant que telle.
Ainsi, elle préférera acheter avec cette monnaie des produits financiers italiens qui vont lui permettre de toucher des intérêts ou des dividendes. Conclusion, une partie de la dette Target a été remboursée, de nouvelles lires circulent en Italie, tout va bien. Ah ouais, putain, c'est tout con.
Mais pour la partie en euros, ça pose forcément un problème. Pas vraiment. La Banque d'Italie se met à acheter des euros sur le marché des devises, en proposant des lires en échange.
Les lires vendues correspondent évidemment à de la nouvelle monnaie, qui est nécessairement transférée sur le compte d'entreprise ou de particulier en Italie, puisque la lire n'accourt que dans ce pays. Inversement, dans mon exemple, les euros achetés par la Banque d'Italie ne peuvent venir que d'Allemagne, ce qui permet d'y faire diminuer la quantité de monnaie en circulation. Ah ouais ?
Donc en payant en euros, l'Italie résout quand même son problème. Mais du coup... Une fois que la dette est payée, elle va en faire quoi de ses euros la Bundesbank ? Dans le jeu des équivalences comptables, les euros disparaîtront en même temps que la dette Target 2 de l'Italie.
Ce qui finalement permet aussi à l'Allemagne de résoudre son pseudo problème de risque inflationniste en venant réduire sa masse monétaire. La finalité c'est qu'encore une fois on a résolu le problème sans trop transpirer. Les banques centrales sont des entités toutes puissantes en termes monétaires puisqu'elles peuvent créer la monnaie ultime, la monnaie centrale, celle qui est utilisée par les banques. Ainsi, sauf idéologie très conservatrice...
Les dettes ne sont absolument pas un problème pour les banques centrales. Mais le fait que la banque d'Italie achète plein d'euros comme ça, est-ce que ça ne ferait pas diminuer la valeur de la lire par rapport à celle de l'euro ? De toute façon, le but c'est aussi de retrouver une certaine compétitivité par rapport à l'Allemagne. Donc la dévaluation de la lire est une étape obligatoire. Après, c'est certain que si l'Allemagne demandait un remboursement total sous trois semaines, la dévaluation de la lire serait si brutale qu'elle serait probablement désastreuse pour l'Italie.
Mais de la même manière, l'appréciation de l'euro pour l'Allemagne ne serait pas indolore. Tout est question de négociation, il faudrait donner une échéance à la Banque d'Italie qui soit suffisamment longue pour que l'impact ne soit pas trop néfaste pour les deux économies. Parce qu'il ne faut pas oublier non plus que le modèle économique allemand repose sur sa balance commerciale excédentaire.
Les Allemands produisent plus que ce qu'ils consomment. Et comme expliqué dans cet épisode-là, l'euro, grâce notamment au mécanisme Target 2, permet aux Allemands de maintenir ce qu'ils considèrent comme étant un avantage. Donc en fait, les Allemands n'ont pas du tout intérêt à faire capoter l'euro ? Pas vraiment, non.
Et de toute manière, même si ça devait arriver, les dettes Target 2 ne seraient pas réellement un problème. Encore une fois, elles ne sont pas autre chose qu'une méthode technique pour assurer, même quand les banques ne se font pas confiance, une parfaite liberté de circulation de la monnaie commune qu'est l'euro. En cas d'éclatement de l'union monétaire, les balances Target 2 deviennent des problèmes techniques à régler entre banques centrales. Pas besoin de lever des impôts supplémentaires en Italie, ou de faire peur aux allemands pour je ne sais quelle raison. Les banques centrales doivent s'entendre entre elles, et il n'y a pas de raison qu'il y ait un impact direct pour les entreprises et les épargnants.
Mais alors, au début, tu disais que ça pouvait quand même poser problème à cause de je sais pas quoi, de l'idéologie. Oui, on n'est pas à l'abri des idéologies politico-économiques qui, une fois reprises par les politiques, donneraient une ampleur terrible à, je le répète, un simple problème technique à résoudre entre techniciens. En effet, pour le commun des mortels... Les balances Target 2 ressemblent à des dettes normales.
Et même après tout ce que je viens de t'expliquer, je suis sûr qu'il ne te semble pas si évident que ça, que les dettes n'aient en fait pas besoin d'être remboursées. Ouais, c'est vrai que c'est quand même difficile à intégrer. Et voilà.
Malgré tout ce que je peux dire, c'est de la monnaie centrale pour les banques, pas de la monnaie scripturale pour nous, c'est un problème de banque centrale, elles peuvent créer autant de monnaie qu'elles le souhaitent, c'est pas notre affaire, ce sont des mécanismes comptables destinés à faire circuler les euros. Mais ça n'a rien à voir avec une dette qu'il faudrait rembourser. Malgré tout ça, il n'empêche que dans nos têtes, avec tout ce qu'on nous a rabâché à longueur de journée avec la crise, la dette fait peur.
Et on ne peut pas s'empêcher de se dire que si elle n'est pas remboursée, quelqu'un devra bien en payer le prix quelque part. Ben voilà exactement, la dette vient bien de quelque part. Oui, d'une création monétaire.
L'argent des dettes Target 2 n'a été emprunté à personne. Il a été purement et simplement créé. Rembourser ses dettes, c'est détruire de la monnaie. Mais ce n'est pas rembourser quelqu'un qui aurait travaillé dur toute sa vie. Ah oui, c'est vrai.
Mais tu vois, il a fallu que je te le rappelle encore une fois, le mot dette fait peur, et les politiques savent jouer sur cette corde sensible. Pire, certains économistes qui conseillent les politiques maîtrisent très mal les notions de comptabilité, et le concept même de monnaie, ainsi que les règles qui doivent entourer son utilisation, font encore largement débat. Autrement dit, même certains économistes se trompent quand ils parlent de Target 2. Donc avec tout ce joyeux bordel, on pourrait très bien avoir des politiques allemands qui montent la tête aux épargnants de leur pays en leur disant qu'ils vont perdre leurs économies, que les Italiens et les Espagnols leur doivent des centaines de milliards et qu'il faut absolument les obliger à rembourser.
Ce genre de déclaration serait complètement fausse, mais ce serait pas la première fois que des politiques raconteraient n'importe quoi sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas. Donc finalement, les balances Target 2 c'est pas un problème, mais ça fait peur quand même. Malheureusement c'est un peu ça. C'est le moment de résumer un petit peu tout ce qu'on vient de dire.
Il y a à priori trois options pour régler le problème des balances Target 2 en cas de sortie de l'euro d'un des pays membres. Option numéro 1, on fige les dettes et crédits Target 2 et on n'y touche plus. Puisqu'on ne va plus échanger d'euros avec le pays sortant, il n'y a plus besoin de toucher au mécanisme Target. Option numéro 2, le pays qui quitte l'union monétaire crée de la monnaie et rembourse les banques centrales de la zone euro.
Cela permet au pays sortant de rajouter de la monnaie dans son économie. De leur côté, les banques centrales européennes obtiennent des actifs financiers de ce pays en échange de l'annulation de la dette Target 2. Option numéro 3, le pays sortant rembourse en euros. Tout comme l'option numéro 2, cette méthode permet au pays sortant de rajouter de la monnaie dans son économie, car la banque centrale devra créer de la monnaie pour acheter des euros. Cette méthode permet également aux banques centrales européennes de détruire le trop-plein de monnaie qui était présent de leur côté.
Cela dit, le simple fait que les mécanismes Target 2 font appel à de la dette peut provoquer une mécompréhension de l'existence purement technique de cette dernière. L'idéologie politico-économique de certains pourrait transformer ce faux problème en une véritable tragédie. Merci d'avoir suivi ce dernier épisode sur les balances Target 2. Je vous encourage à aller voir la vidéo annexe pour comprendre ce qui se passe au niveau des bilans des différentes entités concernées. Je ne prétends pas du tout avoir couvert toutes les problématiques et répondu à toutes les questions avec ces deux épisodes, mais j'espère que vous aurez quand même compris le caractère purement technique de ce problème. Il n'y a rien dans l'existence des balances Target 2 qui ne peut être résolu par des négociations techniques entre techniciens.
Sur ce, n'oubliez pas de commenter, liker et partager la vidéo. Toujours un énorme merci à tous les tipeurs qui me soutiennent financièrement, sans qui ces épisodes ne pourraient pas voir le jour. Et à bientôt pour un prochain épisode.