Ravie de vous retrouver pour ce nouveau numéro du Dessous des Cartes. Pour démarrer cette émission, je vous emmène au Point Nemo, situé au cœur de l'océan Pacifique. Le Point Nemo, c'est l'endroit le plus isolé de la Terre.
À plus de 2700 km des premières côtes, on l'appelle aussi pôle maritime d'inaccessibilité. Il s'agit d'une zone découverte il y a 26 ans par un géographe canado-croate. Ce serait aussi le lieu le plus mort de l'océan, la région biologiquement la moins active au monde. Car trop éloignés des terres, seuls quelques marins du Vendée Globe s'y risquent aujourd'hui.
Vous l'aurez compris, nous serons en mer dans cette émission. L'expansion du commerce a poussé l'homme à conquérir les océans. Les routes se sont déplacées et amplifiées pour coller aux besoins des producteurs et des consommateurs. On a creusé des canaux, Suez au Moyen-Orient, Panama en Amérique. On a exploré des détroits, on va le voir.
La conquête des routes maritimes en dit long. sur l'histoire des hommes, de leurs échanges et de leur volonté de puissance. C'est à partir de la fin du XVe siècle, avec les progrès techniques de la construction navale et la maîtrise des outils de navigation, que les Occidentaux osent s'éloigner des côtes pour se lancer à la conquête des océans.
Le génois Christophe Colomb trace une première route transatlantique à la recherche d'un passage maritime vers l'Inde. Il accoste par inadvertance. sur un nouveau continent, l'Amérique. Le passage vers l'Inde, c'est le portugais Vasco de Gama qui va le trouver en longeant l'Afrique de l'Ouest et en passant par le Cap de Bonne Espérance. Ces deux routes marquent le début d'une conquête des océans qui va permettre de relier commercialement l'ensemble de la planète dès la fin du XVIIIe siècle.
Un siècle plus tard, le percement de deux énormes canaux, Suez en Égypte, puis... Panama, en Amérique centrale, va encore intensifier ce mouvement et ouvrir de nouvelles routes. Reliant la mer Rouge à la mer Méditerranée, le canal de Suez est un projet franco-égyptien titanesque ouvert à la navigation en 1869. Il permet de relier la Chine à la France en 40 jours contre 50 jours par la longue route qui contourne l'Afrique. Un gain de temps et d'argent considérable.
Regardez cette image satellite. Long de 190 km, le canal de Suez accueille plus de 8% du trafic maritime mondial. Il est contrôlé par l'Egypte, qui a tiré plus de 5 milliards de revenus de son exploitation en 2018. Il a récemment été élargi sur 35 km, afin de doubler sa capacité de passage. Quelques années après l'ouverture du canal de Suez, c'est au tour des Américains de se lancer dans un autre projet de pêche. percement, celui du canal de Panama, qui ouvrira en 1914 après presque 30 ans de travaux, reliant les deux océans, Atlantique et Pacifique, sans avoir plus à contourner l'Amérique du Sud par le dangereux Cap Horn, il permet d'économiser plus de 12 000 kilomètres de trajet.
Passons de nouveau par l'image satellite. Le canal de Panama parcourt, on le voit, 77 kilomètres à travers l'Amérique centrale. Il voit transiter 5% du commerce mondial. et génère un milliard de recettes pour le Panama. D'importants travaux avec la construction d'un nouveau système d'écluse ont permis de doubler sa capacité en 2016. Cette véritable révolution qu'a constitué l'ouverture de ces deux gigantesques canaux s'est accompagnée d'une augmentation considérable du tonnage des bateaux.
On transporte aujourd'hui 100 fois plus de marchandises sur un navire qu'il y a 100 ans. Ce qui permet d'abaisser les coûts, et de placer le transport maritime en tête, loin devant ses concurrents, avec 85% du commerce mondial, contre 9% pour la route, 5% pour le train et 1% pour l'avion. Aujourd'hui, c'est plus d'un million de navires qui sillonnent ainsi les autoroutes de la mer. On est passé de 1,5 milliard de tonnes transportées dans les années 50 à près de 11 milliards en 2017, répartis de la façon suivante.
40% de produits en vrac, principalement des minerais et des céréales, 32% d'hydrocarbures, 27% de marchandises. Alors ce développement du trafic maritime a bien sûr contribué à l'explosion du commerce mondial. Un commerce mondial qui a progressivement délaissé les routes historiques reliant l'Europe à l'Amérique à travers l'Atlantique pour s'orienter plutôt vers le Moyen-Orient et vers l'Asie.
La Chine et ses voisins se plaçant désormais en tête des échanges mondiaux. Alors si l'Asie a pris une telle importance, comme vous le voyez sur cette carte des flux commerciaux, elle le doit à son dynamisme économique. Un dynamisme qui s'est appuyé sur la capacité de ces pays à construire des ports modernes, de très grande taille, adaptés à la manutention des containers.
C'est le cas de Shanghai. Premier port au monde, il est composé d'une partie en eau profonde, Yangshan, gagnée sur la mer autour d'un chapelet d'îles à 100 km du centre-ville. Cette partie est reliée par un gigantesque pont à l'agglomération et aux ports historiques.
situé sur l'embouchure du fleuve Yangtze. L'ensemble des deux ports est connecté au tissu industriel en pleine expansion de la ville et bénéficie des marchandises transportées sur le Yangtze depuis les villes de Nanjing, Wuhan et Chongqing. Au total, ce sont 650 millions de tonnes qui transitent par le port de Shanghai chaque année.
En 2016, sur les 20 plus grands ports mondiaux de commerce, 15 sont asiatiques et 9 sont chinois. Mais l'augmentation du fret et des échanges a également donné un pouvoir considérable aux pays qui contrôlent les verrous de la mer, ces points de passage obligatoires qui, s'ils sont bloqués, perturbent l'ensemble du trafic mondial. Le plus important de ces verrous, c'est le détroit de Malacca.
Situé entre l'Indonésie, la Malaisie et Singapour, il est à peine large de 30 km. Il est aujourd'hui saturé, comme vous pouvez le voir sur la carte, car il concentre à lui seul 15 à 20% du trafic mondial. La Chine, très sensible à la question de ses approvisionnements en énergie et à ses exportations, étudie donc la possibilité de relancer un projet de percement d'un canal en Thaïlande, sur plus de 150 km, dans l'isme de Kha.
Un projet qui permettrait de gagner 3 à 5 jours de navigation, mais il couperait la région de l'extrême sud à majorité musulmane du reste du pays. du pays, risquant ainsi de renforcer les velléités sécessionnistes. Le deuxième verrou stratégique du commerce maritime, c'est le détroit d'Hormuz. Large d'une trentaine de kilomètres, ce détroit voit transiter 30% du pétrole mondial. Il est sous administration conjointe du sultanat d'Oman et de l'Iran.
En cas de crise majeure avec les puissances occidentales, l'Iran pourrait facilement prendre le contrôle du détroit. et déstabilisèrent ainsi le commerce mondial. Depuis le début de l'année 2019, plusieurs pétroliers ont ainsi subi des attaques imputées à l'Iran.
Ce risque de blocage du détroit d'Hormuz a poussé les Émirats arabes unis à construire un pipeline partant du champ pétrolier de Hapchan, à proximité d'Abu Dhabi, et courant jusqu'au terminal pétrolier de Foujaïra, situé sur le littoral du golfe d'Oman. c'est-à-dire en aval du détroit d'Hormuz. L'Arabie saoudite, de son côté, a construit l'oléoduc Petroline qui part des champs de pétrole d'Abkaïk pour rejoindre le port de Yambou sur la mer Rouge.
Mais ce détournement ne règle pas tous les problèmes de l'Arabie saoudite car si Yambou permet de relier plus facilement l'Europe, le chemin pour rejoindre l'Asie reste problématique. En cause, La sortie de la mer Rouge vers l'océan Indien via le Bab el-Mandeb, autre verrou stratégique. Situé entre Djibouti et le Yémen, ce passage d'à peine 30 km est sous haute tension, avec les affrontements entre rebelles Houthis, soutenus par l'Iran, le gouvernement yéménite, soutenu par l'Arabie Saoudite, et les séparatistes du Sud. Face à cet autre problème et à la capacité limitée de transit de l'oléoduc Petroline, Les Saoudiens envisagent le percement d'un canal qui traverserait la péninsule arabique sur 950 km, mais l'instabilité au Yémen rend ce projet de 80 milliards de dollars peu probable. A ce retour au grand chantier pharaonique pour créer des voies de contournement, s'ajoute l'ouverture naturelle de nouvelles routes maritimes au pôle nord.
Avec le réchauffement climatique, la surface de la banquise durant les mois d'été a... considérablement réduit en l'espace de 40 ans, ouvrant de nouvelles voies. La plus spectaculaire est la route transpolaire qui passe par le pôle Nord et a été inaugurée en 2017, mais n'est encore accessible qu'à des brises glaces très puissants.
Cette voie s'ajoute à deux autres préexistantes, auparavant navigables seulement quelques semaines l'été. Le passage du nord-ouest, le long des côtes américaines, canadiennes et danoises, et le passage du nord-est, le long des côtes russes, désormais accessible de mai à octobre. La Russie mise énormément sur cette route qui permet de raccourcir le temps de trajet entre Rotterdam et Shanghai de près d'un tiers. Si le réchauffement climatique se poursuit, elle placerait le pays dans une position stratégique au sein du commerce mondial et renforcerait le lien entre la Russie et la Chine.
Mais cette route du nord-est passe à travers des détroits peu profonds qui rendent sa navigation très difficile et manque cruellement d'infrastructures portuaires adéquates pour se développer. Aujourd'hui, le transit y reste donc anecdotique et concerne principalement les Chinois qui l'ont intégré dans leur stratégie des nouvelles routes de la soie. Une façon pour Pékin de déjouer les verrous habituels comme Malacca ou Hormuz et la mainmise américaine au Moyen-Orient. On l'aura compris, la mondialisation a accru l'importance stratégique de ces espaces maritimes par où transitent 85% des échanges.
Et une fois de plus, on l'a vu, il est... à un pays qui a compris l'importance de maîtriser ses espaces, la Chine. Toujours elle, investissant patiemment dans les canaux, détroits, ismes et ports du monde, parfois même très loin de chez elle. Ainsi, sur les bords du canal de Panama, en Amérique centrale, ou sur les ports de Gênes et d'Athènes, en Europe, on croise de plus en plus d'investisseurs chinois. Et pour aller plus loin en images, cette géographie des espaces maritimes, le numéro 8104 de la documentation photographique, publié en mars-avril 2015. Ainsi s'achève ce nouveau numéro du Dessous des Cartes.
Rendez-vous bien sûr la semaine prochaine, même endroit, même heure. Et d'ici là, n'oubliez pas notre site internet arte.tv sur lequel vous retrouverez notamment nos experts. A bientôt.