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Comprendre le stress post-traumatique

Est-ce qu'il y a une culpabilité de dire je suis rentré en vie d'autre nom, je n'ai pas le droit de me plaindre ? Oui, complètement. J'étais connu pour être quelqu'un de bon vivant, j'aimais faire la fête, j'étais un bout en train, j'aimais tout ça, et ça c'était fini après.

Vous n'étiez plus vous-même ? L'alcool était très présent dans ma vie, mais ce n'était plus pour les mêmes raisons. Vous avez commencé à consommer pour vous échapper dans votre tête ? Oui. Vous êtes… tomber dans des trop de consommations ?

C'était énorme. Énorme, des consommations au fur et à mesure qui étaient de plus en plus énormes. Pour arriver justement à retirer cette anxiété, ces crises d'angoisse et tout ça et pouvoir ensuite derrière arriver à dormir un peu.

Vous avez pensé à consulter à cette époque-là ? Non. Pourquoi ?

Parce qu'on repartait en mission. Parce que vous êtes reparti vite en mission ? Assez rapidement, oui.

En fait, le seul endroit où j'étais bien, c'était quand j'étais en mission. Pourquoi ? Comment vous l'expliquez ?

Que vous étiez heureux à ce moment-là qu'en mission ? Je pense que, alors je l'ai compris bien après, je pense que c'était une forme de suicide. Je me suis dit au moins, un jour ça va arriver, je vais partir pour de bon.

Jusqu'au moment où il y a eu la mission de trop. Ça a été quoi la mission de trou Eric ? Le Kosovo.

Pourquoi celle-là Eric ? Le Kosovo, c'était un retour dans les Balkans, en 2004-2005. Ce que j'ai vécu là-bas n'a rien à voir avec ce que j'ai pu vivre en Bosnie, mais l'environnement était celui de la Bosnie, les paysages étaient ceux de la Bosnie, les gens étaient ceux de la Bosnie. Le peuple qui était en face de moi, c'était ceux de la Bosnie. Tout est remonté ?

Tout est remonté. C'était combien de temps après ? Je suis allé en Bosnie en 1995 et j'étais au Kosovo en 2004-2005, donc dix ans après.

Et quand je suis rentré du Kosovo, on a réintégré le matériel comme on fait d'habitude et là je me suis retrouvé tout seul. Donc j'ai fait ce que je savais faire et ce que je faisais pour tenir, c'était d'émoïlcoliser. Et puis j'ai encore fait une fois de plus un geste de trou.

Et là, c'est là que j'ai fait ma première tentative de suicide. Vous vouliez vraiment mourir ? Oui, je le prône, oui. À quel moment vous avez décidé de consulter et de vous faire aider, Eric ? Je suis tout de suite allé voir un médecin d'unité.

Un matin, je suis allé le voir et je lui ai dit Ecoutez docteur, j'ai un problème avec l'alcool, il faut que je me fasse aider, ça ne va plus, il faut que j'arrête. Donc il m'a écouté, il m'a dit écoutez, il ne faut pas que vous restiez au régiment, il faut partir, est-ce que vous avez un endroit où aller ? J'ai dit oui, je peux aller chez ma maman en Vendée, à la Roche-Saint-Yonc.

Vous n'avez parlé que de l'alcool à ce médecin ? Oui, je n'ai pas parlé de la tentative de suicide que je venais de faire. Et je n'ai pas parlé des flashbacks, je n'ai pas parlé de rien de tout ça.

Pourquoi ? Parce que c'était honteux. Et c'était tabou, on n'en parlait pas.

J'étais dans un régiment parachutiste. C'était montrer votre faiblesse, quoi. Voilà, c'était montrer sa faiblesse. À l'époque, j'étais en séquence de combat, donc j'avais mes hommes qui étaient là. Et puis, on allait repartir en mission pendant peu de temps et il nous fallait être forts.

Donc, on n'en parle pas. J'arrête de boire et j'arrête de fumer le même jour. J'étais à plus de deux paquets de cigarettes par jour, une bouteille de vodka tous les jours, tous les soirs.

Et puis, vous rajoutez la bière le midi, le vin, re-bière le soir, re-vin. C'était insensé, oui. C'était des quantités folles.

Et je courais le marathon à 2h45 à l'époque. Donc, c'est... Machine, quoi. On est des machines. On devient des machines.

Et on est entraînés pour ça, de toute façon. Donc, vous avez soigné, finalement, les symptômes, mais pas la racine du mal. C'est-à-dire l'alcoolisme et la cigarette, mais pas du pourquoi, quoi. Voilà, c'était ça. Et donc, au bout d'un mois, quand je suis arrivé au régiment, je suis allé voir mon corps en réalité.

Et là, il m'a dit, c'est bien, on repart. Et là, j'ai dit non, on ne part plus. Et je ne pouvais plus. Vous n'en pouviez plus. J'ai compris que là, il y avait quelque chose qui s'était passé et que je ne pouvais plus.

Vous êtes un cancer pour les autres. Quand vous avez un SPT, que vous êtes devenu métagéno-sol, vous êtes un cancer pour les autres. Alors, SPT, parce qu'on va venir à ce syndrome qui va finalement être diagnostiqué.

Il faut qu'on soit très clair avec ceux qui nous regardent. On utilise le terme un peu post-traumatique presque facilement. pour tout et un peu parfois rapidement, on va dire. SPT, ça veut dire quelque chose d'extrêmement précis. C'est très précis, c'est codifié.

C'est le TSPT pour troubles de stress post-traumatique. Le premier critère, c'est d'avoir un événement traumatique. C'est une confrontation, un danger à la mort imminente avec en général un sentiment d'impuissance, d'effroi. Ce n'est pas parce qu'on vit un événement comme ça qu'on va développer un trouble de stress post-traumatique.

On peut avoir des manifestations anxieuses qui sont... souvent adaptées, elles sont très souvent très adaptées en plus quand on est entraîné. Et au décours de cet événement, il peut y avoir soit une récupération complète, soit des petits signes, des flashbacks, un stress qui s'installe. Mais ce n'est pas encore le trouble de stress post-traumatique. Pour poser le diagnostic, on doit attendre un mois.

Et à un mois, on est dans le trouble de stress post-traumatique tel qu'on peut le diagnostiquer. Et là, c'est ce qu'a très bien décrit Eric, c'est l'hypervigilance permanente, c'est le fait de revivre l'événement. soit de façon spontanée, soit déclenchée par des sons, des bruits, soit le jour, soit la nuit, sous forme de cauchemars traumatiques. Et puis, ce sont les conduites d'évitement. C'est-à-dire, on va essayer d'éviter les situations dans lesquelles on risque d'être confronté à des situations dangereuses.

Donc, on est sur le quiff d'en permanence, on ne dort pas, on revit la scène à l'identique. Et c'est quelque chose d'extrêmement perturbant pour soi, mais pour l'entourage aussi. Donc, c'est très dévastateur.

C'est bien d'éviter, justement, ces... Ils ont dit d'éviter d'aller dans les magasins. Est-ce que c'est bien de les surprotéger comme ça aussi ?

Alors, dans un premier temps, l'évitement, c'est... C'est nécessaire et c'est une protection pour éviter d'aller tout de suite au danger. Mais le juste équilibre, il est difficile à trouver, c'est qu'à un moment donné, il faut se réexposer, mais dans de bonnes conditions, pour pas que le trouble devienne pérenne. Mais il faut être accompagné, on va pas se réexposer tout seul.

Progressivement, de façon accompagnée. Si on va trop vite, si on se dit, allez, aujourd'hui, je fais mes courses, et qu'on fait une crise d'angoisse parce qu'on gère rien, on va être dans un échec, et du coup, on va se mûrer encore plus. Ce n'est pas une dépression, ce n'est pas la même chose.

Ce n'est pas une dépression. Par contre, le trouble de stress post-traumatique, quand il dure longtemps, il donne une vision extrêmement pessimiste de soi, une mauvaise image de soi, on ne se sent pas capable, il donne une très mauvaise image du monde et du futur, donc on peut finir par se déprimer. Et puis, ça entraîne, ce qu'Eric a vécu, des consommations de multiples substances pour trouver un moyen de s'apaiser.

Le but est thérapeutique au début, mais il devient finalement aussi un mal en lui-même, et ça, c'est très compliqué. Eric, est-ce que vous aviez rencontré quelqu'un ? Oui, j'ai refait ma vie quand j'étais affecté sur Rennes.

Donc à cette époque-là, je ne m'alcoolisais plus. J'avais tout arrêté, la cigarette, l'alcool, je ne prenais plus rien. Et de temps en temps, j'avais des remontées, des angoisses, des peurs qui revenaient. Et souvent, c'était activé par ma compagne pour une histoire, souvent pour pas grand-chose.

Et je sentais cette angoisse qui montait, qui montait, qui montait. Une réaction disproportionnée. Une réaction disproportionnée.

Et jusqu'au jour où, en fait, elle s'est interposée entre... J'étais parti dans une crise et elle s'est interposée entre moi et la porte d'entrée. Et en fait, j'ai failli la tuer, j'ai failli la défenestrer.

Et ce qui m'a fait arrêter mon agression... Ça a été la peur dans ses yeux. Et c'est cette peur-là que j'avais pu avoir dans un regard d'une petite gamine que j'avais vue à Gorazde, qui était une enclave bosniaque à Sarajevo. Cette peur, quand on était reparti de cette enclave, et de la laisser abandonner là. Et ce regard que j'avais croisé, c'était ce même regard également.

Je suis parti. J'ai erré pendant trois jours dans la ville de Rennes. J'ai refait ma deuxième tentative de suicide. Et elle a fini par reprendre contact avec moi au téléphone. Et c'est là qu'elle m'a dit, écoute, ça va pas.

Elle me prenait pour un fou, je pense. Elle m'a dit, il faut que tu te soignes, il y a quelque chose qu'il n'y a pas. Et là, je suis allé voir mon médecin traitant dans le civil.

Je lui ai expliqué ce qui s'était passé. Et là, j'ai parlé. J'ai dit, voilà, voilà ce qui se passe. Je viens de faire une tentative de suicide. J'ai des flashbacks, il se passe des trucs, j'ai des crises d'angoisse, ça a pu.

Aidez-moi, aidez-moi. Il vous a entendu ? Il m'a entendu et il m'a envoyé voir un psychiatre. Il m'a tout de suite mis sous traitement médicamenteux, anxiolytique, antidépresseur et neuroleptique.

Et au bout de quelques mois, il a tombé le diagnostic en me disant, voilà, votre problème, c'est un syndrome de stress post-traumatique de guerre, avec le point d'orgue, la Bosnie, et puis toutes les couches que vous avez mises après, supplémentaires, tout au long des différentes opérations que vous avez pu mener. Est-ce que ça vous a fait du bien d'avoir un mot, de savoir que vous souffriez d'un mal concret, presque ? Alors, déjà oui, je pouvais mettre un mot dessus, et après, il m'a surtout rassuré en me disant...

On va vous aider, ça va être long, ça va pas être simple, ça va prendre du temps parce que ça faisait 18 ans que je traînais ça. Le syndrome de stress post-traumatique, quand il est pris à temps, on peut le désamorcer très rapidement je pense. Et c'est tout l'intérêt de libérer la parole et de parler le plus vite possible. Pour les jeunes générations de soldats, aujourd'hui c'est ça.

Aujourd'hui il y a eu des cellules psychologiques qui accompagnent les BC en opération, il y a des salles de décompression qui ont été mises au retour des opérations, il y a Ça commence à être de plus en plus pris en compte et en parler. Bien sûr, et c'est fondamental. Après, le problème, c'est que tant que le soldat ne libère pas la parole et qu'il ne dit pas ce qui se passe, il ne le dira pas.

Parce que derrière tout ça, il y a ce pour quoi on s'est engagé. C'est-à-dire servir les armes de la France. C'est une vocation.

Et dire que ça ne va pas, c'est compliqué. Parce qu'on veut continuer à faire notre job, on ne veut pas être faible.