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Mafias et Covid : Impact et Évolution

Bonjour et bienvenue dans ce nouveau numéro de Géopolitice. Depuis deux ans, l'épidémie de Covid est une aubaine pour les mafias. Trafic de faux masques et médicaments, rachat d'entreprises en difficulté.

Mais le trafic de drogue reste l'activité la plus lucrative. Le nouveau président colombien Gustavo Petro appelle à la fin de la guerre contre la drogue, qui a renforcé les mafias selon lui. L'ex-président Santos prône une légalisation de la consommation.

Solidement implantés sur leur territoire, les mafias ont aussi des ramifications à l'étranger, comme la Ndrangheta calabrese qui avait fait de la Suisse une de ses places fortes. C'est une information stupéfiante à tous les sens du terme. Une demi-tonne de cocaïne dissimulée dans des paquets de café brésilien est retrouvée en mai à l'usine Nespresso de Romont dans le canton de Fribourg. Selon toute vraisemblance, la drogue devait être récupérée au port d'Anvers par les trafiquants.

Mais l'opération a échoué et le conteneur est arrivé en Suisse. 11 milliards de tonnes de marchandises sont déchargées chaque année dans les ports du monde entier. À Rotterdam, c'est un conteneur toutes les 6 secondes. En face, les douaniers européens ne contrôlent que 5% des marchandises. Il y a donc de la marge pour les organisations criminelles.

D'autant plus que le Covid, même s'il a ralenti le commerce mondial, a donné un coup d'accélérateur au trafic illicite, comme le relève le dernier rapport de l'Organisation mondiale des douanes. La lutte contre la pieuvre... comme on surnomme les mafias, semble sans fin.

Nous verrons avec notre invité, Clotilde Champérache, économiste et spécialiste des mafias, que la réduction de la violence entre organisations criminelles peut conduire au faux diagnostic de leur affaiblissement. Les organisations mafieuses, pour l'essentiel, italiennes, ont toujours réussi à s'adapter en se diversifiant et en se partageant les trafics, mais ne sont pas invincibles. En témoignent les saisies, les arrestations et procès de ces dernières années. Mais avant cela...

Je vous propose de nous arrêter sur le terme de mafia, c'est notre rubrique mot-clé avec Elsa Anguinolfi. Le mot mafia est né en Italie au XIXe siècle. C'est le nom donné à l'origine à la puissante Cosa Nostra sicilienne.

Surnommée la pieuvre, ses membres s'enrichissent grâce aux raquettes et au trafic de drogue. L'un de ses parrains les plus redoutés, Toto Rina, avait commandité le meurtre du juge antimafia Giovanni Falcone en 1992. Mais l'Italie compte d'autres groupes mafieux dont les plus connus sont la Camorra dans la région de Naples et la Ndrangheta en Calabre. Elle compterait 6 000 membres dans la région et réaliserait 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, en grande partie grâce au trafic de drogue. Considérée comme la plus dangereuse organisation criminelle au monde, elle serait présente dans une trentaine de pays, dont la Suisse.

Il reste difficile de définir ce qu'est une mafia, mais certains éléments reviennent. Il s'agit d'organisations criminelles hiérarchisées auxquelles leurs membres doivent promettre une loyauté absolue. Elles sont impliquées dans de nombreuses activités illégales comme les trafics de drogue, d'armes, d'êtres humains, de déchets ou le racket, mais aussi dans des activités légales comme la restauration, la construction ou le transport.

pour blanchir l'argent de leurs crimes, mais aussi pour obtenir une légitimité en tant qu'entreprise légale. Pour étendre leur emprise dans la société, elles utilisent l'intimidation et la loi du silence qui en découlent, ainsi que la corruption, et tentent d'influencer la sphère politique. D'autres organisations criminelles fonctionnent sur des modèles proches de ceux de la mafia italienne, comme les triades chinoises qui se sont surtout implantées à Hong Kong, Macao et sur l'île disputée de Taïwan depuis la révolution communiste. Elles sont actives dans le trafic de drogue, la contrefaçon ou la prostitution. En 2019, à Hong Kong, des membres des triades auraient participé à la répression de manifestants pro-démocratie.

Au Japon, ce sont les yakuza dont les membres s'identifient par leur tatouage. Le pays sévit contre ces clans criminels longtemps tolérés. L'un de leurs chefs a été condamné à mort en 2021. En Russie, les brattvas sont parfois associés à des mouvements mafieux, des organisations qui investissent aussi la sphère de la cybercriminalité.

Bonjour Clotilde Champérache. Bonjour. Vous êtes économiste spécialiste des mafias, alors que, comme on vient de le voir, le terme mafia ne s'applique pas à toutes les organisations criminelles.

Finalement, quels sont les vrais mafias, les vrais mafiosi ? Oui. Effectivement, souvent on utilise ce terme pour généraliser tout ce qui est criminalité organisée.

En réalité, on est sur le chapeau, l'élite du crime organisé, avec des organisations particulièrement puissantes et particulièrement dangereuses qui sont définies par le Code pénal italien de façon très claire. Il faut cumuler un certain nombre de choses. Déjà, il y a la force du lien associatif, donc on est sur de l'organisation forte, transgénérationnelle, qui permet d'assujettir, de condamner au silence la population non-mafieuse.

C'est aussi évidemment des organisations qui se livrent à des activités délictueuses. Mais aussi à des activités légales, il y a une percée dans la sphère de l'économie légale et ce sont des organisations criminelles capables d'influencer la sphère politique, de conditionner le vote. Justement, la sphère légale, on en reparlera, c'est intéressant.

Mais faisons juste un tout petit détour par Hollywood et cette image un petit peu glamour de la mafia. Il y a un nouveau film qui va se tourner avec Robert De Niro. Est-ce que finalement, Hollywood n'a pas contribué à donner une image assez fausse de la mafia ?

Oui, une image... plaisante ou en tout cas, on s'affectionne quand même au caractère parce que ce qui est mis en avant, c'est ce que font les mafias, les mafias italiennes. Et puis, on a vu dans le reportage, les triades, les yakuza jouent aussi sur cette image d'hommes d'honneur.

C'est-à-dire que oui, ce sont des criminels, oui, ils ne respectent pas la loi, mais ils le font au nom de certains idéaux, de certaines valeurs, donc eux-mêmes ne sont pas des criminels comme les autres. Et il y a une esthétisation un peu de cette criminalité. Vous parliez de la légalité, vous écrivez dans votre livre finalement que les mafias ont comme premier but de rentrer dans la sphère légale, c'est un peu paradoxal. Oui, c'est vraiment ce qui les distingue des autres formes d'organisation criminelle et c'est ce qui fait aussi qu'on a du mal à les appréhender, notamment dans les territoires qui ne sont pas déjà sous contrôle mafieux. Les Italiens ont une expérience du sujet qui est très vaste, les autres pays, notamment les pays européens, ne comprennent pas cette dimension-là de présence dans la sphère légale et pas seulement dans le but de blanchir de l'argent sale, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas...

présents dans la sphère légale en conséquence de leurs activités illégales, mais vraiment, il y a une volonté pas seulement de la quête du profit qui serait réservée à la sphère illégale, mais la quête du pouvoir. Donc, une légitimité qui s'exprime, une visibilité de ces organisations criminelles. Et pourquoi elles investissent finalement aussi autant dans le bâtiment, les travaux publics, la restauration, mais surtout le bâtiment, c'est quand même une sphère qui est plus...

propice à l'investissement machiaux ? Oui, parce que justement, elle est symbolique de cette dimension de quête de pouvoir et d'enrichissement quand c'est possible, de percer dans la sphère politique. Le BTP, c'est un objectif de contrôle du territoire.

Donc on est présent sur le territoire, on construit, on bâtit sur le territoire, donc il y a une visibilité, encore une fois. C'est aussi un secteur qui demande beaucoup de main-d'oeuvre, donc on crée de l'emploi, on distribue des revenus. y compris auprès d'une population qui n'est pas forcément très qualifiée, parce que le BTP c'est aussi de l'emploi pour des jeunes au chômage.

Et puis on touche à la sphère politique, parce qu'il y a beaucoup d'argent public qui est lié à ce secteur du BTP, donc capter l'argent public, conditionner le vote, c'est ce que les Italiens appellent le vote d'échange, mais on le retrouve chez les triades, on le retrouve chez les yakuza, c'est-à-dire que le mafieux pèse un certain nombre de voix aux élections locales, et il va se présenter aux candidats aux élections, et dire moi si vous... vous le voulez, je vous offre ces voies en échange, il faudra rendre la faveur lorsque vous serez élu, et la faveur, c'est en particulier ces appels d'offres qui vont être biaisés. Et d'où l'importance aussi, vous l'écrivez, de la protection, de l'intermédiation.

On a vu par exemple que les Yakuza avaient envoyé effectivement les fameux nettoyeurs à Fukushima. Pendant le Covid, la Cosa Nostra faisait de la distribution alimentaire ou distribuait des places en crèche. Ça, c'est aussi fondamental.

Cette légitimité sociale, oui, elle est vraiment recherchée. Et comme le disait le sujet, C'est dès le XIXe siècle que se mettent en place ces organisations criminelles, donc dans des sociétés où il n'y a pas forcément une société capitaliste, où on peut posséder des entreprises. Donc ce placement auprès de la société légale, c'est aussi intermédier, protéger, se placer en partenaire nécessaire, sans même être des partenaires productifs, mais le mafieux c'est celui qui va rendre une transaction possible, alors qu'acheteur et vendeur ne se fait pas confiance. Lui, il va garantir la transaction et prélever une part de la somme versée. Et les mafias, ce qui est paradoxal aussi, c'est qu'elles ont besoin d'ordre, donc elles ont besoin finalement d'un État fort.

Mais en même temps, on voit bien par exemple qu'elles s'implantent dans des lieux, des pays, des zones où l'État est défaillant. La Sicile par exemple, les Calabres. Oui, mais si on regarde le Japon, la Chine, l'Italie, c'est quand même extrêmement différent comme situation.

Mais dans tous les cas, effectivement, ce qu'on observe, c'est que ce sont des organisations criminelles qui n'ont pas une idéologie forte, qui ne cherchent pas à renverser le pouvoir, à prendre la place du pouvoir. Ce sont plutôt des parasites du pouvoir. C'est-à-dire qu'ils vont s'appuyer sur l'État, c'est toute la dimension parasitaire du conditionnement politique, du détournement, de la captation de l'argent public, et en même temps, ils vont se présenter auprès de la population comme plus efficaces que l'État. L'intermédiation, c'est ça, c'est de dire l'État ne vous garantit pas que les gens vont se comporter correctement dans le respect des contrats, la justice est lente, elle n'est pas facile à faire acter. Donc nous, on va vous proposer...

poser ce système alternatif de juge de paix. C'est comme ça que les mafieux siciliens se définissaient après la Seconde Guerre mondiale. Alors, un des marchés les plus lucratifs aussi, évidemment, c'est celui des contrefaçons.

On connaît les fausses montres, les fausses marques de vêtements, mais il y a aussi les faux médicaments. Et de ce point de vue-là, le Covid a été une aubaine pour les mafias. On se retrouve juste après ce sujet de Mélanie Ohayon. Dans cet entrepôt du Maryland, ces millions de masques destinés à des hôpitaux sont des contrefaçons. Tout comme ici en Espagne.

Des faux masques, des faux vaccins, vendus sur le dark web. En deux ans, rien qu'en Europe, pas moins de 36 millions de produits liés au Covid ont été saisis. Les criminels s'adaptent à la pandémie avec une grande facilité, en escroquant les gens ou en vendant des remèdes faux ou inexistants.

Dans son dernier rapport, Europol s'inquiète de la montée en puissance des mafias qui profiteraient aussi des entreprises. affaiblie par la pandémie. Proposition de prêts usuriers ou rachats d'hôtels à prix cassés. En Italie, le secteur touristique est en premier lit. La criminalité organisée, la mafia, la camorra ou la endrangheta avec l'énorme quantité d'argent dont elle dispose.

peuvent se permettre de les acheter facilement. A Rimini, la préfecture a renforcé ses contrôles. La criminalité veut profiter surtout de tous les subsides que l'Europe et le législateur mettront à disposition pour aider au redémarrage du secteur. Pour relever son économie, l'Italie recevra au total près de 200 milliards d'euros de fonds européens.

Dissimulés dans ces milliers de boîtes de conserve, plus de 2 tonnes de cocaïne ont été saisies en juin dernier par la police péruvienne. La cargaison a été préparée pour être expédiée par voie maritime vers les Pays-Bas. En provenance d'Amérique latine, des quantités records de cocaïne entrent en Europe, selon Europol. Au niveau mondial, le trafic de drogue génère 250 milliards d'euros chaque année, équivalent environ au PIB de la Colombie. Un marché très lucratif qui alimente, renforce les organisations criminelles et la corruption.

En Colombie, premier producteur mondial de cocaïne, les puissants cartels de drogue se disputent le contrôle des routes de ce trafic. Comme ici, entre les guerriers roses de l'ELN et le clan du Golfe, premier réseau criminel du pays. Les habitants de ce village ont dû fuir, chassés par les narcotrafiquants qui s'étaient installés dans leur maison. En Europe, c'est la mafia italienne Drangheta qui détient le quasi-monopole sur les importations de cocaïne et contrôle une partie du trafic international.

Il y a un peu plus d'un an, s'est ouvert en Calabre un procès-fleuve contre plus de 350 de ses membres présumés. notamment grâce à ce procureur qui a dédié sa vie à la lutte anti-mafia. Je connais la mafia depuis mon enfance car je faisais du stop pour aller à l'école et je voyais souvent des cadavres sur la route.

J'ai pensé, quand je serai grand, je veux faire quelque chose pour que cela ne se reproduise plus. L'an dernier, une vaste opération internationale contre le crime organisé a abouti à 800 arrestations en Europe, aux Etats-Unis ou en Australie. La coopération policière internationale montre que les acteurs criminels ne sont en sécurité nulle part. Ces opérations d'envergure et les saisies record de drogue portent forcément un coût aux crimes organisés. Mais les mafias ont des réseaux si profondément enracinés qu'aucun pays n'a pour l'instant réussi à les éradiquer.

On vient de le voir, le trafic de drogue reste quand même au cœur de l'activité des mafias. Le trafic de drogue est au cœur de l'activité des mafias en tant que source de profit. C'est celui qui rapporte le plus et c'est celui sur lequel... On le disait, la mafia calabrèse, par exemple, a vraiment réussi à entrer dans le jeu, au détriment même des narcotrafiquants.

Maintenant, c'est la mafia calabrèse qui gère un peu ce marché, qui achemine en tout cas le marché de gros, puisque le reste, la distribution au détail, elle le délègue à d'autres organisations criminelles. Donc, il y a des imbrications criminelles qui se font. Donc, c'est un marché essentiel. En termes financiers, ça ne définit pas pour autant les mafias. C'est-à-dire que les mafias aussi, dans la définition, ce qu'il faut dire, c'est qu'elles cumulent.

un très grand nombre d'activités dans la sphère légale et illégale. D'où l'importance aussi de pouvoir blanchir cet argent. De ce point de vue-là, la Suisse, on le sait, avait un rôle central.

C'est toujours le cas ? Alors, la Suisse continue d'attirer parce qu'il y a ce système bancaire particulier, même s'il y a eu beaucoup de coopérations impulsées par la Suisse. Je noterai au passage que le juge Falcone reconnaissait que quand il demandait des informations aux banques suisses, en général, il les obtenait.

Il disait, si le dossier est bien documenté, je n'ai pas... de problème avec la Suisse. Donc, à ce niveau-là, il y avait une reconnaissance de la coopération internationale.

À l'heure actuelle, c'est Je ne pense pas que la Suisse demeure le point principal, le blanchiment de l'argent. Malte, par exemple, est devenu un foyer attractif grâce à la législation qu'elle a introduite sur les jeux en ligne, qui est un secteur qui s'est développé de façon très importante pour l'ensemble des acteurs européens et où le contrôle n'est carrément pas assuré par les autorités de réglementation. Alors vous venez d'évoquer le juge Falcon, assassiné il y a 30 ans, c'était en mai 1992, ça fait 30 ans. Est-ce que depuis, la lutte contre la mafia a fait des progrès ? Est-ce qu'on est plus efficace ?

Alors, elle continue, elle continue. Il y a un acharnement qu'il faut reconnaître. Vous avez en Italie des structures qui existent.

Il y a l'article du code pénal italien, l'article 416 bis, que l'on doit au juge Falcone, qui permet de définir ce délit d'association mafieuse, qui est utilisé très régulièrement. Il y a actuellement en Italie plusieurs procès de mafia qui sont en cours. Un est mentionné dans le sujet.

parce qu'il est monumental, ceci étant, il a fait plus de bruit à l'étranger qu'en Italie, paradoxalement, mais vous avez plein de procès qui ont lieu, y compris pour l'opportunité ou pas d'appliquer ce délit d'association mafieuse à des organisations qui ne sont pas Camorra, Cosa Nostra et Ndrangheta, par exemple les organisations criminelles nigériennes. Le Guardian écrivait il y a quelques mois, en gros, Cosa Nostra c'était fini, les mafias entre elles... avaient plus ou moins fait la paire, qu'il n'y avait plus beaucoup de violence.

Qu'est-ce que vous en pensez de cette affaire ? Ça, c'est une erreur de diagnostic qui est terrifiante. C'est l'associer mafia et violence.

Les organisations criminelles peuvent être violentes. Elles ne respectent pas la loi, donc pour elles, assassiner, ça peut faire partie du mode opératoire. Mais dès lors que ces mafias veulent conditionner la politique, qu'elles veulent être présentes dans la sphère légale, qu'elles veulent créer du consensus social, elles n'ont pas un rapport irrationnel à la violence.

Les guerres de mafia, ce sont des signes de faiblesse. C'est quand il y a des oppositions, des conflits sur les marchés. Lorsque tout fonctionne bien, la violence est très basse. Mais on voit, il y a quand même un mouvement avec le fameux adiopizzo contre le racket, le fameux pizzo dans les rues de Palerme. Il y a une mobilisation.

Est-ce que de ce point de vue-là, il n'y a pas quand même un progrès ? Il y a un tissu associatif qui se constitue. Il y a des événements, justement à l'occasion des 30 ans de l'anniversaire de l'assassinat des juges Falcone et Borsellino. On a eu des manifestations qui ont été organisées. Donc il y a un combat permanent, il y a les forces de l'ordre qui, dans la région de Naples, détruisent tout ce qui est hôtel votif dédié à des camorristes, parce que c'est aussi une culture de la criminalité qui s'est diffusée auprès de la population.

Donc les forces de l'ordre mènent ce combat symbolique dans la rue d'abattre, de repeindre les murs peints à la gloire de tel ou tel criminel. Alors est-ce qu'il y a un nouveau parrain ? On a vu la photo de Totorina, qui était un mystique parrain. mort en prison. Est-ce qu'il y a un nouveau parrain ?

Qu'est-ce qu'on sait, justement, de ce fameux Matteo Messina Denaro ? Alors, c'est celui qui est l'héritier, en droite ligne, de Rina et Provençal, donc les Corleones, ceux qui ont fait beaucoup de mal à la mafia, parce que c'est eux qui sont entrés massivement dans le trafic de drogue, c'est eux qui ont développé un niveau de violence énorme et une répression de l'État beaucoup plus importante que par avant. Donc, cette idée aussi qu'il y a un chef de la mafia, il faut la relativiser. Donc, Matteo Messina Denaro, il incarne la puissance du... le pouvoir mafieux, parce qu'il est en cavale depuis 1993, ce que j'appelle les cavales immobiles, c'est-à-dire que très probablement, il est en Sicile.

Il est protégé par la population, par des mafieux, par des non-mafieux. Mais il ne faut pas non plus voir les mafias comme des structures strictement pyramidales où lorsqu'on arrête un chef, tout est décapité. On peut arrêter Matteo Messina Denaro et la mafia continuera parce qu'elles sont...

Il y a une coupole qui est d'invention récente, seulement les années 60, alors que c'est une organisation criminelle du XIXe siècle. mais elle s'appuie sur la souveraineté des familles sur leur territoire. Et ça, il ne faut pas oublier cette capillarité territoriale qui fait qu'il y a une résilience et la plurigénération de ces criminels. Donc de ce point de vue-là, votre diagnostic, c'est que les mafias ne sont pas moins puissantes ni moins dangereuses ?

Non, elles sont extrêmement dangereuses, et pas seulement sur les territoires qu'elles occupent. Notamment, la mafia calabrèse a une capacité à penser le territoire, y compris à l'étranger, qui est très préoccupante. Et justement, il faut comprendre ce que sont les mafias pour pouvoir les combattre véritablement. Parce que si on se limite à la question du trafic de drogue et du profit illégal, on perd la dimension quête de pouvoir, construction d'une légitimité sociale et capacité à s'emparer d'un territoire. Eh bien merci, Clotilde Champérache.

C'était un plaisir de vous recevoir ici sur le plateau de Géopolitice. Et je renvoie évidemment à la lecture de votre livre paru au mois de février, Géopolitique des mafias aux éditions du Cavalier Bleu. Merci beaucoup.

Merci à vous. On l'a vu, la principale source de financement du crime organisé, c'est la drogue. Et si les drogues devenaient légales ? Cette idée fait son chemin dans plusieurs pays qui espèrent notamment couper les revenus des mafias et des narcotrafiquants.

En Colombie, le nouveau président de gauche, Gustavo Petro, a estimé que la guerre contre la drogue était en tout cas un échec. Tout comme son prédécesseur Juan Manuel Santos, qui propose d'en finir avec la prohibition. Mélanie Ohayon. Autoniel, c'était lui le plus grand narcotrafiquant de Colombie. Arrêté lors d'une vaste opération militaire l'an dernier, il est extradé en mai vers les Etats-Unis où il est poursuivi depuis 2009. Depuis, la Colombie multiplie ses opérations contre son puissant cartel, le clan du Golfe, profondément implanté dans le pays.

Mais malgré des décennies de guerre contre le narcotrafic, la Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne. La production ne cesse même d'augmenter. Il est temps d'avoir une nouvelle convention internationale qui accepte que la guerre contre la drogue a catégoriquement échoué, qu'elle a renforcé les mafias et affaibli les États.

L'ancien président colombien Juan Manuel Santos faisait le même constat. Au sein de la Commission globale de politique en matière de drogue, il propose de mettre un terme à la prohibition pour permettre aux États de réguler eux-mêmes le marché. Cela veut dire légaliser tout...

Toutes les drogues ? Oui, cela signifie réglementer toutes les drogues. Parce que la prohibition implique de donner de l'argent aux mafias et aux crimes organisés.

Sans argent, les cartels de la drogue n'ont aucun pouvoir. Cela s'est produit il y a plusieurs années, lorsque les États-Unis ont aboli l'interdiction de l'alcool. Les mafias ont disparu. Aujourd'hui, uniquement concernant le cannabis, seul l'Uruguay, le Canada et une vingtaine d'États américains ont franchi le pas d'une véritable légalisation, avec la mise en place d'un marché régulier.

Il n'y a aucune règle pour les cartels, il n'y a aucune règle sur le marché noir. Ce que nous voulons, c'est qu'il y ait des règles, un contrôle de qualité, des limites d'âge, des lieux de vente dans lesquels cela est possible et des zones de quartier dans lesquels cela ne serait pas possible. Et tout cela, ça s'appelle un marché régulier.

Sans aller jusqu'à la légalisation, une trentaine de pays ont introduit une forme de dépénalisation. comme au Portugal, où toutes les drogues sont dépénalisées pour les consommateurs depuis 2001. Le 23 mai 1992, le juge Falcon, symbole de la lutte anti-mafia, était victime d'un terrible attentat commandité par Cosa Nostra près de Palerme. Un juge qui connaissait bien la Suisse, où le menaient ses enquêtes sur l'argent des mafieux.

La Suisse, où s'était également implanté il y a plus de 40 ans... L'Andrangheta calabrèse. C'est notre rubrique ce jour-là avec Olivier Collère. 28 mai 2014. Dans une arrière-salle d'un restaurant de Fraunfeld dans le canton de Durgovie, un enregistrement clandestin de la police fédérale immortalise une réunion d'une cellule de la mafia calabrèse.

Une cérémonie digne d'un film de Coppola où le parrain appelle les jeunes à prendre la relève. Il y a du travail dans tous les domaines. Extorsion, cocaïne, héroïne.

Je vous amène personnellement 10 à 20 kilos par jour, mais moi désormais, je ne veux plus rien savoir. A vous les jeunes de vous y mettre. La Suisse, base arrière très prisée de la mafia, c'est la police fédérale qui l'affirme elle-même, considérant la pieuvre comme l'une des principales menaces sur le territoire helvétique. La mafia est très active en Suisse. Il y a 20 cellules mafieuses dans le pays et environ 400 membres de la mafia.

Ils pourraient même être plus nombreux parce qu'on ne voit pas tout. Des organisations mafieuses qui opèrent dans toute la Suisse, implantées dans plusieurs cantons de prédilection, comme le Valais, le Tessin et les Grisons, mais aussi dans les grands centres urbains. Bête noire est figure emblématique de la lutte contre la mafia en Suisse, Carla del Ponte.

Ancienne procureure de la Confédération, elle a étroitement collaboré dans les années 80 avec le juge antimafia Giovanni Falcone, assassiné le 23 mai 1992, victime d'un attentat à la bombe non loin de Palerme. Le 20 juin 1989, Carla Del Ponte échappait elle-même miraculeusement à un attentat à Palerme alors qu'elle déjeunait avec Giovanni Falcone, avec qui elle enquêtait étroitement sur le sujet. sur les ramifications financières de la mafia dans les banques suisses, où Cosa Nostra était soupçonné de blanchir des sommes colossales d'argent sale.

C'est l'un des hommes les plus traqués et les mieux protégés au monde. Depuis qu'il a osé s'attaquer à la Camorra napolitaine en publiant Gomorra en 2006, l'écrivain Roberto Saviano n'a plus de vie. Protégé 24h sur 24 par 7 policiers, se déplaçant en véhicule blindé pour changer régulièrement de domicile. Un prix très lourd à payer, malgré les succès de ses livres et des films qui en ont été tirés, que raconte l'auteur de bande dessinée israélien Asaf Hanouka. dont je suis toujours vivant aux éditions Gallimard.

Il me reste à vous remercier de votre fidélité exigeante au nom de toute l'équipe de Géopolitice et à vous souhaiter une excellente semaine. Vous pouvez nous retrouver sur notre chaîne YouTube et notre partenaire TV5MONDE. Portez-vous bien.