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Analyse des Régimes Autoritaires Monde

Bonjour et bienvenue sur Mediapart dans le troisième numéro de notre collection d'émissions Les Voix du Pouvoir. Aujourd'hui, on va s'intéresser à la façon dont s'exerce la domination politique dans un contexte autoritaire ou dans des contextes autoritaires. Et on va en parler à l'heure où montent en puissance des leaders, des régimes liberticides, mais aussi partout dans le monde, des soulèvements populaires contre cet état de fait qui sont bien chroniqués à Mediapart. Alors avec nous pour en parler, je reçois la politiste et juriste Eugénie Mériot. Bonjour. Vous êtes actuellement chercheuse invitée à l'université d'Harvard. Vous êtes spécialiste de la Thaïlande. Et vous publiez en ce moment, c'est tout récent, un livre qui s'appelle La dictature, une antithèse de la démocratie ? C'est dans la collection des idées reçues du Cavalier bleu où là, vous allez au-delà de votre champ d'expertise initiale pour traiter de la question des régimes. Alors dans ce livre, vous vous attaquez assez durement aux grilles de lecture culturalistes pour expliquer les différents régimes politiques qui existent. Vous vous... Vous attaquez notamment à la fameuse thèse du choc des civilisations de Huntington. En même temps, Huntington, c'est aussi un auteur qui a essayé de périodiser des vagues de démocratisation et de dédémocratisation ou d'autoritarisme. Est-ce que vous confirmez l'idée que depuis le début du XXIe siècle, on serait justement dans une vague d'autoritarisme ou de retour en arrière en termes démocratiques ? Avant de répondre à cette question, est-ce que je pourrais juste brièvement rappeler ou en tout cas expliquer l'origine de ce livre, sa genèse ? Parce que c'est un livre qui est né d'un contexte particulier qui est celui d'un parallélisme entre les manifestations... des Gilets jaunes et le mouvement social des Gilets jaunes en France, d'une part, et les manifestations à Hong Kong. Vous savez, à chaque fois qu'on écrit un livre, le point de départ, c'est un affect, comme dirait Frédéric Lordon ou comme avec Spinoza. Et donc moi, c'était un agacement par rapport au traitement médiatique différencié de ces deux mouvements, et notamment des procédures langagières ou en tout cas sémantiques qui... vraiment dichotomisaient de façon très nette ces deux mouvements. Alors que rien n'est plus parlant que de les comparer au contraire. Je vous donnerai juste un exemple. On a eu deux décisions en France et à Hong Kong, des juridictions du Conseil constitutionnel français d'une part et de la Haute Cour à Hong Kong sur la question de la dissimulation du visage dans les manifestations. En France, C'était un article de la loi dite anti-casseur et donc cette disposition n'a pas été censurée par le Conseil constitutionnel qu'il a trouvé proportionnelle. A contrario, à Hong Kong, elle a été censurée par la Haute Cour, qui l'a jugée attentatoire aux libertés publiques. Donc je pense que c'est intéressant de comparer ces deux mouvements. Et alors pourquoi est-ce qu'ils ne font pas partie du même référentiel ? Parce que... D'une part, la France est considérée comme un état de droit, une démocratie libérale, et Emmanuel Macron l'a très bien dit, on ne parle pas de violence policière dans un état de droit. Et d'autre part, Hong Kong fait face à la Chine. Et donc, on s'attend à une répression policière bien plus brutale. Or, ça n'a pas été le cas. Parce que justement, pour en revenir à ma question, cette idée de recul démocratique ou de vague autoritariste, elle peut toucher à la fois des régimes déjà autoritaires et à la fois des régimes considérés comme des bonnes démocraties libérales. Exactement. On a d'une part une libéralisation des régimes autoritaires et d'autre part une dédémocratisation. en tout cas une restriction des libertés publiques dans les démocraties libérales. Et donc on assiste comme ça à une convergence vers une sorte de zone grise de régimes qui partagent en commun des institutions, les élections, un certain multipartisme, parlement, une justice constitutionnelle souvent, et une justice indépendante, mais dans le même temps des restrictions des libertés publiques. Alors pour avancer, vous mettez en cause aussi des... des approches qui estiment que plus une société se modernise, que ce soit par l'urbanisation, l'industrialisation, la société de consommation, plus une société se modernise, plus elle pousserait à la démocratie ou en tout cas à passer d'un régime autoritaire à un régime démocratique. Et vous démontez pas mal ça et notamment, peut-être on peut s'arrêter là-dessus, sur l'idée que l'ouverture économique serait une sorte de graal vers l'ouverture politique. Voilà, en fait, c'est le paradigme fondateur de la science politique comparée, c'est le paradigme de la transitologie qui se fonde sur la théorie de la modernisation. Alors transitologie, c'est transition de l'autoritarisme à la démocratie. Voilà, c'est la théorie de la modernisation qui, depuis Max Weber... Et puis même depuis Hegel, en réalité, considère que les sociétés évoluent de l'Est vers l'Ouest. C'est Hegel qui disait ça, la société se meut, ou l'histoire se meut d'Est en Ouest, et qu'elle passe d'une société traditionnelle, archaïque, barbare, à une société moderne, libérale, démocratique et développée. Et donc, l'ensemble des chapitres de ce livre... essaie de déconstruire ce paradigme qui s'est écroulé de lui-même du fait de la montée en puissance de la Chine. Ça fait depuis les années 90 que, selon la théorie de la modernisation, la théorie de la transitologie, la Chine devrait se démocratiser. Elle devrait transiter, faire la démocratie sous l'effet de la modernisation, de l'élévation du niveau de vie de ses habitants, de l'éducation, de l'urbanisation, de l'expansion de la classe moyenne. La participation au libre-échange aussi ? Voilà, exactement. Et pour en venir à votre question, de l'inclusion dans la mondialisation, de l'accession à l'Organisation mondiale du commerce, en réalité, ce n'est pas du tout le cas. Ce qui se passe en Chine, et notamment depuis la dernière réforme constitutionnelle de l'année dernière, enfin 2018, c'est au contraire une consolidation autoritaire. Et donc, finalement, c'est vraiment par l'exemple de la Chine... que ce paradigme-là, il s'écroule. Et en fait, par rapport à ce paradigme, on a toute une série de théories qui se sont greffées à cette théorie de la modernisation. Et chacun des chapitres y répond. Par exemple, on a la théorie de la paix démocratique. L'idée que si le monde se modernise, l'ensemble des sociétés va transiter vers la démocratie. Les démocraties ne se faisant pas la guerre entre elles, nous arriverons à la paix universelle. Ça, c'est le chapitre sur les relations internationales qui montre qu'en réalité... Si les démocraties en effet ne se font pas la guerre entre elles, les régimes autoritaires se font également moins la guerre entre eux. Et donc ce qui se passe, on a une guerre quand on a des démocraties et des régimes autoritaires qui sont en compétition. Donc on peut imaginer que si on a une convergence autoritaire, on peut aussi avoir une paix autoritaire entre les régimes autoritaires qui ne se feraient pas la guerre entre eux. De la même manière pour l'économie, la théorie de la modernisation se décline aussi en économie. Dès lors qu'on atteint un certain développement économique, on s'attend à ce que les démocraties se consolident. Or, de la même manière, ce n'est pas le cas. On a l'exemple de la Chine, mais on peut prendre aussi d'autres exemples. Je vais prendre l'Asie du Sud-Est, qui est la région que je connais le mieux. En Asie du Sud-Est, dans les années 90, on a... pensé que la théorie de la transition démocratique issue de la modernisation se vérifiait parfaitement, puisque dans les années 90, l'ensemble des pays de la zone qui étaient tous sous des dictatures a connu une vague de manifestations, un printemps sud-est asiatique, qui a abouti à la chute des régimes dictatoriaux, que ce soit Suharto en Indonésie, que ce soit Tsuchindra Kapayun en Thaïlande. ou que ce soit… En Corée du Sud aussi, en 88. Exactement, en Corée du Sud aussi, à Taïwan. Bref, donc on a eu cette vague-là dans les années 90. Mais à partir du milieu des années 2000, et ça rejoint votre première question, on a un mouvement inverse. L'ensemble de ces velléités démocratiques qui avaient abouti à la rédaction de nouvelles constitutions, la mise en place d'élections, d'un État de droit, un développement économique, etc. ne s'est pas traduit par une consolidation démocratique. Alors justement, on va prendre l'exemple thaïlandais. Je crois que vous voulez aller justement sur ce terrain-là, parce que moi, ce qui m'a frappé en lisant vos contributions sur ce pays, effectivement, qui est votre spécialité, c'est le fait que ce sont des classes moyennes, donc les classes moyennes censées être le terreau sociologique sur lesquelles vont s'appuyer des aspirations et des régimes démocratiques. Là, en Thaïlande, les classes moyennes soutiennent plutôt le dispositif autoritaire qu'il y a autour de la monarchie contre des revendications démocratiques ou sociales issues de la plus grande masse de la population. C'est assez frappant, quitte à appeler l'armée d'ailleurs contre le reste de la population. Tout à fait, c'est une des théories, une des hypothèses majeures. selon laquelle la classe moyenne soutient et par essence démocratique. En réalité, rien n'est moins vrai. Je pense qu'on le voit très bien en Thaïlande, où les classes moyennes manifestent pour appeler l'armée à intervenir. C'est ce qui s'est passé en 2006, c'est ce qui s'est passé en 2014. On a eu deux coups d'État en Thaïlande qui sont d'ailleurs l'un des marqueurs de cette récession. démocratique ou en tout cas de cette autocratisation du monde. Donc 2006-2014, deux coups d'État militaire alors qu'on pensait que la Thaïlande était suffisamment développée, suffisamment intégrée au commerce mondial pour ne jamais retourner vers la dictature militaire. Donc ça n'a pas été le cas. Ce sont les classes moyennes qui ont appelé à cette reprise en main des militaires. Pourquoi ? Parce que leurs intérêts économiques primaient sur... En tout cas, elles ont considéré que leurs intérêts économiques primaient sur... les libertés politiques. Et on voit exactement la même chose aux Philippines avec Rodrigo Duterte qui s'est engagé dans une guerre massive contre la drogue. Les Philippines étaient aussi un des États les plus démocratiques d'Asie du Sud-Est qui, en 2016, a vu l'élection de Rodrigo Duterte. Il y a des paroles très violentes qui appellent à buter tous les trafiquants de drogue, avec plein d'exécutions extrajudiciaires. Mais pas juste à elle qui les appelle, mais qui le fait. On a des milliers, les chiffres ne sont pas officiels, mais on a des milliers d'exécutions extrajudiciaires contre les trafiquants de drogue aux Philippines. Mais Duterte est extrêmement populaire, et notamment chez les classes moyennes. Pour qui la drogue est un fléau ? Voilà, donc les classes moyennes sont des démocrates contingents. Et je pense que c'est là qu'on peut aussi saisir le potentiel de passer par l'étranger pour parler de nos sociétés. nos classes moyennes sont-elles plus démocratiques d'une certaine manière que ces classes moyennes ? On va peut-être revenir là-dessus, mais je voulais poursuivre justement sur la capacité des régimes autoritaires à finalement se... parce qu'on pourrait se poser l'action, mais pourquoi ça marche ? Autant pourquoi les théories dont on a parlé sont déjouées. Ça veut dire que quelque part, les régimes autoritaires, au-delà de la répression, réussissent à se légitimer auprès de la population, à donner des biens publics ou des services ou des satisfactions à la population. Et donc s'il y avait un message à retenir du livre, ce serait peut-être aussi ça, en fait que l'autoritarisme est beaucoup plus sophistiqué que ce qu'on croit. Vous prenez l'exemple de la justice, le fait que très souvent, il y a des poches de justice indépendantes qui peuvent fonctionner. pas si mal que ça, tout ne relève pas de l'arbitraire. Vous l'avez évoqué, vous avez évoqué les facteurs économiques, vous parlez beaucoup des contrats sociaux que les dirigeants passent avec les populations. Donc au fond, on a cette impression qu'il y a différents canaux ou différentes voies de légitimation, mais positives, entre guillemets, j'allais dire. Bien sûr, vous avez les régimes autoritaires ont besoin, de la même manière que les démocraties, de légitimation. Et ils ont... pour objectif de survivre et de se consolider. Et ça d'ailleurs, c'est la logique de l'État, c'est la raison d'État. L'État cherche sa survie, c'est Michel Foucault et d'autres. On peut remonter à Machiavel. Mais dans tous les cas, les techniques sont d'une certaine manière les mêmes. Par exemple, l'élection. Les régimes autoritaires qui durent le plus longtemps, comme par exemple le régime mexicain avec le parti révolutionnaire mexicain, s'est maintenu au pouvoir des décennies et des décennies car il organisait des élections, mais en préparant le terrain des élections pour qu'elles lui soient favorables. C'est-à-dire qu'il y a toute une ingénierie électorale qui est faite en amont, qui peut d'ailleurs passer souvent et qui passe souvent par le droit. Beaucoup plus que par la répression, c'est-à-dire par la mise en œuvre d'un arsenal législatif très sophistiqué qui finalement met en place un terrain de jeu qui est... Qui est biaisé et qui est tout le temps favorable à celui qui dirige. Exactement. Et donc ça, ce sont des techniques qui sont utilisées partout. On a aussi la technique du lot-fer. Ça, je vais expliquer ce que tu dis. Dont aujourd'hui, on entend beaucoup parler, c'est-à-dire... Mélenchon a repris ce terme-là en France. Voilà, c'est-à-dire le pouvoir judiciaire est instrumentalisé pour... S'attaquer aux opposants. D'une manière, on parle de coups judiciaires, coups d'État judiciaire, qui sont beaucoup plus sophistiqués que des coups d'État militaire, et aussi parce qu'ils sont plus légitimes, puisqu'ils se fondent sur des normes démocratiques, et notamment la lutte contre la corruption, qui sont acceptées partout. C'est exactement ce qui s'est passé en Thaïlande. En Thaïlande, la Cour constitutionnelle a dissous tous les partis politiques qui ont été élus. depuis 1997 sur le motif de corruption, ce qui a permis ensuite à l'armée de prendre le pouvoir par les méthodes traditionnelles du coup d'État militaire. Pour compléter, je voudrais parler un instant de Singapour. C'est la question que j'allais vous poser, parce qu'avant qu'on démarre l'entretien, vous me disiez que c'est quasiment la dictature parfaite. Et ça m'intéressait aussi de savoir, parce que c'est un exemple qui revient souvent dans le livre, où vous expliquez qu'il y a un peu tous ces éléments-là. Il y a des élections. Une économie qui profite, qui a fait monter le niveau de vie de façon spectaculaire. Je vous laisse détailler. C'est un petit pays de quelques millions d'habitants, mais c'est un pays qui était très pauvre au moment de l'indépendance dans les années 60 et qui aujourd'hui est l'un des pays, le deuxième il me semble, en IDH mondial. IDH c'est l'indice de développement humain. C'est un des pays les plus riches de la planète. C'est le pays le moins corrompu selon Transparency International de la planète. Et c'est un pays qui n'a connu qu'un seul parti au pouvoir depuis l'indépendance et même avant l'indépendance quand Singapour faisait partie encore d'une fédération avec la Malaisie. L'indépendance, c'est quelle ? L'indépendance, c'est 57 pour la Malaisie et l'indépendance de l'Empire britannique. Singapour est entré dans une fédération avec la Malaisie dont il s'est fait… Expulsé en 1965, qui d'ailleurs, Lee Kuan Yew, qui est l'antidictateur, mais qui est donc le père fondateur de Singapour, qui a gouverné le pays d'une main de fer à partir de l'indépendance, à l'époque avait pleuré. Donc ça démonte aussi une idée reçue selon laquelle les dirigeants autoritaires... Afro et méchant et brutaux. Et de vrai, ce... Être dans la virilité à chaque instant, ça c'est la dernière idée reçue. Dans tous les cas, Singapour a passé un contrat social autoritaire avec sa population. Dès que le parti au pouvoir, le People's Action Party, fait moins dans les urnes, on a un sursaut de la part du parti et on a réellement... Un travail qui est fait pour gagner encore davantage de sièges à l'élection suivante. Alors les élections, dans la plupart des circonscriptions, sont multipartites. On est dans ce que Levitsky nomme un autoritarisme compétitif. Donc on a de façon marginale une compétition qui permet... Qui sert de régulateur. Voilà, qui sert de régulateur et sur lequel s'appuie réellement le parti au pouvoir pour... pour ajuster son programme aux attentes des électeurs. Après, il y a toute une ingénierie à Singapour, c'est passionnant, sur comment se maintenir au pouvoir dans ces circonstances. Les performances économiques sont primordiales. Le parti au pouvoir sait très bien que dès... Qu'il y aura une crise à Singapour, c'est la remise en question de l'ensemble du modèle, donc ça c'est le premier point. Ensuite, la mixité sociale qui est organisée de manière à faire en sorte qu'il n'y ait pas de revendications sectorielles par ethnie. ou par niveau de classe. J'étais très surpris de voir que les logements sociaux étaient très importants à Saint-Gabriel. Alors c'est très important parce que ça fait partie du contrôle social autoritaire, mais c'est aussi très important pour le parti, parce que ça permet la mixité sociale. permet de faire en sorte que dans chaque circonscription, il y ait des dominants et des dominés, si vous me passez l'expression, et donc avec toujours un contrôle du parti au pouvoir pour maintenir une majorité de Chinois qui sont issus des classes moyennes et des classes supérieures qui vont donc voter, outvote l'opposition. Et donc on aura toujours dans chacune des circonscriptions une victoire. du parti au pouvoir et non pas du parti, l'équivalent du Labour par exemple, qui lui va plutôt être plébiscité par les Malais par exemple. Alors il y avait une question quand même que j'avais envie de vous poser parce que ça vient très tôt dans le bouquin, qui est cette idée selon laquelle les mots de démocratie et d'autoritarisme qu'on emploie tous les deux depuis le début de l'entretien, en fait figent un peu les choses, font comme s'il y avait... Des réalités qui étaient complètement différentes. Et en fait, vous incitez sur le fait que les États, en général, ont des techniques qu'ils déploient de manière différente, mais des techniques similaires malgré tout, que ce soit en... démocratique ou autoritaire. Et la question que je voulais vous poser c'est jusqu'où on ne va pas trop loin dans le relativisme en fait ? Parce que est-ce que quand on est un dissident dans un régime dit autoritaire, quand même l'impact sur les corps et sur la psychologie n'est pas plus fort que lorsqu'on l'est dans un régime dit démocratique, même si c'est dur aussi ? Dans le contexte actuel, cette... Cette dichotomie me paraît obscurcir davantage qu'elle n'éclaire les différences et la compréhension du monde en général. Mais ça a été tout le débat sur la question du totalitarisme. Et donc quand Karl Friedrich, Anna Arendt ont groupé ensemble l'URSS et le nazisme sous la catégorie de totalitarisme en la différenciant de tous les autres régimes autoritaires, Ça a créé un exceptionnalisme. Et l'exceptionnalisme, c'est toujours dommageable dans la mesure où c'est une barrière au comparativisme. Et le comparativisme, c'est ce qui nous permet de progresser, c'est ce qui nous permet de réfléchir, de trouver des solutions. Donc c'est dans cette optique-là que je pense que le continuum a toute son utilité. C'est une façon de ne pas rejeter dans l'étrangeté des réalités dont on n'est pas finalement peut-être pas si loin, ou vers lesquelles on pourrait aller. Voilà, et l'état d'exception est, si vous voulez, l'exemple paradigmatique de ce... de la manière dont on peut s'enliser rapidement dans un certain autoritarisme. Alors, à la fin du livre, il y a une citation de Camus dans les lettres à un ami allemand. Donc, les lettres à un ami allemand, ce sont des... des écrits de résistance où il s'imagine un ami avec qui les chemins se sont séparés par la force des choses. Et lui, il essaie de comprendre pourquoi. Et à un moment, dans ses lettres à un ami allemand, il dit qu'est-ce que l'homme ? Il a cette phrase, la formule est très camusienne, il dit l'homme c'est cette force qui finit toujours par balancer les tyrans et les dieux Et c'est la phrase qui clôt l'ouvrage et j'aimerais vous la faire commenter parce que j'avoue que ça m'a un peu intrigué. À la fois je trouve que c'est une phrase très belle, une belle proclamation, et en même temps pendant tout l'ouvrage on a l'impression que vous nous montrez à quel point l'autoritarisme a à sa disposition une panoplie de possibilités pour persister. pour perdurer. C'est pour terminer sur une note d'espoir, et justement pour faire bien comprendre aux lecteurs que l'objectif de cet ouvrage est d'inviter à un renouvellement de nos imaginaires politiques, et que nuancer la différence entre autoritarisme, entre les régimes autoritaires et les démocraties libérales n'a pas pour objectif de relativiser, mais d'appeler à dépasser la découverte. ou d'approfondir en tout cas la démocratie. Et donc c'est aussi une référence à la possibilité d'un avenir plus libéral, plus démocratique pour chacun d'entre nous. Et donc je conclurai avec cette phrase d'Antonio Gramsci. Je ne parle pas italien, mais en français... Optimisme de la volonté, pessimisme de l'intellect. Donc ici il y a beaucoup de pessimisme de l'intellect. En effet, les démocraties, les régimes autoritaires sont des régimes qui doivent perpétuer l'État. Et donc pour ce faire, elles obéissent à un certain nombre de logiques, notamment répressives. Mais cela ne nous empêche pas d'être optimistes. et de penser à la suite. D'être optimiste et du coup de lutter pour ça, parce que c'est une chose de le penser et puis ensuite de passer à la pratique. En tout cas, merci d'être passé par les studios de Mediapart, Génie Bériot. Et donc je rappelle votre livre, La dictature, une antithèse de la démocratie. Ce sont 20 idées reçues sur les régimes autoritaires. Et pour retrouver tous les autres numéros des Voix du pouvoir et des entretiens de Mediapart, rendez-vous sur notre site.