Bonjour, je suis ravie de vous retrouver pour un nouvel épisode du Rendez-vous de la géopolitique avec l'excellent Fabrice Ravel. Pour cette séance, nous avons choisi d'aborder une thématique qui concerne un acteur de la géopolitique que nous n'avons pas encore évoqué dans le cadre de nos séances précédentes, mais dont nous avons souligné que le rôle devrait être déterminant, voire indispensable, dans la conclusion de notre problématique relative à la démographie. Cet acteur, organisation internationale majeure, dont la renommée est mondiale, mais dont l'efficacité est souvent contestée, c'est l'ONU.
Nous allons nous demander si l'ONU peut être une organisation utile en géopolitique au XXIe siècle. Bonjour Fabrice. Bonjour Angela. Bonjour à toutes et à tous. Pour comprendre l'ONU, il faut d'abord repositionner celle-ci dans son contexte historique et surtout dans la continuité qu'elle peut avoir, plus ou moins forte, avec l'organisation qui l'a précédée, à savoir la Société des Nations.
Il faut également prendre en compte Les périodes historiques particulières que sont la fin de la première et de la seconde guerre mondiale, de même que l'influence qu'aurait pu exercer la grille de lecture des États-Unis d'Amérique et notamment du président Woodruff Wilson. Oui, vous avez totalement raison. Alors, comme on en a l'habitude, je pense que nos auditeurs, nos étudiants ne seront pas surpris. On cherche toujours à repositionner une problématique ou une thématique, en géopolitique c'est un grand classique, dans le cadre historique. Et là, c'est vrai que le cadre historique tel que vous le soulignez, on va y revenir très très vite, c'est la Société des Nations qui a été créée en 1920. Mais là, en fait, c'est d'autant plus indispensable que la création de la Société des Nations, d'une part, et surtout de l'ONU, puisque c'est le sujet qui nous intéresse, a été faite dans un contexte politique, j'ai presque envie de dire idéologique, très particulier, et que forcément ce cadre politique et idéologique va marquer l'institution, son mode, son fonctionnement, comme on va se rendre compte.
Et ça peut expliquer un certain nombre de désadéquations entre finalement l'institution et les évolutions telles qu'on va les connaître par la suite. Donc il faut impérativement remettre les choses en perspective. Et en fait ces perspectives, c'est effectivement comme vous l'aviez indiqué, la création de la Société des Nations en 1920, c'est-à-dire après la Première Guerre mondiale. C'était un conflit qui était surnommé la Grande Guerre à l'époque, dont tout le monde a été surpris par l'amplitude en termes de morts, par la durée.
Et en réalité... La Société des Nations, et ça c'est très important à rappeler, a été créée à l'instigation des États-Unis et surtout de son président, Woodrow Wilson. Pourquoi est-ce que c'est important à rappeler, Angela ?
Parce que, comme on l'avait évoqué dans une séance relative aux États-Unis, en fait les États-Unis sont nés en 1776 et pour différentes raisons dont on n'a pas l'opportunité de les redévelopper ici, ils ont développé une grille de lecture d'isolationnisme au sein des relations internationales. On rappellera bien sûr la très célèbre... Doctrine Monroe au début des années 1820 avec le 5ème président des États-Unis, James Monroe, qui en fait était déterminante pour expliquer que les États-Unis saiselaient du monde et en plus cette politique a pu être possible de par l'histoire propre des États-Unis et surtout par leur géographie. Donc en fait on a des États-Unis qui se trouvent plongés dans la première guerre mondiale pour un certain nombre de raisons, qui ne nous appartient pas d'évoquer ici, et qui sont finalement très très jeunes dans les relations internationales.
Et c'est pas neutre. Parce que l'idée qu'une association internationale qui regrouperait toutes les puissances puisse permettre de négocier sur les tensions en évitant la guerre, je crois pouvoir dire assez aisément que ce ne sont pas des puissances classiques telles que la France, par exemple, ou que le Royaume-Uni, qui auraient pu non seulement avoir l'idée, mais qui auraient pu considérer que ça fonctionnait. D'ailleurs, quand on reprend un ouvrage de Margaret Macmillan qui s'appelle Les artisans de la paix en 2004, c'est un ouvrage assez dense. qui évoque bien en fait les négociations entre Clemenceau, Lloyd George et Woodrow Wilson.
On voit bien que Clemenceau et Lloyd George sont assez dubitatifs, pour ne pas dire un peu amusés, de la proposition de Wilson, mais qu'ils l'enterrinent parce que grâce aux Américains, on a gagné la guerre et qu'on n'a pas envie de leur déplaire. Donc ça, c'est très important à rappeler. C'est vraiment une construction américaine. Et dès le départ, ça porte le saut d'un pays dont la connaissance des relations internationales est assez limitée.
Ce qui va d'ailleurs être... assez vite prouvée malheureusement par le bilan de la Société des Nations, car le bilan de la Société des Nations, non seulement... n'est pas très élogieux ou faible, on peut même dire qu'il est clairement calamiteux, puisque dans le courant des années 30, la Société des Nations va être totalement incapable, Angela, non seulement d'éviter les conflits, mais de les arrêter, et non seulement elle va être incapable de les anticiper ou de les arrêter, mais ils vont même ne faire que se développer pour aboutir à la Seconde Guerre mondiale.
On rappellera l'invasion de la Manchurie par les Japonais en 1931, on rappellera l'occupation de l'Ethiopie par l'Italie en 1935, Puis on rappellera la propension de l'Allemagne à essayer de faire de la provocation pour voir quelles étaient les réactions justement des différents participants internationaux. Donc on a leur occupation de la Rhénanie en 1936, puis on a l'Auchelous en février 1938, puis on a la crise des Sudètes, etc. Donc en fait, on a une société de nation qui est totalement incapable de mettre en place l'objectif qui lui était assigné. Et il y a quelque chose qui est assez révélateur.
c'est que lors du célèbre traité de Munich dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938, ça, ça me prend un constat qui est très important à souligner, qui va nous mettre en transition sur l'ONU. En fait, dès qu'on a affaire à une question centrale, non seulement on ne passe plus par la société de nation, mais en fait, on a un échange classique, diplomatique, entre les grandes puissances de l'époque. Donc on voit bien qu'en fait, l'organisation presque initiale, tutélaire par rapport à l'ONU, avait déjà montré que l'hypothèse d'une organisation internationale capable de régir la géopolitique, elle est loin d'être évidente par la suite.
Afin de mesurer l'influence et l'efficacité de l'ONU, Fabrice y convient également de se familiariser avec son mode de fonctionnement et surtout son organe central qui est le Conseil de sécurité. Pouvez-vous nous rappeler les missions essentielles ainsi que les modalités de fonctionnement du Conseil de sécurité ? De combien et de quel pays est-il composé ? Car on imagine aisément que ce paramètre est crucial dans l'appréciation de l'efficacité de l'ONU et de son fonctionnement.
Vous avez totalement raison. Le Conseil de sécurité est l'organisation principale créée par l'Archad des Nations Unies sur les Nations Unies, puisque la mission principale pour le Conseil de sécurité, c'est clairement d'essayer d'asseoir La paix, la sécurité entre les États et d'être force d'interposition ou de rétorsion, le cas échéant dans des situations de conflit. D'ailleurs, on a normalement des mesures qui peuvent être prises, soit des mesures économiques, soit des interventions militaires, ce qui est un peu plus paradoxal, on y reviendra, et qui doivent être prises par le Conseil de sécurité. C'est vrai que l'organisation du Conseil de sécurité de l'ONU va nous amener à peut-être mieux pouvoir appréhender l'efficacité de l'ONU elle-même.
Parce que là aussi, le contexte historique est très important. En réalité, l'ONU est mise en place en 1946. Or, Angela, en 1946, on a la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Et on est quand même encore dans les balbutiements de la guerre froide qui n'est pas installée. Pourquoi est-ce que c'est très important ?
Parce qu'aujourd'hui, le Conseil de sécurité de l'ONU, c'est 15 membres. J'attire déjà votre attention sur le fait que c'est 15 membres sur 193 États. C'est-à-dire qu'en réalité, on a quand même très peu de membres. qui sont dans ce concept de sécurité, encore une fois, qui est censé être réuni en temps de crise ou sur les crises les plus importantes. Donc on imagine aisément le poids diplomatique et le poids géopolitique qu'ont les États quand ils participent.
au Conseil de sécurité, puisque c'est eux qui doivent voter le cas échéant sur un certain nombre de sanctions, ou en tout cas sur l'attitude qu'il convient d'avoir. Or, parmi ces 15 États, le statut n'est pas identique, loin s'en faut, puisqu'on a 5 États qui sont permanents et 10 États, en fait, qui ne sont présents que pendant 2 ans, qui sont élus, d'ailleurs, au sein de l'ONU, qui sont élus chaque année parce qu'en fait, il y a une rotation. Mais on voit bien que là, il y a déjà une inégalité première entre les États qui sont à titre.
permanents et les états qui ne sont qu'à titre ponctuel. Deux ans, c'est quand même très très court, surtout que je vous prie de croire qu'un certain nombre de dossiers étant compliqués, on ne peut quand même pas les résoudre sur le court terme. Ce qu'il faut en plus rajouter, Angela, c'est que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont le droit de veto.
Et ce qui ne paraissait pas du tout être un souci au départ, s'est révélé très rapidement être une situation qui allait amener au blocage, car en fait, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont ceux qui sont considérés, alors évidemment, ça pourrait prêter à des discussions, mais comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, d'une part, mais c'est assez intéressant, comme les grandes puissances de l'époque. Et donc, on citera aisément la Chine, les États-Unis d'Amérique, la République socialiste soviétique. le Royaume-Uni et la France.
Seulement, si ces pays sont alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, il va se trouver que très rapidement, à cause de la guerre froide, ces pays vont se trouver non seulement en situation de rupture, mais vont même se retrouver en situation d'opposition, et même d'opposition idéologique. Et c'est là où je réattire l'attention de nos étudiants sur le droit de veto. On imagine aisément que, par définition, puisqu'en guerre froide ces pays vont s'opposer, et qu'ils disposent du droit de veto, à chaque fois que l'un d'entre eux sera indisposé par une question, il peut remettre son droit de veto et finalement on sera dans une situation de blocage parce qu'on ne posera aucune question, ou en tout cas on ne répondra à aucune question de par la situation.
Et là, j'insiste, on voit bien quelle est la résultante d'une implication historique, puisque cette institution internationale a été construite dans ses modalités, dans un contexte très particulier, et que ce contexte très particulier va être amené à être évolué, non seulement avec la guerre froide d'ailleurs, mais avec la décolonisation. puisqu'on va rapidement passer d'une cinquantaine à une soixantaine d'États en 1946 à 193 États aujourd'hui. Donc ça laisse déjà à subodorer que le fonctionnement de l'ONU ne va pas s'en trouver facilité et qu'il va y avoir un certain nombre de difficultés qui sont inhérentes à cette création initiale. Si l'on se base maintenant sur les activités de l'ONU depuis sa création à la fin de la Seconde Guerre mondiale, quels seraient pour vous, Fabrice, les moments clés que celle-ci aurait rencontrés ?
Et est-ce que vous considérez qu'elle a remporté des succès majeurs ? Alors ça c'est la vraie question. Je trouve que c'est une question qui est d'autant plus intéressante, que comme on l'avait évoqué dans nos propos en guise de préambule, c'est vrai que l'ONU aujourd'hui pourrait avoir un rôle majeur sur des questions, on y reviendra en conclusion, dont on voit bien qu'elles sont clairement internationales.
On avait évoqué la démographie, on pourrait évoquer aussi l'écologie. On voit bien que ce ne sont pas des questions qui peuvent être résolues. sur des parties du monde isolé ou par quelques puissances.
Il y a aussi un autre paramètre qui nous a conduit à traiter ce sujet, c'est qu'il y a quelques jours, ou il y a plusieurs jours, le 24 septembre 2019, on a une assemblée générale de l'ONU qui s'est rassemblée. Mais si vous me permettez, Angela, et c'est déjà un commencement de réponse à votre question, ce qui était assez frappant, quand on égouttait les chaînes d'informations continues, ou même dans le monde anglo-saxon. Finalement, cette assemblée générale se réunit dans l'indifférence quasi générale.
La plupart des journalistes eux-mêmes commentent la première journée en disant C'est une litanie de discours On voit bien... d'ailleurs les plus grands chefs d'État qui se suivent les uns les autres à la tribune de l'ONU. Si vous me permettez d'ailleurs une petite incidente ou une petite remarque, c'est assez croustillant, assez piquant de voir à quel point les chefs d'État travaillent particulièrement leur discours, sont très attentifs avec leurs collaborateurs à l'audience que leur discours devrait recouvrir, mais que dès qu'ils ont fini en réalité de... de parler, ils n'écoutent absolument pas leurs collègues, donc on a l'impression qu'on a plus affaire à des huis clos successifs ou à des monologues successifs, car une véritable concertation, et d'ailleurs cette première journée, il ne s'est rien passé et la plupart d'observateurs ne faisaient que valider le fait qu'il ne se passait rien et que peu de décisions concrètes sortaient de là.
Donc il y a déjà un scepticisme global aujourd'hui qui est assez révélateur et il serait facile de répéter les mots de Charles de Gaulle à propos de l'ONU, le machin ou le grand machin, ce qui sous-entendait que dans son esprit, de toute façon, tout ça ne servait pas à grand chose et ne pouvait pas remplacer le mode de négociation classique. Alors évidemment, on ne peut pas s'arrêter à ce seul constat, même si déjà il nous permet quand même d'avoir une... une pré-conscience de ce que peut être le bilan de l'ONU, mais franchement, à l'instar de la SDN, le bilan de l'ONU depuis 1946 n'est pas extraordinaire. Si on veut rester dans l'euphémisme, on peut même dire qu'il est faible pour ne pas... dire plus que ça.
Et là il y a deux constats qui sont particulièrement cruels et qui s'imposent. Le premier, si vous m'y autorisez, c'est qu'en fait quand l'ONU a réussi à intervenir sur un certain nombre de conflits, en fait ce qui est assez remarquable dans le sens premier du terme, c'est que l'ONU n'a jamais réussi à les anticiper. mais a plutôt cherché à les résoudre, ce qui prouve que déjà, quelque part, cette assemblée rate sa vocation, et en plus est amenée à les résoudre, finalement, en décidant une intervention militaire, ce qui est quand même assez paradoxal par rapport à son objet premier.
Là, il y a plusieurs exemples qui doivent étayer nos propos. On a d'abord la guerre de Corée en 1950, car il faut rappeler qu'en fait, les Américains interviennent suite à l'attaque de la Corée du Nord sur la Corée du Sud en juin 1950. Les Américains y vont sous le mandat d'onusiens, d'ailleurs parce que les Russes... Ils feront l'erreur de ne pas être présents, ils feront la politique de la chaise vide, donc ils ne pourront pas mettre le veto, c'est une erreur qu'ils ne feront plus jamais. Mais donc en fait, l'ONU mandate les États-Unis.
On voit d'ailleurs bien que l'ONU est totalement dépourvue de moyens concrets, parce que souvent nos étudiants, les observateurs évoquent les casques bleus, mais les casques bleus, Angela, en fait, sont des contingents qui sont mis à disposition par des États, selon le bon vouloir des États et selon la période sur laquelle les États le souhaitent. Donc en fait... En plus, c'est un bras non armé qui dépend des grandes puissances et de la bonne volonté des grandes puissances.
Il n'y a pas eu que l'exemple de la Corée. Il y a eu aussi l'exemple des conflits en ex-Yougoslavie, en Europe, dans les années 90, où on a bien vu que c'est les Américains, finalement, qui avaient dû intervenir. Ce qui montrait non seulement l'incapacité, d'ailleurs, si on permettait, de l'ONU, mais de l'Union européenne à régler un problème sur son propre sol. Ce n'est quand même pas neutre. Et puis, il y a un conflit aussi très célèbre.
Là, il faut être très précis. C'est le premier conflit en Irak, entre août 1990... Et février 1991, parce que certes, il y avait une coalition sous mandat onusien. Mais enfin, il ne reste pas moins vrai que cette coalition était plus ou moins déligentée par les États-Unis et que l'ONU était donc poussée à amener une guerre.
Déjà, ça, c'est un premier constat qui n'est quand même pas très positif. Mais il y a pire. Finalement, on pourrait presque se demander quels sont les conflits que l'ONU a pu empêcher.
Parce que quand on reprend la litanie des conflits tels qu'ils existent depuis 1946, Et là, on va en évoquer quelques-uns et je demande à nos éditeurs d'entendre le fait que la liste qu'on va dresser est loin d'être exhaustive. On vient de parler de la guerre froide. L'ONU a été incapable d'empêcher la guerre froide.
Elle a même presque figé la guerre froide. Donc ça, ce serait un premier conflit. Angela, il y a eu, excusez-lui peu, au moins les quatre conflits israélo-arabes. Il y a eu quatre conflits entre l'Inde et le Pakistan. Il y a eu 20 ans de guerre au Vietnam.
Et puis, il y a eu toutes les guerres de décolonisation qu'on pourrait évoquer. Donc déjà, rien qu'elle a. À l'exposé de tous les conflits qu'on vient d'évoquer, on voit bien qu'il y a une forme d'impuissance majeure et malheureusement qui va souvent apparaître de façon dramatique.
Parce que là, il y a une synthèse entre l'impuissance de l'ONU, même quand elle est présente, et puis le fait qu'elle n'arrive pas à empêcher les guerres. Il y a l'exemple dramatique du Rwanda avec le génocide entre les Hutus et les Tutsis. Or, ce qu'il faut savoir, c'est que des équipes de l'ONU étaient sur place et des casques bleus étaient sur place. Et qu'ils ont été dans l'incapacité d'intervenir et qu'il a même fallu que ce soit l'armée française qui aille.
Et donc en fait... L'ensemble de ces événements prouve que l'ONU est loin d'avoir atteint les objectifs initiaux, que ça s'explique en partie par des institutions qui très vite n'ont plus été en situation de correspondre à l'évolution géopolitique, mais ça nous amène nécessairement à la question d'ailleurs telle qu'on la pose, à savoir est-ce que l'ONU a véritablement une finalité et une possibilité d'exister aujourd'hui ? Oui, d'après ces rappels, Fabrice, on est plutôt porté à croire... que la contribution de l'ONU aux relations internationales n'a pas été tout à fait concluante. Et pourtant, certains sujets, comme nous l'avions évoqué en début de cette séance, comme par exemple la concertation des États sur l'évolution démographique, pourraient se prêter tout particulièrement à une initiative de l'ONU.
De même, la situation géopolitique actuelle semble plus nous conduire vers une fracturation du monde que vers la mise en place d'un nouvel ordre mondial. Ce qui, là encore, pourrait nécessiter une relance de l'activité de l'ONU. Y a-t-il, Fabrice, des réformes ou des évolutions qui pourraient conduire à cela ?
Je pense que ça, c'est la question. On se rapproche de plus en plus de la question de fond, en fait. Et c'est vrai que si on veut essayer de sauver un peu l'ONU, même parmi nos étudiants, quand on en discute, on voit bien qu'il y a un discrédit assez fort sur cette institution.
Et en plus, vous me permettrez de rajouter... qu'on n'a même pas évoqué la question palestinienne, vous voyez dans la liste, dont on peut considérer que l'ONU a plus finalement contribué à l'amplifier qu'à la résoudre. La question que vous posez est très importante parce que c'est vrai qu'il y a quand même une situation qui est nouvelle. Il y a l'émergence de plusieurs problématiques en géopolitique. Je pense à la globalisation en économie.
Je pense évidemment à l'écologie. On peut penser aussi à la démographie, dont on voit bien que la résolution ne passera pas, certainement, par de la diplomatie classique, mais par la nécessité que de plusieurs États de rassembler leurs forces pour essayer de trouver une solution. C'est là où peut-être on pourrait revigorer l'idée de l'ONU, ou en tout cas sauver l'idée d'une instance internationale. Mais alors...
Alors ? Mais alors ? Pour que cela puisse fonctionner, on est dans la continuité de votre question.
On ne pourra pas le faire, me semble-t-il, sans imaginer une réforme, et notamment une réforme du Conseil permanent de sécurité à l'ONU. Parce que si vous me permettez une remarque, quand on évoque... la liste telle qu'on l'a déclinée tout à l'heure, on voit bien que cette liste n'est pas du tout représentative du monde du XXIe siècle. On a déjà deux pays de l'Union européenne sur cinq. Et aujourd'hui, quand on regarde les membres...
du Conseil de sécurité, qu'est-ce qu'on regarde Angela ? L'Inde n'est pas présente. Or l'Inde est censée être la première puissance démographique dans le monde d'ici 2025, c'est-à-dire d'ici demain. Et on imagine mal quand même une instance internationale qui peut avoir une efficacité et qui n'intègre pas l'Inde, du regard à ce qu'on vient de dire.
Mais de même, on remarque qu'il y a certains continents qui sont totalement absents. Il n'y a pas un pays africain qui a au moins un état sur 53 qui serait membre permanent au sein du Conseil de sécurité. Alors là, en plus, la décision ne sera pas facile, parce que je rappelle que le Nigeria, d'ici 2050, va être la troisième population au monde. Je rappelle que c'est d'autant plus important que l'Afrique aura passé de 1960, c'est les choses qu'on avait évoquées, à 2050, à une population de 10. Donc on ne peut pas envisager sérieusement qu'on n'ait pas un pays africain qui soit permanent au Conseil de sécurité. De même qu'on peut s'interroger sur l'absence du Japon, qui reste quand même une des puissances économiques majeures.
Et enfin, de voir aussi qu'il n'y a pas de pays d'Amérique du Sud. Et on pense notamment au Brésil. Donc ça sous-entend que là, c'est d'ailleurs des idées qui sont évoquées par les pays eux-mêmes et par d'autres.
On aurait besoin de totalement remédier le Conseil de sécurité dans sa composition, ce qui va d'ailleurs amener une question très importante pour les Européens. Parce que là aussi, il y a une question qui se pose. Si ce Conseil de sécurité s'élargit et que l'Union européenne, dont la vocation et la prétention est d'exister davantage au niveau géopolitique...
se perpétuent, comment justifier que la France, par exemple, ou que le Royaume-Uni ait des sièges à eux deux, et que l'Union Européenne n'en ait pas ? D'autant plus que l'Allemagne, aujourd'hui, qui est la plus grande puissance économique en Europe, est totalement légitime pour, elle aussi, avoir un siège au Conseil de sécurité. Donc, il n'y aurait plus qu'un siège pour l'Union Européenne, dans cette configuration-là, mais dont cette situation serait particulièrement difficile, à cause de la perspective du Brexit.
Je ne sais pas si vous voyez déjà... l'ensemble des modifications. Mais là où ça me paraît encore plus important, Angela, si vous voulez bien, c'est que je pense que ça nous amène vraiment dans le cœur du sujet. Parce que le cœur du sujet, quel est-il finalement ? La question qu'on peut se poser, c'est est-ce que l'ONU ne reste pas plus à la mode aujourd'hui, plus un moyen politique pour les pays européens en particulier, qui étant en déclin quand même sur la scène géopolitique, ont une vraie affection par l'ONU parce qu'ils gardent.
une puissance qu'ils n'ont plus dans la réalité des relations internationales. Mais là, on serait sur un paradoxe, car les Européens voulant sauver l'importance de l'ONU seraient amenés à amenuiser leur propre potentiel aux comptes de sécurité pour permettre à l'ONU de survivre. Donc là, on voit bien une sorte de paradoxe et de contradiction. Ça me paraît important d'insister. On serait dans une sorte de mouvement pendulaire, où en même temps que les Européens donnent de plus en plus de crédits à l'ONU, les Américains, finalement, eux, leur en donnent de moins en moins.
parce qu'ils sont de plus en plus, eux, dans une grille de lecture classique ou unilatérale. De ce point de vue-là, il y a un exemple dont j'ai le sentiment qu'il est particulièrement important à souligner, notamment en France, c'est le fameux discours en février 2003 de Dominique de Villepin. C'est un discours qui est très très célèbre, dans lequel la position consiste à dire que la France, à juste titre d'ailleurs, ne souhaite pas qu'il y ait un deuxième conflit en Irak.
En France, on se souvient toujours de ce discours. Parce qu'il était très emphatique, qu'il avait une très grande dimension lyrique, et que d'ailleurs, il faut être honnête, Dominique de Villepin l'a formidablement porté. Mais si on est un peu plus attentif à la situation, Angela, qu'est-ce qu'on remarque ?
Ce discours était magnifique, mais en réalité, est-ce qu'il a empêché les Américains d'intervenir en Irak ? Non. Est-ce que finalement, on n'a pas vu que malgré l'ONU, ou malgré ce discours, les Américains n'ont pas été quand même en Irak ? Donc en gros, c'est la preuve ultime. de l'unifcasté de l'ONU.
Et en plus, je trouve que c'est un point qui n'est pas assez souligné. Quelque part, ce discours n'était pas forcément aussi adroit, car nos alliés, les Américains étaient nos alliés. Et en plus, devant l'Assemblée de l'ONU, faire un tel discours sans qu'il porte ses fruits, finalement, ça montrait le fait que la France était en train de perdre de son influence dans les relations internationales. Donc moi, j'ai souvent l'habitude de dire aux étudiants, c'était un magnifique discours, mais qui prouve in fine qu'en fait, on avait moins de moyens d'influence qu'on était censé en avoir. Et donc...
et on l'a mis à nu, si vous voulez bien. Et donc, ça m'amène à une question dont j'ai le sentiment qu'elle est au cœur du sujet tel qu'on l'évoque, et qui nous amène d'ailleurs sur une problématique qui me paraît essentielle au XXIe siècle, à savoir, tant la SDN au XXe siècle que l'ONU dans la deuxième partie du XXe siècle, ou aujourd'hui au XXIe siècle, est-ce qu'une instance internationale qui est censée regrouper tous les États aujourd'hui, dans un monde dont vous avez raison de rappeler qu'il est de plus en plus fragmenté. C'était l'ouvrage de Thierry Garcin, La fragmentation du monde.
C'est toujours difficile pour nos étudiants à comprendre parce qu'on parle de mondialisation, on parle de globalisation. Il y a une mondialisation et une globalisation technologiques, économiques, mais certainement pas géopolitiques. Au contraire, aujourd'hui, on est sur des rivalités fortes.
Donc je repose ma question en guise d'ouverture. Est-ce qu'une assemblée à vocation de rassemblement... international tel que l'ont été la SDN et tel que l'ONU aujourd'hui finalement est vraiment viable dans un monde géopolitique où on sait bien que c'est d'abord un monde de réalisme et dans lequel c'est le rapport de force entre grandes puissances qui finalement décide ou pas de la pérennité de la paix ou de l'éventualité des conflits.
Fabrice, pour finir notre séance, je propose à nos étudiants d'observer quelles seront les évolutions de l'ONU à l'avenir. Merci d'avoir partagé avec nous votre regard avisé sur ce sujet. Merci à vous.
Et merci à vous de nous avoir suivis. Au revoir et à bientôt pour un prochain épisode du Rendez-vous de la géopolitique.