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Ressentiment et Humilité : D'une Vision à l'Autre

Tu es sans cesse piégé par soit un complexe d'infériorité permanent, soit un complexe de supériorité permanent. Donc c'est une polarisation, une binarisation, et ça ne va pas. Donc la seule manière de vivre un tout petit peu serein avec tes propres limites, tout en essayant d'être le moins complaisant avec elles, c'est malgré tout d'aller sur le terrain de l'humilité. Mais force est de reconnaître que c'est une notion obsolète.

C'est un concept qui est même... par la modernité d'aujourd'hui, considéré comme invalidant. Tu ne vois pas... Non, on va dire... On va enseigner plutôt aux enfants quelque chose de...

Tu vois, comme un espèce de rapport à soi superfétatoire. Enfin, un truc qui... Bonjour, bienvenue dans Dialogue.

Aujourd'hui, je reçois Cynthia Fleury, dont le travail m'est si profondément cher. C'est une grande joie de partager avec vous son exploration du ressentiment et comment nous en délivrer. Donc bonjour Cynthia, est-ce que tu veux bien te présenter en quelques mots ?

Donc bonjour Fabrice, je suis Cynthia Fleury, il faut que je me présente, je suis professeure titulaire de la chaire Humanité et Santé au Conservatoire des Arts et Métiers de Paris et titulaire de la chaire de Philosophie à l'hôpital du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences. Voilà, c'est tout ? Ouais, puis... Qu'est-ce qu'il faut dire encore ? Ça c'est bien !

Et puis écrivain, qui a une longue... Je ne me définis pas comme écrivain, c'est vrai. J'ai une impossibilité à me définir comme écrivain. J'écris, je mets les écrivains malgré tout, comme beaucoup, du côté de la littérature et du côté de la fiction, ce qui n'est pas mon cas.

Je le regrette, ce n'est pas du tout... Mais je n'oserais pas prendre le terme d'écrivain pour... Pour me définir, je dirais plus simple, la manière, tu vois, je me suis définie comme enseignant-chercheur. Enseignant-chercheur qui écrit, enseignant-chercheur qui va donner des cours, enseignant-chercheur qui, à la fois le conservatoire et le GHU, et mine, Paris Tech, et voilà. C'est quand même d'abord ça.

Et puis, psychanalyste. Alors, tu viens de publier, enfin, tu as publié Si j'y la mer, guérir du ressentiment et je voulais qu'on puisse parler de ça. Qu'est-ce que c'est ?

Que le ressentiment, on pourrait commencer comme ça, qu'est-ce que c'est ? Le ressentiment c'est une passion triste, c'est une rumination, alors attention, toutes les ruminations ne sont pas ressentimistes, mais c'est à un moment donné, comme dit Scheller, un auto-empoisonnement, c'est une... Une faute de discernement, c'est-à-dire, je pense, dès le départ, une mauvaise analyse, c'est-à-dire que ça peut se faire à l'occasion d'une souffrance, mais ça peut aussi ne pas se faire à l'occasion d'une souffrance. Et pourquoi je dis que c'est un défaut de discernement ? Parce que là, il y a une illusion d'optique qui va se faire, où on va identifier à cette souffrance, à cette injustice, autre chose qui est en fait...

une interprétation particulière de cette souffrance et de cette injustice et en gros qui est un délire inversé narcissique, victimaire, parce que c'est ça le ressentiment, c'est-à-dire qu'à un moment donné tu es piégé, tu vas rentrer dans une impossibilité de te saisir. d'autre chose, d'une extériorité du monde, comme si tu étais en boucle sur toi. Et quand tu es en boucle sur toi, ce qu'il faut comprendre, c'est que qu'est-ce que c'est qu'un sujet ?

Si tu es un tout petit peu mentalement sérieux, c'est un trou, ça n'existe pas, c'est un manque. Donc de toute façon, si tu te retrouves en boucle, à tourner autour du manque, à tourner autour du déficient que tu es, c'est sans f... c'est sans fin, c'est-à-dire c'est un abîme, un vertige.

Donc les seules manières de résister à cela, c'est au contraire d'exister, de sortir de soi et d'aller se nourrir du monde pour se stabiliser par rapport à ce trou. Mais le ressentiment, ça attaque ça, c'est-à-dire que tout d'un coup, tu es dans un délire où tu n'es que comme une mouche, tu vois, tu vas tourner autour de ton propre trou et alors soit tu tombes dedans, Voilà. Soit pour résister à ça, tu vas construire une espèce de stigmatisation inversée, et donc tu vas essayer de trouver un mauvais objet pour sortir, puisque tu n'arrives plus à sortir de toi, donc tu sors par le mauvais objet.

Donc par la bouc-émissarisation, par la détestation d'autrui, par la détestation de tout. Et puis c'est une boucle terrible, puisque tu ne peux pas te nourrir 24h sur 24 de la détestation. C'est pas possible.

Personne ne peut se nourrir. 24 heures sur 24 de la détestation. Donc là, il y a un truc très particulier qui se met en place pour résister au fait que tu ne peux pas te nourrir de ce dénigrement que tu vas jeter sur le monde. Et donc tu vas résister, soit encore une fois, en essayant de produire un rapport... extérieur à un mauvais objet et tu vas passer par la traduction politique de cela, ou alors tu vas te déplier, tu vas te replier comme ça, comme un truc un peu rance sur toi.

Il y a un côté formol, donc tu tiens, mais tu tiens par la détestation. Au fond, on pourrait dire par rapport à la souffrance ou à la frustration, le ressentiment s'est si enfermé. Dans la plainte infinie, dans la rumination qui tourne en boucle, dans l'aigreur, que tu décris très bien.

C'est au fond être enfermé par ce qui fait problème, au lieu, on en parlera après, au lieu de trouver l'énergie d'agir, de faire quelque chose. Au fond, le ressentiment, c'est la logique de l'impuissance. C'est ça, c'est une illusion d'optique, si on reprend ce que tu as dit, c'est une illusion d'optique dans laquelle je finis par me croire impuissant.

Sans m'en rendre compte, puisque je... Voilà. Exactement.

Donc il y a effectivement ça, c'est une logique d'impuissance, et c'est un système, si tu veux, où le sujet va produire de façon systématique de la non-solution. Ça c'est aussi passionnant comment tu décris ça. Parce qu'on ne voit pas, tu montres très bien que, on fait un... Dans le ressentiment... On fabrique avec un effort énorme, on ne fait pas rien, on fait un effort pour empêcher la solution.

Exactement, c'est vraiment un travail qui est dédié à la production de non-solutions. Donc c'est une ingénierie totale, c'est le système paranoïaque, si tu veux, et le système délirant, au sens de délire. C'est-à-dire que c'est extrêmement riche, si tu veux, dans la capacité de non-solutionner quelque chose, de produire de la non-issue. Et bien évidemment, le sujet jouit de ça de façon consciente ou inconsciente. Tu montres bien que ça peut se manifester politiquement par certaines formes de fascisme.

On voit bien la haine incessante qui n'apporte aucune issue, qui ne comble rien et qui tourne en boucle. Oui, et qui te permet malgré tout de rester dans ton quand à soi si tu veux, il faut toujours, malgré tout, je pense que toutes les pathologies, tous les traits psychiatriques, etc., sont liés à un moment donné à des troubles narcissiques, parce que c'est malgré tout, il y a un grand invariant de troubles narcissiques. Dans le ressentiment, il y a un trouble narcissique, il y a un sujet, si tu veux, qui est, pour x et x raisons, qui a rencontré à un moment donné...

un système de frustration fort, un système d'humiliation, un système d'injustice, etc. Et qui s'est fait happer par cela, et qui à un moment donné restaure son narcissisme par de la détestation, par de l'impuissance, etc. Alors que c'est une voie sans issue pour le coup, sauf...

à devenir totalement verrouillé et dans le déni, et donc on bascule dans une évolution psychotique de soi-même, ou alors à basculer dans quelque chose d'autoritaire, délirant, qui va être la désignation d'un mauvais objet à détester par plusieurs, etc. Mais sinon c'est sans issue. Ce sont des êtres qui sont terribles, certes pour eux-mêmes, mais surtout pour les autres, pour ceux qui sont alentours.

C'est un système que de biais de confirmation, si tu veux. C'est quelque chose qu'on connaît bien dans les thèses complotistes, dans les thèses paranoïaques, etc. C'est une autoréférentialité. Donc sans cesse, tout ce qui est donné est attrapé pour valider la thèse première.

C'est ça qui est terrible. Donc tout ce que tu vas amener comme solution, de fait, sera destitué. Ça viendra prouver au sujet ressentimiste que précisément pas.

Ça, il l'a déjà essayé. Ça, ça ne marche pas. Ça, ceci.

C'est tout ça, le ressentiment. Et de casser ça, c'est vrai que c'est très, très difficile. Parce qu'en fait, le simple raisonnement, comme dans les thèses complotistes, ne fonctionne pas. Et donc, il y a quelque chose, en fait, du trouble narcissique. et du trouble de la confiance à restaurer pour que s'enclenche à un moment donné éventuellement une possibilité, par la raison, de sortir de cette défaillance par ailleurs de discernement rationnel, parce que c'est quand même un jugement, si tu veux, cognitif défaillant à la fin.

Mais si tu rentres par là, très souvent tu n'y arrives pas. Tu es obligé de rentrer par une voie autre, hyper empathique, qui n'est pas simple, qui passe, je pense, par une restauration de la faille narcissique, et puis une restauration d'une confiance interpersonnelle, ce qu'on appelle le transfert, mais transfert dans sa définition numéro 2, pas numéro 1 de transférer le pulsionnel et les désirs inconscients, mais le transfert au sens de confiance. C'est-à-dire, tout d'un coup, tu... Tu accordes à un tiers résilient le fait que précisément, quelque chose va pouvoir se passer avec lui.

Avant de voir comment on fait pour nous libérer du ressentiment, tu pourrais faire peut-être deux, trois vignettes cliniques assez rapidement pour qu'on voit bien comment ça s'arrime à une existence. C'est des choses très simples, c'est des individus qui... A chaque fois, vont avoir une...

D'abord, c'est des récits de soi assez élaborés. Donc, je ne dis pas que tous ceux qui ont un récit de soi élaboré sont dans le ressentiment, mais il faut savoir qu'il y a une capacité à faire récit, donc très névrotique, sauf que c'est de la névrose sévère, mais donc c'est des gens qui ont une linéarité, ils peuvent tout expliquer, très souvent. Donc, ils peuvent raconter pourquoi ils sont comme ça, et donc c'est une...

C'est des fétichistes, si tu veux, de la causalité linéaire. Ils peuvent tout expliquer comme le grand complot. Et bien évidemment, ils expliquent qu'ils ont été victimes d'un traumatisme.

Et quand tu vas chercher ça, parfois il y a du traumatisme, et parfois il y a quelque chose qui est l'absence de traumatisme, entre guillemets. C'est-à-dire qu'il y a le fameux traumatisme de l'absence d'événements. Ça, c'est un des points où là, tu peux être sûr. que tu parles du ressentiment très très fort, c'est-à-dire qu'ils utilisent toute la clinique du traumatisme.

Alors tu cherches le traumatisme premier, tu te dis mais qu'est-ce qui s'est passé ? comme effraction du réel. Et en fait, l'effraction du réel qui a eu lieu, c'est précisément ce qui n'a pas eu lieu. J'attendais, ils mettaient du que et puis ce n'est pas venu.

Tu te dis oui, mais ça c'est un traumatisme Donc l'attente déçue est vécue comme un traumatisme. traumatisme d'injustice absolu. Donc ça par exemple, c'est un modèle qui peut être très parlant, si tu veux, pour dire, ah tiens, et puis après tu as des personnalités qui sont dans l'impossibilité, ça aussi, quand on dit absence de discernement, c'est-à-dire leur système est un système, leur rapport au monde passe par un rapport de dénigrement, systématique, ils ne peuvent pas avoir un rapport au monde plus serein, de non-dénigrement.

Donc ce n'est pas simplement le fait de ne pas simplement être capable d'admirer, c'est plus que ça. Ce n'est pas une indifférenciation au monde, ça c'est encore autre chose, c'est à un moment donné le fait de colorer ce rapport d'indifférence au monde par nécessairement quelque chose qui est moralisateur, et donc c'est l'intégralité du monde qui est corrompue. c'est de toute façon il n'y a pas de valeur dans ceci cela donc il ya quelque chose qui flirte avec le nihilisme mais qui est plus que ça parce que Le nihilisme, on pourrait dire que dans le nihilisme, parfois, il peut encore avoir un petit effet de décentrement par rapport à soi. Dans le ressentiment, non, c'est du nihilisme plus de l'égocratie.

Donc, on revient toujours à soi. J'ai été victime. C'est très bien dit, c'est de l'égocratie, c'est très bien dit. Et qu'est-ce qui a fait que tu t'es intéressée à ce point au ressentiment pour y travailler ?

Je ne peux pas le dire totalement jusqu'au bout, mais je peux le dire par la face sud de mon intérêt pour le ressentiment. Il y en a deux. La première, la confrontation, ce n'est pas le bon terme, avec les patients.

Et le fait de me rendre compte très vite que c'était l'objet analytique et de voir qu'on avait... Beau produire tous les raisonnements à un moment donné plus ou moins justes, mais quand même plutôt justes, on butait avec certains patients sur ça. D'ailleurs, certains patients le reconnaissant eux-mêmes, et c'est d'autant plus humble et touchant de dire je vois le truc, mais je n'arrive pas à en sortir et puis d'autres étant incapables, c'est-à-dire rejet absolu que du transfert pulsionnel, que de la répétition. Donc une impossibilité de dépasser la répétition, et ne voulant pas comprendre le pattern de la répétition, précisément par la justification que non, il n'y a pas répétition, il y a un traumatisme et il n'y a absolument pas de possibilité d'en sortir, et tout ce qui est présenté. ne voyant pas, si tu veux, leur responsabilité dans le fait de refuser la solution et la construction d'une solution.

C'est-à-dire à chaque fois, leur manière de penser la solution, soit c'est une solution impossible, donc ils demandent un impossible, soit tout ce qui est proposé comme possibilité ne leur va pas. Parce qu'ils considèrent que cette solution est indigne d'eux, etc. Et aucune... Et puis des revendications de la solution magique, c'est-à-dire de ne pas rentrer dans quelque chose de mature avec la solution.

Une solution, c'est un cycle, c'est du temps. C'est pas magique, c'est pas là tout de suite et maintenant. C'est une vie.

Moi j'ai l'impression aussi que tu travailles sur le ressentiment parce que... On pourrait dire qu'il y a quelque chose d'historial, ou quand même c'est une manière d'approcher un des symptômes de la souffrance propre à notre temps. Je pense que tout n'est pas marqué par le ressentiment, mais il y a quand même quelque chose de notre temps. Il y a presque une construction politique, une construction d'un certain état du capitalisme.

Je trouve que moi c'est un des aspects très profonds et puissants de ton travail, c'est d'articuler la souffrance psychique. à une situation sociale et politique. Quand je t'ai annoncé les deux versants sud, le premier versant sud, c'était celui-là.

Le deuxième versant sud, c'était précisément le fait de dire Ah, mais c'est un objet politique. En fait, c'est l'objet de la démocratie qui ne dit pas son nom. Et c'est ce qui peut tuer la démocratie.

D'une certaine manière, rien ne peut la tuer. C'est une puissance de digestion, la démocratie, qui est extraordinaire. On a créé...

justement un appareil de digestion des crises qui s'appelle la démocratie, enfin l'état social de droit. Mais justement, il y a quelque chose qui pourrait mettre à mal ça, c'est tout d'un coup une pulsion ressentimiste très très très forte et qui est sans cesse aujourd'hui réactivée pour x et x raisons, on pourra développer. Donc ça, cette conjonction comme moi, je cherche quand même des objets, si tu veux, qui sont...

à la conjonction des dynamiques individuelles et collectives, là, ça me paraissait très très bien. Et puis par ailleurs, il y avait une face nord d'expérience du ressentiment, sur laquelle je n'irai pas, qui était plus, je dirais, dans une vie commune, et qui était une confrontation très violente avec ça. Et là, pour le coup, je pense que... Oui, je me suis dit, tiens, il y a également un objet intéressant à l'être sur lequel travailler. Tu montres que ça peut menacer la démocratie, mais il y a aussi qu'un certain état du capitalisme.

Une certaine violence sociale que nous subissons nous pousse du côté du ressentiment, nous empêche une certaine forme d'élaboration qui pourrait nous en libérer. Et de ce point de vue-là, tu as parlé du tableau clinique, un peu des cas un peu intenses de ressentiment, mais quand même on est tous pris par le risque du ressentiment. Et travailler pour chacun d'entre nous sur le ressentiment, c'est réinventer les conditions de notre liberté. Et on pourrait aussi dire qu'il n'y a plus de possibilité pour nous Hommes et femmes du XXIe siècle, de cette situation de crise particulière que nous vivons, si nous n'affrontons pas le ressentiment qui est parqué, je crois que là tu touches vraiment juste, qui est vraiment le mal propre à notre temps.

C'est-à-dire la difficulté de l'élaboration, la difficulté de la question d'inventer la liberté, de retrouver, tu l'as déjà dit, la question du temps. C'est ça. Nous sommes privés de temps, donc on s'entend, c'est le ressentiment.

Exactement, c'est-à-dire que lors-là, pour le coup... Il y a plusieurs points dans ce que tu dis, c'est-à-dire qu'un des modes de régulation du ressentiment, voire d'annulation, c'est la sublimation. La sublimation, c'est une articulation avec le temps, rien que ça.

C'est-à-dire qu'il n'y a pas de sublimation s'il n'y a pas de conscience d'une temporalité autre, puisque c'est différé. au sens freudien du terme. Donc déjà, si tu ne sais pas faire ça, tu es en danger.

Or, nous sommes dans des temps où ce différé, et techniquement, on oublie, la technique a considéré que son grand progrès, c'était d'annuler le différé. Donc déjà, techniquement, il y a une mise à mort du différé. Et par ailleurs, la technique est tellement forte aujourd'hui qu'elle veut prendre la main comme premier mode de symbolisation.

Mais c'est faux. puisque la symbolisation, c'est précisément du différé. Donc de toute façon, la technique ne peut pas être un mode de symbolisation, c'est autre chose, c'est un mode d'augmentation, mais ce n'est pas un mode d'augmentation quantitative, etc.

Mais ce n'est pas un mode de symbolisation. Or, ce mode de symbolisation, aujourd'hui, il est extraordinairement mis à mal. Donc simplement ça, c'est un premier point. Je te donne deux autres exemples. Moi, je suis un enfant de la théorie critique.

de la philosophie sociale, de Horkheimer, Adorno, Lucas, jusqu'à Axel Honnête, en passant par Habermas, etc. Donc je m'inscris dans ce... Quel est le grand concept de cette théorie critique ? C'est la réification.

Quel est un des grands engins de la réification contemporaine ? Le capitalisme. Donc le capitalisme de fait... par sa structure réifiante très particulière qui aura tendance à produire de la marchandisation comme seul mode au monde. Et puis derrière cette marchandisation, aujourd'hui, c'est de l'économie cognitive, c'est de l'économie numérique, enfin tu vois, il y a tout ça qui s'emboîte.

Donc de fait, là encore, tu as une espèce de terrain miné rempli de petites bombes. pour le ressentiment. Donc il y a plein, plein, ça ne veut pas dire qu'on va tous sauter dessus, mais ça veut dire que c'est vrai que la modernité telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui dans sa déconstruction du temps ou dans son mode relationnel privilégié, marchand, etc., le tout avec, par ailleurs, une économie cognitive qui est compulsionnelle. Je veux dire, on le sait. Tous les travaux de l'écologie de l'attention sur le fait que, tiens, la première denrée que cherche à attraper le capitalisme, c'est quoi ?

C'est mon attention. Donc, voilà. Ça, c'est vraiment central.

Comme mon attention est volée, je n'ai plus de possibilité de faire ce travail nécessaire qui me libérait du ressentiment. Exactement. Il y a une espèce de captation, tout en me donnant l'illusion éventuellement que je le fais.

Si tu veux, parce qu'en plus, et ce que j'ai aimé voir, si tu veux, pardon, quand je dis si vous voulez, c'est l'ensemble, parce qu'on peut le dire, nous sommes plusieurs dans cette pièce. Ce que j'ai voulu montrer, mais de façon trop caricaturale et trop rapide, c'est ce truc-là de la dénarcissisation et de la renarcissisation. Bien sûr, niveau radé-pacrète, mais quand même.

Comment tu as un monde du travail et de la société ? Parce que c'est pareil. Aujourd'hui.

D'abord, parce que la centralité première de la société, c'est le travail, ou le manque de travail, mais ce qui est la même chose, inconsciemment, puisque l'inconscient ne connaît pas la négation, donc de toute façon, travail ou pas travail, l'inconscient, il est dans la centralité du travail. Le mode premier du travail aujourd'hui est quand même, principalement, je te parle pour l'ensemble des uns et des autres, c'est un mode dans la réification, malgré tout. Voilà, on est instrumentel. La ralification, on est instrumentalisé, c'est la souffrance que les gens ont, c'est la souffrance aujourd'hui des gens à l'hôpital et partout.

On est normalisé, il y a des protocoles pour tout, ce que pour ma part je ne cesse de dénoncer. Et ça fait que ça nous empêche de faire le travail. C'est-à-dire qu'on souffre du ressentiment et pour beaucoup d'entre nous...

Nous ne sommes pas... On est victime, pour une part, de cette situation-là. Donc, au fond, il faut apprendre à nous défendre. Et travailler sur le ressentiment, c'est apprendre à se défendre de cette violence que nous subissons tous. Oui, et c'est apprendre à se défendre à deux niveaux.

Parce que c'est apprendre à se défendre d'abord psychiquement, parce que nous sommes notre première ressource. Oui, je peux dire... C'est quelque chose qui est très peu pensé, qu'il faut apprendre à se défendre psychiquement de la violence du capitalisme extrême de notre temps. Les gens ne voient pas du tout ça. D'un côté, on parle de conseils pour essayer d'aller bien, mais déconnectés de ça.

De l'autre, on parle d'un discours politique ou économique, mais coupé de cette dimension psychique. Et du coup, de deux côtés, je trouve qu'on conduit les gens à une souffrance, à une impuissance. Et c'est très rare de montrer, mais non, il faut développer un travail psychique pour se défendre de cette violence politique et sociale qui nous instrumentalise.

Et surtout, ce qui est terrible, c'est que les gens perçoivent, et à tort, que dans le fait de dire aux individus qu'il faut réactiver les défenses psychiques, c'est comme si on renonçait d'activer les défenses politiques. Pas du tout. Au contraire. Merci. Au contraire.

Donc c'est ça qui est terrible, c'est-à-dire qu'il y a un tel brouillage, une telle confusion de tout, des niveaux, etc., que les gens ne voient plus que précisément on est dans un tel niveau psychique qu'on produit une espèce d'activation sur le terrain du politique qui est désastreuse et qui, généralement, vient renforcer le système en plus. Et sans doute que la crise du politique actuel... vient de cet aveuglement de notre temps, avoir cette articulation. Et si tu veux, pour aller, donc, juste terminer sur cette histoire de dénarcissisation dans ce qui se joue dans l'univers du travail, et capitalisme a, encore une fois, consciemment, inconsciemment, c'est pas tellement la question, là on met juste, on regarde comme ça en big picture le système.

Il a construit toute une économie consumériste de narcissisation et qui vient restaurer par intermittence, le soir, en mode totalement addictif, ce qu'on appelle binger, regarder, ce qui est d'ailleurs le fait de boire au départ, mais là on va se nourrir de, comment dire, de séries, de je ne sais pas quoi. quoi, on va surfer sur le net, on va cliquer, etc. Donc un truc totalement addictogène et compulsionnel, mais qui en fait fait son travail un petit peu de sucre, de circuit de la récompense, et de restauration narcissique.

Sauf que ça dure le temps que tu es connecté, si tu veux, après c'est fini, et t'es décivé, et t'es... Et t'as un truc comme ça, de dénarcissisation, renarcissisation, et dans les deux cas, t'es dans la réification. Soit la réification par le dur, soit la réification par... la camisole de jouissance, entre guillemets, t'es comme ça, mais tu as le sentiment quand même que c'est cocooning, c'est un peu plus doux, etc. Et ça, c'est terrible, c'est une prison extérieure, une prison à l'intérieur.

Et c'est comme ça qu'on construit l'impuissance. C'est comme ça qu'on construit l'impuissance. En fond, c'est ça, c'est face au ressentiment, on construit l'impuissance qui renforce l'impuissance.

Oui, et puis chacun, et puis en plus c'est un panoptique. Donc tu as un ressentiment qui, le soir, se renarcissise, mais en regardant... par ailleurs ce monde qu'il fantasme comme étant hostile pour lui, etc. Donc c'est assez terrible. C'est vrai que la question c'est, il faut s'extraire de ça, et il y a des pistes pour le coup.

Ce qui est intéressant d'ailleurs dans la modernité d'aujourd'hui, c'est que les puissances de réification sont très très fortes, mais les outils pour déconstruire cette réification, ils sont là. Ils existent et ils sont opérationnels. Alors on va essayer de décrire ces outils.

Alors un des outils, c'est apprendre à avoir un rapport à l'incertitude, une tolérance à l'incertitude. Je dirais qu'un des outils premiers, et qui paraît totalement désuet, surtout la manière dont je vais le dire, parce que c'est jamais simple d'aller manier cette vertu. que je vais énoncer là, parce que c'est une vertu où, précisément, quand tu la sollicites, tu te...

tu vois, c'est comme le courage, c'est-à-dire c'est compliqué d'aller manier ces... où est-ce que tu te situes par rapport au courage, donc tu te présentes comme... moi j'ai fait un livre sur le courage, donc tu te présentes forcément comme courageux, donc non, il ne s'agit pas du tout de donner des leçons de courage, etc., mais il y a une vertu qui est très peu activée, ou mal comprise, qui est celle de l'humilité.

Et c'est une vertu essentielle. Essentielle, parce qu'elle te permet d'abord de gérer un rapport au déficit structurel que tu es, que nous sommes tous. Donc si tu veux, si déjà tu es en défaut d'optique par rapport à ça, c'est-à-dire en illusion d'optique par rapport à ça, tu es sans cesse piégé par soit un complexe d'infériorité permanent, Soit un complexe de supériorité permanent. C'est une polarisation, une binarisation et ça ne va pas. Donc la seule manière de vivre un tout petit peu serein avec tes propres limites, tout en essayant d'être le moins complaisant avec elles, c'est malgré tout d'aller sur le terrain de l'humilité.

Mais force est de reconnaître que c'est une notion obsolète. C'est un concept qui est même, par la modernité d'aujourd'hui, considéré comme invalidant. Tu ne vois pas... Non, on va dire, on va enseigner plutôt aux enfants quelque chose de, tu vois, comme un espèce de rapport à soi superfétatoire, enfin un truc qui… C'est clair. Tu vois ce que je veux dire ?

C'est très clair parce que là, la manière de… le problème c'est qu'il y a de la souffrance et de la frustration. Le ressentiment, au fond, vient de la volonté de nier. toute possibilité de rapport à la souffrance. Pour avoir un rapport honnête à la souffrance, à la finitude humaine, aux difficultés, à nos limites, il faut être humble.

Un tout petit peu. Ça, c'est la grande pensée de la finitude occidentale, au fond. Qu'on a tendance à oublier, c'est la même...

C'est ça. Peut-être qu'on a tellement christianisé cette notion, peut-être qu'on l'a tellement spiritualisé au sens de religiosisé qu'on l'a l'air de rien. Quand on a opéré une sécularisation, hélas, on a détruit cette valeur transcendantale, au sens kantien du terme, et c'est terrible parce qu'on ne peut pas tenir sans cette valeur-là. L'humilité est devenue renoncement impuissant, alors qu'elle est au contraire la condition de possibilité d'être actif et de pouvoir agir. Parce qu'au fond, tout ton livre, c'est qu'il y a quelque chose à faire face au ressentiment et face à la souffrance.

C'est ça le paradoxe, c'est faire quelque chose par rapport à la souffrance ne peut se faire qu'à partir d'une certaine forme d'humilité. Et pour nous, c'est sûr que dans notre économie psychique actuelle, on pense que c'est le contraire. Exactement.

Que l'humilité, c'est le renoncement. Exactement. Alors que c'est...

Alors que c'est la condition de possibilité. Ça c'est très clair. Tu vois, et c'est... Et très concrètement, voilà, j'ai un malheur, je souffre, je vis une crise, je vis une difficulté, je peux y faire face si j'accepte que je ne peux pas tout faire, que parfois il y a des choses qu'il faut subir. qu'il y a des fois des souffrances que je peux peut-être transformer, mais pas en revenir à l'état où j'étais avant, que là, je dois essayer d'être humble par rapport aux difficultés, c'est ça, au fond.

C'est ça. Et si tu veux, c'est... Et là, en revanche, tu as des individus qui refusent, et qui t'expliquent que, ben non, que... Voir qu'ils sont déjà humbles, puisqu'ils sont victimes.

Donc c'est tout à l'envers, si tu veux. C'est clair. Non, tu peux être la... Tu peux être victime et avoir un melon, mais comme ça.

Et d'ailleurs très souvent. Tu produis ça pour résister à la violence. Donc, il faut comprendre qu'à un moment donné, cette production pour résister à la violence d'une injustice, elle va t'empêcher de produire un agir.

Généralement, j'essaie avec les patients de dire Ok, là on a le nez dedans. Effectivement, là, comme ça, avec ce cercle-là, vous êtes victime. peut élargir un peu.

Tu vois, un tout petit peu d'autre... Alors là, il y a un refus tout de suite, parce que dès que tu élargis avec le monde, c'est compliqué d'être victime totalement. Il y a un petit peu de reste, parce qu'il y a beaucoup d'autres injustices dans ce monde. Donc si tout d'un coup tu parles en injustice et que tu dis...

Tu vois, que tu veux être un peu sérieux sur la dénonciation des injustices... Tu es obligé d'aller dénoncer un peu au-delà de toi. Et là, il y a un truc qui empêche.

Alors, qu'est-ce qui empêche ? Vous voyez bien que vous n'êtes pas que dans la dénonciation de l'injustice, parce que sinon, vous vous rendriez compte que même vous, ça bouge. Tu vois ce que je veux dire ?

Absolument. Mais là, justement, ça bloque en disant mais non, moi je parle de... Ah, donc vous ne parlez pas que de l'injustice, vous parlez de vous aussi. Donc, il y a quelque chose d'égotique là-dedans. Donc tout ce travail-là, pour essayer d'emmener quelqu'un vers le fait de lâcher d'une certaine manière son ressentiment, c'est un travail compliqué.

C'est un travail compliqué et très souvent, voilà, alors parfois il y a des individus qui en ont conscience, et c'est très dur parce qu'en même temps c'est vrai que c'est une conditionnalité. tu vois je veux dire ils ont l'impression ils ont l'impression que souvent par ce ressentiment ils vont davantage agir et puis ils font beaucoup hélas de comment dire de faute là aussi de discernement et de précision puisque tout va être mélangé la colère le ressentiment l'envi tout tout tout est au même endroit or la colère c'est que de très spécifique ce n'est pas nécessairement du ressentiment la colère, c'est une entrée et une sortie, si tu veux. Et c'est même très important. Le ressentiment, ce n'est pas une entrée et une sortie, c'est une forclusion, au sens lacanien du terme. Une autre clé, une autre piste, un autre outil, est-ce qu'on peut dire le fait de créer ?

Oui. Parce qu'au fond, on ne sortira pas de sa souffrance sans inventer d'autres possibles. Et quand on est dans une forme de souffrance, tu le décris très bien dans le livre, l'illusion, c'est de vouloir juste l'effacer, revenir comme avant. Ça, c'est le piège.

Et donc, c'est ça aussi l'humilité. Il faut que j'accepte que j'ai vécu un drame, j'ai vécu une difficulté. Je ne peux que réinventer un nouveau possible.

Oui, ça, c'est une chose très dure. Une fois qu'on la voit, c'est dur et en même temps, c'est rassurant. Une fois qu'on le comprend, c'est rassurant.

Je ne peux pas revenir comme avant, mais je peux inventer des possibles. Je peux tâtonner, je n'ai pas besoin de trouver la solution tout de suite. Je peux essayer d'inventer, je peux essayer ceci ou cela. Comme ça, je peux sortir du ressentiment. Oui, mais c'est vrai que le fait de comprendre que, et ça c'est un peu violent, Que tu dois faire d'une certaine manière le deuil de la réparation, pour précisément te réparer, entre guillemets, mais qu'en fait se réparer ce n'est pas comme tu penses.

C'est-à-dire qu'en fait se réparer c'est faire le deuil de la réparation et en fait produire une nouvelle norme de vie, comme dirait Kanguiem. Et donc résultat, toute réparation réelle est en fait une création. En même temps c'est soulageant.

Moi, je trouve que c'est soulageant, mais dans un premier temps... C'est bien de dire aux gens que c'est soulageant pour les encourager. Oui, oui.

Oui, dans le premier temps, il y a une sorte de déception, puisqu'on voudrait bien être réparé. Mais au fond, voilà, je vis un deuil, je ne peux pas faire comme si le deuil n'avait pas lieu. Ça, c'est le mensonge de notre temps.

Ça, c'est ça qui crée le ressentiment. Tout ce qu'on raconte aujourd'hui, quand quelqu'un dit faites votre deuil on enferme les gens dans le ressentiment, parce que ça n'existe pas. Il y a un travail beaucoup plus...

plus... qui prend son rythme, qui prend son temps, et qui va faire qu'on va être autre qu'on était. Et c'est ça au fond.

Oui, oui. Accepter de devenir autre. Accepter de devenir autre, ça c'est vraiment... Ça c'est évident.

Et de lâcher sur, à un moment donné... Parce qu'on produit nos propres réifications, et nos propres réifications c'est de s'imaginer tous dans une image de nous-mêmes splendide et magnifique, ce qui est une réification par, entre guillemets, le haut, mais ce qui est une réification aussi, puisqu'elle est d'abord impossible, et puis elle sera forcément déficitaire, puisque la jeunesse éternelle ne tient pas. la richesse éternelle, enfin je pense qu'on peut imaginer chacun, on a tous cet univers comme ça, fantasmatique, extraordinaire, et on ne peut que défaillir par rapport à ça, on ne peut que faillir, défaillir et défaillir. Accepter la limite, c'est la possibilité du vrai bonheur, c'est ça ?

Oui, mais c'est dur de dire ça, parce que quand tu as toi-même le sentiment d'être que dans la limite, que limité, et que quelqu'un vient avec ce type de discours... Tu n'as qu'une envie, c'est de lui mettre une tarte dans la figure. Donc je comprends la difficulté. Mais le truc, c'est qu'on ne parle ni des mêmes limites, ni des mêmes renoncements, etc. Donc c'est ça qui est compliqué.

Parce qu'encore une fois, ce n'est pas... C'est psychiquement qu'il faut se bouger. Ça ne veut pas dire, par ailleurs, que sur le terrain du politique, tu vas renoncer.

Bien au contraire. Tu vas peut-être... rentrer en combat juridique avec un tel ou un tel, tu vas peut-être militer ou je ne sais pas quoi, ou descendre dans la rue, etc.

Oui, archi oui ! Donc tout l'enjeu justement pour ne pas faire que la politique soit le lieu d'un ressentiment collectif, mais soit au contraire le lieu de quelque chose qui soit une force, là aussi, de création. C'est ça, de force de création.

Malgré tout. Le contraire du ressentiment, c'est la force de création. Oui, une force civilisationnelle un peu... un peu sérieuse, un peu progressiste malgré tout, au sens de perfectibilité humaine, au sens de Condorcet, au sens des humanistes, parce que quand même c'est ça ce qui est intéressant dans la politique, ce n'est pas que la violence.

La violence n'a pas besoin de politique pour exister, la violence existe de fait. Donc si la politique a un peu de sens, c'est plutôt dans une régulation et dans le fait d'être, comme dirait Bernard Stiegler, négantropique, c'est-à-dire qu'elle va venir calmer l'entropie. En tout cas, j'ai le sentiment que c'est, comme dirait Freud, c'est une force de sublimation. Si la politique n'est pas une force de sublimation, mais au contraire la validation de nos pulsions, je n'ai pas besoin de politique pour ça. Il suffit de laisser la psyché à l'état pur, elle n'a pas besoin de politique.

Il y a plein d'autres outils que tu développes, mais il y en a un dernier que je trouve éclairant. que l'antipode à la réification, c'est la reconnaissance. Oui, ça c'est très Axel Honnête.

Alors, moi je ne suis pas à ce point-là, parce que Axel Honnête, il a vraiment fait tout son travail autour de la réification et un des antidotes, l'éthique de la reconnaissance et la reconnaissance comme bien vital de l'homme, comme ressource essentielle. Et puis cette idée que ce qui se joue entre deux êtres, c'est toujours une méta-reconnaissance qui fait que de toute façon, j'accorde de la dignité à autrui, etc. Ce qui est vrai, il faut bien sûr avoir cela.

Maintenant, il y a une telle instrumentalisation de la reconnaissance, qui est d'ailleurs posée chez Honnête, dans la société du mépris, il y a des pages entières sur ce qu'il appelle la falsification de la reconnaissance, et sur le fait que... Le capitalisme patenté a tout à fait bien vu que la reconnaissance pouvait être instrumentalisée, qu'on était très fragile dans cette demande-là et dans ce besoin-là, et qu'on nous a servi par ce... C'est clair. Mais la vraie reconnaissance, c'est beau quand même de parler de...

La reconnaissance, bien sûr, c'est essentiel. C'est essentiel, bien sûr. La reconnaissance de l'autre, la reconnaissance de la singularité de l'autre, ça c'est quand même un antipode, un antidote. très profond.

C'est d'ailleurs sans doute ce qui se joue malgré tout dans l'espace analytique, si tu veux. Entre l'analyste et l'analysant, l'analyste à un moment donné, et l'analysant vient chercher, si tu veux, dans un espace un peu protégé, un premier sentiment de reconnaissance. C'est clair. Quand j'ai fondé l'école de méditation, c'était ça que j'avais en vue, un espace dans lequel il puisse y avoir une reconnaissance de la singularité de chacun. Parce qu'il y a quelque chose là qui guérit et qui ouvre une piste.

Bien évidemment, et qui réouvre une porte. Et ça c'est quand même important d'y penser partout. C'est-à-dire chacun...

dans ses engagements, dans une école, dans un hôpital, dans son entreprise. Travailler à œuvrer à des reconnaissances authentiques, c'est quand même une manière de déjouer le ressentiment qui sont propres que celui de l'institution. Exactement, c'est une manière de produire des clés.

C'est comme si tu donnais les clés de la ville, comme on dit, à quelqu'un. C'est là où on comprend que l'affaire de la place... et l'affaire de l'espace, elle est d'abord psychique, avant même d'être physique.

Tu fais exister quelqu'un dans un, comme dirait Bieswanger, dans un espace timique. Dans un espace que tu... Là, entre toi et moi, se crée un espace timique. Donc tout d'un coup, tu peux exister.

Alors que tu peux exister nulle part. Dans le monde, dans le travail, dans machin. Et puis hop, tu rencontres un autre, et là...

tout d'un coup, c'est comme s'il te mettait une dalle, c'est fini, il n'y a plus de trou, il te fait tenir. Et tu tiens grâce à lui, et lui tient grâce à toi, etc. Une fois que tu as posé ça, ça y est, tu peux daller, tu peux créer un chemin, et puis tout d'un coup, il va pouvoir à un moment donné, éventuellement, retrouver un chemin qui est commun avec le sociétal, etc.

Mais ce n'est pas forcément le but. Moi j'essaye toujours de leur rappeler qu'il faut préserver de toute façon des espaces timides, qu'il faut préserver des autres dimensions, c'est obligatoire. Il faut avoir un esprit géomètre, architecte, parce qu'on est bloqué dans le monde, dans la société, on est sans cesse bloqué, donc si on ne produit pas...

des espèces, si tu veux, de coursives, tu vois ce que je veux dire, des chambres, et ces chambres, tu les produis par l'humour, tu les produis par la symbolisation, tu t'échappes, sinon tu... Je voulais parler de ça, pour finir, sur le ressentiment, sur l'humour. Tu parles beaucoup de la puissance de l'humour et du rire comme clé pour nous libérer du ressentiment. Oui, parce que le rire est un géomètre.

Il faut le savoir. C'est le premier grand architecte. Tu es là, tu es piégé, et tout d'un coup, tu vas utiliser l'humour et plouf, tu as une pièce.

Tu te fous là, ou tu te mets là, ou tu te mets là, et tu peux t'y mettre et te dire waouh Dis donc, ils sont un peu rudes, les cocos, tous. Et tout d'un coup, tu as une maison. Et si ce n'est pas une maison, tu as au moins un étage, ou tu as un bout de siège. En tout cas, tu peux te tenir.

C'est fondamental. Je me réponds, c'est vraiment au titre du livre de François Roustan, Comment faire rire un paranoïaque Exactement. Mais moi, Roustan, j'adorais Roustan.

En plus, c'était un être exceptionnel dans la vraie vie. C'est clair, on partage ça aussi. Mais voilà, c'est ça, comment faire un paranoïaque ?

C'est sortir de l'enfermement dans lequel la justification renforce la justification, et d'un seul coup, il y a quelque chose qui fait effraction. Il y a une échappée. C'est extraordinaire, parce que qu'est-ce qui fait effraction dans ce monde ? C'est ce qu'on appelle le réel. Le réel fait effraction, la mort fait effraction, l'humour fait effraction.

mais de façon positive. Et c'est rarissime, si tu veux. C'est extraordinaire, c'est sûr. Tu comprends ?

Parce que ça n'existe pas, l'effraction positive. Déjà, ce pouvoir se moquer de soi, c'est déjà sentir du ressentiment, c'est déjà prendre du recul, c'est déjà réouvrir le mouvement de la vie. Donc ça, c'est extraordinaire, c'est l'ouvert dans le réel.

C'est clair. Et ça, c'est... Tu te dis, ah tiens, le réel, c'est pas qu'une grande tarte dans ma figure, quoi.

Parce que c'est quand même, c'est un petit peu ça, le réel. C'est clair. C'est bien là que je te la mette, quand même.

Et à tout d'un coup, l'humour, c'est du réel, mais c'est de l'ouvert. C'est clair. Donc, ça sauve, tu vois, ça sauve un peu.

Merci d'avoir suivi cet épisode de Dialogue. Écoutez Cynthia Fleury, c'est passionnant. Si ça vous a intéressé, surtout, abonnez-vous à ma chaîne, car très bientôt, il y aura un autre épisode avec Cynthia Fleury, où je l'interrogerai sur le soin. Pourquoi nous avons tant de mal à penser le soin ?

Pourquoi c'est un si... profond problème, pourquoi c'est vraiment une question individuelle, sociale et politique majeure. A très vite sur cette chaîne.