Ces immeubles ne vous sont sûrement pas inconnus et vous avez sans doute pu en apercevoir en arpentant les rues de Paris. Ils ont un style très spécifique. D'abord, leur composition, avec leur façade en pierre de taille et leur toit en ardoise ou en zinc. Et puis, leurs six étages, avec chacun leurs propres caractéristiques.
Le rez-de-chaussée, haut de plafond, abritant souvent des commerces. Le premier étage, appelé entre-sol, réservé au logement des magasins ou le stockage de marchandises. Le deuxième étage, l'étage noble avec balcon et encadrement de fenêtres sophistiquées destinées aux ménages les plus riches.
Le troisième et le quatrième étage, plus classique, dépourvu de balcon. Le cinquième étage et son balcon filant, installé dans un souci d'équilibre esthétique. Et enfin le sixième étage, servant de comble ou d'appartement de service avec ses fameuses chambres de bonne.
Cet immeuble unique en son genre tient son nom du Baron Haussmann, un homme qui, en l'espace d'une vingtaine d'années, transforma complètement la physionomie de la capitale pour en faire celle que nous connaissons aujourd'hui. En 1850, Paris, c'est ça. La capitale ne dispose alors que de 12 arrondissements numérotés de gauche à droite et les limites de la ville sont définies par le mur des fermiers généraux, une enceinte construite juste avant la Révolution française. Paris a beau ne pas être aussi étendue qu'aujourd'hui, sa population à cette époque ne cesse d'augmenter et elle ne compte pas moins d'un million d'habitants, ce qui en fait la ville la plus peuplée d'Europe derrière Londres. Mais voilà, ces changements démographiques mettent en évidence de nombreux problèmes.
Le premier, c'est que Paris est une vieille ville. Les rues sont trop étroites et forment de véritables labyrinthes. Il est très difficile d'y circuler, sans compter le manque de lumière qui font d'elle de véritables coupes-gorges à la tombée de la nuit.
Également, Paris est sale. Elle est dépourvue de réseaux d'égouts et les Parisiens ont parfois recours à l'eau de la Seine pour se laver. Cette saleté ambiante favorise évidemment le risque de maladies, notamment le choléra.
Au total, entre 1832 et 1849, on estime à 40 000 le nombre de victimes de la maladie. Une hécatombe qui s'ajoute à la réputation déplorable de la ville en France et à l'international. Victor Considérant, philosophe et économiste, écrira dans un de ses ouvrages que Paris est un immense atelier de putréfaction, où la misère, la peste et les maladies travaillent de concert, où ne pénètre guère l'air ni le soleil, Un mauvais lieu où les plantes s'étirent les périsses, où sur sept petits enfants, il en meurt quatre dans l'année. Remanier la capitale devient alors une priorité.
En 1852, Louis-Napoléon Bonaparte devient empereur et décide de lancer des travaux. Ayant vécu à Londres pendant deux ans, il y a vu une capitale pourvue de grands parcs et de réseaux d'assainissement dont il souhaite s'inspirer pour Paris. Il nomme alors comme préfet de la Seine Georges-Eugène Haussmann, dont il avait eu écho des succès en tant que préfet de la Gironde.
C'est lui qui devra s'occuper de la métamorphose de Paris, et la mission qui lui est donnée est simple, aérer, unifier et embellir la ville. Le premier travail d'Haussmann consiste à aérer la ville. Pour ce faire, il annexe une douzaine de communes limitrophes à la capitale, augmentant ainsi sa superficie de 40%, et sa population de 350 000 personnes. Il procède également à un nouveau découpage des arrondissements, les faisant passer de 12 à 20 en les ordonnant cette fois-ci en forme d'escargots.
Pour lui, Paris doit se doter de grands boulevards harmonieux et structurés. Assisté par l'architecte Deschamps, il commence d'abord par tracer un axe du nord au sud, qui sera traversé par le boulevard de Strasbourg et de Sébastopol au nord, boulevard Saint-Michel au sud, puis il trace un axe... est-ouest comprenant la rue de Rivoli et la rue Saint-Antoine.
Ces deux axes seront la colonne vertébrale de son projet, et d'autres voies bien connues seront percées autour, notamment le boulevard Saint-Germain ou encore le boulevard Magenta. Au total, en 20 ans, c'est plus de 70 voies et 9 ponts qui seront ouverts, sous lesquels sera érigé un réseau d'égouts et de canalisations d'eau de 585 km, source des travaux de l'ingénieur Eugène Belgrand. Pour organiser ses nouvelles grandes artères, des places carrefour sont créées ou réaménagées.
La plus emblématique reste la Place de l'Etoile, avec son arc de triomphe à l'ouest de Paris, où douze larges avenues se rejoignent en son centre, lui donnant cette fameuse forme d'étoile. Au sein de là, l'actuelle Place du Maréchal-Joint suit le même principe. Comme la place de la République, dont seule la forme rectangulaire diffère du modèle. C'est plus d'une dizaine de places qui seront créées ou modifiées par la main d'Haussmann.
Enfin, aérer la ville se fait aussi par la création d'espaces verts. Même s'il existe déjà de nombreux parcs à Paris, l'ingénieur Adolphe Alfand se chargera d'en créer deux autres. Le parc des Butchomont au nord-est et le parc Montsouris au sud. Il aménagera également deux grands bois. le bois de Vincennes à l'est de Paris et celui de Boulogne à l'ouest.
Mais ce n'est pas tout. 80 000 arbres d'alignement seront plantés et 24 petits squares seront mis sur pied avec un rêve en tête. Chaque Parisien doit toujours pouvoir apercevoir un arbre. Il est ensuite question d'embellir la ville.
De gros changements ont lieu dans le centre historique de Paris, l'île de la cité. La quasi-intégralité de la zone est rasée pour ériger des édifices imposants et modernes comme le palais de justice, La caserne de la cité, où siège aujourd'hui la préfecture de police, le tribunal de commerce, ou encore l'hôpital de l'hôtel Dieu, reconstruit pour agrandir le parvis de la cathédrale Notre-Dame. Dans tout Paris, de vastes constructions ont lieu, en particulier sur la rive droite où sont érigés les douze pavillons des Halles Centrales, qui abriteront le marché de Paris jusqu'à leur destruction en 1971. On y trouve aussi le Cirque Napoléon, que l'on connaît aujourd'hui sous le nom du Cirque d'Hiver, Ainsi que l'une des plus célèbres constructions du second empire, l'Opéra Garnier et les fils tant désirés par Napoléon III. Le XIXe siècle est aussi celui de la révolution industrielle.
Les gares se révèlent centrales dans la restructuration de Paris. Au total, six grandes gares sont construites ou réaménagées, ces dernières desservant chacune une partie de la France. Leur construction se veut comme des monuments à admirer, des bâtiments avec une architecture à part entière. Napoléon les considérant comme les portes de la ville, il envisagera même de relier chaque gare par un chemin de fer, mais il abandonnera finalement le projet et se contentera de les relier par des axes routiers.
Il est enfin question d'unifier Paris et Haussmann, en homme d'ordre qu'il était, tenait à ce que le paysage urbain de la capitale soit parfaitement homogène et régulier. Il commence par standardiser le mobilier urbain, que ce soit les réverbères, les bancs ou même encore les chasserous, tout doit être unifié. La réglementation est également très stricte pour l'aménagement des bâtiments et des rues.
En plus de devoir respecter une architecture particulière, la hauteur des bâtiments doit être proportionnelle à la largeur de la voirie. Dans la rue, les arbres sont des marronniers, des platanes, des ormes ou des tilleuls. Ils sont placés à 5 mètres au moins des façades, à 1,50 mètres des trottoirs, et l'intervalle qui les sépare entre eux est de 5 mètres. Il est alors clair qu'Haussmann ne laisse aucune place au hasard, et c'est en grande partie pour cela que...
Paris donne cette impression d'ordre et d'harmonie. La transformation de la capitale, même si elle ne fait aujourd'hui plus aucun débat, pose de nombreux problèmes à l'époque. Il faut se rendre compte.
Pour concrétiser ces projets, Haussmann fait raser 18 000 bâtiments sur 30 000 que contient la capitale et supprime 57 rues du paysage urbain parisien. Tout ça en l'espace de 20 ans. Le coût social est énorme.
Les habitants des immeubles à détruire sont massivement expropriés et n'ont aucun recours. En cause, une loi du 3 mai 1841 qui permet l'expropriation sur simple décision des autorités si elle est justifiée par une cause jugée d'utilité publique. Les habitants dépossédés, très souvent ouvriers, sont alors contraints d'abandonner le centre de la ville pour s'installer vers les faubourgs du Temple, Saint-Antoine et Saint-Marceau.
mais également du côté des communes nouvellement annexées à la capitale. Mais même après les travaux, les rénovations du centre-ville ont entraîné une hausse des loyers qui a contraint les populations pauvres qui avaient échappé à l'expropriation à s'installer ailleurs. Au final, Paris s'embourgeoise et perd sa mixité sociale.
Aussi, on reproche à Haussmann d'utiliser les grands travaux à des fins politiques. Après les révolutions de 1830 et 1848, la percée de grands boulevards serait stratégique pour... faciliter la répression en cas d'insurrection, en traçant des lignes droites entre les quartiers ouvriers et les casernes de pompiers pour une intervention rapide. La largeur des voies permettrait quant à elle d'empêcher la construction de parricades en cas d'émote.
Enfin on fustige les dépenses d'Haussmann pour ses travaux qui n'hésitent pas à endetter la ville à coups d'emprunts bancaires et d'opérations immobilières parfois fallacieuses et profitant aux proches du régime. A la fin des travaux La dette est abyssale et s'élève à plus de 1,5 milliard de francs. Certaines personnalités dénonceront cette mauvaise gestion économique, comme Jules Ferry qui publiera le Compte Fantastique d'Haussmann, un pamphlet à charge qui connaîtra un grand succès.
Toutes ces contestations auront raison de la carrière politique d'Haussmann, et Napoléon III finira par le démettre de ses fonctions en 1870, un an avant la chute de l'Empire. Le second empire s'effondre mais les travaux d'Haussmann, de ses architectes et de ses ingénieurs restent immortels. L'opinion publique garde aujourd'hui une vision positive de cet héritage urbain, de ses avancées pour l'hygiène et de ses développements modernistes. Et telle était la mission initiale, l'espace, la beauté et l'homogénéité restent les préceptes qui font de Paris une capitale qui rayonne aujourd'hui dans le monde entier. Portée par son architecture et ses nombreux monuments, celle-ci demeure une des villes les plus touristiques au monde.
Haussmann a réussi son pari.