La peinture n'est pas seulement de la représentation, c'est aussi du sens. Nous allons le constater en nous intéressant à un genre de peinture riche en symboles et porteur d'un message moral fort, la vanité. Le XVIIe siècle voit l'essor d'un genre pictural relativement peu exploité jusqu'alors, la nature morte. Celle-ci consiste à représenter des objets inanimés et à explorer ainsi leurs caractéristiques matérielles, formes, lumières, couleurs ou textures. La vanité est une branche de la nature morte.
Comme elle, elle connaît un essor important au XVIIe siècle, et elle représente aussi des objets inanimés. Mais le choix de ceux-ci est un peu particulier. Il se relie en effet pour former un réseau de symboles et pour véhiculer un message d'ordre moral.
Celui-ci aborde un thème fondamental, thème qui concerne tous les êtres humains, la mort. Pour comprendre comment tout cela fonctionne, prenons un exemple concret et procédons à son analyse. La structure du tableau peint par Philippe de Champaigne est très sobre. Limpide, elle ne nous cache rien. Trois objets sont posés les uns à côté des autres, un crâne au centre, et, répartis de part et d'autre, une fleur dans un vase et un sablier.
Derrière eux, un fond noir uniforme permet de les rendre bien visibles par contraste. Le crâne est une évocation de la mort, bien entendu. Il est le motif central qui ordonne tous les autres.
Il est le point de départ du tableau et son aboutissement. Tout va à la mort. Elle est là, inévitable, et nous regarde bien en face.
Ce n'est pas tout. En plus de la mort, il est aussi possible de lire dans ce crâne la perte d'humanité qu'elle cause. En effet, ce crâne n'est qu'un crâne parmi d'autres qui lui seraient tous identiques.
Son visage a disparu. Rien de particulier ne subsiste donc, rien qui laisserait deviner son ancienne identité. Ce crâne, ce n'est personne, et c'est tout le monde en même temps, y compris nous-mêmes un jour. Il montre qu'avec la mort, l'homme se réduit à un corps, un corps périssable qui devient vite un simple objet dépouillé de tout ce qu'il a pu être auparavant, privé non seulement de vie, mais aussi d'identité.
À droite est posé un sablier, symbole évident du temps. Soyons un peu plus précis. En regardant attentivement, on peut voir que le sable ne s'est pas totalement écoulé.
Ce n'est donc pas le temps en soi qui est représenté, mais le pas de temps. du temps. Et évidemment, voilà qui nous ramène à la mort.
Car inéluctablement, quand le temps passe, il nous rapproche de notre terme. En allant un peu plus loin, on peut même voir dans ce sablier les illusions de l'homme qui croit maîtriser le temps en le mesurant, qui croit pouvoir gagner du temps en l'organisant. Tentative inévitablement vouée à l'échec, on ne maîtrise pas le temps.
C'est lui qui vous maîtrise. Une fleur dans un vase. Voilà enfin de quoi nous égayer un peu.
Une fleur, c'est un symbole de vie et de beauté à l'évidence. Un espoir face à la mort, sans doute. Pas si vite.
Ce n'est pas si simple. Un détail nous a échappé. La fleur est coupée, et déjà un pétale s'en détache.
Elle commence à faner. La fleur n'est déjà plus vraiment vivante. La mort est donc encore présente, même là où on pensait l'éviter. Vie, beauté, choses éphémères, vouées au néant elles aussi.
Mais il y a plus. Cette fleur n'est pas n'importe quelle fleur, c'est une tulipe. Et même, soyons précis, une variété particulière de tulipes, la Semper Augustus, reconnaissable à ses pétales bicolores et à ses striures caractéristiques. Détail insignifiant que tout cela ? Eh bien non, car ce n'est pas un hasard si Philippe de Champagne a choisi cette variété précise.
En provenance de l'Empire Ottoman, les tulipes se répandent en Europe occidentale dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Leur succès est particulièrement grand dans les provinces unies, et les horticulteurs hollandais créent de nombreuses variétés, dont les striés et zoomarbrés sont les plus prisés. Devenus des signes extérieurs de richesse, les tulipes voient leur demande augmenter, ainsi que la spéculation.
Le prix des bulbes grimpe et atteint des sommets jusqu'en 1637. C'est alors que les cours s'effondrent brutalement, ruinant bon nombre de commerçants et de spéculateurs qui pensaient sans doute accroître leur fortune indéfiniment. Si économiquement l'impact est relativement faible, ce n'est pas le cas sur le plan moral. Dépenser des sommes pareilles pour de simples fleurs, quelle folie ! Ainsi, la mode éphémère de la tulipe devient un symbole.
Son succès rapide et sa chute tout aussi rapide résument la frivolité des comportements humains. En cette seule fleur, c'est toutes les faiblesses de l'humanité qui se trouvent résumées. Conséquence de ces événements, la tulipe devient, au début du XVIIe siècle, un élément récurrent chez les peintres, et notamment dans les vanités. Le tableau de Philippe de Champagne datant de 1646, soit 9 ans après le crash, la présence d'une tulipe ne peut que lui faire référence. La vie, la beauté, la richesse, toutes ces choses auxquelles les hommes accordent de la valeur, sont ici ramenées à leur futilité et à leur inconstance.
Easy come, easy go. Posséder l'une ou l'autre n'est qu'illusion. Elles peuvent nous être retirées, aussi vite que la mort peut nous attraper. Mais revenons à nos tableaux.
Pourquoi se nomme-t-il vanité ? La vanité, c'est, dans le langage courant, un sentiment proche de l'orgueil, mais accompagné d'un désir de reconnaissance. L'orgueil se nourrit de lui-même, la vanité se nourrit de l'adhésion des autres. Sentiment plus fragile que l'orgueil, la vanité pousse celui qui lui est soumis à confirmer ses prétentions par l'étalage de richesses et par la ventardise.
Tout cela dans l'espoir dérisoire d'obtenir l'assentiment nécessaire à rassasier son amour propre. Le vaniteux se juge au travers du regard que les autres portent sur lui. On voit déjà là quelques rapports avec nos tableaux. En effet, par leur thématique, ceux-ci montrent bien le ridicule de toutes ces prétentions.
De quoi peut-on se vanter face à la mort ? De sa fortune ? De ses possessions ?
De sa beauté ? Tout cela est aussi fragile qu'une tulipe coupée. Voilà qui nous amène au second sens du mot vanité Utilisé un peu moins fréquemment. La vanité, c'est aussi le fait d'être vain, d'être vide de sens, d'être inutile. Dans la fable de Jean de La Fontaine, les efforts de la grenouille pour se faire aussi grosse que le bœuf montrent toute leur vanité lorsque celle-ci finit par exploser.
Vaine tentative qui ne laisse que du vide derrière elle. Et d'ailleurs... Le mot vanité dérive du latin vanus qui signifie justement vide, creux, manquant Il nous a donné en français les mots vanité, ventard et vin, bien sûr, mais aussi d'autres termes en rapport avec le vide, comme s'évanouir ou évanescence.
On comprend mieux maintenant pourquoi ce genre pictural porte le nom de vanité. tant il évoque la vacuité de l'existence humaine en insistant sur son caractère éphémère et sur ses insignifiantes prétentions. De là, les vanités nous invitent à tirer deux leçons morales.
Premièrement, elles incitent à se détourner des possessions matérielles en faisant valoir leur futilité et leur caractère illusoire. la richesse le pouvoir la beauté le savoir-faire et même la connaissance et la sagesse sont toujours infimes au regard de l'immensité de l'univers et de dieu car les vanités sont des peintures chrétiennes qui s'adressent à des croyants leur nom fait d'ailleurs référence à l'ecclésiaste un des livres de l'ancien testament qui commence sur cette phrase devenue proverbiale Vanité des vanités, tout est vanité. Et qui se termine sur le conseil de craindre Dieu et d'obéir à ses commandements, car rien d'autre n'a de valeur en ce monde. L'homme est vain, ce n'est que dans l'éternel qu'il peut trouver un sens à son existence.
Deuxièmement, et de façon complémentaire, en nous rappelant que la mort est notre lot commun, les vanités nous invitent à nous concentrer sur ce qui est vraiment important et durable. Mais mento mori, le rappel de la mort est un rappel à la vie, un rappel que celle-ci étant limitée, il ne faut pas la gaspiller dans des futilités. Évidemment, les vanités étant chrétiennes, c'est surtout l'âme qu'elle nous prie de cultiver. La fonction d'une vanité est donc de rappeler à ses spectateurs leur place dans l'ordre du monde et de placer leur foi en Dieu, plutôt que dans les choses fragiles et inconstantes dont nous avons fait la liste. Si l'immortalité de l'âme est aujourd'hui une superstition des passés, et si nous ne croyons plus guère à un au-delà qui serait plus important que la réalité matérielle qui nous entoure, le message des vanités vaut tout de même d'être entendu et médité.
Car oui, nous qui courons acheter le dernier smartphone pour l'exhiber devant nos amis, nous qui nous vantons des performances de notre voiture ou de notre console de jeu, ou encore nous qui exhibons je ne sais quelle toquante supposée montrer que nous avons réussi notre vie, Sommes-nous vraiment différents de ces Hollandais du XVIIe siècle qui couraient après des tulipes ? Les signes de reconnaissance ont certes changé, mais la vanité, elle, est restée la même, et elle risque toujours autant de nous détourner de ce qui est essentiel dans la vie. de toute façon au dix-septième siècle comme aujourd'hui c'est toujours la mort qui aura le dernier mot quand elle viendra nous chercher pour nous mener au néant se riant de nous et de nos petites prétentions ainsi passe la gloire du monde