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La vie et l'oeuvre de Guillaume Apollinaire

C'était 1960. Aujourd'hui, en regardant ensemble ce vieux film, déjà huit ans après, je crois qu'il faut surtout associer la mémoire d'Apollinaire à la célébration de ce 11 novembre 1918. Ce jour de fête, ce jour du souvenir, ce jour où dans les rues de Paris... Les hommes et les femmes criaient leur joie et comptaient leur mort. Dans les rues de Paris et même, bien sûr, dans ce boulevard Saint-Germain, où les gens passaient heureux, joyeux, tumultueux, et où, tout là-haut, sous les toits, un poète était mort. Guillaume Apollinaire était mort depuis le 9 novembre, et à cause de l'armistice, il ne fut enterré que le 13 novembre. Pendant ces jours, il attendait, là-haut, entouré par ses amis. Ses amis dont nous retrouverons quelques-uns dans ce film, quelques-uns qui l'ont rejoint déjà. En revoyant ce film, personnellement, ce qui m'a peut-être le plus frappé, c'est la fragilité. La fragilité de tout ce qui est humain. La fragilité des souvenirs. La fragilité des lieux qui se déforment. qui perdent leur belle grande beauté, comme il disait lui. La fragilité de nos efforts pour saisir une poésie, pour comprendre un poète, c'est si difficile. Alors que reste-t-il après cinquante ans ? Il reste sa voix, à peine audible sur un vieux disque. Les mains dans les mains restons face à face, Tendu de suite le front de nos trappes, Les éternels regards longs de silence, Garde la nuit, s'enlève, les jours s'en vont de demain, L'amour s'en va comme cette eau courante, L'amour s'en va comme la violence, Et comme l'expérience violente. J'aime l'ami comme l'âme, et j'y sors bon de bonheur. Et comme en écho à la voix de Guillaume Apollinaire, voici à présent celle des amis qui se souviennent. Pierre Macorland. J'ai rencontré Guillaume Apollinaire pour la première fois, c'était entre 1903 et 1904. J'étais à Montmartre et je m'apprêtais... À partir pour Rouen. Daniel-Henri Canvelet. J'ai connu Apollinaire en 1907, probablement dans l'atelier de Picasso. J'aurais pu le connaître aussi par Vlaminck et Dorin, puisque sa mère habitait le Véginais, et qu'ainsi, il voyait assez souvent ses deux peintres. Fernand Olivier. Guillaume, lui ? affectait particulièrement une tenue plutôt genre anglais. Il avait un complet de tweed, je ne sais pas si on disait tweed à ce moment-là, beige, un gros tissu anglais. Un chapeau canotier qui paraissait trop petit pour sa tête, sa tête en forme un peu de poire, ses yeux très rapprochés d'un nez aquilin, une bouche minuscule qu'il semblait encore diminuer en parlant, comme pour lui donner plus de force. Et donc Apollinaire venait chez moi et il était gourmand, d'une gourmandise extraordinaire. Je me souviens toujours de la façon dont il absorbait les gâteaux. Il aimait beaucoup, notamment les babas, et surtout les gâteaux plates, de préférence les éclairs au chocolat ou au café. Il tirait une grande langue, qui était comme une sorte de petite table. Dessus, il posait le gâteau en question, l'éclair au chocolat. Il rembobinait sa langue d'un seul coup, vous savez un peu comme un fourmilier rembobine sa langue quand il a attrapé un lit de fourmis. Une fois que sa langue était pleine, il y avait un mécanisme qui se voit d'une façon très curieuse, il rembobinait ça véritablement, et puis je clignais un peu des yeux, il avait l'air satisfait. Philippe Soupault Mais Apollinaire était aussi un homme extrêmement inquiet. Il était étonné de voir que les jeunes venaient le voir et aussi écouter ses conseils. Il se demandait toujours si on ne lui faisait pas une farce. Il y avait une méfiance chez Apollinaire, une méfiance assez naturelle, puisque au fond Apollinaire était lui-même un mystificateur. On n'a pas compris ce côté d'Apollinaire et qui le faisait souvent ridiculiser et souvent prendre trop au sérieux. André Salmon. Apollinaire a connu la gloire maintenant. Il a été chef d'école après sa mort. Mais dans sa jeunesse, dans la nôtre, jusqu'à il était un magnifique président un président inventé par la nature il présidait partout où il était il a toujours été attiré par des gens qui étaient en porte à faux c'est-à-dire des gens qui n'étaient pas installés dans une civilisation installés dans une façon de vivre Marc Chagall il est bien rentré dans ma porte, toute petite porte il s'est devenu très rouge, il a rougi en regardant tout ce tableau de 1911 Et puis, il a prononcé des mots surnaturels. Jean Mollet. Je ne garde pas de souvenirs, c'était mon frère. Voilà. J'ai peur quand je pense à l'homme qui pourrait être Apollinaire, s'il avait vécu seulement en plein son, de quelques-unes de ces petites vanités, de ces petits tics, qui auraient pu entamer cette belle statue. Il a été très bien, sa conduite au front lui a valu des galons, mais il était un peu trop content d'être lieutenant quand on est Guillaume Apollinaire. Maintenant, revenons aux origines. Le 31 août 1880, une sage femme se présentait à l'hôtel de Ville de Rome et déclarait qu'à 5 heures du matin et quelques minutes, le 26 du même mois, dans une maison du Trastevere, était née d'une femme qui désirait garder l'anonymat, un enfant de sexe masculin. Et ce n'est que le 2 novembre suivant qu'Angélika de Kostrovitsky, la mère, fera reconnaître cet enfant naturel et lui donnera les prénoms Guillaume, Albert, Vladimir, Alexandre et Apollinaire. Le père serait-il comme le veut Marcella Demas Francesco Fluggi d'Aspermont, appartenant à une vieille famille des Grisons ? Peut-être. Mais n'est-il pas surtout remarquable qu'à peine né, Guillaume Apollinaire connaît une destinée très particulière. Apollinaire restera en Italie jusqu'en 1885. En gardera-t-il jusqu'en son œuvre quelques souvenirs ? Oui, sans doute, et Pascal Pia a raison d'écrire que les prélats italiens que l'on trouve dans l'Hérésiarque et dans le poème Infallibilité rappellent vraisemblablement ceux que Guillaume avait aperçus dans l'entourage de son oncle, Don Romarino, l'abbé général des Bénédictins. En 1885, Guillaume Apollinaire arrive avec sa mère à Monaco. Nous suivons à présent le chemin qu'il a parcouru chaque jour quand il se rendait au collège Saint-Charles. quand il passait par cette porte. Sous cet arbre, il a joué. Et c'est ici encore qu'en 1891, Mgr Theré lit le palmarès de l'année, Willem de Kostrovitzki obtient le second prix d'honneur, le second prix d'excellence, le premier prix de français, le second prix de latin, le premier prix de calcul. Et tandis que Guillaume flâne le long des quais, Madame de Kostrovitzky joue au Casino de Monte-Carlo. et bénéficient de hautes protections. Les braves Stavelotins, sans bête en soir et matin, fondèrent un cercle littéraire de la fougère. Mais en fait de littérature, il n'y en a pas plus qu'au Congo, que dans la nature, qu'à la cascade de Caux. On essaie de poétiser la couclarde, les cheveux frisés, la culture des pommes de terre, à la fougère. On prend quelques jolies filles, on leur donne un petit bécaud, puis le soir on va en famille, à la cascade de Caux. En 1899, Apollinaire a 19 ans. Sa mère l'emmène à Stavlo. Son frère Albert l'accompagne. Pour dire vrai, ils sont venus par étapes. Depuis la Côte d'Azur, il y eut Aix-les-Bains, Lyon, Paris. Autant de villes, autant de casinos. À Stavlo, c'est à celui de Spa que Madame de Kostrovitzki voudrait consacrer ses soirées. Pendant ce temps, Apollinaire flâne dans Stavlo. Il remplit nonchalamment son grenier à images. Il griffonne ses presque premiers poèmes, et pour la première fois peut-être, il est amoureux. Mon ami adoré, avant que m'en aille, avant que notre amour triste, triste défaillera, les meurs, oh mamie, une fois, une fois il faut nous promener tous deux seuls dans les bois, alors je m'en irai plus heureux que l'herbois. Et maintenant nous nous retrouvons à Roanco avec M. Huysmans. C'est bien ici n'est-ce pas qu'Apollinaire est parti pour Paris ? Pouvez-vous nous dire dans quelles circonstances ? Vous savez qu'Apollinaire a quitté l'hôtel Constant, la pension Constant, à la suite d'une lettre que sa mère lui a envoyée, qui contenait un petit mandat qui lui permettait tout juste de prendre deux coupons pour Paris. voulant éviter une des lignes principales où on ne peut le repérer beaucoup plus tôt. Il est passé au-dessus de la colline et est venu ici à Rwanda. Il est parti pour Paris de cette gare. Il est parti pour Paris de cette gare. Seulement, cette gare, on n'a pas pu lui délivrer un ticket jusqu'à Paris. On n'a pu lui délivrer un ticket que jusqu'à la mule, où il a changé, où il a pu reprendre un ticket pour arriver à Paris. Il était parti avec son frère, en ayant caché quelques paquets, un peu quelques jours avant, ayant caché des paquets dans les différentes caches qu'il avait faites dans la penche au-dessus de chez nous. Il est donc parti, vous connaissez tous la suite. il existe encore maintenant quelques stablotins qui regrettent et qui n'ont pas oublié que le poète apollinaire fut surtout celui qui partit sans payer à la cloche de bois exactement le août nouveau voyage cette fois guillaume part en automobile en compagnie de la vicomtesse de millau vers cologne puis vers neuigluck cette résidence baroque où avec lui maintenant nous arrivons là il sera précepteur or des vergers fleuris se figeaient en arrière les pétales tombés des cerisiers de mai sont les ongles de celle que j'ai tant aimée les pétales flétris sont comme ses paupières tout autour il y a la forêt et comment ne pas l'imaginer lui en train de se répéter pour lui-même les strophes naissantes des rhénanes La moisson mélancolique de son séjour à Neugluck. À Baccarat, il y avait une sorcière blonde qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde. Devant son tribunal, l'évêque l'a fit citer. D'avance, il l'absolvit à cause de sa beauté. Oh, belle Lorlaille, aux yeux pleins de pierrerie, de quel magicien tiens-tu ta sorcellerie ? Je suis las de vivre et mes yeux sont maudits. Ceux qui m'ont regardé, évêques, en ont péri. Le 22 août 1902, Apollinaire quitte l'Allemagne. Maintenant, il est à Paris. C'est le temps des premiers amis, des premières rencontres, et c'est alors que vous faites sa connaissance, n'est-ce pas, Jean Mollet ? Allô, le soleil dort en à une soirée mémorable, où nous sommes montrés. je ne sais pas s'il y avait peut-être un piano, je m'en rappelle très bien, mais sur une espèce d'estrade, il y a Salmon qui est venu, qui a récité des poèmes. Je suis descendu dans cette cave, on m'a demandé de dire mes vers, si j'avais des vers à dire, j'ai dit mes vers, Apollinaire a dit les siens, je ne l'avais pas encore aperçu. Surtout entendu, j'ai pris beaucoup plus, j'ai accordé beaucoup plus d'attention au poème, au poète, qu'à l'homme qui avait la mine d'un employé quelconque, qui n'avait pas encore la belle corpulence un peu excessive plus tard, qui lui était donnée par sa riche nature. Il était assez mal vêtu, il le dit dans son poème, le poème qu'il a consacré à mon mariage, en évoquant cette soirée du boulevard Saint-Michel. pauvres tous deux, fumants et mal vécus alors nous sommes partis ensemble à travers la nuit pendant Salmon et Apollinaire et moi, nous sommes partis à travers Paris et nous avons passé toute la nuit ensemble Et c'est cette nuit-là dont je parle dans mes souvenirs, au cours de cette nuit-là, que nous ne sommes pas séparés. Nous avons trouvé beaucoup d'autres gens, et Paul Fort qui nous a emmenés à la Closadier-Lila, où au moment de la fermeture, nous avons trouvé Moréas, et on a fini la nuit avec Moréas. C'est une nuit qui compte dans les souvenirs d'un ancien jeune poète qui est maintenant le très vieux poète, et qui vous venait demander de se souvenir encore. Mais ce soir-là... Il y avait dans le cœur d'Apollinaire un secret, un nom. Annie Pléden, la jeune gouvernante anglaise avec qui il a passé un an à Neuilly-Bleu. En novembre 1903, il part pour Londres afin de la rejoindre. Du refus d'Annie va naître la chanson du mal-aimé. Mais au même moment, dans la vie d'Apollinaire, comme d'ailleurs tout au long de la vie d'Apollinaire, il y a une autre femme. Madame de Kostrovitsky, sa mère, dont se souvient Fernand Olivier. Il habitait le vésinaire à ce moment-là chez sa mère et je crois qu'il ne s'entendait pas très bien avec elle. Il nous imna plusieurs fois. Sa mère était charmante, nous recevait très bien, la maison était très jolie et nous étions tout à fait gênés dans ce décor dont nous n'étions pas habitués. Une femme a-t-elle dit genre ? énergique, comme je vous l'ai dit, puisqu'il avait peur de sa mère, une femme énergique, intelligente, et qui comprenait très bien ce que Guillaume faisait. Mais ça lui faisait peut-être un peu peur. J'y allais presque tous les dimanches, parce que Guillaume avait peur de sa mère. Elle lui flanquait des gifles, tout ça, et il n'aimait pas ça. Alors c'est moi qui faisais le nécessaire pour calmer l'ire de madame Kostrovitzky. Et de son côté, le propriétaire de la villa écrit à Marcela Demas à propos de madame Kostrovitzky, Elle était grande, maigre, la voix enrouée, buvant sec du rhum et du whisky, mais chatou, le vésinier. Ce fut surtout pour Apollinaire la rencontre avec deux peintres. Ensemble, durant de longues promenades, ils discutent. Et de ces conversations vont sortir plus tard les premiers arguments esthétiques d'un Apollinaire critique d'art. Il assiste à la naissance de ces tableaux. Et ces deux peintres, ils s'appelaient... Blamenck et André Dorin, avec qui plus tard il fera L'Enchanteur Pouissant, édité par Canvelet. Nous nous voyons souvent, et l'idée de publier une œuvre littéraire de lui m'est venue très tôt. Ce fut L'Enchanteur Pouissant, l'œuvre choisi, et André Dorin... devait graver pour cet ouvrage des gravures sur bois. C'est chez Picasso, vers 1904, je fus la connaissance de Guillaume Apollinaire. Il arriva un jour chez Picasso, comme nous nous préparions à aller dîner au Lapin-Gilles avec Marc Jacob, et il se joignit à nous. Je suis d'abord surprise par le contraste qu'il y avait entre la tenue de Guillaume et notre tenue, nos tenues plutôt bohème à nous. Il avait l'air d'un bourgeois cossu. Ne venait-il pas quelquefois dans l'automobile de sa mère ? Je crois que c'est le mollet qu'on appelait le Baron. Je n'ai jamais su pourquoi qu'il l'avait présenté à Picasso quelque temps auparavant. Écoutez, j'ai connu Picasso, pour mettre les choses au point, par Manolo. Le sculpteur. Le sculpteur. Un jour, il me dit, Jean, je t'emmène chez Frédéric. au Lapin Agile, où tu feras la connaissance de Picasso. Alors, nous nous en allons à travers Paris, à pied, la nuit, depuis la Closerie des Lilas, jusque chez Frédé. Et là, il y avait un bonhomme dans un coin, qui m'a à peine parlé. Il m'a dit simplement, Je vous donne rendez-vous demain, nous nous verrons. je n'étais pas très emballé enfin je dis je voulais faire un bain de main et le lendemain je suis arrivé chez Pablo et là alors je suis devenu son ami complètement et nous avons passé une après-midi il m'a causé tout ça moi alors après Apollinaire j'étais très emballé de Picasso vous les avez fait se rencontrer et je suis rentré à la maison je suis rentré chez Apollinaire je les rencontrais je me dis mon Dieu Le seul type que tu dois connaître avec ça, c'est Pablo Picasso. Et puis enfin, parmi ses peintres, il y eut Femme qu'il aime Marie-Laurence Saint. Elle lui a apporté beaucoup, mais c'est très difficile de savoir ce qui se passe entre amants. Et encore une fois, je ne veux pas déconsidérer Guillaume, mais enfin, il faut dire la vérité sur un grand poète. Je ne pourrais pas employer une expression vulgaire, mais c'est cependant celle qui traduit le mieux ma pensée et qui rejoint le mieux la vérité. Le mal-aimé, c'est une blague. C'était, à mon jugement, un homme merveilleux, poédique et un amant insupportable, autant que les témoins ont pu en prendre conscience. Autoritaire, disons conjugale. Quand donc reviendrez-vous, Marie ? Les masques sont silencieux et la musique est si lointaine qu'elle semble venir des cieux. Oui, je veux vous aimer, mais vous aimez à peine. Et mon mal est délicieux. Les brebis s'en vont dans la neige, flocons de laine, et ceux d'argent des soldats passent et que n'ai-je un cœur à moi, ce cœur changeant, changeant. Et puis encore, que sais-je ? Sais-je où s'en iront tes cheveux, crépus comme mer qui moutonne ? Sais-je où s'en iront tes cheveux et tes mains, feuilles de l'automne que jonchent aussi nos aveux ? Je passais au bord de la Seine un livre ancien sous le bras. Le fleuve est pareil à ma peine, il s'écoule et ne tarit pas. quand donc finira la semaine il retrouve dans sa mémoire la boucle de cheveux châtain t'en souvient-il à ni point croire de nos deux étranges destins du boulevard de la chapelle du joli mont martre et d'auteuil Je me souviens, murmure-t-elle, du jour où j'ai franchi ton seuil. Il y tomba comme un automne la boucle de mon souvenir, et notre destin qui t'étonne. Que Paris était beau à la fin de septembre. Chaque nuit devenait une vigne où les pampres répandaient leur clarté sur la ville, et là-haut, astres mûrs bectés par les ivres oiseaux, de ma gloire attendait la vendange de l'aube. Un soir, passant le long des quais déserts et sombres, en rentrant à hauteuil, j'entendis une voix qui chantait gravement, se taisant quelquefois. pour que parvint aussi sur les bords de la Seine la plainte d'autres voix limpides et lointaines. Et j'écoutais longtemps tous ces chants et ces cris qui éveillaient dans la nuit la chanson de Paris. J'ai soif, ville de France et d'Europe et du monde, venez toutes couler dans ma gorge profonde. Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers sur le quai d'où je voyais l'onde couler et dormir les belles andres. Écoutez-moi, je suis le gosier de Paris et je boirai encore, s'il me plaît, l'univers. Écoutez mes chants d'universel ivrognerie ! Et la nuit de septembre s'achevait lentement. Les feux rouges des ponts s'éteignaient dans la Seine. Les étoiles mouraient. Le jour naissait à peine. Toujours, nous irons plus loin sans avancer jamais. Et de planète en planète... De nébuleuse en nébuleuse, le don juant des mille et trois comètes, même sans bouger de la terre, cherche les forces neuves et prend au sérieux les fantômes. Et tant d'univers oublis, quels sont les grands oublieurs ? Qui donc saura nous faire oublier telle ou telle partie du monde ? Où est Christophe Colomb à qui l'on devra l'oubli d'un continent ? Perdre, mais perdre vraiment pour laisser place à la trouvaille. Les statues endormies qui rêvent toutes blanches, Dont la soif de mourir jamais ne s'étanche, Les statues blémies des amours souriants et gelés, Sous la neige qui tombe, songe d'automne d'amour mort, enterré sur un lit de roses et de verveines en quelques citaires lointaines. Ils somnolent en leur marbre un vague souvenir d'Ella s'endormit sous la scellénée d'or. Sous terre mon cadavre verdi sera ma vie lointaine et rien, un corps décomposé fleurissant en fleurs tôt fanées. Fleurs des fiancées, des trépassées. C'est le destin des hommes, des hommes qu'on oublie. Guillaume. 1911, année funeste. Guillaume Apollinaire va connaître les affres de l'emprisonnement à la santé. à cause de son secrétaire. Géry Pierret avait volé des statuettes au Louvre, l'histoire est trop connue pour qu'on la cache, et Apollinaire a imaginé de les faire rendre d'une façon sensationnelle par Paris Journal, journal charmant auquel il collaborait vaguement. Alors, immédiatement, la police s'est dit chez lui, on l'a coffré, vous connaissez la suite. Il y avait l'affaire de la Joconde qui, à ce moment-là, aussi, mais tout le monde... Oui, en même temps, on disait, c'est un Polonais qui a volé la Joconde, voilà comment on racontait ça. Polonais, c'était dit Napoléon. Il a été quand même très marqué par cette arrestation. Il a été très marqué, oui, du premier jour. J'ai voulu être près de lui ce jour-là. J'avais accès, j'étais journaliste, j'avais accès au palais. Et dans un couloir assez secret du palais, j'ai pu embrasser Guillaume qui était enchaîné. Que je m'ennuie en ces murs tout nus et peints de couleurs pâles. une mouche sur le papier à pas menus parcourt mes lignes inégales l'amour qui m'accompagne prend en pitié surtout ma débile raison et ce désespoir qui la gagne Madame Sonia Delonney, c'est en 1912, je crois, qu'Apollinaire est venue s'installer chez vous, rue des Grands Augustins, chez vous, ou plutôt chez vous et chez Robert Delonney. Nous lui avons demandé de venir chez nous parce qu'il était très déprimé. Après le procès qu'il a eu, il attendait son non-lieu. Les amis l'ont abandonné. laissé un peu seul, et surtout Marie-Laurence Saint s'est disputée avec lui et n'a plus voulu rester avec lui, ce qui l'a beaucoup abattu. À la fin tu es là de ce monde ancien, bergère autour Eiffel, le troupeau des Ponts-Belles ce matin. Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine. Ici même, les automobiles ont l'air d'être anciennes. J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom. Neuve et propre, du soleil, elle était le clairon. Les directeurs, les ouvriers, les belles sténodactylographes du lundi matin au samedi soir, quatre fois par jour y passent. Le matin par trois fois la sirène gémit, une cloche rageuse y aboie vers midi. Les inscriptions des enseignes et des murailles, les plaques, les avis à la façon des perroquets criaillent. J'aime la grâce de cette rue industrielle située à Paris, entre la rue Haut-Montierville et l'avenue d'Éterne. Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule. Des troupeaux d'autobus mugissant près de toi roulent. L'angoisse de l'amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau de vie Tu marches vers Auteuil, tu veux aller chez toi À pied, dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée Ils sont des Christes d'une autre forme et d'une autre croyance Ce sont les Christes inférieurs des obscures espérances Adieu. Adieu soleil. Le 26 juillet 1914, Guillaume Apollinaire part pour Deauville. Il est accompagné d'André Rouvert. Cette générosité-là qui se dégage de la lecture des poèmes, n'est-ce pas ? Moi-même, j'en ai ressenti beaucoup de bienfaits. Toutes les personnes qui m'ont entouré au sujet d'Apollinaire et avec qui j'ai pris des contacts ont reçu un bienfait considérable. Elle aussi, cette lecture-là, c'est une chose extrêmement puissamment vigoureuse, sous un aspect romantique, n'est-ce pas ? Il y a un tel ressort d'intelligence et de vigueur véritable, n'est-ce pas ? De générosité foncière, n'est-ce pas ? Sous une apparence romantique, eh bien, ça n'est en somme que... On s'aperçoit que c'est une superficie, ce romantisme-là, qu'il y a quelque chose de beaucoup plus fort et qu'on peut aller chercher au fond des choses, dans la vigueur avec laquelle un poète et un homme véritablement courageux, il l'a montré, tient tête à son destin et comment il le domine finalement. Toujours sur les traces d'Apollinaire. Nous sommes à présent dans le Vieux-Nice, où il arrive le 3 septembre 1914. C'est ici, le 27 septembre, qu'il va rencontrer Louise de Coligny-Châtillon, la loup des Caligrammes, et à peine l'a-t-il entrevue, qu'il l'entraîne dans de longues promenades à travers ses ruelles. Il lui écrit presque chaque jour. J'ai pensé à vous la nuit entière sans pouvoir dormir. Veille la plus brûlante et la plus cruelle. Car je n'ai cessé de vous voir mutines et langoureuses à la fois. Un moment, j'ai fermé très fort les yeux pour tâcher de dormir, et je voyais un jardin éblouissant de grenadiers dont les fruits étaient vos seins multipliés à l'infini. En sortant, j'étais certain de vous rencontrer. Sur le pas de ma porte, J'ai trouvé R.M. qui a voulu m'accompagner vers la gare et j'ai refusé obstinément sûr que vous alliez passer. Je n'ose plus guère vous dire que je vous aime, car des choses aussi profondes obligent en quelque sorte ceux à qui on les écrit. A Nice encore, le 2 janvier 1915, alors qu'il rentre d'une permission, Guillaume Apollinaire rencontre dans le train Madeleine Pagès, à qui il enverra tant de lettres, tendres comme le souvenir. Déçu par l'indifférence de Lou, Apollinaire brusque sa demande d'engagement, il part pour Nîmes, il est affecté au 38e régiment d'artillerie. Oh Lou, ma grande peine ! Oh Lou, mon cœur brisé ! Comme un doux son de corps, ta voix sonne et ressonne. Ton regard attendri dont je me suis grisé, je le revois lointain, lointain. Et qui s'étonne ? Je baise tes cheveux, mon unique trésor, et qui de ton amour furent le premier gage ? Ta voix, mon souvenir, s'éloigne, ô son du corps. Ma vie est un beau livre. Et l'on tourne la page. Et souviens-toi parfois du temps où tu m'aimais. L'heure pleure trois fois. On est par les flancs. On t'en plantirait bien. Et là, à Nîmes, dans cette caverne, nous avons la chance de rencontrer maintenant sa marraine de guerre, Madame Yves Blanc. Il était ici au 19e. Et il était d'ailleurs très aimé par tous ses camarades. Ils étaient presque tous ou des volontaires ou des récupérés. Et chaque fois que l'un d'eux partait au front, il lui dédiait un quatrain. de telle manière qu'un de ses camarades chartistes lui dit vous mon pauvre costreau vous n'en aurez point quand vous partirez il faudra que je vous en fasse faire un et il me demanda j'étais une amie de sa famille il me demanda un quatrain pour apollinaire sachant d'ailleurs mon admiration pour le beau poète qu'il était déjà j'ai fait le quatrain qui ne valait pas grand chose Je l'ai envoyé en avril, il lui est arrivé au front en août et il a eu la gentillesse non seulement de m'en remercier mais encore de s'en déclarer plus satisfait que vraiment le quatrain n'en valait la peine et il l'a appelé le talisman jusqu'à la fin de notre correspondance amicale. Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons, Coeur, obus éclaté, tu sifflais ta romance, Et tes mille soleils ont vidé les caissons Que les dieux de mes yeux remplissent en silence. Nous vous aimons, ô vie, et nous vous agaçons. Les obus miaulent un amour à mourir, Un amour qui se meurt et plus doux que les autres. Ton souffle nage au fleuve le sang d'Atari. Les abus miaulaient. Entends chanter les nôtres, Pourpre amour salué par ceux qui vont périr. Le printemps tout mouillé, La veilleuse l'attaque. Il pleut, mon âme, il pleut, Mais il pleut des yeux morts. Trépané. Amoindri physiquement, Apollinaire n'en poursuit pas moins son labeur. Il achève le recueil plus classique Vitamim pendere amori livre orné de dessins d'André Rouvert. Tu descendais dans l'eau si claire, je me noyais dans ton regard. Le soldat passe, elle se penche, se détourne. Et casse une bande. Tu flottes sur l'onde nocturne. La flamme est mon cœur renversé, couleur de l'écaille du peigne que reflète l'eau qui te baigne. Et en même temps, il met la dernière main au calégramme qui vont paraître le 15 avril 1918. La mère de la concierge et la concierge laissent pour tout passer. Si tu es un homme, tu m'accompagneras ce soir. Il suffirait qu'un type m'atteigne à la porte cochère pendant que l'autre montre... Quand tu auras fini, nous jouerons une partie de jaquet. Quand tu viendras à Tunis, je te ferai fumer du kiff. Ça a l'air de rimer. Me voici devant tous un homme plein de sens. connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaître, ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour, ayant su quelquefois imposer ses idées, connaissant plusieurs langages, ayant pas mal voyagé, ayant vu la guerre dans l'artillerie et l'infanterie. Voici que vient l'été, la saison violente. Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps. Ô soleil, c'est le temps de la raison ardente, Et j'attends pour la suivre toujours La forme noble et douce qu'elle prend Afin que je l'aime seulement. Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant, Elle a l'aspect charmant d'une adorable rousse. Ses cheveux sont d'or, On dirait un bel éclair qui durerait, ou ces flammes qui se pavanent dans les rosetés qui se fanent. Mais riez, riez de moi, homme de partout, surtout gens d'ici, car il y a tant de choses que je n'ose vous dire, tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire. Ayez pitié de moi. Ici, par la volonté opiniâtre de Jacqueline Apollinaire, tout a été pieusement préservé. On dirait que d'un instant à l'autre, il va venir répondre. C'est ici que s'est réalisé le vœu d'autrefois. Je souhaite dans ma maison, une femme ayant sa raison, un chat passant parmi les livres, des amis en toute saison sans lesquels je ne peux pas vivre. C'est là, aussi, que le 9 novembre 1918, mais écoutons le témoignage de la grande amie Louise Fort-Favier. Madame Apollinaire m'appelait auprès d'elle. Elle était seule. Pauvre petite Jacqueline abattue sur mon épaule. Pauvre petite, si pâle, si touchante dans sa douleur. Je vis Guillaume étendu sur leur grand lit. Je faillis dire Mais il n'est pas mort ! tant son visage était souriant. J'embrassai la joue qui ne me parut pas froide, mais ayant touché ses mains, je les sentis glacés. Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire, qui fut à la guerre et sut être partout, dans les villes heureuses de l'arrière, dans tout le reste de l'univers, dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé, dans les femmes, dans les canons, dans les chevaux, aux zénithes, aux nadires, aux quatre points cardinaux, et dans l'unique ardeur de cette veillée d'armes. Et ce serait sans doute bien plus beau si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout pouvaient m'occuper aussi. Mais dans ce sens, il n'y a rien de fait. Car si je suis partout à cette heure, il n'y a cependant que moi qui suis en moi. Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire.