Ces images, elles ont fait
le tour des réseaux sociaux. Des avions de retour de Turquie remplis de chauves
au crâne rougi après plusieurs heures
de greffe de cheveux. Transplantation,
produits anti-chute et même casquette
magique pour la repousse, le marché de la calvitie
est en pleine explosion et se chiffre aujourd'hui en dizaines de
milliards de dollars. Et pour cause,
de plus en plus d'hommes disent perdre
leurs cheveux. En 25 ans, le chiffre
a presque doublé, passant de 44 %
en 1990, à 76 % en 2015. Pourtant, il n'y a pas
plus de chauves qu'avant. En France,
ils sont environ 13 %, un chiffre constant
depuis à peu près 30 ans. Des chauves,
il y en a toujours eu. Mais c'est seulement
depuis les années 90 qu'on parle
vraiment de maladie. Et ça, on le doit notamment
aux industriels du cheveu qui, pour étendre
leur marché, ont répandu une véritable
angoisse de la calvitie. Et est-ce que c'est
une fatalité ? Futur chauve
ou ancien dégarni ? Dans cette vidéo,
on débunke la calvitie. Chauve qui peut. Pour comprendre pourquoi
les cheveux tombent, il faut d'abord comprendre
comment ils poussent. Le cheveu naît
dans un follicule pileux. Pendant près de cinq ans,
ce follicule va produire de la kératine. C'est
la phase de croissance. Un beau jour,
le follicule dégénère et entre dans
une phase de repos pendant environ
trois semaines. Pendant les
trois mois qui suivent, le cheveu se
sépare et finit par tomber. Et tout ça est normal. Ce cycle,
c'est le cycle pileux et au cours d'une vie, il va se renouveler
entre 25 et 30 fois. Mais après ça,
c'est fini, le cheveu ne
repousse plus. C'est déjà bien
parce que 30 fois ou 25 fois 5 ans,
ça vous fait des cheveux, normalement,
jusqu'à 120 ans. Il faut espérer
rester jusque là. 120 ans,
c'est sur le papier. Parce que si un cycle
dure en moyenne cinq ans, chez certains,
c'est beaucoup plus court. Ça, c'est dû
à la testostérone et on le sait
depuis les années 40. James Hamilton est chercheur
à l'université de Yale, un passionné de la calvitie. Avec son collègue Norwood, il va établir une échelle
de la calvasse qu'on utilise
encore de nos jours. Mais surtout,
en 1942, il publie cette
étude dans laquelle il raconte l'expérience
qu'il vient de mener au Winfield State Training School. Pendant plusieurs années, il étudie 104 pensionnaires
de cet asile d'État pour la jeunesse idiote
et imbécile. Dans ce centre
pour "jeunes déviants", on a un traitement plutôt
radical : la castration. Et le docteur Hamilton, il va se rendre
compte d'un truc : plus les pensionnaires
ont été castrés jeunes, moins ils
perdent leurs cheveux. Il prend l'exemple de
cette famille dans laquelle la quasi-totalité
des hommes adultes sont chauves. Mais pas les deux
plus jeunes fils, ici au second plan, qui sont des anciens
pensionnaires du centre. Conclusion du docteur : pas de testicules,
pas de calvitie. Et pour valider
son hypothèse, il va injecter
de la testostérone à plusieurs
anciens pensionnaires. Et là,
bingo, la calvitie apparaît. Cette étude a
permis de faire le lien entre testostérone
et chute des cheveux, ce qui nous amène à notre
première idée reçue. C'est faux. La calvitie est
liée à la testostérone, mais dans
la population courante, ce n'est pas dû à un excès. Par contre, ceux qui pour avoir
des gros muscles vont prendre
de la testostérone et qui ne sont pas
vraiment dégarnis risquent de le devenir parce qu'ils ont
quand même une hérédité
qui va s'exprimer dès qu'on dépasse
un certain niveau de testostérone. La preuve, les femmes qui
produisent dix fois moins de testostérone
que les hommes sont aussi sujettes à la calvitie. Et même si la perte totale
des cheveux est rare, c'est près
de 40 % des femmes qui sont concernées. En fait, ce qui va
précipiter la chute des cheveux,
c'est la DHT, une hormone dérivée
de la testostérone, qui va avoir
pour effet de rétrécir les follicules pileux. Les cheveux vont
devenir plus fins et tomber plus
rapidement. Et ça, c'est génétique. C'est pour ça qu'on parle
d'alopécie androgénétique, le vrai nom de la calvitie. Moi j'ai vu
des chauves de 18, 20 ans qui étaient chauves, c'est-à-dire
ils n'avaient plus qu'une couronne
et ils venaient me voir pour que je
leur mette des greffes. Si les chauves ont tendance
à garder cette couronne, c'est parce que
la DHT n'a pas d'effet sur les follicules
situés à l'arrière et sur les côtés du crâne. Idée reçue numéro deux. C'est faux. En fait,
selon certaines études, une grande partie des gènes
responsables de la calvitie sont localisés
sur le chromosome X, transmis chez
les hommes par la mère. Mais l'hérédité peut aussi
être transmise par le père ou par le père et la mère. Idée reçue numéro trois. J'ai beaucoup plus
de barbe que les autres. C'est vrai ! Parce qu'ironiquement,
la DHT, elle est aussi responsable de la croissance
de la barbe et des poils, ce qui explique
que les chauves soient parfois
de grands poilus. La calvitie,
c'est naturel et ça n'a pas
toujours été mal vu. Jules César, Napoléon ou encore Bismarck. Ils perdaient leurs
cheveux, mais ils restent dans l'histoire comme
des modèles de pouvoir et de puissance. Au XIXᵉ siècle, sur fond de
racisme colonial, l'homme blanc
voyait même dans les crânes dégarnis la preuve de sa supposée
supériorité intellectuelle. Au Moyen Âge,
l'absence de cheveux était un signe de piété. D'où les tonsures des moines
qui étaient un moyen d'ouvrir leur
esprit aux cieux. Et même Dieu
avait la calvasse. Être chauve,
ça a été stylé. Et pas qu'en Occident. Les samouraïs japonais portaient fièrement
une demi-calvasse : le chonmage. Elle permettait aux guerriers de caler leur casque
à l'arrière du crâne sans avoir trop chaud. Un symbole de virilité
qu'on retrouve aujourd'hui chez les
combattants de sumo. Pourtant, la perception
des chauves a changé et pas
forcément en bien. L'exemple extrême,
c'est le Mozambique où, selon une
croyance chamanique, de l'or se trouverait
dans la tête des chauves. Et ça pourrait
presque être marrant si ça ne se traduisait
pas par des têtes coupées comme en 2017,
où cinq personnes ont été tuées lors
d'une attaque rituelle. Chez nous, on ne leur
coupe pas la tête, mais les chauves
restent mal perçus et la science a essayé
de comprendre pourquoi. Des chercheurs ont présenté
à plus de 200 personnes des photos de mannequins avec des cheveux,
dégarnis ou chauves et les participants
devaient donner leur ressenti. Résultat : les chauves
ont été jugés plus vieux et moins attirants que
leurs homologues chevelus. Des préjugés, il y en a aussi
dans la culture populaire. Si on prend le top
dix des meilleurs méchants dans des films, ils sont presque
systématiquement atteints d'alopécie androgénétique. Contrairement aux gentils qui eux, ont encore
tous leurs cheveux. Mais comment
on est passé de ça à ça ? Tout va changer
avec l'avènement de la publicité
aux États-Unis. Dans la bonne société
américaine du XIXᵉ siècle, on porte le haut de forme. Et c'est à cette époque que naît notre
quatrième idée reçue : C'est faux. C'est surtout parce qu'on
est chauve qu'on va porter des couvre-chefs
pour masquer la calvitie ou tout simplement pour protéger
son crâne du soleil. Une idée fausse donc, mais qui va permettre
aux publicitaires d'investir le secteur
naissant de la calvitie. C'est l'essor
de l'huile de serpent qui n'a aucun effet médical, mais qui est
toujours vendue aujourd'hui et de toute une ribambelle
de solutions miracles, les unes plus
farfelues que les autres. Et c'est comme
pour les bagnoles, quand on veut vendre
un truc à des bonhommes, on met de la meuf. La pub va construire ce
personnage du chauve qui n'arrive pas à pécho. Le but : créer
une honte de la calvitie. Dans les années 80,
la FDA, l'agence américaine
des médicaments, va autoriser
deux nouvelles molécules : le minoxidil, qui agit comme
un épaississeur de cheveux et le finastéride qui
inhibe la production de DHT, l'hormone responsable
de la chute des cheveux. Deux molécules pour
deux médicaments : le Rogaine et le Propécia, qui deviennent les
seuls traitements homologués pour lutter
contre la calvitie. Ces deux marques vont totalement
inonder le marché. La presse parlera
de l'une des campagnes les plus agressives
de l'histoire des US. Et pour entrer dans
le cerveau des Américains, on fait appel à des stars qui confessent elles aussi
être atteintes de calvitie. Ces campagnes vont réussir
à médicaliser la calvitie. On ne parle
plus de cosmétiques, mais de symptômes
et de traitements. L'idée, c'est que
les hommes se disent : "Oh p*****,
je perd mes cheveux, je suis malade !" Et on va
même jusqu'à leur fournir une liste
de docteurs recommandés. Et ça marche. Entre 1989 et 1991, les ventes de Rogaine
augmentent de 250 %. L'essayer, c'est l'adopter. Alors pas parce que
ses effets sont fous, ils sont même
assez limités, mais parce que
le minoxidil c'est un traitement à vie. Une partie de ses cheveux tombera avec l'arrêt
du minoxidil. Le minoxidil reste quand
même la moins controversée des deux molécules. L'autre option,
c'est le finastéride, un traitement hormonal
qui a pour but d'inhiber la production de DHT. Problème :
ses effets secondaires. Fatigue,
douleurs musculaires, acouphènes,
dysfonction érectile ou encore
dépression sévère. Une molécule qui, en 2018, faisait encore l'objet de
1,6 million de prescriptions. Plutôt ironique
pour une promesse de vitalité
et de confiance en soi. La fondation du syndrome
post-finastéride a recensé 101 suicides
pouvant être reliés à l'administration
de cette molécule. Ces effets secondaires, ils ont valu au laboratoire Merck, qui commercialise
le finastéride, d'être attaqué
en justice en 2015. Et à en croire cette
enquête de Reuters, le laboratoire était bel
et bien conscient de ces risques,
comme en témoignent les correspondances internes d'un des responsables
de l'entreprise. Bref, peut-être
qu'à ce stade, vous vous dites que
la meilleure option, c'est la greffe de cheveux ou, comme on dit
dans le milieu, les vacances en Turquie. Le principe : récupérer
un par un les follicules à l'arrière
et sur les côtés du crâne pour les réimplanter
sur le devant. Et comme ces cheveux
sont insensibles à la DHT, ils sont protégés
contre l'alopécie. Quand on va les mettre
sur le cuir chevelu ou si on vous le met
sur la pointe du nez, ils vont continuer à pousser comme s’ils étaient
restés sur l'arrière. Depuis plusieurs années,
Istanbul est devenue l'eldorado des chauves. La raison ? Des chirurgiens renommés, mais aussi des prix
2 à 3 fois inférieurs à la France. Une attractivité
qui a modelé une filière de tourisme médical avec des voyages all inclusive, avion, hôtels, opérations, entre 3 000 et 5 000 €. Des prix relativement bas qui attirent une clientèle
de plus en plus jeune. Et ça ne concerne
pas que les hommes. Les jeunes
sont très sensibilisés par la perte
de leurs cheveux. Hier, j'ai vu une jeune
fille amenée par son père. Elle avait quinze ans
et elle était gênée par son début
d'alopécie androgénétique. Donc à quinze
ans, on est préoccupé. Avant, on attendait
20 ans, 25 ans. On se compare en permanence sur des réseaux sociaux qui sont aussi
des réseaux commerciaux. Des entreprises vont offrir
des transplantations capillaires, des perruques ou des médicaments et les influenceurs vont les promouvoir sans que rien n'indique
qu'il s'agit d'une publicité. Que vous ayez 19 ans,
que vous ayez 30 ans, que vous ayez 50 ans, si c'est un
complexe pour vous et que vous
avez les moyens de pouvoir changer ça,
sautez sur l'occasion. C'est une
des rares opérations que je soutiens
réellement. Mais la greffe reste
une opération très lourde et pour avoir les meilleurs
résultats possibles, les médecins
prescrivent du minoxidil qui, on le rappelle,
est un traitement à vie. Et puis, comme pour toute
chirurgie, tout le monde n'est pas forcément un bon
candidat à la greffe. Ce que craignent
les dermatos aujourd'hui, c'est que dans quinze ans, tous les jeunes partis en Turauie reviennent avec
des greffes impeccables qui n'auront
pas bougé sur l'avant, mais une grande calvasse
sur le reste du crâne et plus assez
de cheveux pour la combler. Dans des pays étrangers où
ils mettent des quantités énormes
de cheveux sur l'avant ou sur le dessus
sans penser au lendemain et après ils viennent
nous voir, on leur dit : mais on ne peut plus
rien pour vous. Bref, vous l'aurez compris, il n'y a pas de solution
miracle à la calvitie. Alors si vous avez
peur d'être chauve avant de céder aux
sirènes d'Istanbul, parlez en à un médecin. Mais surtout,
rappelez-vous que c'est normal
de perdre ses cheveux. Il y en a même à qui
ça a plutôt bien réussi.