Tiré à quatre épingles, cigare entre les dents, agilité d'esprit, expression française quasi impeccable, Hassan II est une personnalité qui se tient en équilibre entre deux falaises. Il a un pied dans le monde occidental où il ravit les téléspectateurs français de son naturel, de son sourire sardonique, mais il a aussi un pied dans le monde arabe où il doit ménager l'hostilité voire la haine que lui vouent certains chefs d'État. Car l'acidité de ses réparties donne parfois des nausées à certains de ses ennemis. notamment sur sa frontière orientale. Aujourd'hui, nous allons mesurer la distance entre l'homme et son image et tenter de toucher, palper peut-être à travers l'écran, la véritable étoffe dont est faite sa majesté, roi du Maroc et commandeur des croyants, Hassan II.
Je l'avais dit, la construction du territoire marocain n'était pas totalement achevée en 1961. Sur ce sujet, il reste encore 4 problèmes souverains à régler, et c'est Hassan II qui s'y colle. Alors, ces problèmes qu'il va devoir résoudre, tu peux peut-être les deviner. Le Sahara espagnol ? Le Sahara espagnol, c'est le dernier des 4. C'est une question très ardue, la région est tenue par Franco et il ne veut pas la lâcher. Mais avant le Sahara, il y a d'autres problèmes à régler d'abord.
Je vois pas trop... Ah si, Tindouf et les provinces algériennes ? Oui, le premier problème, ce sont effectivement les provinces de Tindouf et de Colomb-Béchar, qui appartiennent théoriquement à l'Algérie. Ces régions sont peuplées par des gens qui souvent se croient plus proches du Maroc que de l'Algérie. Parfois même, ils se considèrent comme sujets du roi du Maroc.
Lorsqu'on vit à Tindouf, on est deux fois plus proche des grands ports marocains que d'Alger. Alors ces habitants, pourquoi se trouvent-ils en Algérie ? En fait, ce sont les Français qui, en traçant des frontières administratives, systématiquement en défaveur du Maroc, n'ont pas forcément réalisé qu'il créait des contentieux entre Algériens et Marocains, des contentieux qui allaient exploser à l'avenir une fois que ces deux pays seraient devenus indépendants. Et c'est là qu'on s'aperçoit que la collaboration pourtant très réelle qui a eu lieu entre Maroc et Algérie pendant la guerre d'Algérie est cependant vouée à l'échec. Ben Bella ne supporte pas qu'après huit ans de guerre aussi acharnée, le Maroc se permette de maintenir ses revendications Surtout si elles viennent du monarchie archaïque vouée à disparaître dans la tempête provoquée par Nasser.
De son côté, Al-Sandeh fait remarquer que la perte de ces provinces est précisément une conséquence de la colonisation, que ni le sultan ni les habitants ne l'ont reconnue. Après avoir longtemps discuté avec Ben Bella, qui ne veut pourtant rien entendre, il ne reste plus qu'une solution, il va faire usage de la force, celle à garder sable. Ouais, tu m'avais expliqué, si je me souviens bien, que les Marocains se sont bien battus, qu'ils ont gagné la guerre, mais que, diplomatiquement, le roi a laissé tomber parce qu'il était beaucoup trop isolé sur la scène internationale.
Tout à fait, cette guerre fut un échec et les provinces algériennes vont en fait rester algériennes, malgré la défaite des Algériens. Hassan, du fait de son régime, mais du fait aussi des liens qu'il continue à entretenir avec les puissances occidentales, est quelqu'un d'extrêmement isolé sur la scène africaine. et il est obligé de les rendre.
Le deuxième problème souverain que je voulais aborder, ce sont les bases américaines présentes au Maroc. Il y a des bases américaines au Maroc depuis la Seconde Guerre mondiale. Il est d'usage, lorsqu'un pays assoie son indépendance, qu'il essaie de retrouver le contrôle de ses bases.
Elles sont effectivement récupérées en 1963, pour la plupart, et notamment la plus célèbre d'entre elles, qu'énitra au terme d'un accord. Reste encore le troisième problème souverain. sur la carte Je vois, bah il y a une petite tache au sud là.
Il y a une petite enclave inoffensive au sud du Maroc. C'est l'enclave de Sidi Ifni, ville assez importante dont Franco voulait faire le cœur de l'occupation militaire espagnole en Afrique. Il est temps de la récupérer. Située en face des Canaries, occupée par environ 15 000 soldats espagnols, Sidi Ifni est restituée pacifiquement après moult discussions avec le général Franco dans un contexte très particulier qui est... l'isolement des puissances ibériques pendant la guerre froide.
La restitution a donc lieu en 1969. Enfin, le quatrième problème, c'est le Sahara. On va en reparler. Mais en fait, il n'y a pas que ça, il y a d'autres tâches aussi au nord.
Alors oui, ça ce sont des reliquats de la zone de Tétouane. Le Maroc ne cherche pas vraiment à les récupérer. Ouais, c'est Ceuta et Melilla.
Le roi conteste bien sûr leur occupation. Mais il semble avoir un peu laissé tomber. Aujourd'hui, ces enclaves sont cernées par des murs pour sécuriser les frontières.
L'Espagne a pensé que ces enclaves pourraient servir de passoire à migrants. Le mur de Melilla a été construit en 1998, celui de Ceuta en 2001. Ces barrières physiques... rigidifie la situation et pour ce que j'en sais, le Maroc se satisfait d'un statu quo pour l'instant. Donc, Ceuta et Melilla sont toujours espagnols aujourd'hui. Si on veut schématiser un peu la politique marocaine, Hassan subit deux principales forces politiques.
D'un côté, Oufkir, un ancien soldat d'Italie et d'Indochine, et de l'autre, Ben Barka, son principal opposant. Ben Barka est un vivrouti de la politique. Il est issu du parti de l'Istiklal, le parti d'indépendance, mais il a fondé son propre mouvement et son objectif principal est d'empêcher la nature monarchique du Maroc de nuire à son pays.
Ouais, en gros, il veut abolir la monarchie. En tout cas, priver le roi de ses pouvoirs temporels. Il est dans une optique qui est très tiers-mondiste. Il veut conduire des réformes socialistes au Maroc, comme elles ont lieu dans la grande majorité des pays arabes, Donc une politique de redistribution des richesses et notamment dans le domaine agraire.
Donc si je comprends bien, Hassan II n'est pas socialiste. Il ne fait pas de réforme agraire, ce n'est pas son truc en fait. Alors la monarchie a déjà fait des réformes agraires. Par exemple, les colons, jadis, s'étaient emparés de nombreuses terres marocaines en leur donnant un statut d'aliénation perpétuelle.
Eh bien, ce statut a été résilié par le roi en 1959. Et progressivement, des colons ont été expropriés et leurs terres ont été redonnées à des marocains. Mais dans l'ensemble, l'expropriation des colons s'est faite plutôt pacifiquement et en douceur. Et ça, la monarchie le présenterait volontiers comme des réformes agraires. Mais bon, une vraie réforme agraire, quand on emploie cette expression, on parle de redistribution des terres de manière à faire profiter les plus démunis.
Cette réforme agraire-là d'inspiration socialiste, non, elle n'a jamais eu lieu. Ce sont les grands bourgeois qui se sont gavés de l'achat de ces nouveaux terrains et personne d'autre. Des bourgeois qui n'achètent pas seulement les terrains des colons.
Ils achètent également des terres collectives, des terres tribales. Et le roi Hassan II laisse complètement se faire la concentration foncière et l'essor du capitalisme foncier et immobilier. D'ailleurs, on peut noter qu'il est lui-même bénéficiaire de cette redistribution. Le palais est en effet le plus gros propriétaire foncier du pays. Troisième sujet de désaccord entre le roi et Ben Barka, ce dernier veut se rapprocher des pays arabes et du tiers-monde.
Il voudrait que tous les pays du tiers-monde soit soudée contre l'Occident. Tandis que la monarchie veut préserver ses bonnes relations avec la France, et avec les Etats-Unis, et même, plus tard, conserver des canaux de discussion avec Israël. Il y a donc une manière radicalement opposée de penser la politique extérieure.
La monarchie se sait redevable à la France. Ça c'est important. Le modèle de développement du pays, pensé par les colons français, doit être continué par la monarchie devenue indépendante. Ou en tout cas, c'est l'intention de départ du roi. Pourtant en matière de développement, en fait pour être honnête, le pays rencontre d'énormes difficultés.
En mars 1965, une circulaire du ministère de l'éducation annonce que les lycéens qui ont plus de 17 ans ne pourront pas accéder au deuxième cycle du secondaire. Autrement dit, on leur bloque l'accès aux études scientifiques. Cette circulaire fait un tollé absolu.
Les lycéens entrent en émeute, ils commencent à brûler des bus, à casser des vitrines avec des cailloux. à barrer les rues avec des pylônes électriques. Ce sont les émeutes estudiantines de Casablanca où les lycéens sont bientôt suivis par les chômeurs, par les syndicats et par tous les mécontents de la ville. Et c'est pas rien, on a vu des scènes hallucinantes, on a vu des jeunes qui se permettent d'attaquer les prisons, d'attaquer les commissariats ou même éventrer des anciens goumiers.
Bien sûr, le roi ne peut pas tolérer un pareil désordre. La répression fut terrible, conduite par le général Oufkir, principal allié du roi à cette époque, Oufkir qui essaie de reconquérir la ville, littéralement, en dirigeant les opérations depuis un hélicoptère. Les chars d'assaut sont convoqués, on tire à la mitrailleuse et au fusil sur la foule. Plusieurs centaines de personnes trouvèrent la mort en mars 1965. La ville finalement retombe dans un calme apparent. Oufkir a rétabli l'ordre.
Tout ça pour une stupide histoire de circulaire impopulaire. Mais il n'y avait pas moyen de l'enlever cette circulaire. Alors c'est pas tout à fait ça. Les émeutes de Casablanca ont pour origine d'abord une évidence, le Maroc ne se développe pas.
Pire, le chômage est complètement endémique, la population des villes augmente, les prix de certains produits de nécessité comme la viande ou le sucre ont augmenté de près de 40%. Devant cette situation catastrophique, tous les parents voient l'école comme le moyen de sortir de la misère et se saignent le bras. pour pouvoir payer des études à leurs enfants. Or, tous ces jeunes viennent coloniser et saturer les administrations qui n'ont pas des besoins aussi grands.
Le pays a besoin d'entrepreneurs, pas de fonctionnaires. Et c'est justement le but de la circulaire qui contraint 60% des lycéens à s'orienter en majorité vers l'enseignement technique, et non vers les administrations. Cette circulaire a plutôt pour but de dégraisser la fonction publique et de réorienter les jeunes vers les besoins du pays. Mais la plupart des lycéens et leurs familles ont interprété cette circulaire comme la preuve que le régime marocain bloque toute ascension sociale réelle dans le pays. Pourtant, le régime du problème n'est pas tellement la circulaire, mais plutôt l'incapacité du Maroc à utiliser à bon escient les investissements de l'État dans l'économie.
Quoi qu'il en soit, le régime a été déséquilibré et il doit sa survie en partie à Oufkir, qui ne transige pas sur le maintien de l'ordre. On n'est même pas à 4 ans de règne et Hassan devient déjà quelqu'un de très impopulaire. Pour éviter d'avoir à subir les conséquences électorales de cette impopularité, Hassan décide de faire entrer l'État dans un régime d'exception, soi-disant pour protéger les valeurs de la démocratie. En gros, il suspend la Constitution, qu'il avait promulguée en 1962, il suspend toutes les élections et prend les pleins pouvoirs pendant 5 ans. Et c'est pendant cette période d'exception, qui dure donc 5 ans, que survient l'affaire.
Ben Barka est un intellectuel marxiste socialiste révolutionnaire. Il voudrait initier des réformes agraires et des coopératives agricoles au Maroc, lancer une politique de mécanisation, de remembrement, d'industrialisation. Il voudrait rendre les soins de santé gratuits, donner de grands pouvoirs aux syndicats.
Il a aussi parfois des idées originales, par exemple améliorer la vie rurale afin de renvoyer la population des bidonvilles dans les campagnes. C'est quelqu'un qui a énormément de succès auprès des populations urbaines marocaines mais problème avec Ben Barka, c'est la dimension révolutionnaire de son projet qui met complètement en péril la monarchie. Pour lui, la monarchie est une forme de féodalité archaïque. S'il ne veut pas l'abolir parce qu'il sait trop comme les marocains y sont attachés, au fond de lui, il veut probablement la transformer en meuble inutile. Bien vite, Le roi prend Ben Barka en grippe et s'allie à Oufkir, ce général intraitable, francophile et très loyal à la monarchie.
Or, ce sont des ennemis. En 1962, Oufkir essaie probablement de faire tuer Ben Barka en le faisant doubler brusquement sur la route par une voiture de police. Le chef des socialistes est blessé mais pas mort. En 1963, Oufkir dénonce un complot.
Ou un soi-disant complot, puisqu'on doute fort que ce complot ait jamais existé, pour tout vous dire. Ce complot permet d'affirmer que les partisans de l'UNFP, le parti de Ben Barka, s'apprêtaient à faire tomber la monarchie. Ben Barka s'enfuit, mais ce complot lui permet de le condamner à mort par contumace. Donc, Ben Barka devient un condamné en cavale, presque libre de ses mouvements, d'une certaine façon.
Et pendant deux ans et demi, Ben Barka intrigue avec les grands chefs socialistes de ce monde. Il organise des réunions, des projets, des petits buffets, tout ça. Et soyons fous, il voudrait participer à la grande conférence internationale du Tiers-Monde, celle qu'on appelle la Tricontinentale, qui doit avoir lieu en 1966 à La Havane.
Ben Barka ne s'ennuie pas donc, mais sauf que devine quoi, il ne sera pas présent à la Tricontinentale. Ah. Et non.
Et à ton avis, pourquoi ne sera-t-il pas présent ? Parce qu'il a été assassiné. Exactement.
En fait, Ben Barka a été invité à Paris le 29 octobre 1965. pour participer à la réalisation d'un film documentaire. Un documentaire français sur la décolonisation. Un documentaire qui passerait à la télévision et expliquerait les enjeux du tiers-monde aux français, par exemple. Pour ce faire, Ben Barka devait rencontrer les réalisateurs dans le 6e arrondissement, devant la brasserie Lippe. Et ils ne se sont pas vraiment rencontrés puisqu'au lieu de ça, on l'a mis dans une voiture et on ne l'a jamais revu.
Mais attends, le documentaire ne pourra pas se faire ? Oui, très bien observé. Mais ça veut dire qu'il va falloir l'annuler ? Mais il n'y a pas de documentaire, c'était un piège.
Ben Barca a été enlevé, tu suis ? La voiture donc est conduite par un officier de police, Souchon, et elle transporte également son adjoint, mais aussi un truand, un indicateur du contre-espionnage français, Antoine Lopez, et Ben Barca lui-même, bien sûr. Ben Barca est emmené en voiture dans une villa à Fontenelle-Vicomte, en banlieue parisienne, qui appartient à un colosse peu recommandable qui s'appelle Bouchesèche. Bouchesèche accueille l'intrus, il est accompagné de deux autres truands.
et c'est ici que l'on perd la trace de Ben Barka. Alors pourquoi cette affaire a défrayé la chronique ? En fait, c'est principalement le fait qu'un indicateur du SDEC, Antoine Lopez, y est impliqué. En effet, ce Lopez est celui qui a incité les policiers à interpeller Ben Barka et à le conduire dans la villa de Bouchesèche. Ce Lopez semble agir ici dans l'intérêt du royaume marocain.
Or, à ton avis, quel personnage marocain pourrait avoir des contacts dans les services secrets français ? Oufkir ! Tu m'as dit qu'il a fait l'Indochine, donc j'imagine il a des liens avec la France.
Oufkir, et tu vas rire, par le plus grand des hasards, Oufkir a justement pris l'avion et fait un saut à Paris, le 30 octobre, à 14h, où se trouve aussi d'ailleurs son principal collaborateur, Ahmed Dlimi, qui est arrivé juste avant lui, et tous deux vont repartir au 6 sec le lendemain matin, 31 octobre, vers 9h. Mais rien ne permet avec certitude de connaître leur déplacement exact pendant ce séjour. Alors que s'est-il passé ? Par la suite, des témoignages viendront compléter un peu cette histoire. notamment celui d'un repris de justice, Georges Figon.
Figon est en fait celui qui a fait la liaison entre le Maroc, via un agent marocain mystérieux, Stoucky, et le réalisateur du fameux documentaire, et ce dernier devant invité Ben Barka en son nom propre. Figon a donc participé à la préparation de l'enlèvement. Lui n'a pas été interrogé par les enquêteurs, il a seulement témoigné dans des journaux, tout en échappant étonnamment à la police française. Finalement, on finira par le retrouver suicidé dans sa maison en janvier. Alors que dit-il Figon ?
Selon lui, Oufkir, Dlimi et Ben Barka se sont vus dans la villa de Bouchesèche. Et apparemment, Oufkir et Dlimi lui auraient fait subir des sévices à ce moment-là et l'auraient supprimé sans qu'on sache vraiment ce qu'est devenu le corps. Cependant, remarquons que ce témoignage provient d'un repris de justice en cavale qui essaye peut-être d'attirer l'attention sur lui pour monner son silence. A ce stade de l'enquête...
Le juge émet des mandats d'arrêt. Contre tout le monde, tous les protagonistes. L'indicateur Antoine Lopez, les deux policiers, le propriétaire de la maison Bouchesèche, les trois truands, mais aussi le réalisateur attitré du documentaire qui s'est fait pigeonner, le repris de justice, Figon, l'agent marocain Stoucky, et enfin Dlimi et Oufkir en personne.
Donc c'est simple, tout le monde au poste. Sauf que tu t'en doutes, tout le monde ne va pas vraiment se présenter au poste. Bouchesèche et les trois truands se sont tous enfuis au Maroc.
Stoucky est introuvable, c'est sûrement un pseudonyme, Figon est en cavale et finira par se suicider, Glimy et Oufkir sont de très hautes personnalités marocaines et donc on ne les fait pas venir en claquant des doigts. En revanche, on écoute le témoignage du policier Souchon qui explique qu'il a surtout obéi à l'agent du SDEC et donc on écoute aussi ce fameux agent du SDEC, Antoine Lopez, lequel va avoir mille peines à expliquer ce qu'il fiche dans cette affaire. Lopez... a travaillé à Tangier et connaît personnellement Ouvkir et avait certainement déjà croisé Ben Barka du reste. Selon lui, il ne savait pas que Ben Barka allait être tué, il a simplement voulu rendre service.
C'est un homme qui rend service, Lopez. C'est l'homme le plus serviable du monde, alors il se fait tout de suite des amis. C'est un peu bizarre, mais oui, il prétend avoir rendu un service à Ouvkir qu'il connaissait du temps où il travaillait à Tangier.
Le 19 octobre, un coup de théâtre se produit. Ahmed Limi le plus proche collaborateur d'Oufkir, vient par avion et se constitue prisonnier. C'est un peu comme si le Maroc mettait la France au défi de lui trouver quoi que ce soit à lui reprocher.
Cela dit, notons quand même que Oufkir, lui, est resté à Rabat auprès du roi. Le procès n'établira pas sa culpabilité et Dlimi sera plus ou moins innocenté. Le 7 juin 1967, après un an de procès, le verdict tombe.
Lopez est condamné à 8 ans, Souchon à 6 ans, pour avoir procédé à une arrestation illégale. Cela dit, de nombreuses questions restent non résolues. Où est le corps qui a disparu ?
Qui est au courant de son emplacement ? Pourquoi les services secrets ont accepté d'être mêlés à cette histoire ? Et toi, tu connais, toi, le fin mot de l'histoire de l'affaire Ben Barka ? Moi ? Non mais moi je suis vulgarisateur, je suis pas chercheur.
Enfin si, je suis chercheur un peu. J'ai cherché pendant 5 bonnes minutes, mais j'ai pas trouvé. Même les meilleures limiers ont été semées. Où on a affaire à des professionnels ?
Disons qu'il y a deux versions principales. La première ferait de Bouchesèche l'assassin. Dans la journée du 29 octobre, il lui aurait asséné un coup mortel, volontairement ou pas, et Oufkir Edlimi serait venu en catastrophe depuis le Maroc pour faire disparaître le corps. C'est une version très répandue, probablement c'est la plus proche de la vérité, mais on ne peut pas la prouver car Bouchesèche a disparu au Maroc. Il y a aussi d'autres possibilités.
L'historien juif... Yigal Bin Nun prétend avoir interrog é d'importants gradés du Mossad et a publié un papier dans lequel il propose une autre version de l'histoire. Il semblerait que c'est Ahmed Glimi, le camarade d'Oufkir, qui, au cours d'un interrogatoire mouvementé avec Ben Barka, aurait fini par lui ôter la vie. Plus précisément, il lui aurait plongé la tête sous l'eau plusieurs fois et au bout d'un moment...
il aurait oublié de le relever à temps. Il semblerait donc que Ben Barca soit mort asphyxié et que Glimmy, paniqué parce qu'il ressemblerait à un homicide involontaire, ou presque, ait contacté des agents du Mossad pour lui fournir des faux papiers, des pelles, de la chaux et des produits acides. D'où le fait que le Mossad serait au courant. Il aurait en fait aidé à faire disparaître le corps.
Bon, voilà. Le corps aurait été enterré dans une forêt près de Paris et la pluie aurait achevé de dissoudre le corps. Vrai ou faux, je n'en sais rien.
Vous savez, dans ce genre d'histoire, il y a souvent des révélations qui viennent 30 ans après et desquelles on ne sait pas trop quoi penser. Concernant les truands qui ont été impliqués dans ce crime, ils ont vécu au Maroc avant de finir emprisonnés par le régime de Hassan II. Sans doute, Hassan II a-t-il considéré qu'ils en savaient trop. Et c'est un certain Ali Bourkat, autre victime célèbre du régime, qui affirme les avoir rencontrés dans une prison urbaine à Rabat qu'on appelle le Point Fix 3, qu'on dit aussi PF3. Selon Bourkat, l'être ruant lui aurait affirmé que la tête de Ben Barka avait été détachée du corps, ramenée avec eux au Maroc et enterrée sous le PF3.
Cependant, jamais le Maroc ne donnera l'autorisation aux enquêteurs français pour la fouille du lieu, évidemment. D'abord parce que le PF3, c'est typiquement le genre d'endroit qui contient probablement de nombreux cadavres d'ennemis du régime enterré, donc ce serait sûrement une mine à scandale. Et puis tout simplement parce que le Maroc veut que l'affaire reste sans suite.
Finalement, aujourd'hui, on ne sait toujours pas où est le corps de Ben Barka. Que retenir de tout ça ? L'affaire, de loin, paraît en fait assez simple.
Hassan II a décidé de faire tuer Ben Barka. Bah oui, quelle que soit la version que vous choisissez, même si vous allez chercher une complicité française, israélienne ou américaine, que sais-je, le fond de l'affaire, ça reste ça, tout simplement. Hassan II se débarrasse d'un homme qu'il avait condamné à mort.
deux fois par le passé, et qui est un agitateur dont la disparition est nécessaire pour le régime. Alors, beaucoup de Marocains, ou de Français aussi d'ailleurs, ont voulu voir dans cette affaire, à travers le personnage d'Antoine de Lopez, une complicité du ZDEC français, et pourquoi pas du général de Gaulle en personne. Et parfois, il est fréquent même de voir mis en cause les États-Unis, voir le Mossad. Il faut bien comprendre que pour les partisans de Ben Barca, Celui-ci menait un combat contre l'Occident tout entier, l'Occident néocolonialiste.
Et donc forcément ils n'ont pas besoin de beaucoup forcer leur déduction pour conclure à la complicité, à une conspiration même du bloc occidental dans son entier pour mettre à mort le dangereux Ben Barka. Mais bon, cette version comme quoi la France serait complice a aussi ses limites. On a quand même du mal à croire que De Gaulle ait pu donner stupidement son accord à un assassinat sur le sol français. sachant les répercussions que ça aurait sur les affaires étrangères et sur les élections.
Quand on fait assassiner quelqu'un dans un pays étranger, de toute façon, en général, on évite de prévenir le pays étranger en question. En fait, on ne prévient aucun pays, quel qu'il soit, on le fait, c'est tout. On peut aussi remarquer qu'Antoine Lopez connaît personnellement Oufkir, et donc on peut penser qu'il a été manipulé par ce dernier, tout simplement.
Il croyait organiser une simple entrevue, et ne savait pas qu'en fait cette histoire allait se terminer par un assassinat. Enfin, remarquons que la justice française n'a pas cherché à protéger le SDEC. Au contraire, elle a auditionné les supérieurs de Lopez, et a fini par les innocenter faute de preuves, mais après qu'on les ait traînés dans la boue médiatique pendant des mois et des mois, et que leur carrière ait été complètement fichue. Bon, a priori, c'est bien le Maroc qui est derrière cette histoire. La venue précipitée d'Oufkir et d'Odlimi nous l'indique clairement.
La fuite des truands impliqués, notamment Bouchesèche, au Maroc, leur emprisonnement, toujours au Maroc, ne laisse... aucun doute sur le fond de l'affaire Ben Barka Hassan II a supprimé un de ses opposants tout simplement et ça doit pas nous surprendre puisqu'il va le refaire des centaines de fois par la suite voilà un peu ce que je pense de cette histoire, si cette relation vous plaît mettez j'aime et un commentaire pour me le dire, si vous avez une théorie contradictoire, un peu alternative que vous voudriez soumettre, si vous avez des idées sur cette affaire, vous voudriez les exprimer allez-y dans les commentaires, c'est fait pour ça Et puis dans la foulée, likez la vidéo et abonnez-vous ! Hassan n'est pas seulement le roi du Maroc, il est aussi commandeur des croyants.
Et c'est un rôle qui lui tient très à cœur, il tient à donner une image assez rigoriste au sujet de l'islam. En janvier 1965, par exemple, il fait arrêter 600 personnes pour avoir osé rompre publiquement le jeûne du ramadan. En plein centre-ville. Ah ouais, juste pour avoir mangé en public. Non mais c'est la charia là.
Hassan II, il faut bien le dire, applique dans certains domaines certains aspects de la charia. Il interdit de porter des mini-jupes, de blasphémer ou de commettre l'adultère. Il interdit la vente publique d'alcool. Oui, il a une vision finalement assez rigoriste de l'islam. Mais dans le même temps, il protège les juifs.
Et faut pas voir ça comme une contradiction, pour lui c'est un peu l'application du statut d'immi si vous voulez. On se souvient du massacre de Meknes. Hassan n'a jamais cautionné ça. ils respectent, ils protègent les juifs de son pays.
Ils leur accordent par exemple la liberté de circulation. Et là, je suis censé l'applaudir. Encore heureux qu'ils accordent la liberté de circulation, il ne va pas les enfermer chez eux. Ah non, mais quand je dis qu'ils leur accordent la liberté de circulation, je veux dire par là qu'ils autorisent par exemple leur déplacement à l'étranger. Et donc, à l'étranger, ça veut dire potentiellement en Israël.
Eh oui, il y a Israël dans l'histoire quand même. Il y a 230 000 juifs marocains au moment de l'indépendance. Israël espère que cette population va débarquer à Jaffa et s'installer sur la Terre Promise.
C'est une réserve de population qui lui permettrait de renforcer démographiquement la présence juive en Palestine. C'est une question politique. Ah oui, tu penses que la liberté de circulation pour les juifs ça l'a rendu impopulaire ? Oui, certainement. Ça a pu le rendre impopulaire pour les marocains très antisionistes.
Il l'a fait pourtant. En 1961, un navire qui s'appelle Egoz en hébreu avait fait naufrage en emportant avec lui 43 juifs marocains illégaux qui se rendaient en Israël, dont beaucoup d'enfants. Ce drame a relancé le débat sur l'immigration en Israël. Et sans forcément parler de ce type de catastrophe, la monarchie se regarde elle-même comme ayant un devoir de protection vis-à-vis des juifs dans cette époque où les risques de massacre sont très réels, comme chacun sait, et où cette communauté cherche à quitter le pays. Hassan II, suite à des négociations impliquant sans aucun doute les Israéliens, fait autoriser les déplacements juifs, à condition que l'émigration soit extrêmement discrète et que la destination ne soit jamais nommément Israël, qu'il y ait toujours une destination intermédiaire, comme la France ou les Etats-Unis.
Et effectivement, au début des années 60, il y a eu une véritable fuite des juifs marocains, à tel point qu'aujourd'hui, il n'y en a plus beaucoup. Mais du coup, ça met Hassan dans une position hyper délicate vis-à-vis des autres pays arabes. Comment il va réagir quand il y aura la guerre contre Israël ? Bah alors pour la guerre des six jours c'est plutôt simple, en six jours de toute façon il n'a pas eu le temps de se poser beaucoup de questions, la guerre a été beaucoup trop rapide.
D'accord oui mais pendant la guerre du Kippour il se positionne dans quel camp ? Pendant la guerre du Kippour il a envoyé des bataillons marocains du côté des arabes. Mais bon t'as raison, il a une attitude ambivalente sur cette question, il a probablement des liens avec le Mossad, un agent du Mossad prétend qu'en 1965 par exemple, alors qu'une sorte de conclave secret se tenait entre pays arabes, Hassan II... aurait enregistré les conversations et remis ces enregistrements au Mossad. Et on dit que ces enregistrements auraient été déterminants pour la préparation de la guerre des six jours.
En effet, il aurait permis à Israël de comprendre à quel point les pays arabes n'étaient pas unis, pas préparés et l'état de leur armée était mauvais. Et c'est vrai cette histoire ? Cette accusation a été largement reprise dans les médias hostiles à Hassan II. Elle est extrêmement grave puisqu'on parle ici d'un souverain qui a manifesté a de nombreuses reprises un soutien à la cause palestinienne, qui a organisé de nombreuses conférences entre pays arabes pour promouvoir cette solution et que la conférence en question était à Casablanca.
En fait, on accuse Hassan d'avoir invité tous les États chez lui dans son pays pour les mettre sur écoute. C'est quand même un peu gros. L'auteur de ces déclarations est Shlomo Gazit, un ancien chef de l'AMAN et personnage très haut placé mais qui a quand même un goût pour les déclarations fracassantes. Essayons de réfléchir en historien.
Un historien demanderait en premier lieu un élément tangible pour appuyer cette accusation. Ici, on aimerait connaître la nature de ces enregistrements et leur contenu précis, ou au moins la preuve qu'ils sont détenus par le Mossad. Bref, on aimerait accéder à la source pour pouvoir juger de l'affaire.
Mais Shlomo Gazit n'a pas cru bon les fournir. Voir le Maroc et Israël trinquant au malheur de la cause arabe est une vision sacrément caricaturale de leur relation. Le Maroc a une position nuancée sur la question d'Israël. Nuance ne veut pas dire duplicité. En fait, il voudrait une coexistence paisible d'un État palestinien avec un État israélien, tout simplement.
Hassan II a argumenté cette position maintes fois avec un certain brio, et on peut supposer qu'il y croit réellement. En tout cas, ce qu'on peut dire à tout le moins, c'est que Hassan II ne se sent pas très concerné par la question du sionisme. Il y a d'abord un éloignement géographique. Israël, c'est loin.
Pour y aller par la côte, il faut traverser quatre pays. On ne peut pas demander aux Marocains de se surexciter pour un conflit qui se passe quand même à l'autre bout de la Méditerranée. Ils peuvent, mais c'est pas si naturel que ça.
Et puis le Maroc est un peu le mal-aimé des nations arabes. Son isolement pendant la guerre des sables montre bien que les autres pays arabes, à commencer par Nasser, le méprisent. Et même plus que ça, peut-être que Hassan a une véritable admiration pour le modèle de réussite que constitue Israël.
Il déclarait lors de cette même conférence de Casablanca « Il n'y a pas de solution. Ou bien on négocie une cohabitation paisible, et je ne vous cache pas que c'est l'option qui aurait ma préférence, Ou bien nous profitons du fait qu'il n'existe pas encore une trop grande différence technologique en faveur d'Israël, et nous fonçons. Si nous ne voulons pas négocier une cohabitation, ce n'est pas la peine de perdre notre temps.
Allons-y à 100 millions, même armée de gourdins ! Ouais, il y a une sorte de réalisme. Israël se renforce chaque jour qui passe, le temps joue contre les arabes, Hassan est un homme qui est emprunt d'un réalisme profond, et il comprend que toute la lutte contre Israël au fond est vaine.
qu'on ne pourra pas empêcher cet état d'exister, il a ici comme une intuition, une intuition qui ne le trompe pas. Le 10 juillet 1971, le roi réunit des amis dans une petite localité qui s'appelle Srilat. proche des sables de l'Atlantique pour fêter son 42ème anniversaire, accompagné donc de nombreux invités qui viennent du monde entier.
La matinée se passe bien, le roi est absent, puis il revient, il donne le signal du début du déjeuner, et le repas va bon train, les gens discutent entre leur cuisse de poulet et leur verre de champagne, tout semble parfait, tout est tranquille, tout est calme apparemment. Et donc j'imagine qu'il va se passer un truc. A 14h08, un certain Mohamed Ababou, officier marocain de son état, fait brusquement irruption dans le palais royal, accompagné de 600 cadets, et ouvre le feu sur les 1200 invités. L'organisateur du complot est une taupe au sein de la réception, Mohamed Medbou, chef de la maison militaire du roi et qui se trouvait alors à quelques pas du roi.
Il a veillé à informer les rebelles du moment idoine pour effectuer leur bel ouvrage. Les tirs crépitent, tirs d'intimidation d'abord et puis peu à peu de tirs réels. Des dizaines de convives s'effondrent contre les tables, ainsi que des médecins ou des braves gens qui s'étaient précipités pour les soigner. Le roi, lui, se ferait un chemin dans l'agitation et se réfugie dans les toilettes, accompagné d'Oufkir, du premier ministre, et d'autres hommes importants dans ce lieu non moins important. Et oui, il semblerait que les cabinets de Srilat soient destinés à être le tombeau, où s'achèvera l'histoire de la monarchie marocaine.
C'est une salle du trône comme une autre. Le roi est donc complètement haletant, silencieux dans les toilettes, se réservant le privilège d'observer par le trou de la serrure voir ce qui se passe dans le couloir. Oufkir grogne en faisant remarquer qu'ils vont, je cite, « se faire descendre comme des canards » . Pendant que des cadavres de plus en plus nombreux jonchent le sol de la réception, que des cadets drogués à la benzédrine par haine du riche tirent nerveusement sur des êtres humains, qui n'était venu que prendre un repas. Pendant que le roi est assis entre les lavabos et qu'il entend au loin des enfants qui pleurent, des messages radiophoniques sont envoyés à Rabat annonçant que la monarchie a été balayée et que l'armée du peuple a pris le pouvoir.
Divers lieux de pouvoir sont alors investis par des hommes armés dans la capitale. Après presque trois heures d'enfermement, des coups sont donnés sur la porte des toilettes. Les cadets ouvrent la porte et demandent à tout le monde de sortir. Mais là... Bizarrement, les cadets ne reconnaissent pas le roi.
Ah ouais, non mais je suis d'accord, le roi aurait dû mourir, clairement, c'est inexplicable. Mais non, ils sont juste fouillés et on les fait asseoir avec d'autres gens. Et puis au bout d'un quart d'heure, un groupe de 5-6 cadets va chercher le roi et lui dit « Toi tu viens » .
Le roi le suit, c'est là qu'il tente le tout pour le tout et se dévoile. J'étais à peu près convaincu qu'il m'entraînait dans un recoin afin de pouvoir m'exécuter dans... La plus grande tranquillité.
Lorsqu'il se vit à l'abri des regards indiscrets, il se mit au garde-à-vous. Je lui commandais repos, il se remit au repos. Je lui recommandais garde-à-vous, lui tendais ma main et lui dis qu'attendu pour baiser ma main.
Ce qu'il fit. Alors je lui dis mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Il m'a dit, on nous a dit que le palais était attaqué, que votre majesté avait des ennemis et nous sommes montés.
Maintenant je tiens à vous dire que vous en avez encore des ennemis, veuillez vous cacher. C'est alors que je teins ce langage à un groupe de 6 ou 7 cadets en leur disant il est inadmissible que vous ayez fait de l'armée royale ce que vous en faites maintenant. Immédiatement quelques-uns se mirent à pleurer.
Et nous avons récité la Fatiha, qui est la première surate du Coran. Dans une scène quasi biblique ou quasi coranique, dirait-on, les masques tombent, les cadets qui sont ici s'effondrent et tous récitent ensemble la première surate du Coran. Ah ouais, quand même.
Ouais, non mais on en ferait un vitrail, c'est sûr. Finalement, tout rentre dans l'ordre, la plupart des mutins sont en fait partis à rabat entre temps pour prendre le contrôle de la capitale, Oufkir se lance à leur poursuite et les fait tous liquider. En fait, il semblerait qu'il y ait eu une mésentente au sein du groupe.
Ababou voulait tuer le roi, probablement, mais Medbou avait l'air d'être ambigu sur cette question. C'est en tout cas ce qu'ont pensé certains observateurs. Medbou est mort. Sans qu'on sache vraiment comment, peut-être qu'il a été tué par son camarade, et Ababou, lui, a rejoint Rabat et est mort peu après par le fait des forces d'armée royale. Waouh, il a quand même du cran.
Mais en fait, pourquoi il y a eu tout ça ? D'où il sort ce Mohamed Ababou ? Pour moi, il faut comparer la tuerie de Sridhar à la prise du pouvoir de Nasser, ou celle de Kadhafi, qui a eu lieu seulement deux ans auparavant. Ce sont des coups d'état qui ont pour objectif de défaire la monarchie, parce que... La monarchie est un régime considéré comme féodal, et qu'il est aussi considéré comme adoubé par l'ancien colon.
Ici, il serait trop proche de la France, pas assez proche de l'Atlantique continentale ou du Tiers-Monde. Or, qui fait ce genre de coup d'État ? L'armée, toujours. Et ici, c'est bien un corps de cadets qui a diffusé en son sein des thèses politiques, républicaines et socialistes, et ils ont perçu cette petite résidence de Srilat comme un petit paradis pour les riches, qu'il fallait souiller, d'une certaine manière. Donc oui, je pense qu'on peut faire un parallèle avec ce qu'a fait Kadhafi en 69. On a parlé de complot libyen.
Interrogez à ce sujet hier soir sur notre antenne. Vous avez à chaud répondu la Libye, je m'en fous royalement. Maintenez-vous maintenant que tout est fini.
Cette appréciation est pourquoi ? Je la maintiens encore plus royalement du fait que je suis encore plus roi aujourd'hui qu'hier. Mais contrairement à Kadhafi, Ababou a complètement échoué. Ce putsch va permettre au roi...
de se refaire une santé politique et de reprendre un peu la main sur l'opinion publique. Le 16 août 1972, un an après le putsch raté, le roi revient d'un voyage en France à bord d'un Royal Boeing 727. À bord de cet avion privé, il y a 14 personnes. Lorsque l'avion survole Tétouane, une escadrille de chasseurs F-5 qui, à n'en pas douter, appartiennent à l'armée marocaine, semblent se profiler à l'horizon.
Quelques minutes passent et les chasseurs se mettent soudainement à mitrailler la carlingue de l'avion royal. Le but de l'opération était d'immobiliser le Boeing dans l'aéroport de Kenitra et ensuite mettre la main sur le roi. Mais le Boeing poursuivait sa course et les chasseurs ont continué à tirer, détruisant deux réacteurs sur trois. A l'intérieur de l'avion, le roi reste assez calme et comprenant qu'il va peut-être mourir, tente le tout pour le tout, s'embarque du micro et dit « Cessez le feu !
Le tyran est mort, nous sommes innocents ! » en se faisant passer pour le pilote. Les chasseurs lui ordonnent alors de se poser sur l'aéroport militaire de Rabat-Kinitra, mais le roi, pensant qu'il ne sortirait pas de Kinitra, ordonne que l'on se pose ailleurs, sur l'aéroport civil de Rabat-Salé.
Là, les chasseurs disparaissent, donc l'avion se pose à Rabat, et c'est à ce moment-là que deux chasseurs F5 reviennent et commencent à mitrailler la piste en espérant toucher le roi. Ils tuent alors plus d'une dizaine de personnes, mais pas le roi. Ce dernier ordonne qu'on s'occupe des blessés, va au salon d'honneur du palais pour faire croire qu'il y est, et s'enfuit dans un véhicule civil banalisé en direction du palais de Srilat.
Il envoie alors une contre-attaque pour éliminer physiquement les mutins. Il convoque ensuite le général Ouvkir dans le palais de Srilat. Ouvkir est convoqué donc il vient, et c'est Dlimi, le principal collaborateur d'Ouvkir dont j'avais vite fait parler un peu avant, qui l'accueille, il le fouille, il le fait entrer dans le palais, Il est introduit dans une petite pièce et est exécuté de quatre balles, probablement par Glimmy d'ailleurs.
On suppose que cela a été fait en présence du roi Hassan, mais on n'en est pas sûr. Puis son exécution a été maquillée en suicide pour la presse. Et pendant tout le règne de Hassan, on continuera à soutenir cette version selon laquelle Oufkir s'est suicidé.
Et pourquoi il s'en prend à Oufkir ? Eh bien, les chasseurs F5 qui ont tenté d'abattre l'avion royal étaient commandés par le lieutenant Amokran, depuis la tour de contrôle de Kenitra. Or, il est impensable que le lieutenant Amokran ait pu disposer de ces appareils sans qu'Ouvkir, qui a un contrôle total sur l'armée, et sans qui aucun avion ne va nulle part, ne soit au courant. C'est-à-dire que dès que le putsch a commencé, en plein air, Hassan a immédiatement supposé qu'Ouvkir était en fait l'auteur du coup d'état.
Et c'est vrai ! C'était Ouvkir, son bras droit, depuis le début de l'histoire ! Serait-il le complice d'une armée voulant abolir les monarchies ? Je vous le dis, le profil de Oufkir ne correspond pas vraiment. Il est justement l'un des hommes les plus loyaux à la monarchie au Maroc.
Mais on peut déjà dire que Oufkir, c'est un personnage qui, quand même depuis quelques années, passait son temps à critiquer le roi. et notamment sa corruption. Il a beau être un militaire, il sait parfaitement que le Maroc va mal, va très mal même, parce que les écarts de richesse vont à s'aggravant dans ce pays, et que la monarchie, au lieu de combattre cette évolution, en est complètement complice.
Il faut bien vous le dire, Hassan II, c'est tout simplement quelqu'un de corrompu, d'extrêmement corrompu. Et il est possible qu'à partir du coup d'état de Srilat, Oufkir ait pris conscience que des militaires avaient la détermination de renverser Hassan, et qu'il ait décidé de dominer un peu les mutins pour faire valoir ses propres solutions politiques et ainsi reprendre le contrôle sur la destinée du Maroc. Et ce serait quoi ces solutions ?
Tuer le roi et après quoi ? Beaucoup pensent qu'il aurait voulu une régence permettant au prince héritier de prendre un jour la succession mais en gagnant du temps pour faire quelques réformes indispensables. Critiquer le roi, ça ne veut pas forcément dire critiquer la monarchie. Faire un coup d'état contre le roi ne veut pas forcément dire vouloir abolir la monarchie. T'es sûr de ça ?
Non, enfin, j'en sais rien, je fais des suppositions, parce que Oufkir a emporté bien des secrets dans sa tombe. Moi, ce qui me choque, c'est pas ça. Qu'un militaire se rebelle, on en a vu plein sur ta chaîne. S'il fallait pour chacun d'eux connaître leur motivation exacte, on n'en finirait pas.
Non, ce qui me surprend, moi, c'est comment il a pu se louper comme ça ? Sérieusement ? Une escadrille de 4 chasseurs ? Contre un avion civil ?
Pas fichu d'en venir à bout ? Tu trouves que l'histoire n'est pas vraisemblable ? Même si le roi a parfois enjolivé certains passages, l'essentiel de la trame des deux coups d'état de 1971 et 1972 est parfaitement exact. Le roi a échappé à une tentative de coup d'état de la part des militaires socialistes révolutionnaires dans un premier temps, puis à une autre tentative, organisée ou au moins approuvée, par un général monarchiste mécontent.
Et la plus grande preuve en est l'acharnement extraordinaire du roi contre les fomentateurs, son inextinguible soif de vengeance qu'on va voir par la suite. Il s'est déjà vengé, c'est bon, c'est fini. Mais tu connais pas Hassan. Quatre coups de feu pour suicider son ancien ami ne suffisent pas pour exorciser sa haine.
D'abord il a fait arrêter un grand nombre de militaires, il en fait rechercher les principaux coupables, quinze d'entre eux seront condamnés à mort, une soixantaine seront emmenés dans la prison de Tazmamart, qui est un de ces mouroirs dont les régimes autoritaires font un instrument de choix. Ouais je vois, c'est bien. La Syrie, c'est Palmyre. L'Irak, c'est Abu Ghraib. Les Etats-Unis, ils ont Guantanamo.
Voilà, si tu veux, au Maroc, c'est Tazmamart. Et encore, il y emmène les officiers condamnés, mais aussi une partie des officiers acquittés, qu'il fait enlever sans se gêner. C'est drôle parce qu'Assad se targue d'une formation de juriste, mais alors quand il est de mauvaise humeur, il se torche littéralement avec le droit, c'est assez impressionnant. Tazmamart, véritable mouroir avec des cellules sans lumière, des tortures abominables. des rations de nourriture totalement insuffisantes, des maladies à répétition, bref.
Finalement, 35 des 68 condamnés vont mourir des mauvaises conditions de détention. J'aimerais bien vous dire qu'avec tout ça, il s'est assez vengé, mais dans l'épisode prochain, on va entrer encore un peu plus profondément dans les arcanes du roi et découvrir de quoi il est vraiment capable.