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La Révolution et le Serment du Jeu de Paume

Le 20 juin 1789, les députés du Tiers-État réunis dans la salle du Jeu de Paume à Versailles décident ensemble, jurent ensemble de ne plus se séparer tant qu'ils n'auront pas donné de constitution à la France. Le serment du jeu de paume, c'est d'abord ce moment décisif qui fait rupture, qui fait date. 300 hommes rassemblés ensemble qui scellent leur volonté dans un serment collectif. Nous ne nous séparerons pas tant que nous n'aurons pas donné à la France sa constitution. L'histoire que nous avons à raconter n'est peut-être pas celle de la plus fameuse des journées révolutionnaires. Parce qu'on sait bien que, dans la mémoire nationale, lorsqu'on parle de 1789, la date du 20 juin est recouverte par celle du 14 juillet. On le sait, oui, mais... On devra comprendre pourquoi, comme nous devrons comprendre ce qui s'est réellement passé ce jour-là à Versailles. Et qui sont ces hommes qui, en se rassemblant, par leur serment, imposent la présence du corps du peuple comme souveraineté nationale ? Savent-ils qu'ils vivent une journée révolutionnaire ? Et au fond, qu'est-ce qu'une journée révolutionnaire ? Ce jour-là, ils ne font rien d'autre que prendre date. Ils prennent date avec eux-mêmes pour l'avenir. Ils décident ensemble que demain ne sera plus comme hier. C'est-à-dire, c'est ce qu'on appelle un acte performatif, le serment. C'est-à-dire qu'on dit quelque chose et on transforme le monde en disant quelque chose. Une date, donc. mais prise dans un flux d'événements dont il s'agit de restituer la vitesse et l'épaisseur. Et d'abord à l'échelle de cette année sans pareil qu'est 1789. Tout commence le 24 janvier, avec la convocation par le roi de France des États généraux. Le pays est au bord de la banqueroute. Alors Louis XVI réactive une vieille tradition de la monarchie française, mise en sommeil depuis 1614. lorsque Marie le Médicis avait elle-même rassemblé les états généraux pour obtenir des subsides. Le roi convoque donc à Versailles les trois ordres qui forment la représentation du corps social pour leur présenter ses réformes fiscales. Il y a là le clergé, la noblesse et le tiers-état. Durant les mois qui ont précédé, Les députés ont recueilli les voeux de leurs électeurs pour les réunir dans des cahiers de doléances. Ils arrivent donc de toutes les régions de France pour porter au roi la parole du pays. C'était une cérémonie au cours de laquelle le roi organisait la mise en scène du consentement. Cette vieille habitude qui avait été oubliée depuis 1614, de convoquer les états généraux, vieille habitude de la monarchie française qui a une habitude de communication politique, de cérémonie de majesté, elle tourne vers autre chose. Ça se passera pas comme prévu. Parce que les députés du tiers état entrent dans ce qu'on appellerait aujourd'hui une lutte de reconnaissance. Ils veulent se faire reconnaître comme la voix collective de la nation. Quelques semaines avant l'ouverture des États généraux, l'abbé Sieyès avait publié une brochure qui fit grand bruit. Son titre ? Qu'est-ce que le tiers-État ? Sieyès écrit Qu'est-ce que le tiers-État ? Tout. Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A y devenir quelque chose. Les députés du tiers représentent 96% de la population française. Ils se savent nombreux. Ils devraient avoir la majorité absolue. Ils veulent donc obtenir le vote par tête, c'est-à-dire la légitimité par la proportionnalité. Tandis que le clergé et la noblesse exigent que le vote ait lieu par ordre, ce qui leur assure toujours la majorité. En plus de l'égalité des voix, le tiers-État veut des débats en commun. Ces revendications perturbent le déroulement des états généraux tel qu'il était prévu par la monarchie. Le 17 juin, les députés du tiers se constituent en assemblée nationale. Le 19, le clergé décide de se joindre à eux par 149 voix contre 137. Le roi suspend alors les assemblées. Le temps se fige. Le 20 juin... C'est une date révolutionnaire au sens politique. Rien ne sera plus comme avant. Et ça, c'est quelque chose qui constitue cette date comme une journée révolutionnaire. Mais une vraie journée. C'est-à-dire que ça commence le matin et ça s'achève le soir. Nous sommes à quatre jours du solstice d'été. À quelques jours donc d'une nouvelle révolution du globe, au sens astronomique. Or les députés vont précipiter cette bascule du temps et conférer définitivement au mot révolution un sens politique. qui dit aussi le surgissement de l'irréversible. Au matin du 20 juin 1789, il pleut sur Versailles et un orage d'été menace. Les députés se présentent devant l'hôtel des menus plaisir où les états généraux se réunissent et ils trouvent porte close. On leur refuse l'entrée sur décision du roi. Que faire ? Il faut trouver un lieu, un lieu abrité, n'importe lequel. Ce sera la salle du jeu de paume, toute proche. Le jeu de paume, comme son nom l'indique, c'est une salle de sport, c'est un gymnase, c'est un vieux gymnase du XVIIe siècle. Et bon, ben voilà, on va occuper le terrain, on va investir des lieux, on improvise. Rien n'est organisé. organisé évidemment pour une délibération. Voilà deux tonneaux, on met une planche sur les tonneaux. Ils discutent, ils délibèrent, rien de rituel. Quand je dis délibération, j'ai tort. En fait, ça discute, ça discute jusqu'au moment où quelqu'un a l'idée de prêter serment. Et c'est Bailly, le président de la toute récente Assemblée nationale, qui prononce le serment. Tous le reprennent, c'est cela, le serment du jeu de paume. Nous jurons de ne jamais nous séparer de l'Assemblée nationale et de nous réunir partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du Royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. Jurer, jurer solennellement et jurer ensemble, c'est ça que signifie une conjuration. Les députés, ce jour-là, ils réalisent un coup de force, qui est un coup de force symbolique contre la monarchie. Dès lors, tout s'enclenche. Conjurant l'absence du roi, les députés donnent corps à la souveraineté collective, c'est-à-dire à la nation. Tout de suite, et c'est très intéressant, tout de suite, on a l'idée, l'intuition, peut-être qu'il faut garder ce moment, en garder la trace, avec un texte signé. On décide alors de retranscrire le serment. Deux secrétaires sont là pour garantir la précision des débats. Et de ce fait, il existe deux exemplaires du même document, deux originaux, l'un conservé aux archives nationales, l'autre à l'Assemblée nationale. Pourquoi cet acte fondateur se trouve-t-il dédoublé ? Parce qu'il ne s'agit pas d'un document, mais bien du premier acte de ce qui est en train de devenir le procès verbal de l'Assemblée, l'ancêtre de notre journal officiel où peut se lire la chronique d'une lutte politique contre l'absolutisme. Tous les députés vont apposer leur nom sur les deux documents. Ces paraphes font contrepoids à la signature souveraine du roi. Ce que nous voyons aujourd'hui dans le document du serment du jeu de paume, c'est la matrice de la pétition contemporaine, comme expression d'une volonté collective. Il y a là en fait une véritable révolution juridique qui matérialise et transcrit pour l'avenir la fin de l'Ancien Régime. Armand Gaston Camus secrétaire de la séance, sera d'ailleurs deux mois plus tard le fondateur des archives nationales. Il faut imaginer tous ces hommes durant cette longue journée faisant la queue pour signer les uns après les autres. Ils sont loin de chez eux, certains se sentent seuls, d'autres sont inquiets. L'historien Timothy Taquette a étudié le parcours psychologique de ces députés à partir de leurs lettres, de leurs journaux. Il a saisi comment des histoires singulières forment une volonté collective et comment, au fond, on devient révolutionnaire. Il y avait le jeune Félix Faucon, député de Poitiers. qui après le serment est rentré chez lui et a écrit dans son journal Nous sommes tous foutus Il pensait peut-être qu'ils allaient tous être envoyés à la Bastille ou même à Bicêtre, l'hôpital psychiatrique de Paris. Il y avait cette dynamique du groupe La dynamique de groupe que l'on pourrait aussi appeler une thérapie de groupe. Ils étaient ensemble, ils discutaient, ils avaient le sentiment d'être portés par le souffle du destin. Je pense qu'il ne fait aucun doute qu'au début des États généraux, Tous ou presque tous les députés du tiers état étaient royalistes. Ils avaient une vive affection pour la personne de Louis XVI. Ils continuaient de rêver de pouvoir travailler avec lui. que le bon roi, qui était le père du pays, et ils utilisaient beaucoup ce langage paternaliste, serait leur guide, mais aussi leur collaborateur. Ils travailleraient ensemble, ils auraient les mêmes objectifs. Oui, à la fin du serment du jeu de paume, beaucoup de gens criaient longue vie au roi et c'était repris par la foule. Oui, ils espéraient encore, ils rêvaient encore. Lorsqu'on est historien, on veut catégoriser. Alors il y a les royalistes, alors il y a les révolutionnaires. Ceux-là sont révolutionnaires, mais on n'est pas forcément révolutionnaire quand on participe à une journée révolutionnaire. C'est la journée qui vous fait révolutionnaire. Ces hommes, plutôt jeunes, propriétaires, avocats, juristes, s'apprêtent à entamer un bras de fer avec la monarchie. Le 23 juin, L'émissaire du roi somme les députés de l'Assemblée nationale de se disperser. Mirabeau lance alors son cri fameux Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes Au cours de l'été 89, et tandis que le peuple se soulève à travers toute la France, ces mêmes députés qui avaient prononcé le serment du jeu de paume entament les premières réformes du pays. Dans la nuit du 4 août, ils mettent fin au système féodal en votant l'abolition des privilèges. Et le 26 août 1789, l'Assemblée Constituante adopte la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est comme au fond si, durant tout l'été 1789, se croisaient et s'entrechoquaient deux temps politiques. Il y a maintenant le temps de la constituante, la temporalité, on va dire, parlementaire déjà, c'est-à-dire de gens qui s'assemblent pour parler. Il y a ceux qui agissent, ceux qui agissent dehors et qui s'impatientent. C'est le peuple, évidemment. Il y a ce qui se passe à Versailles et ce qui se passe à Paris. Et il y a des moments où, évidemment, ça va se croiser. Et un des moments où ça se croise, c'est évidemment la prise de la Bastille du 14 juillet 1789. On connaît le film des événements. Il fait partie de notre culture visuelle. Une milice civique s'est formée à Paris. Elle décide, ce 14 juillet, de s'emparer des canons et de la poudre de la Bastille. L'Aunet, le gouverneur de la place forte, fait tirer sur la foule. La Bastille est assiégée, l'Aunet et le représentant du roi à Paris exécutés. Très vite, le trouble s'installe dans la capitale et des rumeurs de complots d'invasions étrangères provoquent la grande peur dans les campagnes. La colère des paysans se déchaîne contre les demeures féodales qui sont brûlées et saccagées pendant l'été 1789. Et Paris a faim. Le 5 octobre, ce sont près de 7000 femmes qui marchent sur Versailles pour exiger du pain de ceux qu'elles surnomment le boulanger, la boulangère et le petit mitron. Le roi est contraint de s'installer à Paris avec sa famille. L'Assemblée Constituante rejoint également Paris pour siéger aux Tuileries. Versailles n'est plus le théâtre de la Révolution. Mais qu'en est-il de la salle du jeu de paume ? Plus question évidemment d'y pratiquer le sport. La Constituante patrimonialise immédiatement le lieu. On s'émerveille du dépouillement de la salle, exact contraire du faste du Palais-Royal si proche. Le poète André Chénier célèbre une sainte masure, qui est aussi le berceau des lois, et Michelet la comparera plus tard à l'étable de Bethléem, la crèche où s'invente la religion des temps nouveaux. Un an exactement après le 20 juin 1789, la Société des Amis du serment du jeu de paume décide de faire apposer une plaque à la mémoire de l'événement. Au fond, cette date est contemporaine de sa commémoration. On ne se contente pas de faire quelque chose, on l'inscrit immédiatement dans la mémoire. Il faut une image, il faut une icône. Et à ce moment-là, le 28 octobre 1790, on évoque pour la première fois la nécessité de faire image. De ce lieu est une pétition. De la Société du serment du jeu de paume demande au peintre David de peindre la scène. David est déjà très célèbre. C'est un révolutionnaire convaincu et un artiste ambitieux. Il commence par présenter une gravure au Salon de peinture et de sculpture de 1791 pour lancer une souscription publique. On demande donc aux Français de financer un tableau qui n'existe pas encore. La souscription est un échec, mais la commande est maintenue et David continue. Pour faire date, l'image se doit d'être monumentale. On doit y voir le souffle de la tempête, la peur, l'audace. Dans cette salle du jeu de paume, le peuple est venu assister à une partie. qui se joue effectivement entre des représentants de la nation et le roi qui est absent. Alors, les députés occupent une seule partie du terrain. Et c'est comme si David nous mettait, nous qui sommes face au tableau, en demeure, d'être présents, nous aussi, au lieu du roi, en face, dans l'autre partie du terrain, prêt à notre tour à prêter serment pour entrer dans la partie. David a sans doute en tête le serment des Horaces, qu'il a peint cinq ans auparavant. Il va représenter le serment du jeu de paume de manière triangulaire. Il nous plaît aujourd'hui de voir dans ces corps réunis comme la préfiguration du fronton de la future Assemblée nationale. C'est un rassemblement d'individualités qui se construit ici. Chacun est reconnaissable dans son corps et dans ses gestes. À partir du moment où la commande officielle est passée à David, c'est une sorte de course contre la montre. Parce que les constituants sont en train de se disperser, parce qu'ils viennent effectivement de s'organiser en constituante, mais ils sont en train de revenir dans leur province. Alors David leur court après, leur écrit pour demander s'ils n'ont pas eux-mêmes un portrait ou un peu de temps pour que lui-même l'esquisse. Mais voilà, David peint le rassemblement au moment où ses volontés se dispersent. L'Assemblée Constituante se dissout donc après avoir donné une première constitution à la France en septembre 1791. Ses députés sont de plus en plus divisés politiquement et David n'achèvera jamais son œuvre. Ce tableau qui était nécessaire en 90 devient embarrassant en 92 pour les révolutionnaires et pour David lui-même qui préfère aller croquer le roi en compagnie du dauphin. belle unanimité du serment a fait long feu. Le tableau semble avoir consumé ses personnages. Certes, on voit Robespierre. Enfin, nous le reconnaissons parce que nous savons que c'est lui. Mais ce n'est pas en réalité le grand protagoniste du serment du jeu de paume. Aïe, Mirabeau, mais aussi Barnave, Tronchet, Bergasse et tant d'autres étaient alors plus célèbres que lui. Mais ce sont des hommes qu'en 92, on ne veut, on ne peut plus voir en peinture. On ne veut plus les avoir devant nous, parce que ces hommes-là ont mal tourné. Les déchirements de la Révolution ont eu raison de l'élan collectif du serment. D'autres se chargeront de représenter le serment du jeu de paume, de célébrer l'instant, mais en prenant soin de ne pas rendre les acteurs du 20 juin 1789 trop identifiables. Le 20 juin revient, et tous les 20 juins, on va célébrer l'anniversaire de 1789. Mais parfois, l'imprévisible survient. Dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, le roi et sa famille tentent de quitter le royaume. Leur fuite est, on le sait, interrompue à Varennes. Le roi retourne à Paris sous le sceau d'une double trahison. Il a tout à la fois renié son serment de respecter la Constitution et le serment pris lors de son sacre. Louis XVI provoque la séparation définitive entre le corps du roi et le corps de la nation. Et puis, il y a le troisième anniversaire du 20 juin, celui de 1792, où, là encore, un rituel tourne mal. A l'origine, les Girondins souhaitaient commémorer le serment du jeu de paume. Mais le peuple envahit le palais royal des Tuileries. Le roi subit pendant deux heures le défilé de la foule, accepte de coiffer le bonnet phrygien et boit à la santé de la nation. Il a beau montrer que son cœur ne bat pas plus vite qu'à l'ordinaire, le corps du roi est directement mis en cause. Ce fin juin 1792 manifeste avec fracas la puissance collective du peuple. Alors tout s'accélère. Le 10 août 1792, le roi est arrêté pour collusion avec les puissances étrangères anglaises. guerre avec la France. Et le 21 septembre 1792, les députés de la Convention, réunis pour la première fois, prennent acte à l'unanimité que la royauté en France est abolie. Le lendemain commence l'an 1 de la République. Au gré des bouleversements politiques que connaîtra le pays tout au long du XIXe siècle, la salle du serment du jeu de paume va vivre différentes vies. C'est en 1875, avec la Troisième République, qu'on entame l'aménagement de ce qui restera longtemps le seul musée de l'histoire de la Révolution française. Le lieu devient alors en tout point semblable à celui qu'on peut voir aujourd'hui. On y retrouve toutes les étapes de cette histoire mémorielle. L'espace vide au centre de la salle est préservé. Un monument en forme de temple classique abrite la plaque commémorative originelle. C'est dans la salle du jeu de paume qu'on trouve aujourd'hui la version achevée du tableau de David, achevé par le peintre Luc Olivier Merson en 1883. Tout le monde a alors en tête le centenaire à venir de 89, mais ce qu'il s'agit de célébrer, c'est le fragile enracinement de la République. Abandonné par David, le tableau que les révolutionnaires souhaitaient placer en 1791 derrière le président de l'Assemblée nationale n'y trouvera donc pas sa place. On peut en revanche voir à l'Assemblée nationale un prolongement visuel du serment du jeu de paume. Un haut relief représentant la journée du 23 juin lorsque Mirabeau, fort du serment, pris trois jours auparavant, fait barrage à l'émissaire du roi. C'est la première image que les députés français découvrent lorsqu'ils entrent aujourd'hui dans le palais Bourbon. Alors on peut continuer à parler du 20 juin 1789, mais on ne peut pas non plus complètement ignorer que dans notre mémoire nationale, dans notre mémoire historique collective, cette date a été recouverte par une autre, le 14 juillet 1789, comme événement fondateur. C'est en 1880 que la République désigne le 14 juillet comme fête nationale, commémorant à la fois la prise de la Bastille en 89 et la fête de la Fédération qui, un an plus tard, le 14 juillet 1790, tentait d'en conjurer la violence. Pourquoi ? Parce que ce qui manque le 20 juin, c'est le peuple. Ce qui manque le 20 juin, c'est justement l'idée de souveraineté populaire. Alors que l'Assemblée nationale considère cette date comme fondatrice de son ordre politique, oui assurément, mais la nation a besoin d'une émotion collective plus violente, plus paroxystique, et c'est le 14 juillet qui lui fournit. C'est donc à Paris en 1789 que la Révolution se réhausse d'une majuscule. Désormais, et pour une bonne partie du monde, l'espérance révolutionnaire portera le nom de Révolution française. Elle avait pourtant commencé ailleurs, et notamment dans les nouveaux États-Unis d'Amérique. George Washington vient de s'y faire élire premier président de l'Union. Au Brésil, depuis le 21 avril, un soulèvement populaire réclame l'indépendance du pays. Tandis que 7 jours plus tard, le 28 avril, éclate dans l'océan Pacifique la mutinerie du Bunti, un trois-mats de la royale Nevi. L'ère de la liberté est-il contagieux ? En Pologne aussi, on réclame des réformes. Et à Istanbul, le nouveau sultan Selim III, monarque éclairé de l'Empire ottoman, suscite les espoirs de ceux qui aspirent au Tanzimat. Cette réforme libérale de la royauté... que Louis XVI n'a pas su mettre en œuvre. Que reste-t-il du serment du jeu de paume, de l'énergie qui l'a fait naître, de la promesse qu'il a portée ? La Révolution française n'est pas terminée. Elle est à chercher, notamment ici à Paris, place de la République, dans le bronze des bas-reliefs qui décorent le piédestal de la statue, témoin de tous les rassemblements, de toutes les dispersions. Témoin aussi de ce nouvel engouement pour la Révolution française, qui est moins celui d'une généalogie républicaine à célébrer que celui d'une effervescence à retrouver. L'exaltation de l'émotion collective, la joie des grands commencements où s'institue le politique. Si on s'intéresse à l'histoire aujourd'hui, c'est pour ça, c'est parce qu'elle nous, elle élargit notre expérience de ce dont les hommes en société sont capables. Ben voilà, il y a eu un moment, le 20 juin, où des hommes qui n'étaient pas meilleurs que les autres, qui n'étaient pas plus courageux que ceux qui, ce jour-là, n'étaient pas là et grondaient aux fenêtres, se sont laissés emporter. par une volonté collective bien plus haute qu'eux-mêmes et ont fait quelque chose ensemble dont ils ne se savaient pas capables.