-Ravie de vous retrouver pour le "Dessous des cartes". On commence à Saint-Pétersbourg avec l'immense Lakhta Center qui abrite Gazprom. Voici le siège du plus grand producteur mondial de gaz, numéro 3 du secteur des énergies. Un secteur clé de l'économie russe. Gazprom, entreprise publique sous tutelle du Kremlin, est un rouage essentiel de la stratégie de puissance de Poutine. Mais depuis l'invasion russe de l'Ukraine, Gazprom est devenu une arme de guerre. Fournisseur incontournable de gaz pour l'UE avant le conflit, Gazprom a appelé, le 26 avril 2022, les dirigeants de Pologne et de Bulgarie pour les informer que dès le 27, ils ne recevraient plus de gaz. D'autres pays se sont organisés pour sortir de leur dépendance aux hydrocarbures russes et ne plus contribuer à financer la guerre. La géopolitique du gaz et du pétrole ne sera plus la même après l'invasion de l'Ukraine. Voyons pourquoi avec nos cartes. Les réserves de pétrole prouvées s'élèvent à 1 732 Mrd de barils fin 2020, et sont très inégalement réparties. Les 10 pays les mieux dotés concentrant 86% des réserves. Une situation équivalente pour le gaz. Avec une répartition géographique un peu différente, les 10 premiers pays concentrent 81% des réserves. On remarque la concentration des ressources au Moyen-Orient qui totalise 48% des réserves de pétrole et 40% des réserves de gaz. Concernant la production effective, le classement est différent. Certains pays exploitent plus leurs réserves que d'autres. Les 3 principaux producteurs de pétrole sont les Etats-Unis, l'Arabie saoudite et la Russie, soit 40% de la production. Pour le gaz, 40% de la production est entre les mains des Etats-Unis et de la Russie. Une concentration de l'offre aux mains d'une poignée d'acteurs. Le cas des Etats-Unis est intéressant. En 10 ans, les Américains ont plus que doublé leur production de pétrole ce qui leur a permis de réduire leur dépendance au Moyen-Orient. Et quasiment doublé également leur production de gaz qui dépasse désormais leur consommation. Cette prouesse est due à la mise en exploitation des réserves du pays en pétrole et gaz de schiste, rendue possible grâce à la fracturation hydraulique, une technique désastreuse sur le plan écologique qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour le pays. La production est donc concentrée entre un nombre réduit d'acteurs. Voyons du côté des consommateurs. La région la plus consommatrice de pétrole est l'Asie-Pacifique. Notamment avec la Chine, 1er consommateur mondial de pétrole avec 16% de la consommation mondiale. Viennent ensuite l'Amérique du Nord, l'Europe, le Moyen-Orient, l'Amérique du Sud et centrale, la CEI et l'Afrique. Pour ce qui est du gaz, on trouve en tête l'Amérique du Nord, puis l'Asie-Pacifique, qui devance le Moyen-Orient et l'Europe, suivie de près par la CEI et loin derrière l'Afrique et l'Amérique du Sud et centrale. Ces ressources doivent être acheminées des pays producteurs vers les pays consommateurs, ce qui pose la question du contrôle de ces voies d'acheminement. Le transport du pétrole s'effectue à 60% par voie maritime. 40% par voie terrestre : oléoducs, routes, voies ferrées. Compte tenu de l'importante concentration de la production au Moyen-Orient et de la consommation en Asie-Pacifique, certaines routes maritimes sont vulnérables. Le moindre problème dans le détroit d'Ormuz ou transitent 21% du brut, comme ce fut le cas en 2019, peut avoir d'importantes répercussions. Le transport du gaz suit des routes semblables, mais le transport par bateau du gaz, environ 40%, pose un problème supplémentaire. Car le gaz doit être liquéfié à -162 degrés avant d'embarquer, puis être regazéifié une fois arrivé. Cette opération nécessite des infrastructures coûteuses dont tous les pays ne disposent pas. Le transport par gazoduc est donc prépondérant. Ce qui explique pourquoi les Européens ont privilégié le gaz russe, créant cette dépendance dont ils tentent de sortir, sur fond de guerre en Ukraine. Le gaz représente un quart du mix énergétique de l'UE, le pétrole, un tiers. Et la Russie est le 1er fournisseur de ces 2 ressources. Au 1er semestre 2021, 41% du gaz et 41% du pétrole consommés dans l'Union provenaient des gisements russes. Cet appétit européen pour le gaz russe ne date pas d'hier et a nourri le contentieux russo-ukrainien, car depuis la période soviétique, le gaz russe est acheminé en Europe par le réseau de gazoducs Northern Lights qui traverse la Biélorussie, et le réseau Brotherhood, qui traverse l'Ukraine. Mais en 1991, Kiev a profité de son indépendance pour faire payer la traversée de son territoire à Moscou. Pour contourner l'Ukraine, les Russes ont multiplié les projets de gazoducs avec le Yamal en 2006, à travers la Biélorussie et la Pologne, le Nord Stream en 2012 qui passe par la mer Baltique, le Turkish Stream en 2020, qui passe par la mer Noire. Ces contournements ont fait chuter la part des livraisons russes qui transitaient par l'Ukraine de 60 à 25% entre 2009 et 2021. Un manque à gagner pour Kiev. A ces 3 gazoducs s'est ajouté le Nord Stream 2, dans lequel l'Allemagne a massivement investi. Un investissement motivé car 65% du gaz consommé par les Allemands vient de Russie. Le gaz représentant 27% de son mix énergétique. Bien que mis en pré-service en octobre 2021, le projet a été suspendu par Berlin le 22 février 2022. Une décision politique coûteuse pour Olaf Scholz. La Hongrie, la Roumanie et l'Italie sont également aujourd'hui dans une situation préoccupante car elles aussi sont très dépendantes du gaz russe. La Finlande s'en tire mieux. Le gaz ne représente que 6% de son mix énergétique, alors qu'elle importe 75% de son gaz de Russie. La dépendance au pétrole russe des pays de l'UE est contrastée. L'Allemagne se montre dépendante. Le pétrole représente 33% dans son mix et elle en importe 35% de Russie. La Hongrie, la Roumanie, la Pologne et la Lituanie sont dans une situation délicate. Grâce au nucléaire, la France s'en sort mieux. 27% de pétrole, avec 15% provenant de Russie. On comprend bien que s'accorder sur une politique commune de boycott des hydrocarbures russes soit compliqué. Alors, quelles pistes ont les Européens pour diversifier leurs sources d'approvisionnement ? Commençons par le gaz. Une 1re alternative consisterait à augmenter les livraisons de la Norvège, 2e fournisseur de l'Union. Mais les gazoducs sont saturés et les champs exploités proches de leur niveau maximal. Un nouveau gazoduc, le Baltic Pipe, sera ouvert le 1er octobre 2022 et sera exploité à son maximum à partir de janvier 2023. L'Algérie, 3e fournisseur de l'Union, pourrait augmenter ses livraisons via le gazoduc Transmed vers l'Italie et le Maghreb Europe qui relie l'Espagne à travers le Maroc, le MedGaz étant à saturation. Mais les différends entre l'Algérie et le Maroc bloquent l'utilisation de Maghreb Europe. Autre source possible, le gaz du gisement de Shah Deniz en Azerbaïdjan, via le Corridor gazier sud-européen. Actuellement de 10 Mrd de m3 par an, cette capacité pourrait être portée à 20 Mrd, ce qui reste faible comparé aux 155 Mrd de m3 russes importés par l'UE en 2021. La 2e alternative est d'importer du gaz par bateau, le GNL ou gaz naturel liquéfié. Une alternative pour laquelle la Lituanie, dépendante à 80% de la Russie à la fin des années 2000, a opté dès 2015. Vilnius a ainsi réduit ses importations de gaz russe à 40% dès 2021, grâce à ses importations de GNL norvégien et américain, et a décidé, suite à l'invasion de l'Ukraine, de suspendre ses importations de gaz russe au 1er avril 2022. Mais les 3 premiers exportateurs mondiaux de GNL, l'Australie, le Qatar et les Etats-Unis, produisent déjà à hauteur de leur capacité. Pour augmenter les exportations, il faudra construire de nouveaux terminaux méthaniers pour liquéfier le gaz et le regazéifier, l'UE n'ayant que 26 terminaux. Du côté du pétrole, l'Europe envisage de se tourner vers ses autres fournisseurs, les Etats-Unis et les pays du Moyen-Orient, qui peuvent produire plus, comme le Brésil et le Venezuela. Et si l'embargo contre l'Iran était levé, cela pourrait offrir une alternative à l'Europe. Mais cela aura des répercussions sur les prix et le trafic maritime, renforçant les risques de congestion du détroit d'Ormuz et la durée d'acheminement. Après ce changement de la géopolitique des énergies, de nouvelles alternatives au gaz et au pétrole russes auront été mises en place, avec plus ou moins de difficultés. Il est aussi à souhaiter de nouveaux mix énergétiques qui feraient la part belle aux énergies renouvelables. En attendant, Moscou espère compenser la perte de ses clients européens en se tournant vers la Chine. Bref, un grand changement à prévoir sur le marché des hydrocarbures. Ainsi s'achève cette émission. A la semaine prochaine. D'ici là, n'oubliez pas notre site Internet arte.tv/ddc A bientôt. france.tv access