Bienvenue dans Le Monde selon l'IFRI, un podcast de l'Institut français des relations internationales. Je suis Marc Ecker, directeur adjoint de l'IFRI et rédacteur en chef de la revue politique étrangère. Je conime ce podcast avec Cathy Hamilton, chargée de projet à l'IFRI.
Bonjour Cathy. Bonjour Marc, bonjour à tous. L'objectif de ce podcast est de vous donner un aperçu de la richesse de la production de l'IFRI et de transmettre des clés de compréhension du monde dans lequel nous vivons. Pour cet épisode, nous avons le plaisir de recevoir Dorothée Schmitt, responsable du programme Turquie et Moyen-Orient de l'IFRI.
Chaque année, en septembre, paraît le Ramsès, ouvrage prospectif de référence qui fournit des repères indispensables pour décrypter les évolutions internationales. La première partie du Ramsès 2025 est intitulée Moyen-Orient, la recomposition sans fin Elle a été dirigée par notre invitée. Dorothée Schmitt, bonjour et merci d'avoir accepté de venir à ce micro.
Bonjour Marc, bonjour Cathy. Bonjour. Cela fait quasiment un an qu'a eu lieu l'attaque du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas en territoire israélien.
Depuis lors, la guerre fait rage dans la bande de Gaza, un territoire en grande partie détruit, où des dizaines de milliers de Palestiniens ont perdu la vie. Dans Ramsès, vous écrivez qu'il y a deux impasses dans l'impasse. Que voulez-vous dire ? D'abord, c'est assez glaçant de se dire que la guerre dure des années. déjà depuis plus d'un an.
Cette opération israélienne à Gaza était prévue pour durer certainement beaucoup moins longtemps, l'idée étant de se débarrasser du Hamas, de nettoyer Gaza du Hamas. Mais évidemment, le Hamas, c'est un adversaire qui est évasif, parce qu'il n'est pas seulement à Gaza, il est ailleurs, il est multiforme. Et donc c'est très compliqué de mener cette guerre, qui a certainement d'autres enjeux internes en Israël, sur lesquels on... On reviendra peut-être.
Quand je dis qu'il y a deux impasses dans l'impasse, c'est que j'ai le sentiment qu'on est aujourd'hui dans une phase un peu différente du conflit. Alors différente parce que je crois qu'elle a une résonance internationale qui est extrêmement forte, beaucoup plus large, je dirais, à l'échelle entière de la planète que peut-être n'ont eu les épisodes précédents du conflit israélo-palestinien. Mais aussi qu'on a le sentiment qu'aujourd'hui, il est pratiquement impossible de revenir à une négociation, même s'il y a aujourd'hui des négociations pour une trêve humanitaire. à Gaza.
Ces négociations sont incessantes. Elles sont menées sous l'égide des États-Unis, avec différents médiateurs, mais elles n'arrivent pas, pour le moment, à faire de progrès, parce que les deux parties sont dans un antagonisme identitaire extrêmement fort au-delà de l'affrontement militaire lui-même. Et aujourd'hui, ce qui est très frappant, c'est que...
et que j'ai le sentiment qu'on a ces deux récits inconciliables qui sont d'un côté la Nakba, de l'autre côté la Shoah, c'est-à-dire l'idée que chaque parti se sent menacé de façon existentielle. Les Palestiniens ont le sentiment qu'Israël peut se débarrasser d'eux complètement pour faire un État juif unifié, et les Israéliens ont ressenti l'attaque du 7 octobre, ont qualifié l'attaque du 7 octobre de pogrom, en y revoyant la réactivation d'un antisémitisme immémorial qui les frapperait maintenant. dans leur pays ou précisément pays qui a été construit pour être à l'abri de ces persécutions.
Et aujourd'hui, les Palestiniens eux-mêmes, on ne sait pas très bien de qui il s'agit. Je suis engagée dans des négociations parallèles, avec des discussions avec des universitaires israéliens qui nous disent toujours quelle est l'adresse des Palestiniens. On a besoin d'un nom, on a besoin de savoir à qui on s'adresse.
Et aujourd'hui, les Palestiniens sont complètement divisés puisque Gaza et la Cisjordanie ne se parlent pas. La gouvernance à Gaza n'est pas considérée comme légitime. La gouvernance de l'autorité palestinienne en Cisjordanie est en perdition, puisqu'elle est dirigée par un cacique Mahmoud Abbas, qui a 90 ans, qui ne veut pas laisser la... qui ne veut plus faire d'élections, qui est corrompue. Du côté israélien, on a un phénomène de dégradation de cette fameuse démocratie, unique démocratie du Moyen-Orient, qui était le titre dont s'enorgueillissait Israël, avec une...
paysage politique qui se fragmente et qui se radicalise de plus en plus et aujourd'hui un gouvernement qui comprend des ministres d'extrême droite qui disent très clairement qu'ils ne souhaitent absolument pas considérer la question palestinienne d'aucune manière positive et que uniquement la défense d'Israël doit compter et qu'on est prêt à faire une guerre totale pour ça et que l'annexion de la Cisjordanie est sur la table. Et cela signifie qu'en réalité si on n'a pas d'évolution politique... En profondeur d'un côté comme de l'autre, on n'arrivera jamais à se mettre à une table sans une très très forte contrainte extérieure.
Or aujourd'hui, les États-Unis, qui sont le faiseur de paix traditionnel au Moyen-Orient, sont visiblement incapables de faire pression sur un côté comme sur l'autre pour arriver à un moyen terme. Pour élargir un peu, est-ce que vous pouvez nous donner votre regard sur les... Percussion régionale de la guerre à Gaza sur le rôle de l'Iran et de ses proxys, mais aussi sur la position des pays impliqués dans les accords d'Abraham.
Je pense qu'on peut voir cette guerre comme un phénomène soit local, effectivement s'intéresser aux opérations militaires à Gaza, un peu plus largement à Gaza, la Cisjordanie, à la frontière israélo-libanais, ce qui est vraiment sous tension, avec la crainte d'une escalade et d'une guerre entre le Hezbollah libanais et Israël. qui mettrait en danger l'avenir du Liban lui-même. On peut considérer cette guerre comme un phénomène régional un peu plus large.
À ce moment-là, on s'intéresse aussi à la situation en Syrie, qui est aussi une caisse de résonance de ce qui se passe aujourd'hui entre Israël et les Palestiniens. puis aux pays arabes du Golfe, dont une partie sont signataires de ces fameux accords d'Abraham, cette forme de paix économique qui avait été inventée par Donald Trump et qui manifestement n'a pas réussi à venir à bout. de ce conflit, mais qui a effacé encore un peu plus la question palestinienne, cette espèce d'illusion dans laquelle nous vivions que finalement les Palestiniens n'avaient plus de revendications, qu'ils n'étaient plus un acteur politique.
Dans cette façon de voir la guerre régionalement, il y a bien sûr l'Iran aujourd'hui, qui est l'ennemi d'Israël, qui aujourd'hui est prêt à une confrontation directe avec Israël. On a déjà eu des représailles iraniennes en Israël même au mois d'avril, après un assassinat ciblé d'un haut commandant. militaires iraniens.
Donc la sanctuarisation d'Israël aujourd'hui ne fonctionne plus, ni physiquement, ni dans les têtes, je dirais. C'est ce qui explique aussi cette très grande difficulté des Israéliens à imaginer toute issue positive ou toute volonté de négociation politique pour la guerre. Et puis on a une dimension internationale qui est beaucoup plus large, qui est la mobilisation des opinions sur ce conflit.
Et là, on a un phénomène qui est probablement assez nouveau par rapport aux derniers grands épisodes de guerre, je pense particulièrement à 2006. la guerre entre le Hezbollah et Israël, qui est la mobilisation des réseaux sociaux. Parce qu'on a un problème aussi d'accès à l'information. Les reporters n'ont pas le droit d'aller à Gaza. Donc on a un vrai sujet sur la façon dont on comprend ce qui se passe finalement. les Israéliens, les Palestiniens, au-delà de la question de Gaza même, et deux camps qui s'affrontent aussi hors du Proche-Orient, notamment dans les pays occidentaux, avec des répercussions notamment, on l'a vu, aux États-Unis ou en France aussi.
On y reviendra sur ces répercussions effectivement internationales plus larges, mais peut-être restons un peu dans la région élargie d'abord. Il y a un acteur dont on n'a pas encore parlé qui est la Turquie. Or vous êtes spécialiste de la Turquie, vous y avez consacré un livre et plusieurs articles, notamment dans la revue Politique étrangère.
On a vu que ce pays a joué un rôle particulier, essayant de se poser par moments en médiateur, parce qu'il y a également des discours enflammés contre Israël qui ont été tenus. Mais la posture d'Ankara sur ce conflit amène à s'interroger sur le rôle de la Turquie aujourd'hui. Est-ce que vous pourriez nous en parler un petit peu, s'il vous plaît ? Alors effectivement, il y a un vrai paradoxe, parce que depuis le déclenchement des opérations militaires israéliennes à Gaza, la Turquie a une rhétorique totalement...
enflammés. On est assez habitués à ça de la part de Taïper Dohan qui a déjà eu des échanges de noms d'oiseaux très sévères avec Benyamin Netanyahou. Je pense qu'il y a un vrai sujet d'animosité entre ces deux personnalités de toute façon. Mais les Turcs disent aussi qu'ils sont là pour aider à une médiation, aider à trouver une solution politique. Alors pourquoi est-ce qu'ils peuvent dire ça ?
Parce qu'ils ont pris en charge la question palestinienne au moment où Tous les pays arabes finalement désertaient ce champ symbolique et Erdogan lui-même personnellement est très impliqué sur cette question palestinienne. Et la Turquie est aussi proche du Hamas, elle a accueilli des cadres du Hamas sur son sol. très proche du Qatar, qui est un des médiateurs aujourd'hui arabes.
On a deux médiateurs qui sont l'Égypte et le Qatar. Le Qatar a vraiment pris une dimension différente dans ce nouvel épisode du conflit israélo-palestinien. C'est notamment lui qui travaille sur la...
qui a aidé à la libération d'otages. Et donc, la Turquie, en réalité, pour le moment, à ce stade, je dis toujours qu'à ce stade, la Turquie est un spoiler. Ce n'est pas quelqu'un qui peut aider à trouver une solution.
Mais le jour où on sera à la table de négociation, effectivement, il y a un savoir-faire diplomatique, spécifique des Turcs en matière de médiation. Il ne faut pas oublier que dans le passé, ils se sont impliqués sur une médiation pour aboutir à une paix entre Israël et la Syrie, à un moment où personne n'y croyait. évidemment les printemps arabes alors d'abord la brouille il ya une brouille réel entre la turquie et israël les printemps arabes 2010 absolument alors si on revient un petit moment là dessus Les Turcs sont très engagés sur la question de Gaza et sur le fait de faire cesser le blocus israélien à Gaza.
Et donc en 2010, on a eu une opération menée par des ONG dans lesquelles une flottille est arrivée au large de Gaza et un bateau turc de cette flottille a été pris d'assaut par des forces spéciales israéliennes. Il y a eu neuf morts. Et ça a été le début d'une brouille vraiment complète. Pour la surmonter, il a fallu l'implication des États-Unis. de l'administration Obama, vraiment assez sainte pour arriver à surmonter cette brouille.
Si on fait le point, la relation entre Israël et la Turquie, elle est très ambivalente. La Turquie, c'est le premier pays musulman qui a reconnu Israël. C'est un pays qui a été du côté d'Israël pendant la guerre froide, parce qu'elle était dans le camp occidental, qu'elle était d'ailleurs considérée pour cela même par les pays arabes comme une sorte de dissident à la cause palestinienne. Ça faisait partie de ce statut de...
d'extraterritorialité, je dirais presque au Moyen-Orient de la Turquie. Et puis depuis que les islamistes sont au pouvoir, on a une sorte de moyen-orientalisation de la position turque. Mais toute cette relation de long terme, y compris économique d'ici avec Israël, fait qu'en réalité, on a un avenir diplomatique malgré tout, qui est beaucoup plus sain, je dirais, qu'avec l'ensemble des voisins d'Israël, des voisins arabes d'Israël.
La Turquie pourrait être un médiateur à terme, en tout cas. participé aux côtés du Qatar, de l'Égypte et d'autres ? Oui, alors les Turcs ont déjà dit qu'ils pouvaient se porter garant de statut de Gaza à l'avenir, donc on a un peu des fantasmes sur l'implication des Turcs à Gaza.
Mais effectivement, dans le passé, ils ont notamment travaillé sur l'économie palestinienne à Gaza et en Cisjordanie. Ils sont très proches du Qatar, donc ils connaissent très bien cet écosystème palestinien. Ils ont la confiance des Palestiniens des deux côtés.
pas simplement du Hamas, mais aussi de l'autorité palestinienne. Mahmoud Abbas s'est rendu en Turquie cet été aussi, à un moment où il avait le sentiment que la pression israélienne sur la Cisjordanie devenait plus forte. Tout à l'heure, vous avez parlé du fait que ce conflit a beaucoup divisé les opinions publiques dans de nombreux pays. Est-ce que vous pouvez nous dire quelles sont les conséquences internationales les plus significatives de la guerre à Gaza et aussi est-ce qu'il y a eu des impacts économiques ?
Donc contrairement à... à ce que nous, analystes, pensions, y compris ceux qui travaillent sur le Moyen-Orient, parce que depuis les printemps arabes, nous avions beaucoup de conflits à suivre, nouveaux, et que donc les conflits anciens sont un peu passés sous la pile. Je pense aussi à... L'antagonisme entre le Maroc et l'Algérie, sur le Sahara occidental, qui est en train de revenir aujourd'hui sur le devant de la scène. Donc on a un peu oublié ce conflit israélo-palestinien, parce que finalement, les accords d'Oslo, leur application, tout ça n'avait mené à aucune solution viable d'État palestinien consolidé.
Les Israéliens ont tout fait pour nous faire oublier que la solution des deux États était le but ultime, et tout le monde était plus ou moins dans l'idée que... on arriverait à un seul État qui serait peut-être un État binational avec des droits préservés pour les palestiniens. Mais aujourd'hui, ce qui se dessine pour aussi toute une partie de l'opinion publique israélienne, c'est un État... juif. Et c'est l'idée que finalement, il va falloir expulser les Arabes.
Peut-être un problème au sujet des Arabes israéliens en Israël même, mais un vrai sujet sur la façon dont on pourra assurer la sécurité d'Israël si on a toujours des Palestiniens aussi bien à Gaza qu'en Cisjordanie. Sujet extrêmement compliqué en interne, évidemment, dans les débats internes israéliens. Donc je ne veux pas du tout caricaturer ce qui se passe. Parce que c'est essentiellement quand même les positions de l'extrême droite. L'extrême droite est au pouvoir, c'est le problème.
Et aujourd'hui, on a des opérations de colons en Cisjordanie qui d'ailleurs génèrent de nouveaux conflits en interne, en Israël même, avec évidemment une contestation. Mais comment est-ce que des Israéliens qui sont assis en Israël pourraient venir vraiment en protection des Palestiniens de Cisjordanie ? C'est très compliqué. Ce qui me semble important du point de vue international, c'est que ce conflit, évidemment, Évidemment, on l'a dit, il se réveille sur la toile de fond d'autres conflits au Moyen-Orient, mais aussi d'autres clivages internationaux extrêmement forts.
On a la guerre entre la Russie et l'Ukraine qui occupe beaucoup les Européens, évidemment. Or, Vladimir Poutine, dès le début des opérations israéliennes à Gaza, s'est posé en défenseur de la cause palestinienne. Donc c'est très intéressant de voir que l'intérêt symbolique de ce conflit a été très bien perçu dans une logique de réalignement international, géopolitique, cette fameuse histoire de l'Occident contre le reste du monde, de la construction d'un bloc qui serait un bloc anti-occidental. Les Chinois aussi s'impliquent dans le conflit. Alors très intéressant, les Chinois font de la médiation interpalestinienne.
Personne n'a jamais tellement pris la diplomatie chinoise au sérieux sur le Moyen-Orient parce qu'eux-mêmes, ça ne les intéressait pas tellement à partir du moment où les enjeux étaient... essentiellement économiques pour eux, essentiellement pétroliers, concernent essentiellement le Golfe, et ils n'ont pas envie d'entrer dans des dossiers qui sont absolument indémêlables, insolubles. Sauf qu'aujourd'hui, on voit très bien qu'il y a une compétition de statut entre les États-Unis et la Chine aussi sur ce sujet. C'est-à-dire que si les Palestiniens sont la partie qui est moins prise en charge par les États-Unis, si les États-Unis sont tout entiers consacrés à la défense d'Israël, Israël et ne s'occupe des Palestiniens que parce qu'il faut arriver à sécuriser Israël, ça signifie que ce champ palestinien, ce champ politique et symbolique, il est libre pour le reste du monde.
Et donc aujourd'hui, aussi bien la Russie que la Chine, je pense, l'ont compris. Et en ce sens, elles ont pris la relève, d'une certaine façon, des puissances intermédiaires du Golfe, notamment les Émirats, qu'on entend très peu, c'est une première signataire des accords d'Abraham, l'Arabie Saoudite, dont les Israéliens espèrent toujours qu'elle va s'y défendre. des accords d'Abraham, mais qui est surtout très préoccupée d'éviter une escalade régionale et de mettre en danger ses relations avec l'Iran qui commencent à s'améliorer. Mais on a d'autres puissances extérieures comme le Brésil, l'Afrique du Sud qui s'impliquent sur ce conflit et qui montrent qu'elles souhaitent finalement aussi une réforme de la gouvernance mondiale, que les États-Unis ne dirigent pas le monde. Vous avez parlé des difficultés d'information liées à ce conflit.
L'information a évidemment un impact sur le cadrage du conflit, sur la manière dont on le perçoit. Guerre contre le Hamas d'un côté, conflit israélo-palestinien, conflit israélo-arabe, conflit entre Israël et l'Iran et ses proxys, guerre contre le terrorisme, etc. Dans Ramsès 2025, il y a une entrée qui est plus spécifiquement consacrée à l'information, et cette entrée est focalisée sur Al Jazeera.
Al Jazeera qui a joué un rôle important depuis sa création, notamment dans le monde arabe, en 1996, et qui dans ce conflit en particulier joue également un rôle très important. Est-ce que vous pouvez nous en parler s'il vous plaît ? Alors ça fait longtemps qu'on voulait écrire sur Al Jazeera, et là il y a une vraie fenêtre d'opportunité, parce que le Qatar aussi est un acteur important de cet épisode du conflit israélo-palestinien. Le Qatar qui est un pays dont la réputation est un peu ambivalente, un peu compliquée.
On l'accuse très souvent de défendre des mouvements islamistes radicaux, d'être proche des frères musulmans. C'est un pays qui a subi... un blocus de la part de l'arabie saoudite et des émirats précisément parce que il était considéré comme un pays qui est en soutien à la mouvance des frères musulmans qui est une menace interne aussi bien pour l'arabie saoudite que pour les Émirats. Donc on a un pays qui s'est retrouvé finalement, peut-être pas marginalisé, mais enfin, il y a eu une tentative en tout cas de désactiver la diplomatie catharienne. Or, un instrument très important de cette diplomatie, depuis longtemps, c'est Algeciras, cette fameuse chaîne d'information, qui est l'expression d'un soft power d'un petit État, le Qatar.
c'est un très petit État, mais qui a réussi à se donner une forme de puissance globale en construisant un média très professionnel, qui au départ faisait essentiellement appel à des journalistes extérieurs importés, mais qui a... qui a contribué à former toute une génération de nouveaux journalistes arabes, et qui est devenu pendant quelques années, on va dire notamment avant les printemps arabes, le principal média d'information sur le Moyen-Orient pour les opinions publiques arabes. On a ensuite eu un réveil des antagonistes du Qatar, donc l'Arabie Saoudite, les Émirats sont très préoccupés aujourd'hui de nourrir aussi l'information par un... un contre-agenda puisqu'il considère que le Qatar au travers d'Al Jazeera fait passer son idéologie alors ça, ça a été très clair au moment des printemps arabes on avait ces deux blocs dans le Golfe les uns défendant les partis politiques proches des frères musulmans qui venaient au pouvoir, les autres défendant la restauration, finalement prônant une forme de restauration, de retour à un statu quo autoritaire antérieur... Donc Al Jazeera, c'est un instrument de la politique étrangère du Qatar.
Et le Qatar est en première ligne sur ce conflit, puisqu'on l'a dit, il participe aux médiations, une partie des négociations pour cesser le feu a lieu à Doha même, et plus seulement au Caire, ce qui pour le coup montre que l'Egypte aussi est un pays qui est fragilisé évidemment par cette crise, mais avec déjà une diplomatie qui était un peu en perte de vitesse. Al Jazeera, c'est donc un instrument de la politique étrangère du Qatar, c'est aussi un pouvoyeur d'informations. Et il joue souvent ce rôle dans des contextes très contraints. Ce qui explique d'ailleurs que l'information fournie par Al Jazeera soit contestée aussi.
Parce que finalement, on n'a pas tellement de points de comparaison avec ce que livre Al Jazeera comme information. Et sur ce conflit en particulier... Israël ne souhaite pas qu'Al Jazeera fasse sortir de l'information de Gaza. Donc on a eu des opérations de ciblage de journalistes qui ont été, dont il a été dit qu'elles étaient comprises en réalité dans des opérations antiterroristes.
Il est extrêmement compliqué de savoir jusqu'à quel point les journalistes étaient eux-mêmes liés au Hamas ou s'ils étaient simplement dans leur rôle de fournir de l'information. Et Al Jazeera, de ce fait, est aussi devenu un peu un symbole du sort des journalistes dans cette guerre. Il y a de plus en plus d'ONG de protection des médias qui s'élèvent contre la façon dont l'armée israélienne traite la presse, puisqu'il y a eu beaucoup de dommages et de morts de journalistes.
internationaliste à Gaza et maintenant au Liban. Alors quel est le cadrage justement offert par Al Jazeera à ses téléspectateurs ? Comment est-ce que cette guerre est présentée par Al Jazeera ?
Alors je dirais que c'est un cadrage qui est très intime. C'est un cadrage qui est vu de l'intérieur, qui est un cadrage compassionnel, qui est destiné à rendre le public, mettre le public en empathie avec les familles de Gaza, avec le sort. tragique, humanitaire de Gaza.
Donc, évidemment, ce contenu compassionnel, il nourrit très fortement l'émotion sur tous les réseaux sociaux internationaux. Ce qui ne signifie pas que les images qui sortent soient fausses. Il est évident que cette guerre, c'est une tragédie humaine.
C'est absolument évident. Et à Gaza en particulier, où les derniers chiffres sont que la population aujourd'hui, elle est coincée sur à peu près 10% de la surface de la bande de Gaza. On disait déjà que c'était l'endroit le plus densément peuplé au monde.
Donc on a vraiment aujourd'hui à la fois près de 40 000 morts, ce qui est quand même beaucoup, beaucoup de destruction. très grande difficulté à faire parvenir l'aide humanitaire, et le point de force d'Al Jazeera, c'est de montrer ça. Alors, peut-être quand même pour prolonger un peu cette question, est-ce qu'on peut dire qu'Al Jazeera contribue ainsi à refaire de la cause palestinienne une grande cause du monde arabe ? Et dans quelle mesure ça gêne les pays qui ont signé les accords d'Abraham ou ceux qui s'apprêtaient à normaliser leurs relations avec Israël ?
Je ne sais pas s'il faut voir Al Jazeera dans ce contexte uniquement comme un média arabe. Je pense que c'est un média auquel tous les organes de presse internationaux doivent se référer aujourd'hui, parce que précisément, c'est un des rares médias qui arrive encore. à fournir du contenu, notamment visuel. Je n'ai pas tellement insisté là-dessus aussi, mais ce qui nous manque le plus, c'est les images de Gaza.
On a des récits, on sait à peu près ce qui se passe. Algecira, elle est dans le pays... paysage du monde arabe depuis un certain temps.
Il est arrivé que des régimes l'interdisent. C'est très difficile de contrôler en réalité la diffusion de ces contenus. Je crois qu'il fallait pas grand-chose pour remobiliser les opinions arabes en faveur des Palestiniens. Le sujet, c'est la façon dont ces opinions sont prises en charge, prises en compte par les gouvernements.
Et Et évidemment, tous les gouvernements arabes de la région ont peur pour leur stabilité. Les deux pays qui sont fragilisés au premier chef sont évidemment ceux qui ont signé déjà la paix avec Israël. La Jordanie, 70% de la population est palestinienne. Le roi a peur, évidemment, pour son avenir. L'Égypte, qui est souvent considérée comme le lieu d'exil naturel, le deuxième lieu d'exil naturel après la Jordanie pour les Palestiniens.
Et depuis l'opération... israélienne à Rafah, sur la frontière, évidemment, on a un gros sujet sur est-ce que les Égyptiens vont accueillir ou pas des réfugiés palestiniens. Donc, ces deux pays-là, ils sont vraiment sur des charbons ardents, mais le gouvernement a compris cette difficulté et donc a signifié Un dissensus avec Israël.
Les positions diplomatiques se sont quand même un peu durcies. On n'est plus dans la gestion de la rente tranquille, de la paix. Parce qu'évidemment, les régimes ont très bien compris que toute la région était en danger maintenant.
Pour les pays du Golfe, c'est un peu plus compliqué, puisque ce sont des pays qui n'ont jamais été impliqués directement dans des conflits avec Israël, en réalité, les pays arabes du Golfe. Donc, quand les Émirats signent les accords d'Abraham, c'est très important pour donner de la profondeur, surtout économique. à l'installation d'Israël dans cette région.
Du point de vue sécuritaire, il n'est pas du tout évident qu'on ait un vrai... un vrai parallèle sécuritaire, je dirais, de coopération. Les Émirats sont très contents de bénéficier de la technologie israélienne pour leur propre sécurité.
Est-ce que ça signifie pour autant qu'ils viendraient en défense d'Israël ? Ce n'est pas si évident. Et en ce qui concerne l'Arabie saoudite, les accords d'Abraham n'ont pas été signés par les Saoudiens jusqu'à présent, précisément à cause de la sensibilité de la question palestinienne.
Et donc aujourd'hui, on a ce paradoxe que Mohammed Ben Salman a commencé à punir les expressions antisémites sur les réseaux sociaux en Arabie saoudite, mais mais qu'il a bien clairement fait comprendre que les accords d'Abraham, pour le moment, n'étaient pas sur la table. Dorothée, pour terminer, est-ce que vous pouvez nous dire quelles pourraient être les conséquences sur le Moyen-Orient de l'élection américaine en novembre ? Et au-delà de l'élection, à quelles conditions pensez-vous que cette région puisse retrouver une forme de stabilité ?
Évidemment, cette... guerre à Gaza, elle met sous tension très forte la relation entre les États-Unis et Israël. Joe Biden vient en défense d'Israël.
Il est de la génération des Américains qui défendent Israël sans discussion. Mais il a une opinion aux États-Unis qui est plus compliquée qu'avant sur cette question. Et on a eu notamment cette question des grandes mobilisations sur les campus des grandes universités américaines.
On a de très grands débats aux États-Unis sur le soutien inconditionnel à Israël. au point que Joe Biden lui-même a senti que ceci pourrait fragiliser sa candidature pour les élections. Et il n'a pas une très bonne relation avec Benjamin Netanyahou non plus.
Il a même suggéré qu'il pourrait conditionner l'aide des États-Unis à Israël, ce qui est vraiment quelque chose de tout à fait inédit. Maintenant que Joe Biden n'est plus en lice et qu'il a laissé la place à Kamala Harris, tout le monde s'interroge évidemment sur le positionnement que Kamala Harris va pouvoir prendre pour notamment récupérer l'électorat des jeunes démocrates dont on sait que les plus jeunes sont... sont les plus en désaccord avec le soutien inconditionnel à Israël. Donc ça suppose de prendre des positions un peu plus pro-palestinienne.
Le problème qu'a Kamala Harris, c'est qu'en face, Donald Trump accuse cette administration démocrate d'avoir complètement abandonné Israël, tout en prétendant, un peu comme il le fait sur le conflit ukrainien, qu'il pourra régler la situation en cinq minutes, dès qu'il sera au pouvoir. Personne n'a... n'a aucune idée de la façon dont il la réglerait.
Mais Donald Trump, c'est celui qui est l'architecte des accords d'Abraham. Enfin, c'est celui qui a permis à son gendre d'organiser les accords d'Abraham. Donc, il a... C'est aussi celui qui a transféré l'ambassade américaine à Jérusalem.
Donc, il a... Ce qui sont des avancées qui ont été endossées par l'administration Biden. Donc, finalement, lui, son bilan n'est pas considéré comme complètement négatif sur ce conflit israélo-palestinien.
et surtout pas par les Israéliens, qui évidemment misent sur l'élection de Trump, qui souhaiteraient évidemment que Trump soit élu davantage que Kamala Harris. Il y avait une deuxième partie effectivement dans la question de Cathy, sur les conditions éventuelles d'une stabilité dans la région, sachant que dans Ramsès, il y a quand même quelques petites touches d'espoir, notamment sur le rapprochement irano-saoudien, qui visiblement n'est pas complètement enterré, malgré les apparences, parce qu'on a l'impression que... quand même que la situation est très tendue. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur ces conditions éventuelles de stabilité ?
Puisque vous me posez la question de cette façon, Marc, il y a deux stabilités différentes. Il y a la stabilité sur le conflit lui-même et l'avenir des Palestiniens et d'Israël. Et puis il y a la question de la stabilité régionale. Donc sur Israël-Palestine, il y a trois solutions qui sont un État purement juif, un État binational ou deux États. Aujourd'hui, la solution des deux États, elle revient sur le devant de la scène rhétoriquement.
Évidemment, du point de vue matériel, c'est extrêmement compliqué à organiser. On l'a dit, il faudra des changements politiques en profondeur. Un médiateur qui soit ferme et qui arrive à imposer une solution.
Il faudra que la communauté internationale, dans son ensemble, elle soit là pour viabiliser à la fois du point de vue sécuritaire et économique un État palestinien éventuel, si celui-ci était créé. On perçoit quand même... Je pense à un début de consensus dans la communauté internationale sur l'idée qu'il faudrait effectivement s'impliquer pour viabiliser un État palestinien s'il existait. Bon, c'est très hypothétique.
Maintenant, sur la question de la stabilité régionale, ce qui met en danger... Le danger à la stabilité régionale aujourd'hui, c'est cet antagonisme entre Israël et l'Iran. Sur le Golfe, on a des Saoudiens, mais aussi des Émiriens, qui ne souhaitent pas du tout entrer en conflit avec l'Iran, qui souhaitent au contraire arriver à une forme au minimum de paix froide et à des arrangements de sécurité qui ne les menacent pas eux-mêmes.
Le problème aujourd'hui, c'est l'antagonisme irano-israélien, ce qui nous amène à parler des proxys de l'Iran, dont on n'a pas encore parlé. On a dans cette région du Moyen-Orient, proche du Moyen-Orient, aujourd'hui une espèce de contagion de l'État failli. L'Irak est un État dont la gouvernance est extrêmement aléatoire.
On a un regain d'activité des militiaites, qui est très fort, qui ont même attaqué des intérêts américains. Le Liban est un pays qui n'a aujourd'hui pas de gouvernance politique. efficace, ni même capable au jour le jour de défendre le pays d'aucune façon, qui n'a plus d'économie, qui est juste dans l'attente éventuelle d'un affrontement entre le Hezbollah et l'armée israélienne. La Syrie, évidemment, n'est pas du tout un État qui est revenu à une forme de stabilité, puisque le nord-est syrien continue d'être l'objet à la fois de l'intérêt de la Turquie qui combat les Kurdes. de daech aussi bien en irak qu'en syrie et on a un gouvernement de bachar al assad qui est un gouvernement mafieux qui n'a pas du tout réussi à en aucune façon maintenir une emprise sur l'ensemble du territoire donc s'intéresser à La stabilisation des relations entre l'Arabie et le Golfe, c'est le minimum syndical, effectivement, pour penser en termes de stabilité ensuite.
Les pays du Golfe arabe ont pris partie pour Bachar Al-Assad en Syrie. C'est un indice du fait qu'ils cherchent des moyens de stabiliser la région, y compris dans les dossiers les plus compliqués. Sur le Liban, en revanche, on a le sentiment qu'on est complètement en roue libre.
Aujourd'hui, le Hezbollah a mené très récemment encore une attaque. en Israël, qui a été contrée par les Israéliens, mais ça a été la première mesure de représailles des Iraniens à l'assassinat ciblé d'Ismail Haniyeh, le chef de la branche politique du Hamas, qui est un très coup dur, très fort, non seulement pour le Hamas, mais aussi pour l'Iran. Et on a aussi ces proxys un peu plus étonnants que sont les Houthis en mer Rouge, donc ces rebelles chiites qui se battent au Yémen et qui ont commencé des actions qui relèvent plutôt de la piraterie, mais qui ont...
quand même, en s'attaquant à tous les intérêts considérés comme étant de près ou de loin liés à Israël, complètement déranger le commerce en mer Rouge, qui est un lieu par où passe environ 30% du commerce mondial. Ne parlons pas du canal de Suez, par lequel plus aucun bateau ne passe, puisque tout le monde maintenant fait le tour par le Cap de Bonne Espérance, ce qui est une catastrophe aussi pour les finances de l'Égypte. Donc l'Iran a quand même une capacité encore dans... tous les États faillis, dans tous ces endroits où on est dans les limbes politiquement, à maintenir de l'instabilité. Il y a vraiment deux choses.
Il y a la façon dont ils vont gérer leurs relations avec l'Arabie saoudite, grande puissance de l'avenir, et la façon dont ils vont gérer les relations avec Israël à travers notamment ces proxys. Si je comprends bien, quand même, l'Iran est une des clés de l'instabilité et de la future peut-être stabilité de la région. Bien sûr, évidemment. Bien sûr, Israël, l'Iran sont les deux principaux acteurs. Les États-Unis viennent en deuxième rideau en aide à Israël, en médiateur.
Mais aujourd'hui, tout se focalise quand même sur cet affrontement potentiel irano-israélien. Et on pourrait parler des heures, Dorothée, de ce sujet qu'on a effleuré. En une demi-heure, on ne pouvait pas tellement approfondir chacun de ces sujets qui auraient mérité chacun une émission à part entière.
Donc je vous remercie beaucoup, Dorothée, d'avoir accepté de participer à ce podcast. Nous vous recommandons vivement, chers auditeurs, de vous procurer le Ramsès 2025 qui est disponible dans toutes les bonnes librairies et qui vous permettra justement d'approfondir chacun de ces sujets. Par ailleurs, une conférence de présentation du Ramsès sera organisée à l'IFRI le 18 septembre. Si vous souhaitez y prendre part en présentiel ou en ligne, vous pouvez vous y inscrire sur le site internet www.ifri.org. N'hésitez pas à vous abonner au Monde selon l'IFRI sur votre plateforme préférée et à suivre l'Institut français des relations internationales sur les réseaux sociaux.
A bientôt pour un prochain épisode !