Balzac inscrit le père Goriot dans une grande fresque réaliste, la Comédie Humaine, où se mêle une foule de personnages. Comme il l'écrit dans l'Avant-Propos de la Comédie Humaine, il va jusqu'à concurrencer l'état civil. L'Avant-Propos de la Comédie Humaine nous aide à comprendre tout l'intérêt et toute la profondeur du projet de Balzac.
Le hasard est le plus grand romancier du monde, il n'y a qu'à l'étudier. La société française est d'historiens, je ne suis que le secrétaire. Gardons en tête ce projet incroyable en parcourant les premières pages du père Goriot.
Nous sommes en 1819, à Paris, dans la rue 9 Sainte Geneviève, une rue qui existe encore aujourd'hui, elle se trouve derrière la rue Mouffetard. Nous sommes d'abord plongés dans la pension Wauquiez, un lieu misérable où vivent des personnes misérables. Ce sera le point de chute et le centre de gravité de toutes les scènes du roman.
Balzac fait une description minutieuse de la pension Wauquiez. Il s'agit d'immerger le lecteur dans une atmosphère. Mais cela va plus loin, car les objets et le mobilier nous font déjà pressentir la misère matérielle et morale des habitants. Pour en savoir plus, je vous invite à découvrir mon commentaire vidéo. Bien avant Zola, Flaubert et Maupassant, Balzac fait des descriptions réalistes, qui n'essayent pas de rendre le décor esthétique ou pittoresque.
La pension Wauquiez est un lieu d'une pauvreté répugnante, voilà tout. C'est cela qui révolutionne le roman de l'époque. Comme le font observer les frères Goncourt dans leur journal, Le roman, depuis Balzac, n'a plus rien de commun avec ce que nos pères entendaient par ce roman. Malgré ce réalisme transparaissent des éléments quasiment fantastiques, un mystère et une profondeur presque surnaturelles des objets et des personnages. Par exemple, les meubles sont comme des êtres vivants figés dans le temps.
Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l'intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. Le Père Goriot, c'est en fait surtout l'histoire d'Eugène de Rastignac. Issu d'une famille noble désargentée d'Angoulême, il est monté à Paris pour faire son droit.
A travers le roman, nous allons suivre le parcours initiatique du jeune homme, amené à perdre ses illusions et son idéalisme. Mais alors, pourquoi intituler ce roman le Père Goriot et non Eugène de Rastignac ? Eh bien, parce que l'histoire du Père Goriot est justement ce qui va expliquer la destinée du jeune homme, vous allez voir. Le Père Goriot est le voisin de palier d'Eugène dans la pension Wauquiez.
C'est un ancien vermicellier ayant fait fortune dans le commerce des pattes d'Italie. Le père Goriot a des activités étranges. Il apparaît comme un alchimiste aux yeux de Rastignac, qui le voit fondre son service de vermeil.
Cela participe à l'atmosphère surnaturelle du réalisme balsacien. En fait, le père Goriot va vendre ce métal précieux pour donner l'argent à ses filles. Le père Goriot devient progressivement très misérable, au point qu'il est obligé de louer la mansarde, la chambre la moins coûteuse de la pension.
Les autres pensionnaires soupçonnent le père Goriot de dépenser tout son argent pour entretenir de jeunes femmes très bien habillées qui viennent le voir de temps en temps, mais lui s'obstine à les appeler mes filles Parmi les pensionnaires, on trouve une jeune fille, Victorine Taillefer, abandonnée par son père et son frère qui sont pourtant riches. Elle n'est pas insensible au charme d'Eugène de Rastignac. C'est une vieille veuve, Madame Couture, qui s'occupe de Victorine et lui tient lieu de mère.
Elle est trépieuse et élève la jeune fille dans le respect de la religion. Vautrin est un homme dans la force de l'âge, jovial, mais son passé est mystérieux. On apprendra plus tard que c'est un forçat évadé du bagne de Toulon. Il était obligeant et rieur.
Si quelque serrure allait mal, il l'avait bientôt démonté, rafistolé, huilé, limé, remonté en disant Ça me connaît Il connaissait tout d'ailleurs, les vaisseaux, la mer, la France, l'étranger, les affaires, les hommes, les événements, les lois, les hôtels et les prisons. Le portrait de Vautrin contient un double langage qui révèle toute la duplicité du personnage. Pour en savoir plus, je vous invite à voir mon commentaire vidéo sur ce passage. Mlle Michonneau est une vieille fille dont on ne connaît pas bien le passé, Elle a vraisemblablement été victime de quelques passions.
M. Poiret est un personnage insipide, sans doute un ancien employé de bureau. Il essaye de passer le plus clair de son temps avec Mlle Michonneau. Au milieu de ce petit monde règne Mme Wauquiez, la propriétaire des lieux. Toute sa personne explique la pension comme la pension explique sa personne.
Elle s'occupe de ses pensionnaires à la mesure de ce qu'ils payent. En clair, son avarice explique la plupart de ses actes. Toute cette galerie de personnages retarde le début du roman.
Cependant, il faut voir les romans de Balzac un peu comme un traité de zoologie. La société ne fait-elle pas de l'homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d'hommes différents qu'il y a de variétés en zoologie ? Chez Balzac, les personnages s'obéissent à un certain déterminisme social, c'est-à-dire qu'ils sont ancrés dans un milieu qui explique leur comportement.
Dans la pension Wauquiez, nous avons découvert les classes sociales les plus basses. En suivant les aventures d'Eugène de Rastignac, le lecteur va maintenant découvrir la Haute Société. Lors de son premier bal, Rastignac est ébloui par la comtesse d'Euresto, qu'il décide de séduire. Eugène est très bien accueilli par le comte d'Euresto et sa femme, quand il annonce qu'il est parent de Madame de Beauséant. Mais dès qu'il évoque le père Goriot, les visages se ferment et il se retrouve, poliment mais rapidement, congédié.
Le monde de l'aristocratie est un peu un monde merveilleux et mystérieux pour Eugène. Un mot peut ouvrir des portes, un autre peut les fermer. En rendant visite à Madame de Restaud, Eugène croise un jeune homme très élégant, c'est Maxime de Traille.
Eugène comprend tout de suite que c'est le... amant d'Anastasie de Restaud. En se comparant à lui, Eugène se sent maladroit et peu élégant. Ses premières démarches dans le monde sont un échec.
Il se rend alors chez sa cousine, Madame de Bosséan. Madame de Bosséan est une lointaine cousine de Rastignac. C'est grâce à elle qu'il fera son entrée dans la société parisienne.
Cher cousin, traitez ce monde comme il mérite de l'être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous vous êtes fermé la porte des restos, entrez donc chez les Nussingen.
Delphine de Nussingen est très jalouse de sa sœur. Elle serait prête à tout pour être invitée dans mon salon. Je vous permets de la séduire en utilisant mon nom. Madame de Beauséant se comporte comme la bonne marraine des contes de fées.
Elle confie son nom à son cousin comme un passe-partout, donnant accès à un monde merveilleux. La duchesse de Langeais est une bonne amie de Madame de Beauséant. Elle se fait un plaisir de leur raconter l'histoire du vieil homme avec un certain cynisme.
Ce bonhomme n'a qu'une passion, il adore ses filles, Anastasie et Delphine. Il a juché l'aîné dans la maison de resto et greffé l'autre sur le baron de Nussingen, un riche banquier. Maintenant qu'il est pauvre, ses gendres le tiennent à l'écart, et ses filles l'abandonnent comme un zeste de citron bien pressé.
En rentrant chez lui, Eugène décide de séduire Delphine de Nussingen et de faire son chemin dans le monde. Mais pour cela, il faut payer les balles, les dîners, les voitures. Le soir même, il écrit à sa mère et à ses sœurs. Ma bonne mère, pour réussir dans la société parisienne, il me faut de l'argent.
Vends quelques-uns de tes bijoux, je les remplacerai bientôt. Rastignac a reçu deux sacs d'argent que lui ont envoyé sa mère et ses sœurs. Vautrin complimente le jeune homme sur son ambition, puis il le prend à part et lui confie un moyen de faire fortune rapidement.
Le père de Victorine est un vieux coquin, un banquier, principal associé de la maison Frédéric Taillefer et compagnie. Il a un fils unique auquel il veut laisser son bien, au détriment de Victorine. Moi je n'aime pas ces injustices-là. J'ai un bon ami, un ancien militaire, qui pourrait se charger de mettre à l'ombre ce frère indigne. Victorine deviendrait l'unique héritière de la fortune de son père.
Faites aujourd'hui la cour à une jeune personne pauvre et désespérée, vous construisez un mariage solide qui vous rapportera des millions le moment venu. Rastignac refuse le marché, mais Vautrin lui donne quinze jours pour réfléchir. Rastignac se rend au théâtre des Italiens avec la vicomtesse de Beauséant.
C'est là qu'il rencontre Delphine de Nussingen. Je n'ose pas vous proposer de rester près de moi, monsieur. Vous avez le bonheur d'accompagner madame de Beauséant ?
Mais au contraire, madame, si je veux plaire à ma cousine, je demeurerai près de vous. Par la suite, ils se retrouvent régulièrement dans la loge de Delphine aux Italiens et deviennent amants. Delphine lui confie que son mari s'est accaparé toute sa fortune et ne lui laisse que le strict nécessaire.
Rastignac gagne 7000 francs à la roulette pour elle. Dans la comédie humaine, il y a une forte dimension théâtrale. Balzac met le lecteur à la place d'un spectateur, tandis que les personnages sont en représentation.
Nous observons une société qui se livre aux comédies de l'hypocrisie et au bal des intérêts personnels. Rien ne permet de savoir dans quelle mesure il y a de la sincérité dans la relation amoureuse entre les deux jeunes gens, car chacun y trouve un intérêt personnel. Les jours passent, Rastignac sort beaucoup, il connaît d'abord des succès grâce à sa relation avec Delphine, mais il prend l'habitude de jouer de l'argent et il en perd. Parfois Delphine se montre froide envers lui, alors il échange des mots doux avec Victorine Taillefer. Rastignac et le père Goriot se lient d'amitié, le jeune homme prend l'habitude de lui raconter le soir ses journées avec Delphine.
Quand le père Goriot apprend le comportement de son gendre, il envisage de l'attaquer en justice. On comprend que le père Goriot ne défend jamais son propre intérêt, il place toujours celui de ses filles en premier. À propos des personnages balsaciens, Baudelaire écrit dans son Essai sur l'art romantique en 1869 Tous ces personnages sont doués de l'ardeur vitale dont il était animé lui-même.
Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'au bas-fond de la plèbe, tous les acteurs de sa comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Au jardin des plantes, M. Poiret et Mlle Michonneau discutent avec un certain M. Gondureau, un homme de la police.
Nous pensons que Vautrin, logé dans la maison Vauquet, n'est autre que Jacques Collin, forçat évadé du bagne de Toulon où il est connu sous le nom de Trompe-la-Mort. Il demande à Mlle Michonneau de donner à Vautrin un somnifère pour procéder à son arrestation. Le lendemain matin, un domestique de Taillefer arrive précipitamment à la maison Wauquiez, alors que les pensionnaires prennent le café. Mademoiselle Victorine, votre frère s'est battu en duel, il est dans un état proche de la mort. Vautrin comprend alors que son plan a fonctionné.
Mais c'est trop tard pour lui, la potion que Mademoiselle Michonneau a versée dans son café fait soudainement effet et il tombe raide comme s'il était mort. La police arrive peu de temps après. Vautrin reprend ses esprits et lance avec panache. Messieurs les gendarmes, mettez-moi les menottes.
Je prends à témoin les personnes présentes que je ne résiste pas. Je reconnais être trompe-la-mort. Delphine entre précipitamment chez son père.
Assignac écoute à travers la cloison. Menacé d'un procès par le père Goriot, le comte de Nussingen a planqué sa fortune et menace de laisser sa femme seule et ruinée. À ce moment arrive Anastasie de Restaud. Elle aussi est désespérée.
Son mari a découvert qu'elle avait vendu des bijoux de famille pour couvrir les dettes de jeu de son amant, Maxime de Traille. Les deux sœurs commencent à se disputer au point que le vieux père Goriot fait un malaise. Goriot tombe malade, Racignac fait venir son camarade Bianchini, un étudiant en médecine. Il annonce tout de suite que le vieux père Goriot n'en a plus pour très longtemps. Peu de temps après, en effet, le pauvre homme agonise et commence à délirer.
Il demande ses filles. Eugène se précipite chez Anastasie de Restaud qui vient de subir un chantage de son mari. Monsieur de Rastignac, il en va de la vie de mes enfants. Dites à mon père que je suis irréprochable envers lui, malgré les apparences. Eugène se rend ensuite chez Delphine de Nussingen.
Je suis souffrante, mon pauvre ami. Je crains l'influxion de poitrine, mais je serai au désespoir d'avoir le moindre tort à vos yeux. J'irai dès que mon médecin sera venu. Elle lui donne une bourse qui contient 70 francs et lui promet de venir.
Le père Goriot, comprenant que ses filles ne viendront pas, commence à délirer. Si elles ne viennent pas, mais je serai mort, mort dans un accès de rage. La rage me gagne. Elles ne m'aiment pas, elles ne m'ont jamais aimé, cela est clair. Voilà ma récompense, l'abandon.
Ce passage est très célèbre, car il révèle la dimension tragique du destin du père Goriot. Vous pouvez regarder mon commentaire vidéo pour en savoir plus. Seuls Bianchon et Rastignac assistent aux derniers instants du père Goriot.
Le vieil homme meurt en pleine hallucination. Croyant que ses filles sont venues auprès de lui, il prononce ces mots dans son dernier souffle. Ah, mes anges ! D'une certaine manière, Balzac s'inspire de Molière. Comme lui, il s'attache à créer une galerie de monomaniaques inguérissables.
L'avare reste avare jusqu'au bout, le misanthrope finit par s'isoler complètement. De même, le père Goriot reste dans son erreur jusqu'à son dernier souffle. Chez Balzac, les personnages ont une quantité d'énergie vitale qu'ils épuisent quand ils l'utilisent mal.
C'est le principe philosophique qui est illustré dans la peau de chagrin. On peut dire que le père Goriot a épuisé toute son énergie vitale pour ses filles, oubliant de s'occuper de lui-même. Eugène paye l'enterrement du père Goriot avec le reste des 70 francs de la bourse que lui avait laissé Delphine. Le père Goriot est enterré dans l'indifférence générale, les prêtres sont pressés d'en finir, et les filles du père Goriot se contentent d'envoyer leur domestique, ainsi que des voitures armoriées à leur nom, mais vides. Rastignac, resté seul, ensevelit ses derniers scrupules avec une larme pour le père Goriot.
Il fait quelques pas vers le haut du cimetière et contemple Paris et tout le beau monde qui s'offre à ses pieds. Avec un mélange d'ambition et de volonté de vengeance, il prononce ces mots grandioses. À nous deux maintenant !
Et pour premier acte du défi qu'il portait à la société, Rastignac alla dîner chez Madame de Nussingen. Avec le père Goriot, Balzac met en place un réseau de personnages qu'on retrouvera à travers toute la comédie humaine. Après la mort du père Goriot, Rastignac réussira dans la société, grâce à des opérations frauduleuses et des luttes d'influence. On retrouvera ce personnage dans Les Illusions perdues, Le bal des sceaux, La maison Nussingen, Le cabinet des antiques, etc.
Les Illusions perdues, c'est un titre qui illustre parfaitement l'évolution du personnage de Rastignac. Progressivement, il perd ses illusions. La mort du père Goriot est pour lui un moment de basculement, il enterre avec le vieil homme ses derniers scrupules.
Merci à vous d'avoir suivi jusqu'ici, n'hésitez pas à me laisser des commentaires si vous souhaitez que je traite d'autres œuvres littéraires de cette façon. Et dans tous les cas, si mon travail vous intéresse, vous pouvez vous abonner et me suivre sur Twitter et Facebook. A bientôt !