En 1999, on a sondé 17 000 français pour leur demander quels livres les avaient particulièrement marqués. Et devinez quel est LE roman qui s'est classé tout en haut de cette liste ? L'Étranger, d'Albert Camus.
On va faire le tour de cette œuvre pour comprendre ce qu'elle a de si particulier. Je vous en lirai même un court extrait pour vous proposer quelques pistes de lecture. Juste au cas où, un contrôle arrive bientôt.
L'Étranger, c'est le tout premier des 100 livres qui ont marqué le XXe siècle, mais aussi le tout premier roman qu'Albert Camus publiera. J'insiste, son premier roman et pas son premier livre, puisqu'en 1942, lorsque paraît L'Étranger, Camus a déjà publié plusieurs essais. Il est d'ailleurs difficile de voir cet auteur comme un simple écrivain, dans la mesure où ses œuvres littéraires illustrent et supportent des thèses philosophiques.
Entrons dans le vif du sujet, passons au roman. L'Étranger, c'est un roman raconté à la première personne par Meursault, narrateur et personnage principal. Le livre s'ouvre sur ces deux célèbres phrases Aujourd'hui, maman est morte ou peut-être hier, je ne sais pas Et sans m'attarder sur Linky Pit, retenons qu'il nous montre dès l'entrée à quel point Meursault est détaché de ce qui lui arrive. Sa mère vient de mourir. mais il n'y a pas vraiment d'expression de sentiment.
Ni peine, ni compassion. Notre personnage est froid, hermétique. Il est déjà l'étranger au sens où il reste à l'extérieur. Il se tient éloigné de ses sentiments, du réel, comme détaché de sa propre vie. Dès le lendemain des funérailles, Meursault rencontre Marie et ils vont rapidement construire une histoire d'amour.
Même si amour est un bien grand mot pour Meursault, vous vous en doutez. Notre personnage va se lier d'amitié avec son voisin proxénète, Raymond, et c'est là que les ennuis commencent. Lors d'une bagarre, Meursault tire sur un homme qui en voulait à Raymond. Cinq balles. Avec le revolver de Raymond, qui lui avait pris justement pour éviter que les choses ne tournent mal.
C'est quand même pas de pot. C'est ici que l'on bascule dans la deuxième partie de sa vie, et la deuxième partie du roman, qui raconte l'incarcération et le procès du personnage qui vont le mener jusqu'à la guillotine. En tout cas, c'est ce qu'on peut imaginer parce que le roman se termine avant le moment fatidique. Le procès tourne quelque peu au ridicule parce que ce qu'on reproche le plus à Meursault, c'est de n'avoir pas pleuré sa mère. Globalement, il est condamné à mort pour ce qu'il est, un homme froid et dénué d'empathie, et non pas pour ce qu'il a fait.
On va lire un court extrait du roman pour que vous sachiez à quoi ça ressemble, et on essaiera d'en dégager quelques pistes de lecture. Le passage que je vais vous lire, c'est un dialogue entre Meursault et le juge d'instruction, peu de temps. après le meurtre.
Après un silence, il s'est levé et m'a dit qu'il voulait m'aider, que je l'intéressais et qu'avec l'aide de Dieu, il ferait quelque chose pour moi. Mais auparavant, il voulait me poser encore quelques questions. Sans transition, il m'a demandé si j'aimais maman. J'ai dit oui, comme tout le monde.
Et le greffier qui, jusqu'ici, tapait régulièrement sur sa machine, a dû se tromper de touche car il s'est embarrassé et a été obligé de revenir en arrière. Toujours sans logique apparente, le juge m'a alors demandé si j'avais tiré les 5 coups de revolver à la suite. J'ai réfléchi et précisé que j'avais tiré une seule fois d'abord et après quelques secondes les 4 autres coups. Pourquoi avez-vous attendu entre le premier et le second coup ?
dit-il alors. Une fois de plus, j'ai revu la plage rouge et j'ai senti sur mon front la brûlure du soleil. Mais cette fois, je n'ai rien répondu.
Pendant tout le silence qui a suivi, le juge a eu l'air de s'agiter. Il s'est assis, a fourragé dans ses cheveux, a mis ses coudes sur son bureau et s'est penché un peu vers moi avec un air étrange. Pourquoi ? Pourquoi avez-vous tiré sur un corps à terre ? Là encore, je n'ai pas su répondre.
Le juge a passé ses mains sur son front et a répété sa question d'une voix un peu altérée. Pourquoi ? Il faut que vous me le disiez. Pourquoi ?
Je me taisais toujours. La première chose à constater, c'est que la narration à la première personne nous permet d'accéder au regard du personnage, à ses sens. On sait ce qu'il entend, notamment le greffier, on sait ce qu'il voit, les réactions du juge, mais jamais ce qu'il ressent. Soit parce qu'il cache ses sentiments, soit parce qu'il ne ressent rien.
Et c'est ce que semble nous indiquer son silence. Il ne répond rien. Et ça, ça ne va pas jouer en sa faveur. Quand on vous demande si vous aimez votre mère ou pourquoi vous continuez de tirer des coups de feu dans un cadavre, c'est qu'on se questionne sérieusement sur votre humanité.
Parlons du style de Camus. Vous avez peut-être remarqu é que tout est aseptisé. On n'a pas de belles tournures de phrases, pas d'effet de style particulier, on se contentera des faits. Les temps du récit dans cet extrait comme dans le reste de l'œuvre sont utilisés d'une manière très particulière. On a de l'imparfait, mais on n'a pas de passé simple, qui est remplacé par du passé composé.
Et ça, ça rend moins vives les actions décrites, certainement pour nous faire partager le détachement de morceaux. Enfin, ce texte est un dialogue, certes, mais nous n'avons pas accès à toutes les paroles des personnages. Les paroles rapportées au discours direct ponctuent le récit, mais sont isolées les unes des autres. En fait, on n'a pas d'enchaînement de répliques qui nous aiderait à nous plonger dans la scène. Là encore, j'ai l'impression que Camus veut nous mettre à distance de cet échange, comme s'il voulait nous faire goûter cet éloignement qui sépare Meursault du récit de sa propre vie.
Je vous invite vraiment à lire L'Étranger. C'est pas ce qu'on a écrit de plus drôle, mais c'est une immersion assez intense dans la tête de quelqu'un qui voit défiler sa vie sans jamais vraiment y prendre part. En plus, le roman est assez court pour ne pas complètement vous saper le moral. Promis.
Merci à vous d'avoir suivi cette vidéo jusqu'au bout, je vous souhaite... une bonne journée