Les grandes cathédrales gothiques d'Europe, des chefs-d'oeuvre de l'art médiéval dont les secrets remontent à l'antiquité. Comment leurs bâtisseurs ont-ils pu construire des édifices aussi hauts avec les procédés techniques dont ils disposaient ? S'agissait-il pour eux d'un moyen d'exprimer la force de leur foi ?
C'est un ouvrage remarquable, tant par la taille que par le symbole. C'est une construction titanesque. Les dernières innovations scientifiques vont nous permettre de percer les secrets des techniques de fabrication qui protègent ces colosses de pierre.
Ils tremblaient sûrement à l'idée que l'attraction terrestre fasse vaciller leur construction. La clé du mystère ? réside dans l'analyse pierre par pierre de ces mégastructures du Moyen-Âge. C'est en plongeant au cœur des murs, des voûtes et des fondations de ces géants que nous pourrons découvrir les secrets de ces merveilles venues du passé. Cologne, la plus ancienne des grandes villes allemandes, est située sur les bords du Rhin.
La cité abrite la plus ambitieuse structure architecturale médiévale jamais construite. La cathédrale de Cologne. Un monument mystérieux dont la première pierre date du Moyen-Âge.
En 1248, les habitants décident de relever un défi. Ériger la plus grande cathédrale du monde. Un bâtiment 20 fois plus haut que toutes les autres constructions en bois de la ville. Aujourd'hui encore, la taille phénoménale du monument interpelle les experts qui tentent d'en percer les mystères. C'est incroyable de se dire que des hommes du Moyen-Âge ont pu concevoir et bâtir une église de cette taille avec les moyens dont ils disposaient.
C'est un édifice titanesque. La cathédrale de Cologne est une géante de 120 000 tonnes de pierre. Ces vitraux pourraient habiller un immeuble de 30 étages.
Des mormes ogives de pierre soutiennent son plafond, ainsi que les 600 tonnes du toit en plomb. Ces deux flèches, qui s'élèvent à plus de 157 mètres, lui ont conféré pendant quelques années le titre de bâtiment le plus haut du monde. Comment les artisans qui l'ont construite ont-ils pu accomplir un tel prodige architectural ?
Étonnamment, les historiens n'en savent pas beaucoup sur les premiers temps du chantier de la cathédrale. Peu d'archives ont été conservées jusqu'à nos jours. L'architecte Doug Pritchard se propose de redécouvrir les étapes de la construction du bâtiment en étudiant une à une les pierres de l'édifice. Pour y parvenir, il dispose de l'un des outils les plus perfectionnés qui soit.
Un scanner laser 3D. Cette machine va lui permettre de pénétrer à l'intérieur même des pierres du bâtiment. Ce scanner est vraiment incroyable. Il peut enregistrer près d'un million de points par seconde. Le scanner effectue des relevés à 360 degrés et nous permet de visualiser toutes sortes d'éléments comme la profondeur des voûtes ou la taille des colonnes de façon extrêmement précise.
En combinant toutes ces données, on obtient une carte en 3D de la cathédrale. Aujourd'hui, Doug Pritchard va ajouter une nouvelle pièce au puzzle de la basilique. Bonjour.
Bonjour. Son objectif, le balcon central. Utiliser le scanner pour mettre au jour la structure interne de la cathédrale va lui permettre d'en comprendre l'agencement. L'une des grandes qualités de ce scanner, c'est de pouvoir extirper des informations de la matière inanimée. On pourra ainsi connaître les principes d'architecture et d'ingénierie utilisés pour faire tenir le bâtiment.
Le scanner projette un rayon laser invisible jusqu'à 187 mètres de distance. Chaque fois que le rayon rencontre un objet solide, il ricoche. et renvoie un signal.
Les informations enregistrées sont ensuite transformées par le scanner en images très détaillées qui permettent à Doug Pritchard d'étudier la structure sous n'importe quel angle. Pour l'instant, nous avons déjà réalisé 660 scanners du bâtiment. D'ici la fin de la semaine, j'en aurai effectué 20 ou 30 de plus. L'architecte doit à présent analyser cette énorme masse de données.
Pourtant, il parvient déjà à entrevoir le plan général des bâtisseurs à l'origine de cette fabuleuse église. Les deux tours sont visibles à des kilomètres à la ronde. A leur sommet, les flèches sont ouvertes pour offrir moins de résistance au vent.
En bas, le poids colossal des tours est soutenu par d'épaisses murailles de pierre. Derrière celle-ci se cache une église élégante, avec une structure faite de grands arcs élancés. Curieusement, le squelette de la cathédrale ressemble à celui d'un gratte-ciel moderne, alors qu'il est le fruit de l'imagination de maîtres d'œuvres du Moyen-Âge, des hommes qui ont vécu il y a plus de sept siècles. Comment ces artisans ont-ils pu envisager la construction d'un tel bâtiment ?
A 350 km de là, dans le nord-est de la France, une autre équipe mène l'enquête dans une cathédrale plus ancienne encore. Notre-Dame d'Amiens, qui a inspiré la basilique de Cologne. Cette immense église domine la ville depuis près de 800 ans. Il s'agit de la plus vaste structure gothique achevée de France. Guillaume Caron est ingénieur et il utilise lui aussi la technologie laser pour tenter d'en comprendre les secrets de construction.
Amiens est ma ville natale et je me suis toujours intéressé aux aspects symboliques de la cathédrale. Guillaume Caron espère dénicher des indices pour reconstituer les plans d'origine de l'édifice. Nous ne possédons actuellement aucun plan complet de la cathédrale.
Les hommes du Moyen-Âge n'avaient pas l'habitude de conserver de tels documents. Cet appareil nous permet de prendre des mesures très précises qui vont nous aider à établir le premier plan exhaustif de la cathédrale. La précision des images de synthèse permet de repérer tout élément qui sort de l'ordinaire.
A l'extérieur, l'historien de l'art Étienne Hamon cherche à percer un mystère différent. Donc c'est une partie de la cathédrale très intéressante pour les historiens de l'architecture parce qu'elle est vraiment la clé de la compréhension de l'histoire de l'édifice. L'historien est intrigué par un léger défaut de la facette sud de la cathédrale.
La section centrale est inclinée. La déformation, on la voit très nettement se dessiner entre les deux contreforts verticaux. Elle concerne la corniche qui se trouve juste au-dessus de la pointe du gable.
portail cette corniche est effectivement incliné de l'ordre d'une d'une trentaine de centimètres ce défaut évident sur les images du scanner n'est pas visible depuis le sol ces déformations sont véritable énigme. Pour les hommes du XIIIe siècle, ces déformations étaient pratiquement invisibles. S'agit-il d'un défaut de construction ou le résultat d'une tentative d'articulation de deux parties de l'église construites à des époques différentes ?
Pour Étienne Hamon, seul le scanner permettra d'éclaircir ce mystère. Surtout, ces technologies nous permettent d'avoir une représentation précise au millimètre de l'ensemble des structures de la cathédrale. à la fois sur le plan horizontal et sur le plan vertical, qui nous donne la possibilité de comprendre éventuellement l'origine de ces déformations, mais surtout de comprendre comment les hommes du Moyen-Âge ont pallié un certain nombre de difficultés qu'ils ont dû rencontrer au cours de la construction.
Les nouvelles technologies permettent aux historiens de mieux appréhender l'étendue des connaissances des bâtisseurs médiévaux et les immenses défis qu'ils ont dû surmonter. La construction de Notre-Dame d'Amiens débute en 1220. Comme pour les cathédrales de la région parisienne, les maîtres d'œuvre aspiraient avant tout à se rapprocher de Dieu. L'évêque d'Amiens voulait qu'on bâtisse la cathédrale la plus haute et la plus vaste de France. A l'époque, il y avait une grande rivalité entre les différentes cités médiévales.
C'était à celle qui érigerait l'église la plus imposante. D'après les relevés de Guillaume Caron, l'arcade centrale mesure 43 mètres de hauteur. Pourtant, ses colonnes sont étonnamment fines.
Le scanner nous donne un premier aperçu des détails de l'édifice, comme ici, les colonnes du transept. Jusqu'au XIIe siècle, des colonnes aussi fines et élancées n'auraient jamais pu soutenir le poids d'un tel bâtiment. Comment les bâtisseurs français sont-ils alors parvenus à résoudre un problème dont les architectes de la Rome antique n'avaient pu venir à bout ? La solution réside dans la forme des arcades.
Dans une arche romaine classique, les pierres au sommet exercent une poussée latérale vers chaque colonne. Plus on construit en hauteur, plus les colonnes se bombent sous la pression et finissent par s'affaisser. Les maîtres d'oeuvre du Moyen-Âge ont alors compris qu'en construisant l'arc en pointe, la pression exercée serait déviée vers la base de la colonne. Les piliers peuvent alors soutenir un poids plus important.
Ce qui permet de construire des arcades plus hautes et des églises plus grandes. C'est ainsi que les arcs brisés de la cathédrale d'Amiens ont ouvert la voie aux architectes de Cologne. L'une des premières cathédrales de France à mettre en pratique cette technique et ce nouveau style architectural est Notre-Dame. A l'époque, on appelait tout simplement ce modèle l'art français. De nos jours, on parle de style gothique.
Pour Étienne Hamon, c'est bel et bien la cathédrale d'Amiens qui a permis la diffusion de cette révolution architecturale jusqu'en Allemagne. Amiens et Cologne sont deux cathédrales très proches l'une de l'autre parce que les commanditaires et les architectes... de la cathédrale de Cologne connaissait le modèle amiennois et c'est délibérément qu'ils l'ont reproduit dans la grande cathédrale de l'archevêque Conrad de Hochstaden.
L'archevêque utilise le modèle amiennois, mais demande... à son architecte de le moderniser. Et c'est ça qui fait l'intérêt de la cathédrale de Cologne, c'est qu'elle intègre les dernières nouveautés de l'architecture française dite rayonnante, celle de la région parisienne, qui à partir des années 1230, commence à offrir des nouveaux modèles pour l'architecture européenne. Pourquoi construire un édifice aussi gigantesque ? La réponse se trouve au cœur de la cathédrale, dans cette chasse d'or massif.
On dit qu'elle contient les reliques des rois mages. Peter Fusnich est l'actuel architecte en chef de la cathédrale. Vous avez vérifié l'éclairage de la voûte ? Il est à la tête d'une équipe de plus de 70 personnes chargées de l'entretenir. De nos jours, le bâtiment attire près de 6 millions de visiteurs par an.
Mais au Moyen-Âge, c'était avant tout la chasse des rois mages qu'on venait admirer. C'est en partie pour abriter la chasse qu'il a été décidé de construire la première cathédrale. Le reliquaire lui-même a été fabriqué plus tard. L'important, c'est ce qu'il est censé contenir, à savoir les ossements des rois mages.
Les Saintes Reliques sont arrivées à Cologne en 1164 et ont immédiatement généré un immense flux de pèlerins. La cathédrale existante a rapidement été jugée trop petite. Et on a alors décidé d'en construire une plus grande.
Le mystérieux contenu du reliquaire a donc poussé les initiateurs du projet à se lancer dans ce chantier, tout en sachant d'avance qu'ils n'en verraient pas la fin de leur vivant. Aujourd'hui encore, une telle entreprise a quelque chose de véritablement fascinant. La cathédrale de Cologne est en effet l'un des premiers chantiers multigénérationnels dans lesquels se soit lancée l'humanité.
Un projet qu'il fallait confier à la génération suivante avec l'espoir qu'à son tour, elle le mène à bien. Ces hommes comptaient sur les générations futures pour relever un véritable défi. Comment construire une église très lumineuse et capable d'accueillir 20 000 fidèles ? La réponse se trouve dans la structure même de l'église.
Si les tours reposent sur des pépiliers de pierre qui les empêchent de s'écrouler, la nef elle-même est davantage ouverte sur l'extérieur. L'édifice contient suffisamment de verre teinté pour recouvrir un terrain de football. Les murs supérieurs du centre de la cathédrale sont presque entièrement composés de vitraux de quelques millimètres d'épaisseur. Les murs sont surmontés d'un lourd toit de plomb.
Comment les hommes du Moyen-Âge ont-ils réussi à construire des baies si grandes, si fragiles et pourtant si solides ? A cette époque, les artisans ne savaient pas construire de larges plaques de verre. Ulrich Brinkmann étudie les solutions ingénieuses qui leur ont permis de repousser les limites de la technologie. Les verriers divisaient chaque fenêtre en panneaux et fabriquaient le vitrail à partir de minuscules morceaux de verre maintenus par des baguettes de plomb.
Au Moyen-Âge, le verre était soufflé à la bouche par les artisans qui... utilisaient une longue canne de verrier. Les peintres verriers ne disposaient donc que de morceaux de verre d'une taille limitée pour composer les vitraux. Des siècles entiers de poussière disparaissent sous la brosse de Peter Beckenkopf, expert en restauration d'œuvres d'art.
Il met ainsi au jour le savoir-faire des artisans. C'est un travail qui requiert une grande délicatesse. Il est impératif que les restaurateurs sachent à quoi ils ont affaire. Ils doivent être très expérimentés dans ce domaine. Ici, on voit que les dépôts sombres sur le verre peuvent être retirés par chance, sans trop de problèmes.
Le nettoyage laisse les fragments de verre bien sombres. Ce n'est qu'à la lumière qu'ils prennent vie. Au Moyen-Âge, on considérait que la lumière était une matière. Mais personne ne pouvait expliquer comment celle-ci pouvait traverser certains matériaux, comme le verre, sans les endommager.
Les détails minutieux n'avaient aucune chance d'être perçus des croyants depuis le sol de la cathédrale. En revanche, le kaléidoscope de verre créait l'impression que l'église s'élançait vers des hauteurs célestes. À l'époque, pénétrer dans la cathédrale devait être une expérience à couper le souffle. Le soleil transperçait les vitraux pour baigner la nef d'une lumière divine.
C'était sûrement très impressionnant. Ça l'est encore aujourd'hui, mais ça devait l'être encore plus au Moyen-Âge, quand les gens vivaient dans de petites maisons mal éclairées. La hauteur des baies vitrées est aussi leur plus grande faiblesse.
Une construction en arc brisé permet d'ériger de grandes et belles églises, avec de hautes fenêtres. Mais c'est aussi prendre le risque que toute la structure ne s'effondre. Des murs de soutien, qu'on appelle contreforts, permettent de maintenir l'édifice, mais occultent une partie de la lumière et bloquent l'accès aux collatéraux. Les architectes médiévaux ont alors décidé de les remplacer par ce qu'on appelle des piliers de culée, lesquels portaient des étais latéraux pour former des arcs boutants.
C'est la solution qui a été adoptée pour conserver les immenses vitraux et permettre la lumière du Seigneur de pénétrer dans la cathédrale. Les arcs boutants soulagent les murs et le toit depuis l'extérieur. Mais comment assurer la stabilité du plafond à l'intérieur de l'église ?
Et pourquoi semble-t-il aussi léger ? L'un des secrets se cache peut-être dans le travail de la pierre. Wolfgang Kuper est l'un des 20 tailleurs de pierre attachés à la restauration de la cathédrale.
Il travaille le calcaire, une roche qui exige une précision extrême. On utilise ce type de lame en dentsie employée par les métallurgistes pour pouvoir entamer la pierre plus facilement. Les tailleurs de pierre s'apparentent à des chirurgiens opérant à pêche. patient de 750 ans. Wolfgang Kuper travaille actuellement à la copie d'un ornement de pierre qu'on appelle un dé.
En ce moment, je sculpte un dé fleuron. Je dois tailler les creux autour du motif et ôter les débris pour dégager la forme des feuilles. C'est un vrai travail de précision.
Le bloc de pierre d'origine est beaucoup trop abîmé pour être réparé. Ce dé a été endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout l'avant a été arraché.
Il ne reste plus que l'arrière. Sculpter une reproduction devrait exiger un an et demi de travail. C'est vraiment épuisant de se concentrer sur une seule tâche pendant aussi longtemps sans dévier de sa trajectoire.
C'est vraiment éprouvant pour les nerfs. Et bien sûr, je ne suis pas à l'abri d'une erreur. Personne n'est parfait.
C'est grâce à l'immense savoir-faire des prédécesseurs de Wolfgang Kuper que la cathédrale tient encore debout de nos jours. Les architectes du Moyen-Âge sont parvenus à assurer l'équilibre du plafond à l'intérieur de l'église. Mais comment ont-ils fait ? Au lieu d'élever d'épais murs de pierre pour porter le plafond, ils ont construit des arcs brisés qui s'entrecroisent comme les côtes d'une cage thoracique.
Chaque compartiment, composé d'une fine couche de briques bien lisse, forme ce qu'on appelle un plafond en croisée d'ogives. Les fines colonnes font converger le poids de la voûte vers le sol. Cette répartition des forces permet au plafond de se soutenir tout seul. La formidable pression exercée sur la voûte explique qu'il suffirait de quelques pierres mal placées pour déséquilibrer l'ensemble.
Plus ancienne, la cathédrale d'Amiens porte les stigmates d'une conception aussi audacieuse. Guillaume Caron, spécialiste de la détection 3D, inspecte les croisés d'ogives pour en déterminer l'état de détérioration. On a repéré une grosse fissure sur le plafond.
On a pu la mesurer avec le scanner laser. Voici l'image obtenue. Les résultats révèlent une fissure de 5 cm de largeur. On a localisé d'autres fissures dans la nef de la cathédrale, au-dessus de ce vitrail. Guillaume Caron n'est pas en mesure d'expliquer l'origine de chaque fissure.
Mais les spécialistes estiment qu'il s'agit d'un défaut de conception inhérent à la cathédrale. A l'extérieur, les arcs boutants trop élevés peinent à encaisser le poids du toit. Certains côtés se sont affaissés en déchirant les croisés d'ogives.
L'avenir de l'édifice pourrait être compromis. Les derniers relevés ont montré que la fissure mesurait environ 5 cm d'épaisseur. Nous avons comparé les résultats avec les mesures d'il y a 4 ans. Apparemment, la fissure ne s'agrandit pas, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour la cathédrale.
En Allemagne, le plafond de la cathédrale de Cologne est en apparence impeccable. Mais est-ce bien le cas ? Doug Pritchard s'est aventuré dans le toit pour effectuer des scanners laser décroisés d'ogives depuis le plafond. Nous nous trouvons actuellement entre la croisée de transept et une partie plus ancienne du bâtiment, le cœur. Pour me faire une idée de l'état du plafond, je vais installer l'appareil de l'autre côté de cette zone ouverte.
Ensuite, je combinerai ces données avec celles que le scanner nous a données au sol. Le résultat devrait me permettre de réaliser une image en coupe de la cathédrale. Doug espère que les images obtenues offriront une vue inédite de l'organisation interne de la cathédrale. Ce sont des images sensationnelles, grâce auxquelles on comprend beaucoup mieux l'architecture du lieu.
L'image en 3D restitue le squelette de l'édifice au millimètre près. Je me suis surtout concentré sur l'espace où nous nous tenons actuellement. Ce qui est intéressant, c'est que les croisés d'ogives ont l'air d'une membrane très fine, alors que toute la structure du toit repose sur une membrane. sur les arcs brisés.
Les colonnes distribuent le poids vers le sol et les arcs boutants poussent légèrement vers l'intérieur. Tout cela crée une harmonie parfaite et contribue à renforcer l'efficacité de la structure. Les relevés mettent en lumière une autre énigme, et non des moindres. Comment les concepteurs de cet ouvrage sont-ils parvenus à construire des croisées d'ogives de 40 mètres de hauteur sans qu'elles ne s'effondrent sur elles-mêmes ? On pense que les maçons ont d'abord élevé des échafaudages en bois jusqu'au sommet des arches.
Ils ont ensuite empilé des pierres avec minutie. pour construire les ogives, lesquels se rejoignent autour de la clé de voûte. Ils ont alors comblé l'espace entre chaque arête avec des briques légères et recouvert le tout de mortier. Enfin, ils ont démonté les échafaudages en priant pour que le plafond tienne. Les constructeurs de la cathédrale de Cologne ont imaginé un gratte-ciel parfaitement équilibré, quelques centaines d'années avant ceux de l'époque moderne.
Mais comment ce colosse de pierre a-t-il pu traverser des siècles de vent, de pluie et de catastrophes naturelles sans dommage ? La cathédrale de Cologne se trouve en effet dans l'une des régions sismiques les plus actives d'Europe. Plus de 120 tremblements de terre ont touché les alentours au cours des 300 dernières années et sont responsables de l'effondrement de bâtiments bien plus modernes. Quel est donc son secret ?
Par quel miracle sa structure lui a-t-elle permis d'endurer de telles secousses sans jamais s'écrouler ? Klaus-Guy Inzen est sismologue à l'université de Cologne. Il emmène une équipe de spécialistes sous les toits de la cathédrale. Ils viennent relever des données relatives aux réactions du bâtiment face au tremblement de terre.
Nous avons installé ce dispositif de contrôle en 2006. Nous passons de temps en temps vérifier l'état du système et faire des opérations de maintenance. Appui sur CTRL-F. Ces instruments sont des détecteurs de présence. Ils repèrent le moindre mouvement dans la structure de la cathédrale. L'écran de gauche indique les mouvements au sol enregistrés en ce moment même.
Pour vérifier que l'appareil fonctionne, il me suffit de taper du pied et on voit que le détecteur est plutôt sensible. Même à deux mètres de distance, on a un signal qui s'enregistre. Cet équipement permet d'imaginer ce qui se passerait en cas de tremblement de terre.
La région a connu plusieurs séismes dont les magnitudes oscillaient entre 6,5 et 7 au cours des 20 000 ou 30 000 dernières années. Géologiquement, c'est un laps de temps très court. Un tremblement de terre de cette ampleur pourrait frapper à tout moment. Le scientifique redoute l'effet que pourrait avoir un tel séisme sur les voûtes.
Cet appareil-ci installé au fond du grenier a été réglé pour enregistrer les mouvements de la voûte au-dessus du cœur. Nous nous trouvons à environ 47 mètres du sol. Cette partie de la cathédrale est très exposée en cas de séisme, parce que même si les murs sont plus solides, ils pourraient se fissurer et s'effondrer.
Pourtant, les relevés indiquent une réalité toute différente. Voilà le relevé d'un séisme bien réel qui s'est produit à environ 90 km d'ici avec une magnitude de 4,5. Le tracé rouge correspond à ce qui a été enregistré dans les sous-sols. Ce signal nous informe des vibrations. ressentie par l'édifice.
Il faut le comparer au tracé bleu qui correspond au mouvement des tours. On voit bien ici qu'elles se sont balancées d'avant en arrière pendant plusieurs minutes, ce qui nous a permis d'enregistrer le mouvement. C'est un nouveau tour de force de la cathédrale.
Comment ces concepteurs ont-ils pu créer des tours qui oscillent comme des balanciers au lieu de s'écrouler ? Malgré ses colonnes délicates, cet édifice est loin d'être un poids plume. Les ingénieurs médiévaux s'étaient chargés de bien répartir ce poids grâce à des fondations cachées. Près de 120 000 tonnes de pierres ont été utilisées pour ériger des piliers massifs qui s'enfoncent profondément dans le sol. La partie enterrée est aussi lourde que la partie visible.
La cathédrale repose ainsi sur un équilibre parfait. Si le bâtiment lui-même est solidement ancré dans le sol, c'est plutôt la sécurité des visiteurs qui inquiète Klaus Giehinsen. Il y a toujours le risque que les petits éléments ornementaux qu'on retrouve partout dans la cathédrale se brisent au cours d'un séisme.
C'est ce qui s'est produit aux Pays-Bas lors du séisme de Rurmonde en 1992. Une vingtaine d'ornements se sont détachés, dont un de plus de 500 kg qui est passé à travers le toit de la cathédrale. Les bâtisseurs de la cathédrale ont construit de solides fondations pour la protéger. Mais le peuple voyait dans les séismes le signe d'un châtiment divin, qu'on ne pouvait conjurer que par la prière. Les architectes avaient-ils conscience de la puissance des éléments naturels ? Rothstein's Beck enquête sur les connaissances des hommes de l'époque.
Les archéologues ont commencé à prospecter sous la cathédrale dans les années 1940. En 2008, ils ont été autorisés à creuser un tunnel sous les fondations elles-mêmes. C'était la première fois qu'on avait accès aux fondations et qu'on pouvait s'intéresser à leurs techniques de construction. Les scientifiques ont alors découvert qu'elles étaient composées de deux types de roches différentes. Du basalte noir et une roche plus tendre appelée tuffe volcanique.
Ici, c'est du basalte de Cologne. Des pierres qui sont d'ordinaire très grandes et très lourdes, au milieu desquelles ont été insérées des couches de tuffe volcanique. En superposant le basalte de Cologne, une roche très dure, et le tube volcanique, une pierre plus tendre, les maçons du Moyen-Âge ont créé des couches horizontales de matériaux très différents, mais complémentaires.
Ce sont les couches les plus solides qui atténuent et amortissent le mieux les mouvements. Ces différentes strates de pierre permettraient donc d'absorber les chocs. En cas de tremblement de terre, les couches de pierre horizontales vont empêcher que les secousses n'atteignent le bâtiment en surface.
La question reste de savoir si les maîtres maçons ont agi en connaissance de cause. Mais ça, c'est une autre histoire. Le mystère s'épaissit à mesure que Ruth Steenbeck s'enfonce sous la terre.
Ces recherches l'entraînent vers un site de fouilles archéologiques sous le sol de la cathédrale. Les archéologues ont découvert avec stupéfaction que les piliers descendaient jusqu'à 16 mètres sous terre, soit environ la profondeur des fondations de l'Empire State Building à New York. Mais c'est au pied des piliers qu'ils ont fait leur découverte la plus surprenante. Voilà le bip.
de l'eau. Voilà les résultats. Nous sommes à 10,47 mètres du niveau de l'eau. Les fondations se trouvent à un mètre à peine au-dessus de la nappe phréatique.
Pourquoi les architectes médiévaux auraient-ils pris le risque d'inonder leur propre chantier ? Pour l'archéologue, il craignait un danger encore plus grand. Le sable.
La ville de Cologne, et par conséquent la cathédrale, repose sur un lit de sable et de gravier, qu'on retrouve naturellement dans les sous-sols de celle-ci. Le sol n'est pas solide, il n'y a rien que du sable. Les ingénieurs médiévaux craignaient que la cathédrale soit avalée par le sable du sous-sol.
Ils ont alors décidé de construire des fondations aussi profondes que possible pour diminuer ce risque. Mais comment ont-ils réussi l'exploit de creuser dans du sable ? Si les maçons avaient tenté de creuser une grande fosse d'un seul tenant, le sable environnant se serait engouffré dans l'espace vide et les aurait ensevelis. Ils ont donc décidé de creuser d'étroites portions, étayées avec des planches de bois, jusqu'au-dessus de la nappe phréatique.
Ils ont ensuite empilé plusieurs couches de roches volcaniques et de mortiers pour élever de solides piliers d'une hauteur de 5 étages. Ces fondations de pierres à toute épreuve ont permis de soutenir les 120 000 tonnes de la cathédrale jusqu'à nos jours. Les archéologues ont mis au jour les vestiges de l'ancien chantier. Voici les fondations d'un des piliers qui se trouve à l'intérieur de la cathédrale.
On voit qu'elles sont couvertes d'une couche de mortier. Selon Rutsch-Tinnesbeck, ces copeaux de bois sont issus des planches utilisées par les maçons pour contenir le sable. Une planche allait de là à là et la suivante commençait ici, jusque là. On voit bien la forme des planches qui s'est imprimée dans le mortier. Et ici, on a même les anneaux de croissance du bois.
Quelles pouvaient être les conditions de travail de ces hommes ? Quand je manipule ce bois, je me dis que c'est un bois de la nature. ces copeaux de bois, j'essaie d'imaginer ce que pouvaient bien ressentir les hommes qui travaillaient ici, dans des fosses profondes, loin de la lumière du jour.
Ils tremblaient sûrement à l'idée que la pression terrestre écrase leurs étés. Ils devaient prier de tout cœur pour que les planches résistent et les protègent d'un accident. Arpenter cette fosse permet de se faire une bonne idée du ressenti des ouvriers de l'époque. Les archéologues sont loin d'avoir fini leur travail d'exploration souterraine. Mais le bâtiment aux surfaces recèle bien d'autres surprises.
Sous la carapace de cette géante se cache en effet une structure hors norme. Une gigantesque charpente composée de minces étais de fer forgé destinés à soutenir les 600 tonnes du toit. Avant la construction de la tour Eiffel, il s'agissait là de la structure en fer la plus complexe au monde. Comment expliquer la présence anachronique d'une telle charpente dans un bâtiment médiéval ? Les archives et les plans datent l'arrêt du chantier de la cathédrale dans les années 1530. Les travaux ont repris près de 300 ans plus tard, ce qui soulève une nouvelle question.
Comment les architectes du 19e siècle sont-ils parvenus à terminer le bâtiment ? Peter Fusnich, architecte en chef de la cathédrale, détient la réponse. Un dessin du 13e siècle qui représente les deux tours. Ce croquis que l'on croyait perdu a été retrouvé par hasard six siècles plus tard. Les architectes chargés de reprendre le chantier au 19e siècle ont eu la chance inouïe de tomber sur ce plan qui date du Moyen-Âge.
Ils ont ainsi pu construire la façade et achever le rêve de leurs prédécesseurs. Le croquis, intitulé Plan F, aux allures de plan moderne, ne porte pourtant aucune indication de dimension, ni instruction. Ce croquis n'a rien d'un plan de construction. Il était destiné à obtenir le soutien de ceux qui finançaient le projet. Comment poursuivre le chantier avec ce dessin comme seule directive ?
Sophie Hoepner est restauratrice de pâtes. Pierre de Taille, avec son équipe, elle étudie les choix de construction des bâtisseurs du 19e siècle. Ils doivent aujourd'hui réparer un arc boutant construit lors de la dernière étape du chantier. Le travail d'un restaurateur de pierre est plus ou moins similaire à celui d'un médecin.
Les tailleurs de pierre du Moyen-Âge avaient eu recours à une roche dure, appelée traquite. En revanche, les arcs boutants du XIXe siècle ont été taillés dans du grès, une roche tendre qui commence déjà à s'effriter. Cette zone se trouve dans un état de détérioration avancée. La pluie a ruisselé sur les pierres et les a érodées.
Ici, en revanche, la pierre est plus sèche et a récolté la poussée. Les traces noires sont dues à la pollution de l'air. Quant aux parties où le grès est le plus friable, elles ont été rangées par la pluie, ce qui explique qu'elles soient plus claires.
Sophie Hoepner doit évaluer l'étendue des dégâts. Elle commence par mesurer les réactions de la pierre à la pluie. Il suffit d'une goutte pour voir que la pierre absorbe l'eau comme une éponge.
Quand il pleut, la pierre pompe l'eau dans ses pores. Puis quand elle sèche, elle en rejette tous les micro-éléments lesquels s'accumulent à la surface. L'une des solutions consiste à traiter le grès avec un produit chimique imperméable. Ce bloc a été recouvert d'un agent hydrophobe.
Et on voit bien que la goutte d'eau reste à la surface au lieu d'être absorbée. Certaines pierres peuvent pourtant pourrir de l'intérieur sans aucun signe visible à l'extérieur. Pour ausculter les arcs boutants, l'équipe a donc recours à une perceuse spéciale reliée à un ordinateur. Voici la perceuse que nous allons utiliser.
C'est une perceuse à forêt diamant. Je vais la placer comme ceci contre l'élément à sonder, de façon à ce que la mèche pénètre la pierre. L'équipe commence par inspecter rigoureusement l'état des arcs boutants avant d'utiliser la perceuse. Ils ont beau ne dater que du 19e siècle, ils appartiennent quand même à l'un des bâtiments historiques les plus précieux d'Allemagne. Nous devons placer ce repère centimétrique en papier sur la pierre pour nous faire une idée de la taille de l'élément que nous allons sonder.
Après avoir photographié l'emplacement où la perceuse va forer la pierre, l'équipe se met au travail. Jasper, le collègue de Sophie, perce un trou dans le grès. L'ordinateur permet de mesurer le taux de résistance au forêt. C'est un indice de l'état de fragilité de la pierre.
Les résultats sont inquiétants. Les relevés ne sont pas bons du tout. Les deux ou trois premiers millimètres étaient plutôt encourageants, parce que la pierre résistait bien.
Puis, la courbe du graphique s'est complètement effondrée. Ce qui signifie que la pierre est plus tendre à cet endroit. Ensuite, la pierre durcit à nouveau, comme l'indique le graphique qui remonte aux alentours de 7 millimètres. On le voit nettement ici.
L'équipe va devoir réparer ou remplacer l'arc boutant car la pierre ne résistera pas éternellement. Nous allons utiliser un agent consolidant pour durcir la pierre et procéder à de nouveaux examens pour voir si le traitement est efficace. Les constructeurs médiévaux n'étaient pas en mesure d'imperméabiliser les pierres comme le font Sophie et ses collègues. Ils ont eu recours à un autre moyen de protection. Ces monstres de pierre, connus sous le nom de cargouilles.
Ce sont des chéneaux camouflés destinés à évacuer l'eau de pluie. Même au Moyen-Âge, on n'ignorait pas que la pierre doit être protégée des intempéries. Comment expliquer alors le recours à une pierre de si piètre qualité ? Le problème était de rassembler suffisamment de bons matériaux pour terminer ce chantier colossal.
Quand les travaux reprennent en 1842, la partie achevée comprend l'arrière de l'édifice, les ruines de la tour sud et un énorme fossé à moitié comblé entre les deux. Pour aboutir à ce résultat, les constructeurs médiévaux avaient exploité le sommet d'une montagne avoisinante jusqu'à épuisement du filon. Leurs successeurs du 19e siècle doivent donc rassembler des milliers de tonnes de grès.
Ils font appel à toutes les carrières du pays. Ils établissent ensuite le plus haut échafaudage de l'époque pour élever les tours. Ils achèveront la cathédrale en 38 ans à peine. Ont-ils sacrifié la qualité dans leur hâte de finir ? La question peut se poser.
Une légende locale voudrait que les tours soient légèrement désaxées. L'architecte Doug Pritchard va utiliser son scanner pour mesurer leur hauteur réelle. Un certain mystère plane autour de la hauteur des deux tours. On se demande par exemple si l'une ne serait pas plus grande que l'autre. Le scanner devrait nous éclairer sur ce point.
Doug Pritchard prend l'ascenseur pour atteindre le cœur de la tour Nord. Nous sommes dans la tour Nord, à environ 100 mètres de hauteur. Je vais installer mon scanner et le trépied ici, pour pouvoir mesurer l'intérieur de la tour, de haut en bas.
C'est la première fois que les tours vont être mesurées avec un tel degré de précision. Je vais effectuer un scanner à 360 degrés de la totalité de la tour et de la flèche. Ce relevé va me fournir des données au millimètre près. Cet appareil enregistre plus d'un million de points par seconde, ce qui nous donne une idée de la masse d'informations que nous allons avoir au bout de 15 minutes. D'où commence sa saisie ?
La dernière pierre de la cathédrale a été posée sur la tour sud en 1880. Le chantier s'est étalé sur une période de 632 ans et deux mois. Les relevés réservent une surprise de taille à l'architecte. La comparaison des données des tours nord et sud nous apprend qu'elles sont presque exactement de la même taille. La tour sud est très légèrement plus élevée que la tour nord, mais seulement de 4 cm, ce qui est franchement exceptionnel. Quand on pense à l'époque où elles ont été construites, ça donne une idée de l'étendue de la maîtrise et du savoir-faire des bâtisseurs.
Les images numériques sont le reflet exact de la cathédrale. Elles sont l'illustration de la concrétisation d'une vision humaine vieille de presque 800 ans. Quand on compare la cathédrale au bâtiment moderne, ce qui frappe avant tout, c'est que tout a été fait à la main par des artisans, depuis la plus petite pierre jusqu'à la structure générale de l'édifice.
Il faut prendre la mesure de ce que ça signifie. Rien n'a été fabriqué hors du chantier, rien ne sort d'une usine. Tout a été fait manuellement.
C'est un projet absolument fabuleux qui a été porté par des hommes exceptionnels. La taille, la beauté et la grandeur de la cathédrale en font un des bâtiments les plus importants de notre ère. A l'image de sa sœur aînée Damien, la cathédrale de Cologne est une extraordinaire prouesse architecturale. Aujourd'hui, des millions de personnes franchissent leur portail richement décoré pour aller admirer les premiers gratte-ciels de l'histoire.
La cathédrale de Cologne continue de forcer le respect de ses visiteurs. Ses prodigieux arcs gothiques ont révolutionné l'architecture. Sa décoration intérieure somptueuse, inondée d'une lumière tamisée par des milliers d'éclats de verre coloré, fait l'émerveillement du public. La taille de l'édifice, comme sa complexité structurelle, continue de stupéfier les ingénieurs. Ces deux célèbres tours se dressent dans la ville comme des phares où convergent les visiteurs du monde entier pour admirer cette merveille venue du Moyen-Âge.