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Présentation sur Champollion et les hiéroglyphes

A Karnak apparaît toute la magnificence pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand. Tout ce que j'avais vu, tout ce que j'avais admiré avec enthousiasme, me parut misérable en comparaison de ces conceptions gigantesques. J'y courais comme un fou, au milieu des colosses, des obélisques, des colonnades, qui passent ce que l'imagination peut concevoir de plus grandiose. À 38 ans, Jean-François Champollion réalise le rêve de sa vie. Il fait face à ses temples égyptiens. Il leur donne enfin la parole. Six ans avant ce voyage, En 1822, il a réalisé l'une des plus grandes découvertes de son temps. Il est devenu le déchiffreur des hiéroglyphes. Depuis le IVe siècle après Jésus-Christ, plus personne en Europe et dans le monde ne sait lire les hiéroglyphes. Il offre à l'humanité, à ses contemporains, la clé de cette civilisation disparue, qui auparavant ne peut que rester opaque. Il faisait faire un bond à la mémoire de l'humanité, mais un bond de cinq millénaires, puisque les premiers textes hiéroglyphiques remontent à la fin du quatrième millénaire avant notre ère. C'est fabuleux, c'est fabuleux. Tout au long du chemin qui mène Jean-François Champollion vers le déchiffrement de l'ancienne écriture égyptienne, un homme, resté dans l'ombre, lui tient la main. Jacques-Joseph, son frère aîné. Pendant plus de 30 ans, jour après jour, les deux hommes s'écrivent. Cette correspondance, ces milliers de pages, qui jusqu'alors dormaient dans la maison familiale, sont depuis quelques années accessibles. Je te parlerai donc à l'heure des changements, arrivé à mon alphabet. En attendant, voici la notice. L'égyptologue. Karine Madrigal a été la première à étudier ces échanges. On voit vraiment que tout le cheminement est un cheminement qui se fait à deux. On dit souvent que c'est Jean-François Champollion qui a déchiffré les hiéroglyphes. Oui, la dernière marque... marche, il la saute tout seul. Mais tout le cheminement se fait à deux. Donc c'est vraiment un duo au service de l'égyptologie. Il y a notamment une lettre datée du 30 octobre 1818 où Jean-François écrit à son frère aîné et tout est dit. Il y a longtemps que tu me prouves que moi, c'est toi. Je serais trop heureux de prouver l'inverse. Mon cœur m'assure que nous ne ferons jamais deux personnes. Maudit soit le jour qui amènerait cette distinction. Deux frères. Deux Champollions. Pour une aventure humaine et scientifique hors du commun. L'histoire du duo Champollion débute au pied des Alpes, à Grenoble. Au début du XIXe siècle, la cité est l'un des berceaux de la Révolution française. Au mois de mars 1801, Jean-François arrive dans la ville. Ce n'est encore qu'un enfant, mais à 11 ans, il vient pourtant de quitter sa famille et sa ville natale de Fijac dans le Lot, pour rejoindre Jacques-Joseph, son grand frère, qui a trouvé un emploi à Grenoble. La mère est un alphabète. Il y a cinq enfants. Jean-François est le plus jeune. Ses parents ne s'occupent pas de son éducation intellectuelle. Ce sera justement son frère aîné qui a... 12 ans de plus que lui, Jacques-Joseph, qui remplace le père qui est absent, en fait. Il remplace le père, il est un éducateur exigeant, exigeant, qui le surveille comme le lait sur le feu, enfin, à tout moment. Et il a certainement senti, chez son jeune frère, des dons exceptionnels. Jacques-Joseph a trouvé un travail alimentaire dans le commerce. Mais sa véritable passion, ce sont les livres. Cet autodidacte a appris le grec ancien. Il est fou d'histoire. Pour son frère cadet, il veut la meilleure éducation. Assez rapidement, Jacques-Joseph Champollion s'est fait une bibliothèque privée. Il y avait les auteurs classiques, mais il y avait aussi des auteurs de langues orientales. Et donc ça va être le premier terreau dans lequel Jean-François Champollion va pouvoir travailler. C'est un boulimique de livres, de travail. Donc il va consulter les livres de la bibliothèque privée de son frère et puis il va lui laisser des petits messages pour lui dire Est-ce que tu peux me récupérer tel ouvrage supplémentaire ? parce qu'il faut alimenter sa soif de recherche. Jacques-Joseph, j'ai trouvé dans tes livres plusieurs ouvrages qui m'ont bien fait plaisir. Il y a des questions dont je désire extrêmement la solution, surtout les mots de l'histoire naturelle de la Bible. N'aurais-tu pas quelques livres qui parlent de l'histoire naturelle des livres saints ? Jean-François Champollion, si on devait le qualifier aujourd'hui avec nos termes actuels, on parlerait d'un HPI, c'est-à-dire d'un haut potentiel intellectuel. Et quand on regarde un peu son parcours et puis sa personnalité, c'est exactement ça. C'est un enfant qui était mauvais à l'école, qui avait de très mauvaises notes à l'école, mais à côté de ça, qui dépensait sans compter dans son temps quand il s'agissait d'étudier ses matières favorites, c'est-à-dire les langues orientales. À Grenoble, en ce début du XIXe siècle, l'élite de la ville se retrouve derrière les murs de la préfecture. Jacques-Joseph, l'aîné des Champollions, est à ses entrées. Dans ses salons, résonnent des récits de voyages et d'aventures vers des contrées lointaines. Le maître des lieux se nomme Joseph Fourier. C'est un des plus grands savants de l'époque. Jacques-Joseph n'allait pas à ces soirées mondaines tout seul, il y traînait son petit frère, et donc en 1802, il a 12 ans, et donc son grand frère l'emmène à cette soirée mondaine où ils vont faire tous les deux la connaissance du préfet Fourier. Fourier, il a été nommé préfet de l'ISER à 34 ans, en 1802. Il a fait une œuvre scientifique très féconde, on lui doit par exemple une série d'équations qui sont à la base du traitement du signal. c'est-à-dire des choses dont on se sert encore pour nos téléphones et nos ordinateurs d'aujourd'hui. Il connaît personnellement Bonaparte, Bonaparte le connaît, l'apprécie. Donc en 1802, il est tout auréolé de cette gloire d'Égypte, puisqu'il a joué un rôle éminent au sein de l'Institut d'Égypte. Avec cette rencontre, c'est l'Égypte qui frappe de plein fouet les deux frères Champollion. Car Joseph Fourier est passionné par le pays des pharaons. Quelques années avant leur rencontre, il a fait partie d'une troupe de savants qui a révélé les merveilles de cette ère lointaine aux yeux de l'Europe. Le 19 mai 1798, Joseph Fourier fait partie d'un corps expéditionnaire qui quitte Toulon dans le plus grand secret. Cette expédition militaire, qui doit permettre à la France de contrôler ses routes commerciales en Égypte, est dirigée par le jeune et ambitieux général Bonaparte. Le militaire embarque avec lui 167 savants et scientifiques. Il forme la commission des sciences et des arts. Avec Joseph Fourier se trouvent des mathématiciens, des chimistes, des botanistes, des architectes. Ça sera l'aboutissement, en quelque sorte, du siècle des Lumières, tout ça. Puisque le travail que vont faire ces savants et ces artistes en Égypte est absolument exceptionnel. Ils vont passer au peigne fin ce pays, ils vont l'étudier sous tous les angles. Ils vont étudier son histoire, ils vont étudier l'Egypte de leur temps, ils vont étudier la faune, la flore, les minéraux, tout, absolument tout. Et c'est exceptionnel. Grâce au travail de Joseph Fourier et des savants de la Commission, un véritable inventaire de l'Egypte est réalisé. Mais l'écriture des anciens pharaons est toujours indéchiffrable. Cette civilisation reste rêvée, étrange. En France et en Europe, on se passionne pour les découvertes des savants de la Commission. L'Égypte est à la mode. Une mode qui va influencer l'architecture et les arts décoratifs. A Paris, dans la bibliothèque du Sénat, un meuble symbolise cette nouvelle égyptomanie. Son décor reproduit les sculptures des temples de la lointaine terre des pharaons. Il est conçu pour accueillir les volumes de la première édition de la description de l'Égypte. Publié en 1809, ces 22 volumes regroupent l'ensemble des travaux et des dessins réalisés par les savants au cours de l'expédition de Bonaparte. Les planches colorées sont toujours aussi fraîches et agréables à voir. Les couleurs sont vives quand on manipule l'ouvrage. Vraiment, elles brillent encore. C'est vraiment un très très bel exemplaire. La description de l'Égypte est véritablement un jalon dans l'histoire des arts et des sciences. C'est la première entreprise complète, sans doute, de description d'un pays, dans tous ses aspects, avec une qualité de réalisation exceptionnelle. Avec ces représentations si fidèles, on a presque une photographie. La qualité de la gravure est impressionnante. Pour l'ensemble du monde savant, les volumes de la description de l'Égypte ont été une manne inattendue, insoupçonnée. Ça va être aussi les bases de l'égyptologie. Joseph Fourier fait partie de l'expédition et il sera un membre très important puisqu'il va participer à l'édition de la description de l'Egypte. Il va en co-rédiger quelque part, enfin même si c'est... celui qui signe l'introduction à l'ensemble des volumes. Et c'est alors qu'il est préfet de l'ISER qu'il va donc s'attacher comme secrétaire le frère aîné de Jean-François Champollion, qui va l'aider à faire la synthèse de toutes ses notes pour rédiger cette introduction. Entre les deux hommes, une amitié s'installe. Au contact de cet ancien d'Egypte, Jacques-Joseph plonge dans cette civilisation millénaire. En ce début de XIXe siècle, alors que ce pays est au devant de la scène et que de plus en plus de savants se passionnent pour les hiéroglyphes, le mystère de cette écriture reste entier. Jacques-Joseph Champollion a un espoir un peu fou. Et si son petit frère, cet enfant si doué, était l'élu ? Celui qui serait capable de redonner vie et sens à cette écriture muette depuis tant de siècles. Il y a des documents dans les archives qui nous montrent que c'est Jacques-Joseph qui se renseigne auprès de chercheurs pour savoir où en est la recherche dans le domaine de l'égyptologie de l'époque et dans le domaine de la recherche des hiéroglyphes. On voit qu'il est en train de tout préparer pour donner ce dossier à son frère et pour le mettre sur cette piste. Mais pour l'heure, Jean-François n'est encore qu'un adolescent qui doit poursuivre ses études. En 1804, à 14 ans, il intègre bien malgré lui l'internat du lycée impérial. de Grenoble. Mon très cher frère, ne pourrais-tu pas me retirer du lycée ? Je me suis fait violence jusqu'à présent pour ne pas te déplaire, mais cela me devient tout à fait insupportable. Je ne fais que perdre mon temps. Les langues orientales, ma passion favorite, je n'y travaille qu'une fois par jour. Je ne puis souffrir mes camarades, excepté un qui m'est bien cher, mais il est malade. Si je reste longtemps ici, je ne te promets pas de vivre. Il appelait le lycée sa prison. Ce sont vraiment des années pour lui pas du tout fastes. Il a détesté ses années lycée. Et cette lettre nous montre bien son caractère. Je ne dirais pas qu'il a un caractère épouvantable, mais un caractère bien trempé. Après trois ans de lycée, enfin la liberté. A l'automne 1807, à 17 ans, grâce au soutien du préfet Fourier, Jean-François obtient une bourse d'études et part pour la capitale. Il va enfin pouvoir se consacrer à sa passion, l'étude des langues rares. C'est derrière les murs du Collège de France qu'il dévore livres et précis de grammaire. Le lundi, à 8h15, je pars pour le Collège de France où j'arrive à 9h. Je suis le cours de persan de M. de Sassy jusqu'à 10h. En sortant du cours de persan, je vais de suite chez M. Audran. Nous passons ces deux heures à causer de langues orientales, à traduire de l'hébreu, du syriac, du chaldéen ou de l'arabe. À Paris, Jean-François s'isole. Il a peu d'amis et son frère lui manque. Séparé de son aîné, il semble perdu. Mon très cher frère, l'air de Paris me mine. Je crache comme un orager et je perds ma vigueur. Ce pays-ci est horrible. On a toujours les pieds mouillés. Des fleuves de boue courent dans les rues. Je suis seul. L'étude et le travail seul absorbent mon esprit et mes pensées et portent un peu de calme dans mon âme. Il est seul dans Paris, il n'a qu'une seule chose à faire, c'est étudier. Bon, alors il étudie à fond, il étudie plusieurs langues. Il se désole d'ailleurs de ne pas étudier le turc, il n'a pas le temps. Ben forcément, il étudie l'arabe, le... le persan, etc. Et puis il est dans un milieu où on cherche, on essaye de comprendre les hiéroglyphes. Il approche des gens qui recherchent aussi. Donc oui, il est en plein là-dedans. Champollion a pour professeur les plus grands linguistes, comme Sylvestre de Sassy, qui depuis des années tente sans succès de déchiffrer les hiéroglyphes. Partout en Europe, depuis l'expédition de Bonaparte, l'Égypte est au cœur des préoccupations du monde savant. La course au déchiffrement est lancée. Reineux, en Allemagne. Ackerblad en Suède est celui qui va devenir le plus grand concurrent de Champollion. Thomas Hume en Angleterre. Le jeune Champollion décide lui aussi de se lancer. En quelques mois avec son frère, il met en place un plan de bataille. Une véritable stratégie qui doit permettre à Jean-François de déchiffrer. L'étude de ces échanges, de cette correspondance entre les deux frères, ces va-et-vient nous montrent que la méthode s'est mise en place à deux. Et même si Jacques-Joseph, le frère aîné, n'a pas les compétences intellectuelles de son frère cadet, on a affaire à un véritable échange scientifique, c'est-à-dire qu'il lui propose de l'aider, de vérifier ses hypothèses et de travailler avec lui pour le faire avancer, pour avancer plus vite. Ne te décourage pas sur le texte égyptien. Une lettre te conduira à un mot, un mot à une phrase et une phrase au tout. Travaille toujours jusqu'à ce que je puisse vérifier ton travail par moi-même. Depuis Grenoble, Jacques-Joseph dirige les travaux de son frère. C'est sur ses conseils qu'au printemps 1809... Jean-François pousse les portes d'une église parisienne, l'église Saint-Roch. Entre ses murs, le jeune Champollion fait une rencontre déterminante. Le vicaire de cette église parle encore une langue née il y a des siècles sur les rives du Nil, le copte. Les coptes d'aujourd'hui, chrétiens d'Égypte, continuent à utiliser dans la liturgie une langue morte, elle n'est plus vivante depuis le Moyen-Âge, mais qui n'est autre que l'égyptien de toute Moses, de Ramsès, de tout Encamon. qui a traversé les âges à gros sabots, en quelque sorte. Mais en gros, le copte, c'est l'ancien Égyptien, dans sa dernière forme. À partir de 18 ans, il s'est vraiment, véritablement axé sur la connaissance de... de cette langue de façon à la pratiquer, comme il disait couramment, comme si c'était une langue vivante. Alors que je rappelle que le copte était une langue morte depuis au minimum le XVIIe siècle, et encore dans des réduits en Haute-Égypte. Mon frère, je travaille et je me livre entièrement au copte. Je veux savoir l'égyptien comme mon français. Je parle copte tout seul. C'est le vrai moyen de me mettre mon égyptien pur dans la tête. Selon moi, le copte est la plus parfaite et la plus raisonnée langue connue. J'espère t'en recréer un peu quand tu viendras à Paris. Tu fais bien de te livrer au copte, mais ne perds pas de vue les papyrus. C'est un sujet digne des plus hautes méditations, mais dont on peut venir à bout, j'en suis persuadé. Après cela, j'attaquerai les papyrus, et grâce à mon héroïque valeur, j'espère en venir à bout. En octobre 1809, Jean-François Champollion a terminé ses études. La tête pleine de coptes et d'Egypte, il est de retour à Grenoble. Grâce au soutien du préfet Fourier, les deux frères obtiennent des postes de professeurs à l'université. C'est au sud de la ville, dans la maison des Ombrages, que chaque fin de semaine ils se retrouvent. Cette bâtisse est restée pendant des générations dans la famille et a peu changé depuis deux siècles. On est dans un lieu intime, dans un lieu où ils participent à la recherche, où ils travaillent ensemble, où ils collaborent et s'échangent, une sorte d'émulation entre les deux frères. On n'est pas dans un château ici, on est vraiment dans une maison assez simple, une maison 18e, bien éclairée, agréable à vivre. Et puis avec ici, au dernier étage, cette chambre qui est réservée pour Jean-François Champollion. Ce qui est intéressant ici, ce qui est vraiment touchant, c'est que Jean-François Champollion a inscrit deux cartouches. On voit que les hiéroglyphes sont encore un peu mal habiles, il n'est pas encore le grand déchiffreur des hiéroglyphes, mais tout de suite il essaye de s'inscrire dans cette histoire, et il essaye en fait, il se fixe un rendez-vous quelque part peut-être. A côté de son étude du copte, Jean-François entame des recherches sur les différentes écritures utilisées par les anciens égyptiens. Car l'écrit est au coeur du pouvoir de cette antique civilisation. Seule une élite, les scribes, maîtrise ces signes. Le scribe a Croupy est une des pièces maîtresses des collections du musée du Louvre. A travers les siècles, ce personnage fixe le visiteur. Il nous rappelle qu'il connaît le secret des hiéroglyphes. L'association entre pouvoir et écriture en Égypte est plus étroite que nulle part ailleurs. Le pouvoir égyptien repose sur l'écriture, puisque par l'écriture, on peut exercer les rites envers les dieux et faire marcher, faire tourner la machine administrative. L'élite égyptienne est une élite administrative, la noblesse est administrative. Il n'y a pas de plus grand honneur que de savoir lire les hiéroglyphes, que de connaître le secret des hiéroglyphes. C'est vraiment l'une des marques essentielles de la civilisation égyptienne par rapport à ses voisines. Dans la salle des écritures du Louvre sont regroupés des documents religieux, commerciaux ou administratifs. Sous la plume rapide des scribes, les signes hiéroglyphiques se simplifient. Alors les hiéroglyphes, c'est ce qui est pour nous l'écriture de référence. Elle l'était aussi pour les Égyptiens, ils l'appelaient Medoune et Tchère la parole du Dieu, donc c'était fondamental. Il est bien évident que des signes aussi élaborés que ceux-là, où vous avez des vautours, des chouettes, etc., ne peuvent pas servir. pour l'écriture courante. Par conséquent, ces hiéroglyphes étaient utilisés d'une manière très simplifiée qu'on appelle le hiératique. Le hiératique, c'est l'écriture manuelle d'escrits dont ils se servaient pour les actes de la vie courante. Il y a la même différence entre... entre les hiéroglyphes et le hieratique qu'entre l'écriture d'imprimerie pour nous et l'écriture personnelle, manuelle, que nous avons chacun. Si vous comparez objectivement une lettre que vous écrivez et sa transcription imprimée, vous verrez que, formellement, ça n'a rien à voir. Eh bien là, c'est la même chose, exactement la même chose. Pendant des millénaires, ce n'est donc pas une seule écriture qui est utilisée par les anciens Égyptiens, mais deux. Les hiéroglyphes et leur version simplifiée, le hiératique. Puis, au VIIe siècle avant notre ère, une troisième écriture apparaît, le démothique, qui est une évolution tardive du hiératique. Au début du XIXe siècle, pour Champollion et tous les concurrents au déchiffrement, ces évolutions restent mystérieuses. Personne ne comprend encore réellement les liens précis entre ces trois écritures. Jean-François Champollion n'est pas le seul à s'intéresser à ce domaine. De l'autre côté de la Manche, dans les salles du British Museum, son concurrent anglais, Thomas Young, travaille avec acharnement. Thomas Young est le plus grand rival de Champollion. Il a parfois été décrit par ses collègues comme l'homme qui savait tout. Avec ses recherches, il a beaucoup contribué à des avancées dans les domaines de la lumière, de l'énergie, de la vision, et même de l'harmonie en musique, et bien sûr, de l'égyptologie. Thomas Young s'intéresse particulièrement à l'écriture démotique. Car il a un accès direct à un document essentiel, découvert quelques années plus tôt dans le delta du Nil, et qui contient cette écriture. En juillet 1799, dans la petite ville de Rosette, le lieutenant français Pierre-François-Xavier Bouchard met au jour une pierre gravée de trois écritures. Du grec, des hiéroglyphes et du démotique. Le militaire se rend compte immédiatement qu'il a sous les yeux un document unique. Ils perçoivent immédiatement l'importance de la pierre de Rosette parce qu'ils savent lire le grec. Et qu'en grec, il est dit que ce même texte sera publié en trois écritures dans tous les temples d'Égypte. Or, on sait lire le grec. et c'est la première fois dont on dispose d'un texte bilingue. Et on se dit, puisqu'on dispose d'un texte bilingue, il suffit de comparer les mots grecs aux signes hiéroglyphiques et on va déchiffrer les hiéroglyphes. Rapidement, grâce à un procédé d'estampage, plusieurs copies de la pierre sont réalisées. Pour le monde savant, la découverte par les Français de la pierre de Rosette est une nouvelle extraordinaire, qui se propage dans toutes les capitales européennes. Mais la grande histoire va faire basculer le destin de cette stèle. Lors de la bataille navale d'Aboukir contre les Anglais, la flotte française est détruite. Les troupes de Bonaparte sont désormais bloquées en Égypte. Et en août 1801, les derniers combattants et les savants de la commission se rendent aux troupes de Sa Majesté. Et là, il y a un problème. Il y a un problème parce que les Anglais veulent saisir tous les documents. Et notamment les pierres de Rosette qui se trouvent à Alexandrie. Et là, il va y avoir plus qu'une négociation, un affrontement entre les savants et artistes d'un côté et les officiers anglais de l'autre. Les Anglais veulent tout saisir. Les Français ne veulent rien lâcher. Les Anglais ont perçu l'importance de la pierre de Rosette, ils insistent. Ils vont laisser tous les documents aux Français, mais ils vont emporter quelques pièces, et notamment cette fameuse pierre de Rosette, qui est immédiatement transportée sur un navire britannique et part pour Londres. Dès qu'elle arrive au Royaume-Uni, le roi fait inscrire son nom ainsi qu'une dédicace royale sur la pierre. Il veut s'assurer que tout le monde comprenne bien qu'elle a été prise aux Français, par les Britanniques, en Égypte. C'est un triomphe sur les Français. C'est le symbole de la victoire sur les Français en Égypte. Le fait d'avoir ces trois écritures sur cette stèle reflète la culture de l'époque, la société de l'époque. L'Égypte était au IIe siècle avant Jésus-Christ une société multiculturelle, avec des Grecs, des Égyptiens et des étrangers vivant ensemble. C'est donc un moyen d'atteindre toutes ces différentes communautés linguistiques. Édité en 196 avant notre ère, sous le règne du pharaon Ptolémée V, la pierre de Rosette décrit les honneurs qui doivent être rendus aux souverains dans les différents temples du pays. La première version du texte est en grec, qui est alors la langue de l'élite politique. Juste au-dessus, le même texte est repris en démotique, l'écriture courante du peuple. Enfin, le troisième est en hiéroglyphe, l'écriture sacrée qui a traversé les millénaires. Plus de dix ans après cette découverte, cette stèle n'est pas la clé tant attendue. Son étude n'a pas révélé le secret des hiéroglyphes. Malgré tous les efforts des savants qui travaillent sur des copies, aucune correspondance n'a pu encore être trouvée entre le texte grec et sa version en hiéroglyphe. Pour Jung, et bien sûr Champollion, le démothique devient un objectif prioritaire. Car la clé se trouve peut-être dans la compréhension de cette troisième écriture, présente sur la pierre. Alors que le savant anglais avance à grands pas, au pied des Alpes, pour les frères Champollion, l'horizon s'obscurcit. Grenoble est en ébullition. Dans les rues souffle le vent mauvais de la politique. Le 6 avril 1814, affaibli par ses défaites militaires, Napoléon abdique et part en exil à l'île d'Elbe. Soutenue par les Anglais, la maison de Bourbon avec Louis XVIII revient au pouvoir. Le drapeau tricolore de la République laisse place au drapeau. Le drapeau blanc de la royauté. Deux Frances se font désormais face. Pour les frères Champollion, et en particulier pour Jean-François, le retour de l'ancien régime monarchique est insupportable. On le voit au travers de la correspondance, Jean-François Champollion est extrêmement inquiet, il a peur. On sent vraiment que ce n'est pas une période très faste pour lui. Ce sont des républicains, ce sont vraiment des enfants des Lumières, ce sont deux enfants de la Révolution. Ce qu'ils vont défendre, et notamment le cadet, ce qu'il va défendre pendant toute sa vie, sa carrière, c'est la laïcité, c'est l'instruction pour tous, ce qui va lui valoir aussi quelques déboires avec l'Église. Dans une lettre écrite à son frère, Jean-François Champollion parle des Noirs, c'est-à-dire des curés et des ecclésiastiques, et voici ce qu'il en dit. Je vois avec une sainte erreur la proposition de céder aux Noirs les collèges et les places de proviseurs. Il est dangereux d'ouvrir à son ennemi la porte de la basse-cour, car il finit toujours par enverrir la cuisine. Les Champollions sont particulièrement attentifs, exaspérés devant le triomphalisme d'un clergé qui juge revanchard. Et ça alimente une espèce de guerre des libelles. Jean-François écrit des écrits cruellement sarcastiques à l'encontre du clergé qui circule en ville. Ça lui vaut beaucoup d'inimitié, des haines farouches. En quelques mois, les deux frères sont emportés par le tourbillon des événements politiques. Moins d'un an après son exil, à l'île d'Elbe, Napoléon tente un retour. À la tête de 1200 hommes, il débarque en Provence. Grenoble est sur la route qui le mène vers Paris. Il effectue une entrée triomphale dans la ville. Les deux frères Champollion sont dans la foule qui l'acclame. Après la défaite définitive de Napoléon à Waterloo et son exil à Sainte-Hélène, la monarchie de Louis XVIII est revancharde. Partout en France s'abattent les purges politiques et la répression. À Grenoble, les Champollions sont maintenant à la merci de leurs ennemis. Le préfet Fourier n'est plus là pour les protéger. Tout peut maintenant survenir. Procès. Prison. Exil. Jean-François n'a qu'une idée. Protéger son frère aîné. Sauve-toi d'abord. Quant à moi, il en sera ce que Dieu voudra. Ne cherche qu'à te tirer d'affaires, toi seul. S'il leur fout une victime, je suis là. Je n'ai ni femme ni enfant. Tout mon avoir serait dû à ma peau, et ce n'est pas grand-chose. En mars 1816, le couperet tombe. Les Champollions sont condamnés à l'exil. Leurs passeports leur sont retirés. Et ils sont placés en résidence surveillée dans le sud-ouest, dans leur ville natale de Figeac. Il se passe qu'ils ont fait le mauvais choix. Les deux frères Champollions ont choisi Napoléon au retour de l'île d'Elbe. Et on les surnomme les Champolléons. On les surnomme les Champoléons et on les punit. Alors concernant la période de Fijac, les deux frères sont ensemble, donc fatalement ils ne s'écrivent pas. Pour avoir des informations, il faut aller chercher vers d'autres correspondants, et notamment des amis qui sont restés à Grenoble. Et donc ces amis, ils vont leur écrire, et notamment Jean-François, en disant que ce sont des heures sombres, que c'est le désespoir, qu'ils passent ces journées abayées. Enfin bon, les premiers mois ne sont pas évidents pour eux. Après un an et demi d'exil, le préfet du Lot autorise enfin les deux frères à quitter Figeac. Jacques-Joseph, l'aîné, obtient grâce à ses relations un poste dans la capitale et part s'installer à Paris. Jean-François, lui, retrouve son poste de professeur à Grenoble. Il n'a qu'une idée, se replonger au plus vite dans ses recherches. Alors qu'il se remet assidûment au travail, un document envoyé par son frère le plonge dans un profond désarroi. Son meilleur ennemi, le docteur Young, fait un retour fracassant. Le savant anglais fait paraître un article sur son travail, sur la pierre de Rosette. Il annonce qu'il a réussi à déchiffrer partiellement certains cartouches royaux. L'article intitulé Égypte dans l'Encyclopédie Britannica est un article assez long et complet, dans lequel il aborde de nombreux aspects de la culture égyptienne. En ce qui concerne la langue et l'écriture, il explique la façon dont il lit le nom du roi Ptolémée. Il aborde également d'autres aspects de la grammaire égyptienne. On peut dire que Thomas Young était à cette époque, vers 1814-1818, lorsqu'il publie l'article, vraiment en avance. Jean-François fulmine. Il considère que les avancées de Jung sont ridicules. Et pourtant, son article a un retentissement considérable. Pour certains, l'anglais est aux portes du déchiffrement. Les découvertes du Dr. Jung annoncées avec tant de faste ne sont qu'une ridicule forfanterie. La découverte si vantée de la prétendue clé me fait pitié. Je plains en conscience les malheureux voyageurs anglais en Égypte, obligés de traduire les inscriptions de Thèbes avec le passe-partout du Dr. Jung à la main. Alors qu'il est distancé par son concurrent, la politique bouleverse à nouveau le cours de l'existence du jeune Champollion. Une fois encore dans les rues de Grenoble, monte la sourde clameur de la révolte. À la suite des chauffourées, des dizaines de personnes sont raflées par les ultra-royalistes. La terreur s'abat sur la ville. Jean-François Champollion, qui depuis des années est sur les listes noires de la préfecture, est arrêté. Il échappe de peu au procès, mais perd définitivement son poste de professeur. Cette époque pour lui, de 1821 à Grenoble, est vraiment très sombre, très obscure. Son frère est à Paris, donc il lui écrit. On a des lettres, mais qui sont poignantes, puisque Jean-François Champollion dit à son frère qu'il n'en peut plus d'être... à Grenoble, qu'il ne supporte plus cette ville. En plus, donc, il a perdu son poste, enfin ses postes, donc il a des problèmes financiers, il a ses problèmes politiques et par-dessus le marché, d'après ce qu'on lit dans les lettres, il commence aussi à avoir des problèmes de santé, donc il est vraiment au fond du trou et son frère, recevant ce type de lettres, lui dit viens me rejoindre à Paris Cette main tendue est son dernier espoir. Au mois de juillet 1821, Jean-François arrive à Paris. C'est au cœur de la capitale qu'il retrouve enfin ce frère qu'il aime tant. Jean-François s'installe chez son frère aîné, sans emploi. Il n'a plus le choix. Il est au pied du mur. Il doit. réussir à déchiffrer. Il décide d'appliquer une nouvelle méthode à l'étude de la pierre de rosette. Il vient en effet d'obtenir une des trois copies de la stèle réalisée lors de sa découverte en Egypte. Ce document qu'on a à présent sous les yeux est une des trois reproductions faites sur la pierre elle-même en 1799. Il s'agit d'un exemplaire unique obtenu par procédé lithographique, c'est-à-dire qu'on a ancré la pierre comme si c'était une plaque à imprimer, sur laquelle on a pressé le papier, ce qui fait que cette reproduction est inversée par rapport à la pierre de rosette qu'on peut voir aujourd'hui au British Museum, et les signes apparaissent en blanc. Grâce à l'une de ses reproductions, Jean-François décide d'utiliser une technique très simple, employée par les linguistes depuis le XVIIe siècle. Et étonnamment jamais appliquée sur la pierre de Rosette. Le comptage. En comptant les signes, il s'aperçoit qu'il y a 1419 signes hiérogléphiques pour 86 mots grecs. Donc comment, si les signes hiérogléphiques ne sont chacun qu'une seule idée, enfin une forme de... rébus avancés, comment 1400 idées d'une part peuvent aboutir uniquement à 86 mots en grec. C'est donc que l'écriture était beaucoup plus complexe que ça. C'est l'un des moyens qui lui permettra de comprendre que le... le système d'écriture égyptien est duel, à la fois phonétique et idéographique. Nous, en français, dans les langues modernes, nous avons un système purement phonétique, c'est le système alphabétique, un signe égale un son, donc il n'y a pas beaucoup de signes. Et à l'autre extrémité de l'échelle, c'est le système chinois, où il y a un signe par idée, par mot, ce sont les idéogrammes. Et là, il y a des milliers de signes. L'égyptien est entre les deux. Certains hiéroglyphes sont phonétiques et ne correspondent qu'à des sons, comme ici la chouette, qui est associée à la lettre M. D'autres voient leur nature changer en fonction de leur emploi, comme celui-ci, qui, utilisé seul et idéographique, est un peu plus simple. et correspond à l'idée de maison. Mais quand il est associé à d'autres signes, comme ici les hiéroglyphes de la bouche et des jambes, il prend alors une valeur phonétique et produit le son père pour former le mot péri qui signifie en ancien égyptien sortir ou monter Bien entendu, à cet instant, tout cela est encore bien mystérieux pour Champollion. Mais en pressentant la double nature de ce système, il franchit une étape capitale. Il décide de se concentrer tout d'abord sur les signes phonétiques pour tenter de se constituer un alphabet de référence. Mais comment procéder ? Sa connaissance de l'histoire égyptienne va lui permettre d'avoir une intuition décisive. La clé se trouve peut-être dans le nom des pharaons de la 32e dynastie, dites tolémaïques. Car ces pharaons ne sont pas égyptiens. Depuis les conquêtes d'Alexandre le Grand au IVe siècle avant notre ère, Une élite grecque règne sur l'Égypte. Ses rois se font couronner pharaons et adoptent les mêmes dieux que les Égyptiens. Mais ils utilisent la langue grecque. Pour Champollion, pas de doute. Afin d'écrire leur nom grec en hiéroglyphe, seuls des signes alphabétiques, reproduisant uniquement des sons, ont pu être utilisés. C'est une intuition magnifique. Champollion s'aperçoit très très vite que les souverains comme Ptolémée, les Dérènes-Cléopâtre, Bérénice, etc. sont des noms grecs, et donc il n'y a pas d'autre moyen que d'en transcrire les consonnes de manière alphabétique. on va chercher à transcrire leur nom pour qu'il soit prononcé correctement par les Égyptiens. Ptolémée, ce n'est pas quelque chose qui a du sens pour un Égyptien. On n'a pas traduit ce que voulait dire Ptolémée pour un Égyptien, on l'a traduit uniquement pour le son. Et donc là, on va utiliser des lettres-son, et ça va permettre à Jean-François Champollion de se constituer un premier bagage de lettres et d'équivalence de signes et de lettres. Qu'il va ne cesser d'enrichir au fur et à mesure qu'il va s'attaquer à de nouveaux noms de pharaons étrangers. La machine est lancée. Sur la pierre de Rosette, Champollion a accès à un premier cartouche de roi. Il sait grâce au texte grec... qu'il a face à lui le nom du roi Ptolémée. En comparant les hiéroglyphes, au nom du souverain écrit en grec et en démotique sur la stèle, il réussit à associer des signes et des sons et obtient une première série de lettres. Dès qu'il voit passer une publication ou il sait qu'un voyageur revient d'Egypte, il va grappillonner la moindre inscription qui a été collectée sur des documents. Justement, il est avide d'avoir plus d'inscriptions pour avancer et voir sur quelle inscription il aura un déclic. Sur un document ramené par les savants de la Commission d'Égypte, il repère un nouveau cartouche royal de pharaon grec. Il essaie de séquencer l'inscription en prenant des repères iconographiques. Donc là, il va commencer à compter ses lettres. Voir quelles lettres sont en commun avec ceux de Ptolémée et qu'est-ce qui pourrait coller comme nom. Et c'était Cléopâtre. Sa méthode fonctionne. De nouvelles lettres sont désormais en sa possession. Il doit redoubler d'efforts. Ce carnet, qui est parvenu jusqu'à nous, témoigne de ce travail de collecte acharné et passionné qu'il mène en cet été 1822. On est au cœur de son travail. Très vite, on voit qu'on a une collection de noms comme Alexandre, Ptolémée, Néron, Bérénice, Cléopâtre. Rien qu'à entendre les sons, même en français, on sent le nombre de sons qu'il a dû collecter et on voit qu'il complète son alphabet. Jour après jour, Jean-François avance. Mais jusqu'à maintenant, il n'a travaillé que sur des noms de pharaons grecs. Il ne s'est donc confronté qu'à des signes phonétiques. Il n'a pas traduit de signes idéographiques, faisant référence à des choses ou à des idées. Tout bascule dans la matinée du 14 septembre. La veille, Jean-François a reçu de la part de son ami, l'architecte Huyot, des relevés de bas-relief du temple d'Abu Simbel. Ces relevés sont extrêmement précieux, car ils proviennent d'un temple construit bien avant l'arrivée des pharaons grecs. Ces cartouches royaux doivent donc contenir des signes idéographiques. Rapidement, Jean-François se concentre sur un premier nom de roi. Face à ces signes, il va faire appel à sa connaissance du copte. Il émet tout d'abord l'hypothèse que le premier signe est idéographique et qu'il fait référence au soleil. Le premier signe c'est le soleil, un rat donc, et ça il sait que c'est un rat. par le copte. Ra, c'est le nom copte du soleil. Ensuite, il y a un signe qui ressemble à trois peaux de renard cousu, qui ressemble en gros à une fourchette. Et ce signe-là, on ne sait pas très bien ce que c'est. Et puis le dernier, alors là, il vient vraiment de la pierre de Rosette, c'est une sorte de crosse. Elle apparaît par exemple à la fin du nom grec Ptolmaïos. de Ptolémée. Et donc, on sait qu'elle représente le S du grec. Donc, sur ce cartouche, il a un logogramme, un signe qui représente un mot, le soleil. En plus, il est capable de le lire grâce au copte. Ensuite, un signe dont on ne sait pas très bien ce que c'est. Et puis, un S. Donc, il a un Ra et un S. Et il se dit, bon, un signe au centre. Qu'est-ce que ça peut être ? Qu'est-ce que je connais comme nom de pharaon égyptien ? Ra, S, peut-être Ramsès. Il se rapproche du but. Et ici encore, sa connaissance du copte va faire merveille. Champollion cherche donc un son M pour former le nom Ramsès. En copte, un mot attire son attention. Le mot missé qui signifie maître au monde Il associe donc le signe manquant à ce mot, et peut ainsi lire ra-missé-ès Il peut surtout comprendre ce que signifie ce mot. Ra, le soleil, l'ami au monde. Avec cet éclair de génie, il est le premier à redonner du sens à cette écriture. Survolté, il doit vérifier son hypothèse. Il s'attaqua à un autre cartouche royale en appliquant sa méthode. Il réussit à lire... Metz, le dieu Thoth, l'ami au monde. Il vient de lire le cartouche du pharaon Thoutmosis. Sa méthode fonctionne. Il est le déchiffreur. C'est vraiment la naissance de l'égyptologie, parce que l'usage du copte, la découverte de la langue, la première traduction d'un nom royal, c'est quelque chose d'incroyable, d'incroyable. Il a accès au nom des pharaons égyptiens, tels que eux-mêmes les pratiquaient avec leur sens. Il se détache des connaissances du grec et il fait ce qu'il a toujours voulu faire, redonner une voix aux égyptiens par leur propre texte à eux. Les minutes qui suivent la découverte ont été relatées quelques années plus tard par le neveu de Jean-François Champollion. Un récit qui va forger la légende. Je tiens l'affaire ! Une découverte aussi importante ne pouvait pas se passer normalement. Il fallait quelque chose d'un peu exceptionnel. Et donc on imagine très bien Jean-François arriver en courant chez son frère et disant je tiens l'affaire et tombant dans les pommes. C'est possible, en tout cas c'est bien. Après des mois et des années de travail intense, On peut imaginer le choc avec cette découverte. Peut-être qu'il est resté alité quelques jours, mais il fallait bien évidemment toute une légende autour de cette grande découverte. Une semaine plus tard, le 27 septembre 1822, Jean-François pousse les portes de l'Académie des Belles Lettres et Inscriptions. C'est là qu'il doit présenter sa découverte aux yeux du monde. Avec l'aide de son frère, en quelques jours, il a dans l'urgence tenté de résumer en quelques feuillets son travail. Cette lettre est entrée dans l'histoire sous le nom de Lettre à Monsieur Dacier, le nom du directeur de l'Académie. Tous les principaux concurrents à la course au déchiffrement sont dans la salle. Généralement, l'orateur est installé ici, dans l'une de ces places, comme ça. En fait, c'est une sorte de cérémonie qui a lieu là, qui est une véritable intronisation scientifique de Champollion. La question est, le 27, quelles vont être les réactions des principaux détracteurs, au premier rang desquels figure Jung. Thomas Jung est probablement celui, dans l'assistance, qui comprend le mieux ce qui est en train de se passer. Il est à la fois admiratif et jaloux. C'est son concurrent. C'est son concurrent qui ne révèle pas tout de ce qu'il a trouvé, mais qui révèle quand même quelque chose d'essentiel. L'annonce de la découverte de Champollion se répand rapidement, dans tous les cercles intellectuels. Et partout en Europe, les journaux relatent cette avancée majeure vers le déchiffrement des hiéroglyphes. Louis XVIII lui-même est informé de sa découverte. Pour le grand public, Champollion est devenu l'égyptien. Mais Jean-François sait que pour que sa réussite soit totale, il doit mettre à l'épreuve au plus vite son système sur le terrain, en Égypte. Il est persuadé que son succès va lui ouvrir toutes les portes. Puis ça s'arrête là. Il n'a pas de poste et il n'a pas spécialement de projet. En tout cas, l'État français ne lui propose rien. Donc, malgré cette grande découverte, il est un peu au pied du mur. Et la grande frustration de Jean-François Champollion, c'est qu'il n'est toujours pas allé en Égypte. C'est son grand rêve et il n'a toujours pas mis les pieds en Égypte. Il ne peut pas, il n'a pas de financement ni personnel, ni un financement par l'État. Pour le duo Champollion, la désillusion est grande. Encore une fois, c'est Jacques-Joseph qui va remuer ciel et terre pour son frère. Il réussit à convaincre un proche du roi, le duc de Blacas, de leur venir en aide. En 1824, grâce à son soutien, Jean-François obtient enfin l'argent nécessaire à un voyage. A défaut de pouvoir s'embarquer pour la lointaine Egypte, ils traversaient les Alpes. A l'époque, c'est dans la péninsule italienne que se trouvent quelques-unes des plus belles collections égyptiennes. Turin, Rome, Florence. Pendant des mois, Champollion étudie des dizaines d'objets, recherchant sans cesse de nouveaux textes et de nouvelles inscriptions. En juin 1825, il obtient une information de la plus haute importance. Un navire vient d'accoster dans le port de Livourne. Il rapporte d'Egypte des centaines d'objets qui sont à vendre. Une course s'engage. Champollion veut à tout prix que la France achète cette collection majeure et puisse ainsi créer son premier musée égyptien. Il y a une compétition internationale qui s'est ouverte dans ces années 1820. Donc pour la France, pour la France qui a été vaincue en Égypte en 1801, pour la France qui a été vaincue en Europe en 1814 et en 1815, ouvrir des salles égyptiennes au Louvre, eh bien ça fait partie de ce que l'on appellerait aujourd'hui le soft power, c'est un moyen de reprendre pied, de gagner en influence. Et la France a un coup d'avance, si vous permettez, avec Champollion, puisque lui va pouvoir faire la première expertise scientifique de la collection. Et du coup, il est aux avant-postes et le rapport d'expertise, littéralement, qu'il ramène d'Italie sera décisif pour l'acquisition de cette collection Sol, qui est aujourd'hui au Louvre. Certains de ces objets sont aujourd'hui considérés comme les chefs-d'œuvre du musée du Louvre. Afin d'accueillir cette collection, le roi Charles X, qui règne désormais sur la France, ordonne la création d'une galerie égyptienne. Alors qu'il est encore à Livourne, Jean-François Champollion apprend par une lettre de son frère une nouvelle extraordinaire. Le roi vient de le nommer conservateur de ce nouveau musée. Amon-Rassois-Loué, et toi aussi. J'ai reçu ce matin, mon cher ami, tes deux dernières lettres, l'une donnant la bonne nouvelle, dont l'autre apporte la confirmation. Dieu veuille que ce soit là les derniers ennuis que j'ai à te causer, et que les choses s'arrangent enfin, de manière à ce que, passant moi-même aux avant-postes, je puisse combattre pour ta bannière, comme tu as vaillamment combattu pour la mienne. C'est extrêmement touchant de voir que Jean-François Champollion, avec tout ce mauvais caractère qu'on lui dé... écrit, c'est ce qu'il doit à son frère et totalement reconnaissant envers son frère. C'est dans les toutes nouvelles galeries Charles X que Champollion organise son musée. Il n'a qu'une idée en tête, plonger le visiteur au cœur de l'Egypte pharaonique. Il veut présenter les chefs-d'œuvre de cette civilisation à l'égal de l'art de la Rome et de la Grèce antique. Il faut vraiment se rappeler que le goût français repose sur la primauté du goût classique. Il n'y a de goût que classique. Qu'est-ce qu'on entend par classique ? C'est le... esthétique résultant de l'art gréco-romain, si vous voulez, et qui est transmis volontairement par l'Académie royale, etc., comme le bongo, il n'y en a pas d'autre. Alors évidemment, ça ne laisse pas la place à d'autres arts. Dans son musée, Champollion présente ses pièces dans toute leur majesté. Il met aussi en place les prémices de l'égyptologie, en classant les œuvres par thématique. C'est une révolution. Le cabinet de curiosité révolue. Il veut véritablement classer les documents et prouver aux visiteurs que ce classement est celui-là qui permet la description de... la civilisation. Le visiteur achetait ce petit guide pour visiter le musée égyptien et retrouver le numéro associé à l'objet et liser les trois lignes en général, il est très synthétique, les trois lignes qui donnaient l'essentiel des informations. C'est un livre d'histoire événementielle, d'histoire religieuse. Ça donne une vision globale de ce qu'est la civilisation égyptienne. Les galeries égyptiennes du Louvre ouvrent leurs portes en décembre 1827. Voilà, il faut imaginer des personnes qui se pressent avec les toilettes de l'époque, ces très grandes robes pour les dames qui sont en chapeau, avec les hommes en redingote, etc., avec leur haut de forme. Autant l'Égypte était confidentielle auparavant, autant là, tout d'un coup, elle devient pleinement visible. Champollion réussit son coup parce que l'époque est prête, la société est prête, parce que la société le souhaite. Enfin, l'Égypte est à portée de compréhension. Mais Jean-François Champollion est frustré. Cinq ans après le déchiffrement, il n'a toujours pas foulé le sol de cette Égypte dont il rêve tant. Il n'a toujours pas confronté son système à l'épreuve du terrain et des temples égyptiens. Tandis que le roi de France, Charles X, se refuse toujours à financer une telle expédition, de l'autre côté des Alpes, un voyage se prépare. Le grand-duc de Toscane, Léopold II, est un souverain passionné par les arts. Il décide, lui, de soutenir un groupe de savants qui veut remonter le Nil. Le duc de Blacas, le protecteur des Champollion, a vendu projet. Il va tout mettre en œuvre pour convaincre Charles X de s'associer à cette expédition. Après des mois d'incertitude, le souverain français donne enfin son accord. C'est la victoire. Jean-François Champollion est nommé à la tête de l'expédition Franco-Toscane. Enfin, le rêve du déchiffreur se réalise. C'est vraiment le voyage vers la terre promise. Il rentre chez lui. Il n'a jamais mis les pieds en Égypte, mais c'est son pays natal. Il connaît l'arabe, le copte, les hiéroglyphes. Il est chez lui. de Jean-François Champollion sont énormes. Il veut tout d'abord compléter et vérifier l'histoire des dynasties égyptiennes. Mais surtout, il veut prouver au monde la validité de son système de déchiffrement. Il n'a pu jusqu'alors travailler que sur un petit nombre de documents et provenant essentiellement des temples de pharaons grecs. Il doit donc démontrer que sa méthode s'applique à l'ensemble des textes hiéroglyphiques de toutes les époques. Août 1828, Champollion et les membres de l'expédition franco-toscane débarquent à Alexandrie. Le choc est total. Et c'est à son frère qu'il fait part de ses premières émotions. Je suis arrivé le 18 août dans cette terre d'Egypte après laquelle je soupirais depuis longtemps. Ce fut pour nous comme une apparition des antipodes et un monde tout nouveau. Des cris rauques partant de tous les côtés et se mêlant à la voix glapissante des femmes ou d'enfants à demi-nus. Une poussière étouffante et, par-ci par-là, quelques seigneurs magnifiquement habillés, maniant habilement de beaux chevaux et richement tarnachés. Voilà ce qu'on nomme une rue d'Alexandrie. Champollion adopte les coutumes du peuple du Nil. Sur ce tableau que réalise l'un des membres de l'expédition, on découvre Jean-François, plus égyptien que jamais. Ma tête rasée est couverte d'un énorme turban. Je suis complètement habillé à la turque. Une belle moustache couvre ma bouche et un large cimetère pente à mon côté. Les Arabes me prennent partout pour un naturel. Mais cet exotisme ne lui fait pas oublier l'essentiel et l'urgence. Car il n'a que 17 mois pour réaliser l'ensemble de l'énorme programme qu'il s'est fixé. Il est à la tête d'une expédition de 14 personnes. Et rien ne doit être laissé au hasard. Article 1er. Champollion est chargé de la direction générale de l'expédition. Il décide des lieux où on devra s'arrêter, du temps qu'on devra rester dans chaque station et généralement de tout ce qui a rapport à la situation. à la marge du voyage, à la distribution et à l'ordre des travaux. La bibliothèque nationale conserve le règlement de bord établi par Champollion. Il régit la vie des membres de l'expédition à bord des bateaux qui vont remonter le Nil. C'est une organisation quasi militaire. Et il y a notamment l'interdiction de sortir du bâtiment sans autorisation. On ne va pas dérougler son matelas à n'importe quelle heure de la journée, sauf si on est malade. Enfin, tout ça est noté dans ce règlement quand même. Il s'agit véritablement d'une expédition avec un très gros enjeu pour Champollion. Il ne pourra pas partir longtemps. Il s'agit d'être efficace. Ils partent à deux bateaux et chacun va se répartir les destinations pour collecter les inscriptions et les dessins. Le programme est ambitieux. Les bateaux doivent tout d'abord remonter le Nil. Une première étape dans la cité royale de Thèbes doit permettre à Champollion de faire des repérages. Les navires doivent ensuite pousser jusqu'à la deuxième cataracte et pénétrer en Ubi, pour permettre aux savants d'atteindre les grands temples d'Abu Simé. Sur le chemin du retour, porté par le courant du fleuve, les membres de l'expédition doivent étudier des dizaines de temples. En moins d'un an et demi, Champollion veut tout voir et réaliser le plus de relevés possible. Même séparé par des milliers de kilomètres, son frère est à ses côtés. Les lettres qu'il écrit à son frère quand il est en Égypte, c'est un journal de voyage. Chaque fois, il décrit ce qu'il voit, ce qu'il ressent, comment il veut l'étudier, quels sont ses projets. Donc on a vraiment le projet scientifique. tout au long de ses lettres, mais aussi ses émotions, et on est avec lui en Égypte. C'est dans la matinée du 20 novembre que le vent, lassé de nous contrarier depuis deux jours, me permit d'aborder enfin Ateb, l'aîné de toutes les villes du monde. Pendant quatre jours entiers, j'ai couru de merveille en merveille. Nous sommes en Europe un peuple de lilliputiens. Aucun peuple ancien ni moderne n'a conçu l'art de l'architecture sur une échelle aussi sublime. À Thèbes, Champollion pénètre dans les grands temples royaux de Luxor et de Karnak. Pour lui qui peut désormais déchiffrer les hiéroglyphes, Ces monuments deviennent des livres d'histoire dont ils tournent les pages une à une. On peut l'imaginer arriver à Karnak et voir tous ces noms de rois placardés partout, sur toutes les colonnes, sur tous les pylônes, sur tous les murs du temple. Et on peut l'imaginer se dire, il faut que je compile tout. Karnak, c'est du pain béni pour tout égyptologue qui veut travailler sur les successions de dynasties. Pendant quatre jours, j'ai déjà recueilli des documents fort importants. Ainsi, par exemple, j'ai la certitude que toute notre 18e dynastie est à refaire. De plus, j'ai recueilli sur les monuments une foule d'autres Ramsès formant la 20e dynastie. Je t'envoie ceci pour ne pas te faire mourir de faim. Je devrais passer mon temps à écrire s'il fallait te détailler toutes mes trouvailles. Contente-toi du peu que je peux t'envoyer, dans le moment où les runes égyptiennes me permettent de respirer. Une des exigences à l'époque, c'est d'établir la chronologie égyptienne, vérifier les dynasties et donner une date vérifiée à ces dynasties. Donc il faut organiser les unes par rapport aux autres, transcrire ce qui a été transcrit dans un alphabet grec retourné au nom égyptien des rois. C'est un travail énorme, gigantesque. Champollion sait maintenant que grâce aux inscriptions des temples de Thèbes, il va pouvoir vérifier une grande partie des dynasties et la chronologie des pharaons du Moyen Empire. Toutes ces pensées sont désormais tendues vers Abu Simbel, car il sait grâce aux récits des premiers explorateurs que ce temple édifié sous le règne de Ramsès II contient de grands textes. Il pressent que c'est là qu'il va peut-être pouvoir prouver au monde la validité de son système de déchiffrement. Après des semaines de navigation, des colosses de plus de 20 mètres de haut surgissent soudain du désert. Tous les combats qu'il a menés viennent se résoudre à Boussimben. Il vient en vérificateur de ses propres hypothèses. Il est là pour administrer au monde savant la preuve définitive de la validité de son système. Donc il y a un enjeu personnel qui est considérable. Quand Champollion arrive à Aboussimbel, les temples n'ont été découverts que depuis une quinzaine d'années. Les colosses sont encore en partie ensablés. A notre arrivée, les sables avaient fermé l'entrée, nous la fîmes déblayée. Je me déshabillais presque complètement et me présentais à plat ventre à la petite ouverture d'une porte. Et me glissant entièrement dans le temple, je me trouvais dans une atmosphère chauffée à 51 degrés. La première salle est soutenue par huit piliers contre lesquels sont adossés autant de colosses de 30 pieds chacun, représentant encore Ramsès le Grand. À cet instant, Champollion sait qu'il est le seul homme à pouvoir redonner la parole à ce temple millénaire. Sur les murs sont gravés des récits de bataille. Le pharaon Ramsès II terrasse ses ennemis. En pénétrant tout au fond du temple, Jean-François découvre un grand texte, gravé entre deux colonnes. Face à ces inscriptions, en quelques jours, le déchiffreur va effectuer un travail extraordinaire qui va confirmer la validité de son système. Connu aujourd'hui comme le traité de Ptah, ce récit retrace un dialogue entre le dieu et le pharaon. C'est un long texte de 32 lignes qui est scandé, on le voit très bien, par les cartouches du roi. En voici un exemple ici. La même séquence se reproduit ici et les discours qui prennent place entre cette scansion des cartouches deviennent les points sur lesquels on va concentrer le travail de déchiffrement, etc. Il fait littéralement flèche de tout bois pour établir le texte, séparer les mots, identifier les mots et ensuite leur donner une valeur et ensuite un sens. Petit à petit, entre les cartouches royaux, Champollion grignote de nouveaux mots. En quelques jours, il fait renaître le sens de ce grand traité de PTA. Devant un document aussi abondant, aussi désert, il peut administrer la preuve du fonctionnement de son système. On a du mal à imaginer la jubilation qu'a pu être celle de Champollion devant ce monument même. Dans la fournaise d'Abu Simbel, un dernier voile se lève enfin. Dans cet ancien temple, Champollion fournit la preuve à l'ensemble du monde savant de la validité de ses recherches. Fort de son succès, il rédige, au pied des temples de Ramsès, une nouvelle lettre à M. Dacier, le secrétaire de l'Académie. Je suis fier maintenant qu'ayant suivi le cours du Nîmes depuis son embouchure jusqu'à la seconde cataracte, j'ai le droit de vous annoncer qu'il n'y a rien à modifier dans notre lettre sur l'alphabet des hiéroglyphes. Notre alphabet est bon. Il s'applique avec... un égal succès. D'abord aux monuments égyptiens des temps des Romains et des Lagides, et ensuite, ce qui devient d'un bien plus grand intérêt, aux inscriptions de tous les temples, palais et tombeaux des époques pharaoniques. Après des semaines passées à Abu Simbel, Alors que l'expédition entame sa redescente du Nil, une autre découverte, à laquelle ils ne s'attendaient pas, va bientôt bouleverser Champollion. De retour à Thèbes, les savants de l'expédition prennent pied sur la rive ouest du Nil. Ils ont face à eux la montagne Thébène. Ils s'engagent au cœur de ce massif. Ils veulent établir leur campement dans une vallée désertique. La vallée des rois. La nécropole des pharaons du Nouvel Empire. Dans la roche sont creusées des dizaines de tombes royales. Champollion pénètre dans la dernière demeure du Pharaon Séti Ier, le père de Ramsès II. Il découvre sur ses murs de grands textes qui pourraient remettre en cause les dogmes de la toute puissante Église catholique. Jeté depuis six mois au milieu des monuments de l'Egypte, je suis effrayé de ce que j'y lis plus couramment encore que je n'osais l'imaginer. Les parois de ces tombeaux, et surtout les plafonds, sont couverts de sujets si curieux qu'il a fallu écouter la voix de la conscience et se résoudre. Il faudra les copier. J'ai des résultats extrêmement embarrassants sur une foule de rapports et qu'il faudra tenir sous le boisseau. Beaucoup de choses que je soupçonnais vaguement ont pris un corps et une certitude incontestables. Il copie pour la première fois ses textes funéraires et ce qu'il découvre l'étonne profondément. On a le serpent Apophis, qui est un petit peu le diable, le Satan dans la mythologie égyptienne, qui va être abattu. Au fil de ses lectures, Champollion perçoit des ressemblances inquiétantes entre le panthéon des anciens égyptiens et les récits bibliques. Ce qu'il voit, c'est que dans cet imaginaire des Égyptiens pour l'au-delà, eh bien, il y a en quelque sorte à la fois un enfer et un paradis. Ça le fascine et ça l'inquiète. Il se dit, bon, nous n'avons pas inventé l'enfer, d'autres l'ont fait avant nous. L'Église, au XIXe siècle, même après la Révolution, c'est la gardienne d'une certaine tradition, c'est une forme de la vérité. Et sur l'au-delà, la vérité, seules les autorités ecclésiastiques et les théologiens peuvent dire ce que c'est. Et si là, on a une vérité qui est, je dirais, alternative, eh bien, ça peut poser un problème. Il fait très attention lorsqu'il va parler de ces scènes qui, pour lui, évoquent cet enfer alternatif. Il y a la figure d'Isis et d'Osiris. Osiris est un dieu bon qui meurt et qui ressuscite et par sa résurrection, il devient le paradigme de la vie éternelle promise à tout individu. Ça fait quand même furieusement penser. au Christ. Et Marie, mère de Dieu, Isis était appelée mère de Dieu aussi dans Champollion, repère cette épithète, Mut Netsher en ancien égyptien, mère de Dieu, qu'il trouve appliquée à l'Isis égyptienne. Et donc il y avait un abîme pas infranchissable entre les deux conceptions. Alors là, bien entendu, grand danger, grand danger. Face à ces grands textes, Champollion, fasciné, comprend que 3000 ans avant la naissance du Christ, les anciens égyptiens partageaient cet espoir fou. La mort n'est pas une fin. L'homme est promis à la vie éternelle. Ce grand secret, il le gardera pour lui. Pour le déchiffreur, ces 17 mois de voyage au fil d'une île sont une révélation. Il a pu prouver l'efficacité de son système. Il a fait des avancées spectaculaires dans la compréhension de cette antique civilisation. Avec son équipe, il a accumulé des centaines de dessins et de relevés, émis en lumière de grands textes sacrés. En quelques mois, cette expédition a établi les bases d'une nouvelle science, l'égyptologie. Jean-François Champollion ne foulera plus jamais la terre des anciens pharaons. Le 4 mars 1830, il est enfin de retour à Paris. Après des mois de voyage, c'est un homme épuisé que découvre son frère. Quand il arrive à Paris début 1830, beaucoup, énormément de travail l'attend. Donc il est complètement submergé de travail. Et à côté de ça, on commence à sentir aussi la fatigue. et peut-être aussi la maladie qui commence à faire son chemin. Depuis plusieurs années, Jean-François souffre de crises de gouttes récurrentes. En Égypte, son état s'est aggravé. Il souffre désormais du foie, des poumons. Alors qu'il est très affaibli, Champollion doit s'occuper des galeries égyptiennes du Louvre. de sa nouvelle chaire d'égyptologie au Collège de France. Il est aussi élu à l'Académie des Belles Lettres. Au fil des mois, sa santé se dégrade. Le 29 février 1832, il est victime d'une violente attaque d'apoplexie. En quelques jours, le découvreur sombre dans un semi-coma. Son frère et ses neveux ont fait la description de ces derniers instants. Jean-François Champollion, sur son lit de mort, on a vraiment l'impression qu'il y a tout un cérémoniel qui est mis en place pour son passage dans le royaume d'Osiris, pour sa deuxième vie après la mort, et pour qu'il soit prêt à embarquer sur la barque pour aller dans le royaume d'Osiris, dans le champ des Souchers. Voici le récit que fait son neveu du dernier souffle du déchiffreur. Ali lui souleva la tête et posa les mains qui se refroidissaient déjà sur le costume arabe et les carnets de notes égyptiens. Les yeux à demi éteints flamboyèrent d'un ultime éclat tandis qu'il regardait comme fascinaient les reliques si chères et au-delà, jusqu'à Thèbes. Il est mort d'épuisement. Il a probablement attrapé en Égypte quelques vilains parasites du Nil. Il s'est esquinté, tout simplement. Il est épuisé. Il est mort trop tôt. Et autour de lui, tout le monde est consterné en disant cette... Il a donné naissance à une science, l'égyptologie. À peine née, elle meurt avec lui. Il est le seul. Il est le seul à pouvoir encore lire certaines choses, interpréter certaines choses. Qu'est-ce qu'on va devenir ? Jacques-Joseph décide d'inhumer son frère au cimetière du Père Lachaise. Après l'affreuse catastrophe qui nous a frappés, je tâche de m'oublier dans mes souvenirs. Et c'est à lui que j'ai surtout besoin de penser. De lui qu'il me faut exclusivement m'occuper. Il ne manque pas une page à la grammaire égyptienne. C'est 500 pages d'inventions, de divinations démontrées. C'est plus qu'humain. Une vie d'homme ne pourrait résister à un tel travail. Je n'ai plus rien à faire pour moi. Ses ouvrages, sa mémoire, voilà l'occupation du reste de mes tristes jours. Son frère est là, il sera toujours là, il a toujours été là. Et c'est lui qui va achever le travail et le publier et défendre la mémoire de son frère. Musique Près de deux siècles après sa mort, au détour d'une allée du Louvre, on peut rencontrer des beautés millénaires. Certaines portent en elles, à travers les siècles, la voix de ce génie. Je rapporte au Louvre le plus beau bronze qui était encore découvert en Égypte. C'est une statuette entièrement incrustée d'or, de la tête aux pieds. C'est un petit chef-d'oeuvre sur le rapport de l'art et une merveille sur celui du travail d'exécution. Je suis sûr que vous embrasserez la princesse sur les deux jours. Générique