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Transfert en psychanalyse : Freud et Lacan

Musique Alors, avant de répondre précisément, je poserai quelques bases. Qu'est-ce que c'est le transfert pour la psychanalyse ? C'est quelque chose de très précis. Quand Freud a découvert la psychanalyse, il a constaté rapidement que des affects étaient éveillés chez ces patients. Des affects produits par l'effet de s'adresser à quelqu'un, par l'effet de parler à quelqu'un. Il me semble que nous ne pouvons pas séparer la notion des transferts de la puissance de la parole. Ces affects, repérés rapidement par Freud, sont apparus de prime abord comme facilitateurs du processus analytique. Mais rapidement, Freud a souligné qu'ils étaient plutôt un obstacle pour s'analyser. Un obstacle pour que l'analysant, mot introduit par Lacan, effectue son travail de s'analyser. Ce que Freud a repéré très rapidement concerne l'effet de suggestion par l'effet de s'adresser à quelqu'un. Ce qu'il a repéré également était que dans ces affects, les patients répétaient quelque chose qui s'avait déjà vécu auparavant dans leur enfance, notamment à l'égard des figures parentales. Il y a donc une tendance par les pouvoirs de la parole à instaurer un autre qui selon chaque sujet va nous libérer, nous gronder, nous protéger, nous soigner. Chacun avec son fantasme en ce qui concerne son rapport à l'autre. Lacan accentue, me semble-t-il, cette idée que les affects éveillés par l'effet de s'adresser à quelqu'un font obstacle, et il opère un déplacement majeur. Les transferts ne s'adressent pas à la personne de l'analyste, mais au savoir. Les transferts sont donc l'instauration d'un sujet supposé savoir. Attardons-nous sur ces mouvements majeurs de Lacan. Ces mouvements qui mettent en valeur que les rapports entre un analyste et son analysant n'est pas une relation intersubjective. Ce n'est pas un dialogue, mais l'instauration d'une relation avec un savoir. De quel savoir parle-t-on ? D'un savoir inconscient. C'est-à-dire, pour le dire simplement, que ce qui vous fait souffrir, ce qui vous embrouille, vous inhibe, ce qui vous angoisse, concerne un savoir inconscient. Il est nécessaire donc, pour commencer une analyse, pas une thérapie, mais une analyse, d'instaurer une supposition de savoir qui commence par un « je suppose que l'analyste sait la signification de ma souffrance » . Cette croyance dure un temps et permet de mettre au travail l'analysant. qui va tendre peu à peu par le travail analytique vers un amour qui s'adresse au savoir. Donc, pour répondre à votre question concernant les changements du maniement du transfert à l'époque des outils numériques, il est nécessaire de rappeler que les transferts étant des concepts fondamentaux de la psychanalyse et que pas tout est transfert. La réponse à votre question ne peut pas admettre une généralisation, ni encore moins un mot d'emploi. Aucun mot d'emploi dès lors que nous sommes dans les discours analytiques. Il me semble qu'il est nécessaire d'avoir en tête qu'à chaque fois qu'on introduit une variante dans la cure, pour paraphraser les titres du texte de Lacan, il est nécessaire de savoir soupécer, calibrer pourquoi on opère un changement. Les raisons sont toujours analytiques et non pas simplement pratiques. C'est toujours une question d'orientation. Les outils numériques peuvent être, de mon point de vue, un relais à un moment donné, un outil ponctuel. Si nous suivons ce qu'indique Lacan, que la relation transférentielle implique une rencontre des corps, il me semble que les outils numériques, dont la question est celle de l'image, ne permettent pas cette rencontre des corps. Est-ce que c'est les corps ou est-ce que c'est l'image ? La question mérite d'être posée. Donc, relais ponctuel et toujours clinique, pas d'automatisme, chaque décision prise dans les cadres d'un traitement analytique est référée au singulier du cas toujours clinique. Parfois, dire non à cette pratique produit en effet de trouver une modalité possible, pas idéale, mais possible. Une plateforme pour trouver un psy ? De quoi s'agit-il ? D'un outil quand on n'a pas la bonne idée de poser la question à quelqu'un. Il est évident que quand on choisit un nom sur une plateforme de prise de rendez-vous, ce qui prime est un aspect pratique, pas loin de son lieu d'habitation ou de son lieu de travail. Mais que quelqu'un prenne un rendez-vous n'implique pas qu'il y a une demande, et encore moins une demande d'analyse. Nous devons être attentifs, rigoureux. Ce n'est pas parce que quelqu'un vous parle qu'il y a une analyse. Il me semble qu'il est nécessaire, dans ces cas, beaucoup plus de rigueur et d'exigence du côté du praticien. Lacan évoquait dans les années 70 le fait que la promotion de la parole allait provoquer toutes sortes de thérapies, toutes sortes de propositions d'écoute, et selon son expression, tout le monde se bousculerait devant la porte. Lacan s'inquiétait du fait de différencier la psychanalyse de ses marchés de la parole. Donc, défixer un rendez-vous, à instaurer un amour pour les savoir, il y a tout un monde. Toutes ces propositions de thérapie par la parole que vous évoquez s'appuient sur la suggestion, sur la persuasion. Elles se marient bien avec le discours capitaliste. La question du contre-transfert va bien avec l'idée d'intersubjectivité, c'est-à-dire c'est mettre en premier plan la question des affects à laquelle je fais référence tout à l'heure. Quelle est l'idée du contre-transfert ? Que de la même manière que les patients éprouvent des affects à l'égard de l'analyste, l'analyste éprouve des affects à l'égard de l'analyste. Et que ces affects sont utiles pour l'interprétation. Nous entendons bien, quand je simplifie les choses comme ça, que c'est une lecture complètement imaginaire. On sait si bien pourquoi Lacan dit que le contre-transfert est la résistance du côté de l'analyste. C'est-à-dire, tout simplement, qu'il n'est pas situé dans la bonne position, qu'il est encombré par quelque chose qui l'empêche d'entendre ce que disent les patients, et donc il s'entend lui-même. La seule boussole dans une analyse ou dans une institution qui se prétend orientée par la psychanalyse est celle de rester au plus près des dires du sujet. Pas ce qu'il a voulu dire, pas ce qu'on imagine qu'il a voulu dire, ou ce qu'on pense qu'il ressent ou qu'il dit ressentir. La question est réduite à comment le dit-il. C'est une lecture qu'il s'agit, une lecture des énoncés singuliers. Rien n'est plus glissant que les affects. Les affects et le narcissisme vont de pair. C'est un point fondamental, c'est la raison pour laquelle il faut avoir fait une analyse avant de s'autoriser, comme on dit. Dire que les transferts est une nouvelle forme d'amour est une expression très forte de Lacan, une expression qui mérite d'être explicitée et pas trop comprise. J'ai parlé tout à l'heure de l'amour adressé au savoir. Il faut avoir vécu l'expérience d'être en analyse pour toucher du doigt l'inédit de ce temps qui s'appelle une séance d'analyse. Nous disons le partenaire analyste. Qu'est-ce que c'est ? Comme je l'évoquais tout à l'heure, ce n'est pas n'importe qui. C'est quelqu'un à qui vous supposez un savoir. C'est ainsi qu'un travail analytique commence, avec l'instauration d'un sujet supposé savoir. Qu'est-ce que c'est un sujet supposé savoir ? C'est quelqu'un avec qui vous avez rendez-vous. pour qu'il vous permette d'écouter votre propre dire. C'est rare que ceci arrive ailleurs que dans l'analyse. Et c'est un décalage que je voudrais bien souligner. Ce n'est pas tant quelqu'un qui vous écoute, mais quelqu'un qui vous permet d'entendre ce que vous dites et que vous n'entendez pas. Comment il fait ça ? Il opère par la coupure, par l'interprétation, par le silence, par sa présence. C'est ainsi qu'il vous permet de vous connecter, pas à lui, mais à votre inconscient. Vous dites en citant Lacan que l'analyste est un partenaire qui a la chance de répondre. Comment j'entends cette chance ? Nous délirons tous. Nous sommes tous des malentendus, dit Lacan. C'est-à-dire que nous avons trop compris ce qui nous a été dit depuis notre naissance et cette compréhension de ce que nous avons été pour l'autre marque notre vie, nos choix. Ce qu'il y a d'inédit dans l'expérience analytique, et de se retrouver face à quelqu'un qui par son opération fait de consister votre délire pour ainsi extraire ce que vous avez de plus singulier le transfert est un amour plus digne parce que nettoyé de l'illusion que l'autre existe à la fin de son enseignement La notion de transfert telle qu'elle a été dégagée et mise en exergue dans les séminaires XI, c'est-à-dire comme sujet supposé savoir, disparaît presque à l'enseignement de Lacan. Dans les séminaires « Les moments de conclure » , la notion des sujets supposés savoir deviennent supposés savoir lire autrement. C'est-à-dire que l'analyste opère pour permettre à l'analysant de savoir lire autrement. C'est donc une question de lecture, d'aimer lire. Alors, pourquoi dire qu'à la fin de l'analyse, le transfert est un amour plus digne ? Je dirais qu'une fois qu'on a éprouvé, après plusieurs tours, que l'autre n'existe pas, il reste la passion d'élire autrement. Et cette passion vous reste à jamais. L'amour d'élire tout autrement vous reste après la fin de l'analyse. C'est ainsi que j'entends la fin du psychanalyse. On ne revient plus voir l'analyste parce qu'on est parti avec l'amour de lire autrement.