Quand on découvre Gargantua, on peut se trouver déconcerté, surpris par ces géants qui boivent trop, qui répandent leurs fluides corporels. Mais on va voir que tous ces débordements ont en fait un sens caché. Vous connaissez l'ogre des contes de fées, personnage effrayant, destructeur.
Il dévore les enfants. Du côté de la négativité, c'est une figure mortifère. Eh bien Gargantua, c'est exactement l'inverse, son gigantisme est un prodige. Tout est générosité chez lui, sa gorge est déployée pour boire, comme Dionysos, dieu des excès et du vin.
Mais aussi pour rire, il ne mange pas les enfants, non. Comme un livre, il les élève et les fait grandir. C'est un géant de papier.
Et ainsi, ce qui l'avale et ce qui le répand, c'est de l'intelligence qui nourrit, du langage qui est mâché, de la connaissance qui est digérée. Et tout cela donne une écriture romanesque débordante, parfois considérée comme fondatrice du roman moderne. Alcofribas Nasier, c'est l'anagramme que François Rabelais choisit pour se protéger de la censure, car nous allons voir que ses écrits portent une certaine charge satirique et subversive.
C'est aussi un narrateur malicieux qui met en avant le pouvoir du rire. Il vaut mieux traiter du rire que des larmes, parce que rire est le propre de l'homme. On sait aujourd'hui que certains animaux peuvent rire, mais cela n'altère en rien cet aphorisme.
Pour Rabelais, le rire est une marque d'intelligence et de sociabilité. Il nous dispose au savoir ainsi qu'à la spiritualité. Le rire comme moyen privilégié de transmission d'une sagesse profonde ?
J'explore cette question sous forme de petites dissertations en vidéo et PDF sur mon site www.mediaclasse.fr Dès le prologue, Alcofribas compare son livre aux silènes, ces petites boîtes des apothicaires d'apparence grotesque, mais qui renferment des produits précieux. Une forme bouffonne peut cacher des messages élevés. C'est le cas de Socrate, le grand philosophe que Platon met en scène dans ses Dialogues ou son Banquet. Ne voyant que son physique, vous n'en auriez pas donné une pelure d'oignon.
Mais en ouvrant une telle boîte, vous auriez trouvé une intelligence plus qu'humaine, une force d'âme prodigieuse. Et de la même manière, un os contient lui aussi une substance délicieuse, la moelle convoitée par le chien. À l'exemple de ce chien, il vous convient de rompre l'os et sucer la substantifique moelle avec le ferme espoir de devenir avisé et vertueux.
Pour déchiffrer les images de ce prologue, je vous en propose une analyse en vidéo et PDF en accès libre sur mon site. Alcofribas nous invite à lire son précédent roman sur Pentagruel, le fils de Gargantua, où il traduit toute la généalogie du géant. Je la transcris vite en pantagruélisant, c'est-à-dire en buvant à volonté, et en lisant les horrifiques exploits de Pantagruel.
Alcofribas précise alors que cette archive était accompagnée d'un poème, mystérieux, abîmé par les insectes et autres nuisibles, et on devine qu'il parle ici de la censure. Certains disaient que lécher sa pantoufle valait mieux que de gagner le pardon. Mais survint un fieffé maroufle de la bassine où l'on tient les gardons, disant L'anguille en cet étal s'embûche, Vous trouverez, si bien y regardons, une tare dans la capuche.
Une tare, c'est un poids qui permet de faire pencher une balance, il y a donc tricherie. La pantoufle du pape, le commerce des indulgences, sujet brûlant quand Rabelais écrit Gargantua en 1534. Une question qui peut nous paraître étrange aujourd'hui taraude tout le monde à l'époque. Les indulgences vendues par la papauté assurent-elles un véritable pardon ?
Et donc la rédemption ? En 1517, Martin Luther affiche 95 thèses qui initient la réforme protestante, en dénonçant le pouvoir du pape et les richesses de l'Église. Voilà probablement qui est notre fief et maroufle.
GANGOUZIER Grand Gouzier, issu d'une longue lignée de géants, épouse Gargamelle, fille du roi des Parpaillons. Un beau jour, ils invitent tous les villageois des alentours, afin de finir quantité de tripes. Grand Gouzier met en garde son épouse, elle est enceinte de onze mois.
En dépit de ses remontrances, elle en mangea seize muits, deux baquets et six pots. Oh, la belle matière fécale qui devait boursoufler en elle ! Au-delà de l'humour scatologique, cette remarque traduit le regard d'un médecin et philosophe humaniste pour qui le corps humain est une machine prodigieuse conçue par Dieu. Ce chapitre retranscrit les paroles des joyeux fêtards, qui font l'éloge du vin avec des jeux de mots.
Oh, Lacryma Christi ! Celui-là vient de la Devinière ! Sur mon âme, c'est un vrai velours !
Il tombe bien, c'est pure laine ! Tiens, la Devinière, c'est justement le nom de la demeure du père de Rabelais, sénéchal et avocat royal à Seuilly, à côté de Chinon, lieu enchanteur que l'on peut toujours visiter aujourd'hui. Pendant les festivités, Gargamel va accoucher.
Comme elle a trop mangé, la sage-femme lui donne un antidiarrhéique qui la contracte tellement que l'enfant remonte jusqu'à l'oreille, rappelant les naissances exceptionnelles d'Athéna, issue du crâne de Zeus, et de Dionysos, qui est issue de sa cuisse. Sitôt qu'il fut né, il s'écria à haute voix, À boire, à boire ! si bien qu'on l'entendit par tout le pays de Buss et de Biberet. Devant la bouche grande ouverte de son fils qui réclame à boire, Grand Gousier s'exclame Quel grand tu as ! Ce sera le nom de cet enfant, Gargantua.
Alcofribas décrit les quantités astronomiques de lait qu'il faut pour le nourrir. Avec méthode, il confronte les témoignages pour trouver les plus fiables. Une de ses gouvernantes m'a dit qu'au seul son des poses et des flacons, il entrait en extase comme s'il eût goûté les joies du paradis.
Gargantua est déjà sensible à ce carillonnement de clochette, qui évoque le vin, mais peut-être aussi, et surtout, le divin. Dans ce chapitre, Alcofribas précise les quantités de tissus, de matériaux précieux qui composent les vêtements de Gargantua. Le lecteur de l'époque reconnaît bien les énumérations qu'on trouvait à l'époque dans les ouvrages commandités par des mécènes, ces riches seigneurs qui souhaitaient montrer leur puissance ainsi que leur piété. Notre narrateur critique l'auteur d'un certain livre, le blason des couleurs.
Mais derrière cette colère amusante est menée une véritable réflexion. Pourquoi adopter le symbolisme décrété par un inconnu ? Il défend alors l'interprétation que Grandgousier fait de ces deux couleurs, le blanc pour la joie de vivre, le bleu pour les choses célestes.
On reconnaît bien sûr les ingrédients qui composent son propre livre. L'humour transmet et annonce des vérités profondes. Durant son enfance, Gargantua fait tout de travers.
Les petits chiens de son père mangeaient dans son écuelle, et lui mangeait avec eux aussi bien. Ils se peignaient avec un gobelet, mettaient la charrue avant les bœufs, se grattaient où ça ne le démangeait pas, prenaient les vessies pour des lanternes, sautaient du coq à l'âne. Toutes ces expressions très corporelles, drôles dans leur sens littéral, cachent un sens figuré. Utiliser les mauvais outils, mettre les conséquences avant les causes, chercher des problèmes inexistants, confondre des notions différentes, passer d'un sujet à l'autre sans transition, etc.
Autant de points d'appui pour une future bonne éducation humaniste ! Gargantua, enfant, fabrique des chevaux avec des brouettes, des morceaux de bois, et il les fait galoper, ruer, etc. Tout au long du roman, le cheval est un symbole très positif, d'action et d'efficacité. Or un jour que passe le fourrier et le maître d'hôtel d'un seigneur voisin, Gargantua leur donne à chacun un cheval de bois, ce qui les fait beaucoup rire.
Oh, tu nous as bien bernés ! Je te verrai bien pape un jour ou l'autre ! Grand gousier de retour de voyage retrouve son fils, qui lui raconte avoir trouvé le meilleur torche-cul. Il nous décrit alors une véritable méthode expérimentale. Il n'y a pas de meilleur torche-cul qu'un oison, tant à cause de la douceur de son duvet, qu'à cause de la chaleur qu'il communique des intestins jusqu'au cœur et au cerveau.
La béatitude des demi-dieux tient, selon mon opinion, à ce qu'il se torche le cul avec un oison. Cette référence finale au cœur, au cerveau, et enfin au demi-dieu, montre bien que ce passage va plus loin qu'un simple débat sur la douceur d'un oiseau. Il traite de la manière dont on se débarrasse des déchets, c'est-à-dire de la bêtise et du péché. Pour mieux comprendre cette question, je vous propose une explication linéaire de ce chapitre, en vidéo et PDF, sur mon site. Grand-Gousier, admirant les dispositions intellectuelles de son fils, lui donne alors un précepteur, maître Tubal Holoferne, qui s'avère catastrophique.
Maître Tubal Holoferne lui apprit si bien son abécédaire qu'il le récitait par cœur, à l'envers, ce qui lui prit cinq ans et trois mois. Il copiait tous ses livres ! L'art de l'imprimerie n'était pas encore en usage. Ce qu'il nous décrit ici, c'est l'éducation scolastique typique du Moyen-Âge, donnée par des théologiens, des spécialistes des écritures. Un deuxième précepteur de Gargantua, Maître Jobelin Bridé, fait exactement pareil.
Gargantua apprend tout par cœur, mais n'apprend pas à réfléchir par lui-même. Grandgousier constate que Gargantua devient rêveur et assauti, c'est-à-dire qu'il ne réfléchit pas par lui-même. Son ami, don Philippe des Marais, lui présente alors son jeune page Eudémon, formé par un certain Ponocrate.
Il s'exprimait avec tant d'éloquence qu'il ressemblait plus à un Cicéron du temps passé qu'à un jeune homme de ce siècle. Cicéron, c'est un grand orateur romain qui s'est fait connaître dès l'âge de 25 ans comme un excellent avocat. Grandgousier chasse le dernier précepteur de Gargantua et le remplace par Ponocrate, qui décide d'aller avec son élève à Paris pour avoir une expérience directe du monde.
On le devine, chaque personnage vient contribuer au système de valeurs de Rabelais. Je vous propose donc une étude spécialement sur les personnages, en vidéo et en PDF, sur mon site. Grand Gousier reçoit d'un roi africain une jument extraordinaire.
Grande comme six éléphants, elle sera parfaite pour porter Gargantua jusqu'à Paris. En chemin, il traverse une région infestée de frelons, que la jument chasse avec sa queue, déracinant tous les arbres. Tout le pays fut transformé en champs, ce que voyant, Gargantua dit Je trouve beau ce… C'est pourquoi dès lors on appelle ce pays la Beauce.
Gargantua arrive enfin à Paris. Il suscite tant de curiosités des Parisiens qu'il doit se réfugier au sommet de Notre-Dame. Alors en souriant, il détacha sa belle braguette, et les compissa à ses roulements, qu'il en noya 260 418, sans compter les femmes et les petits-enfants.
L'air de rien, Alcofribas donne la clé de cette étrange inondation d'urine. Gargantua fait cela pour rire, en moyen français, par rire, ce qui donne son nom à la ville. Et donc l'idée centrale c'est qu'il les baptise. Les 260 418 parisiens sont bénis par le rire, c'est-à-dire initiés à un nouveau message spirituel.
Et la suite va dans le même sens. Quand Gargantua quitte Notre-Dame, il prend les cloches et les met au cou de sa jument. Symboliquement, les évangiles ne doivent pas rester au sommet des cathédrales, mais carillonner et galoper le long des chemins. Et donc, par ces situations symboliques, Rabelais incite ses contemporains à lire la Bible, sans intermédiaire ecclésiastique, ce qui est alors interdit par l'Église.
Cette idée est notamment portée par le mouvement évangélique, qu'on appelle parfois évangéliste, qui se développe avec les premières traductions et impressions de la Bible en langue vulgaire. L'invention de l'imprimerie dans l'histoire des idées, c'est un événement fondateur. Les membres de la Sorbonne, dont Rabelais adore se moquer, désignent le plus vieux d'entre eux, maître Jeannotus de Brague-Mardot, pour aller plaider leur cause et récupérer les cloches. S'il réussit, ils lui donneront une paire de chaussures pour ses vieux jours. Le discours de Janotus de Bragmardo renverse tous les bons principes de clarté argument décousu, exemple inapproprié, association d'idées sans cohérence, etc.
Le passage le plus célèbre est un enchaînement jubilatoire de polyptotes, un même mot décliné sous des formes différentes. Voici ma thèse ! Toute cloche clochable clochant fait clocher ce qui cloche clochablement.
Par conséquent, c'est QFD ! Pour remercier Jeannotus de les avoir tant fait rire, Gargantua et ses précepteurs le font boire et le renvoient avec de quoi se confectionner une bonne paire de chaussures. Quand ses collègues lui font remarquer que Gargantua lui a déjà donné sa récompense, commence alors un procès dont l'arrêt est remis au kalande grec, c'est-à-dire à jamais.
Générique Pour organiser l'éducation de Gargantua, Ponocrate commence par observer ses habitudes. Après avoir bien joué et tué le temps, il buvait et banquetait, avant de s'étendre sur un bon lit pour dormir deux ou trois heures. Ici, les excès d'alcool et de nourriture font dormir.
C'est bien une preuve que les festins décrits par ailleurs dans le roman désignent en fait une ivresse symbolique, positive, la curiosité et l'enthousiasme. Ponnocrate met en place un nouveau programme, où Gargantua éduque son esprit, son corps et son âme, apprenant les langues et la musique, faisant l'expérience directe du réel, et profitant de chaque instant de la journée. Le soir, avec son précepteur, Gargantua récapitulait brièvement tout ce qu'il avait lu, vu, su, fait et entendu au cours de toute la journée, et il priait Dieu et il les entrait en repos.
Dans ce chapitre, Rabelais décrit tous les principes d'une bonne éducation humaniste. Pour en savoir plus, je vous en propose une explication linéaire, en vidéo et PDF, sur mon site. Comme pour nous inviter à aménager ce programme qui toucha à l'utopie, Rabelais propose une alternative pour les jours de pluie. Ils allaient voir les lapidaires, les imprimeurs, les teinturiers et autres artisans, écouter les leçons publiques, les plaidoyers et les avocats, et admiraient l'ingéniosité créatrice de tous ces métiers. Le narrateur nous emmène maintenant plus loin, dans le pays de Grandgousier.
C'est le temps des vendanges, les bergers gardent les vignes, et les foissiers du pays de Lerné passent avec leurs charrettes remplies de foisses. Les foisses, ce sont des sortes de pains améliorés qui, selon l'auteur, accompagnent divinement le raisin. Il dit même que c'est un régal céleste, et qu'elle facilite la digestion.
Rabelais nous fait passer ici un message caché. Le pain et le vin, le corps et le sang, le rire et la spiritualité, sont ensemble les meilleurs remèdes contre le péché. D'un point de vue moins religieux, plus humaniste, allier le corps à l'esprit, la science et la conscience, voilà ce qui permet d'éviter le mal.
Mais les foissiers insultent les bergers, ce que le narrateur nous rapporte alors avec une certaine complaisance. Ils les traitèrent de trop-babillards, de brèches-dents, de jolis rouquins, de mauvais plaisants, de vauriens, de rustres, de bouviers d'étrons, de bergers de merde et autres épithètes diffamatoires. Un certain berger, Frogier, qui s'indigne de ces insultes, est frappé d'un coup de fouet par l'un des foissiers, nommé Marquet. Frogier la somme.
Pendant que les foissiers s'en vont, les bergers prennent des foisses en les payant leur prix habituel. Le soir, il se régale de foies et de vin, soigne les jambes de Frogier et danse au son de la musette, sans se rendre compte qu'ils ont créé un incident diplomatique. Les Foissiers rapportent cet incident à leur roi Picrocole, dont le nom même signifie qui a la bile amère Aussitôt, il nomme son grand écuyer Tout-Cleudillon capitaine, et lève une armée.
Ils se mirent en campagne pêle-mêle, détruisant tout sur leur passage, n'épargnant pauvres ni riches, lieux sains ni profanes. Rabelais montre que la colère d'un seul homme transforme un malentendu en véritable conflit armé. Une guerre picrocholine désigne aujourd'hui un conflit dont le motif est insignifiant. Le lecteur de l'époque reconnaît bien sûr les conflits continuels entre Charles Quint et François Ier.
En 1525, le roi de France est fait prisonnier à la bataille de Pavie. C'est un choc qui ébranle tous les équilibres diplomatiques. Il ne sera libéré qu'en 1533. Les soldats de Picrocole arrivent alors à l'abbaye de Seuillet.
Le nom évoque d'ailleurs Seuilly, la ville de naissance de Rabelais, où se trouve une abbaye qu'on peut encore visiter aujourd'hui. Là, les pauvres moines désemparés se contentent de réciter des psaumes contre les embûches de l'ennemi. Mais alors se détache un personnage haut en couleur, frère Jean des Dents-aux-Murs, qui les encourage. Le service du vin vaut bien que l'on se batte, pas moins que le service divin !
Ce discours de frère Jean révèle les valeurs qui sont chères à Rabelais, et qui font selon lui un vrai moine, franc, honnête, courageux. Et si c'étaient les moines comme lui, les oiseaux rares capables de balayer la saleté du monde ? Je vous propose une explication linéaire de ce chapitre en vidéo et PDF sur mon site. Frère Jean des Entemurs saisit un bâton de croix et fait fuir les assaillants presque à lui tout seul, parodiant les passages les plus épiques des chansons de gestes. Aux uns, il écrabouillait la cervelle, à d'autres, il démettait les vertèbres du cou, déboitait les fémurs, débesillait les fossiles.
La scène d'une rare violence est rendue comique par les termes médicaux. Le plaisir dionysiaque des mots semble bien vouloir remplacer celui de la violence concrète. La résistance de l'abbaye de Seuillet n'empêche pas Picrocole de prendre la Roche-Clairmont, un lieu réel à proximité de Chinon. Pendant ce temps, Grandgousier apprend le saccage de ses terres.
Contrairement à Picrocole, il dépasse l'indignation pour examiner les causes du conflit. Hélas ! Picrocole, mon ancien ami, vient m'attaquer !
Qui l'a conseillé de la sorte ? Je n'entreprendrai pas de guerre avant d'avoir essayé de gagner la paix par tous les moyens. Changement de genre et de ton, Grandgousier écrit à son fils pour lui demander d'utiliser tout ce qu'il a appris auprès de Ponocrate pour régler le conflit avec la moindre effusion de sang possible.
La guerre ne doit être que défensive, comme l'écrit Erasme, que Rabelais admire beaucoup. Un bon prince n'accepte jamais aucune guerre, excepté quand, après avoir tout tenté, il ne peut l'éviter par aucun moyen. L'homme est né pour la paix et l'amour, et non pour la rapine et la guerre.
Grandgousier envoie alors son ambassadeur Ulrich Gallet à la Roche-Clermont pour s'informer auprès de Picrocole lui-même. De quelle rage es-tu donc pris pour envahir ces terres sans avoir été provoqué ? Où est la loi, la raison, l'humanité, la crainte de Dieu ? Mais pour seule réponse, Picrocole les met au défi d'aller prendre ses foisses.
Quand Ulrich rapporte ses propos à Grandgousier, il décide d'envoyer cinq charrettes pleines en gage de paix. Mais Toucadillon et ses conseillers militaires lui disent que, forts de ses victoires, il devrait envoyer une moitié de son armée conquérir l'Orient, pendant que l'autre prendra l'Occident. On trouve dans ce discours à la fois la parodie d'une épopée littéraire, l'orgueil démesuré de Picrocole, et la bêtise et la cupidité des conseillers.
Nous prendrons la Crète et les îles Cyclades, puis la Morée, où nous la tenons. Dieu garde Jérusalem, car le Sultan n'est pas comparable à votre puissance. Vous donnerez leur terre à ceux qui vous auront loyalement servi.
Générique Dès que Gargantua reçoit la lettre de son père, il fait tarnacher sa jument, et envoie son ami gymnaste en éclaireur, qui tombe sur une troupe de picrocolles menée par le capitaine Tripet. Alors ils se mettent à faire d'étranges acrobaties, et profitent de la surprise de Tripet pour l'éventrer. La troupe, persuadée d'avoir affaire à un diable, s'enfuit en courant. Générique De retour auprès de Gargantua, Gymnaste lui conseille de reprendre le château du Gué de Vède, qui se trouve juste à côté de la roche Clermont. C'est là que la jument de Gargantua vide sa vessie, emportant déjà une partie des envahisseurs.
Puis ceux qui sont restés dans le château se mettent à tirer au canon sur Gargantua, qui croit d'abord que ce sont des mouches. C'est certainement le passage le plus épique du roman. Alors de son grand arbre, il cogna contre le château, abattit les fortifications et fit tout s'effondrer. Tout ce qui se trouvait à l'intérieur furent mis en pièce. Au retour de Gargantua et ses compagnons, Grand Gousier organise un banquet extraordinaire, où Ponocrates raconte leurs aventures pendant que Gargantua retire les boulettes canon de sa chevelure.
Et pendant le repas, des pèlerins endormis dans la salade se retrouvent dans la bouche de Gargantua, qui les retire avec un cure-dent. Ils se réfugient alors près du château de Coudray. Alors ce passage est intéressant parce que ce séjour des pèlerins, dans la bouche de Gargantua, c'est un peu la métaphore de notre propre pèlerinage à travers le flot de paroles du roman.
Gargantua n'est pas un méchant ogre dévorateur, c'est le bon géant de papier, qui nous élève et sauve notre âme. Frère Jean des Entemures est célébré comme un héros. Commence alors un débat pour savoir pourquoi les moines sont retirés du monde.
Gargantua a une théorie révélatrice. Écoutez ! La raison en est qu'ils mangent la merde du monde, c'est-à-dire les péchés. Leurs couvents et leurs abbayes sont écartés de la vie publique, comme les latrines sont écartées de la maison. Ils tombent d'accord pour dire que les mauvais moines doivent rester à l'écart, mais que les meilleurs moines sont ceux dont on recherche la compagnie.
Tel est notre bon frère Jean, il n'est point bigot, ce n'est point une phase de carême. Franc, joyeux, généreux, bon compagnon, il travaille, il défend les opprimés, il secoue ceux qui souffrent. Dans ce passage, Rabelais imite le banquet de Platon, chacun des invités contribue à la réflexion, et sous couvert de parodies, il nous livre une clé de son roman. Les moines sont utiles, non pas quand ils prient sans comprendre ce qu'ils disent, mais quand ils viennent en aide aux autres hommes.
Pour aider Gargantua à s'endormir, frère Jean lui récite des psaumes, et lui décrit l'usage qu'il fait de son bréviaire. Les heures sont faites pour l'homme, et non l'homme pour les heures. C'est pourquoi je règle les miennes comme des étrivières, Je les raccourcis ou les allonge comme bon me semble.
Cette image révèle une conviction de l'humanisme, la religion doit s'adapter à la vie humaine, et non l'inverse, exactement comme le harnachement doit tenir au corps du cheval. Et en effet, dès le lendemain, frère Jean pique son cheval un peu trop vivement, et se retrouve suspendu à la branche d'un arbre. Ses amis rient avant de le libérer. Ce vient le moment de jaser !
Vous ressemblez au prédicateur décrétaliste qui dit que quiconque verra son prochain en danger de mort doit l'exhorter à se confesser plutôt que de l'aider. Astivaux, un proche de Picrocole, lui conseille d'envoyer ses capitaines au château de Coudray. Là, il capture les pèlerins qui y avaient trouvé refuge. Au cours de plusieurs combats épiques, frère Jean assomme le capitaine Tiravant, capture Touquedillon et libère les pèlerins.
Une fois sains et saufs, les pèlerins racontent leurs mésaventures. Grand Gousier les réprimande. Ne vous embarquez pas pour ces voyages futiles.
Entretenez vos familles, travaillez selon votre vocation, instruisez vos enfants. Ainsi, nul mal ne pourra vous arriver. Interrogé par Grandgousier, Touquedillon raconte que Picrocole veut conquérir l'Orient et l'Occident. C'est trop d'ambition ! Le temps n'est plus de conquérir ainsi les royaumes en causant du tort à son prochain.
Picrocole eut mieux fait de gouverner ses domaines plutôt que de venir piller les miens. Mais quand Toucadillon rapporte ses paroles à Picrocole, Astivaux crie à la traîtrise. Toucadillon le transperce de son épée, il est aussitôt exécuté par les archers de Picrocole.
Gargantua part à l'assaut de la roche Clermont, depuis la position la plus haute. Picrocole, les voyant arriver, concentre alors toutes ses forces de ce côté-là. Cela permet au reste de l'armée de Gargantua de prendre la place forte à revers.
Et dans sa fuite, Picrocole tue son cheval. Une sorcière lui prédit que son royaume lui sera rendu le jour du retour des coqs-sigrues. Dans un long discours, Gargantua raconte qu'il sera magnanime avec les vaincus, mais il ne laissera pas impunis les responsables de la guerre.
Picrochole ayant disparu, il charge Ponocrate de l'éducation de son fils, jusqu'à ce qu'il soit en âge de régner. Enfin, Cargantua paye ses soldats, fait enterrer les morts, soigner les blessés, réparer les villages détruits. Un puissant château est érigé pour garantir une meilleure défense de la région pour l'avenir, et des terres sont attribuées à ses différents capitaines.
Pour récompenser frère Jean, Gargantua fait construire une abbaye à son idée. Elle ne sera pas fermée par des murs, mais construite en hexagone. Pas de cloches, ni de contraintes horaires, mais de luxueuses bibliothèques réparties par langue. Sur la porte d'entrée, une inscription est gravée.
Si n'entrez pas, hypocrites cagots, ni vous trompeurs usuriers et idiots ! Si n'entrez pas, avare esprit chagrin, Ni vous, censeurs, scribes et pharisiens, Mais entrez donc ici, soyez les bienvenus, Vous, nobles chevaliers, et vous, grands et menus, Compagnons aux joyeux visages, Et vous, dames aux heureux présages. Honneur et bon temps sont ici constants, La bonne parole que chacun cajole, Et porte en son sein, en font un lieu saint. Le narrateur décrit alors les intérieurs, les vêtements et les occupations de ceux qui y vivent. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, quand le désir leur en venait.
Et toutes leurs règles tenaient en cette clause Fais ce que voudras Comment expliquer, à la fin de ce roman plein d'excès et de trivialité, une société aussi libre et raffinée ? À quel point les habitants de l'abbaye de Télème échappent-ils à la contrainte ? Pour répondre à ces questions, j'ai réalisé un exposé spécialement sur ces chapitres, en vidéo et au format PDF, sur mon site. Le roman se termine par un poème énigmatique, trouvé dans les fondations de Thélème. Le voici légèrement adapté.
Pauvres humains qui le bonheur attendez, Ouvrez vos cœurs et mes paroles écoutez ! Bientôt nous ne saurons plus distinguer L'homme sans foi et l'homme de vérité, Mais les élus qui auront persévéré Se retrouveront joyeux et récompensés. Rabelais constate autour de lui des divergences profondes.
Suite à ses 95 thèses, Martin Luther est excommunié en 1521. Les réformés sont de plus en plus nombreux. La première guerre de religion sera déclenchée par le massacre de Vassy en 1562. Alors que Gargantua interprète cette énigme comme une grande allégorie, qui nous encourage à rechercher la vérité et la sagesse, quoi qu'il advienne, Frère Jean a une toute autre interprétation. Pour ma part, je pense qu'aucun autre sens n'est en clos qu'une description du jeu de paume en termes obscurs. C'est là toute la malice de Rabelais qui nous met au défi de trouver un sens caché dès le début du roman, et le termine en nous dissuadant avec ironie d'y trouver autre chose qu'un divertissement.
Ce qui me tient à cœur avec mon site, c'est de vous proposer un grand panorama de la littérature en vidéo. Tout mon travail se trouve sur mon site, www.mediaclasse.fr. Et si vous en avez l'occasion, n'hésitez pas à soutenir ce projet, même avec une somme symbolique. Votre aide est essentielle !