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Entretien avec Jean-Baptiste Djebbari

-Bonjour, Jean-Baptiste Djebbari. -Bonjour à vous. -Merci d'être là pour cette série d'entretiens consacrés aux ministres issus de la société civile. Vous incarnez bien ce profil. Vous n'aviez jamais fait de politique avant d'être élu député en 2017, ce qui va vous permettre de devenir secrétaire d'Etat puis ministre délégué aux Transports. Un parcours différent des ministres qui font de la politique depuis toujours. Par exemple, Gérald Darmanin a pris sa carte au RPR à 16 ans, Gabriel Attal a pris sa carte au PS à 17 ans. Vous n'avez jamais pensé à vous inscrire dans un parti quand vous étiez jeune ? -J'y ai pensé. Ca m'a même intéressé, et j'ai fait deux réunions, une réunion de section du PS en Limousin et une réunion dans ce qui était l'UMP à l'époque à Paris, et j'avoue que ça ne m'avait pas particulièrement enthousiasmé. Mais j'ai toujours aimé et suivi la politique. -Qu'est-ce qui vous avait déçu dans ces réunions ? -On parlait assez peu de la France. On avait... C'était très tactique. C'était très électoraliste, un peu clientéliste, ce que je comprends, il faut de la tactique en politique, mais c'était pas mon sujet à ce moment-là de l'histoire. J'ai eu une famille politique. J'ai même une grand-mère qui a été très impliquée au PS. -Elle vous emmenait pas aux meetings ? -Non, on parlait beaucoup. Nos déjeuners du dimanche étaient essentiellement politiques. -Darmanin et Attal ont tous les deux fait Sciences Po. Vous, vous avez fait une école qui forme des contrôleurs aériens. Vous vouliez passer votre vie dans une tour de contrôle ? -J'avais envie de travailler dans l'aviation. J'ai d'abord été formé à l'Ecole de l'aviation civile à Toulouse avant d'être pilote et formé en France et en Angleterre. C'était une passion, pas forcément une passion d'enfant, mais elle m'est venue au fil du temps. J'avais toujours aimé suivre la politique, mais je m'étais jamais envisagé entrer en politique. Ca, c'est la rencontre avec Emmanuel Macron et la rencontre plus globalement autour de ce moment, en 2017, où on a eu... -En tout cas, vous avez été contrôleur aérien, pas très longtemps. Pilote de jet, ça, vous l'avez été pendant quelques années. Mais vous avez une vocation pour créer des entreprises. Vous avez créé votre première entreprise à quel âge ? -J'ai participé à la création de la première à 28-29 ans. J'ai découvert l'entreprenariat sur le tas, au travers des opportunités, des crises, et je me suis révélé à moi-même, en me disant : "Je peux aussi faire ça." Après, j'ai eu envie de créer des projets, et au gré des rencontres, j'en ai eu l'opportunité. C'est un projet de création de compagnie aérienne régionale qui m'a fait rencontrer Emmanuel Macron. -On est en 2015. Pour créer une compagnie aérienne, on a besoin de fonds et d'appui politique. Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l'Assemblée, vous dit : "Je vais te présenter le ministre du Budget "de François Hollande." Ca se passe comment ? -Ca s'est passé sur la péniche de Gérard Feldzer. Bruno Le Roux aime l'aviation, connaissait Gérard Feldzer, et Gérard Feldzer m'a envoyé voir Bruno Le Roux, que j'ai trouvé très sympathique, que je connaissais pas, qui a trouvé le projet intéressant et qui m'a mis en contact avec ce jeune ministre qui arrivait à Bercy. -On veut son nom ! -Emmanuel Macron, qui, avec son cabinet, a trouvé le projet intéressant. Moi, ça m'a permis de le rencontrer, et surtout, après, de suivre son aventure. Le hasard a fait que j'ai rencontré plus tard ceux qui deviendraient les Jeunes avec Macron, Pierre Person... -On veut en savoir plus. Est-ce que vous vous dites que vous venez de rencontrer le futur président de la République ? -Non... Je l'ai rencontré à Bercy, il y avait du monde, donc mon échange avec lui, c'est quelques minutes, c'est court, mais j'ai trouvé qu'il comprenait le projet assez vite, qu'il posait les bonnes questions, et surtout, je l'ai trouvé très efficace dans le traitement après, au travers de son cabinet. Moi, je découvrais un peu les schémas politiques, le mode de fonctionnement politique. Je l'ai trouvé différent. Et après, en suivant son évolution... -Ca vous a permis de vous rapprocher de son entourage, la "bande de Poitiers", c'est un peu l'aile gauche du parti, donc c'est des gens qui avaient déjà fait 10 ans de politique autour du PS. C'est eux qui vous ont permis d'être candidat en 2017 ? -En fait, c'est vraiment une amitié naissante avec Pierre Person autour de sujets... -Qui a été numéro 2 d'En Marche. -Oui, et député de Paris. On avait commencé à réfléchir sur les sujets de démocratie numérique. Il se trouve que ce sujet de la démocratie numérique, ça m'intéressait. J'avais postulé en 2013, toujours sous l'aspect de l'entreprenariat, au Concours mondial d'innovation sur un sujet de plate-forme numérique pour voter. Déjà, en 2013, j'étais intéressé par ces sujets-là. Avec Pierre Person, on avait réfléchi à comment mettre ça à profit pour En Marche, qui se structurait. Et après, dans la campagne, avec Pierre, Stéphane Séjourné et d'autres, j'avais participé à des petites missions, mais oui, ça a commencé comme ça pour moi. -Donc vous êtes élu en 2017 représentant du peuple pour cinq ans. Est-ce que vous vous êtes dit que ça allait être un bon tremplin pour devenir ministre ? -Non. J'étais très impressionné... D'abord, j'ai pas du tout anticipé ça. Au moment où En Marche se crée et où Emmanuel Macron est candidat, j'étais en train de développer une compagnie aérienne européenne pour intégrer mon projet de compagnie aérienne régionale, dont j'étais très concentré là-dessus. Entre octobre 2016 et mars 2017, j'étais un peu loin de la France et des sujets politiques. Et puis après, je comprends qu'Emmanuel Macron va être candidat. Je comprends à un moment qu'il va être élu. On échange un peu avec le parti, qui cherchait des candidats à la députation. Je leur avais dit que la terre de ma famille, c'était le Limousin, et que s'ils cherchaient des candidats dans ce territoire, ça pouvait m'intéresser, que j'étais candidat. Ca s'est fait comme ça. Donc entre mars et avril-mai, le temps est dilaté. Emmanuel Macron devient président, puis les investitures se font mais assez tardivement, et après, on se prend au jeu de la campagne. -Quand vous arrivez à l'Assemblée, vous n'avez pas l'idée de... -Non. Déjà, la campagne, c'est très dense. Je faisais deux réunions publiques par soir. Je commence à avoir envie de gagner entre les deux tours, parce que j'arrive, à ma grande surprise, premier, mais la campagne de second tour est assez dure. J'ai face à moi le maire communiste de Saint-Junien, Pierre Allard, que je salue, qui est d'ailleurs très sympathique, mais qui remontait pas mal, donc je finis par gagner. On arrive ici... J'ai beaucoup lu l'histoire parlementaire, j'ai été empreint de la IIIe République, donc rentrer dans l'hémicycle la première fois, c'était un grand moment d'émotion. Après, j'ai vu que dans les faits, le débat parlementaire pouvait être parfois moins glorieux. -Vos débuts à l'Assemblée étaient pas très réussis. La première fois que vous posez une question au gouvernement, vous y allez sans fiche, et en fait... -J'avais mésestimé le stress, ce qui se passe réellement. C'est en lien avec ce que je disais précédemment. Pour moi, cette enceinte parlementaire, là où se forge le débat public, c'était très important. -Vous ne pouvez pas finir vos phrases, vous êtes en panique... -Il faut se rendre compte, vous le savez, c'est extrêmement bruyant, vous êtes interrompu en permanence, vous êtes à moitié insulté, ce qui était le cas, et c'est très désarçonnant. Ca m'a désarçonné. Quand vous avez 2 minutes pour poser la question, si vous perdez le fil, vous perdez le fil. Ca a été une très bonne expérience. Il faut toujours apprendre des moments de difficulté dans la vie. -En voyant ces débuts, on se dit que vous n'allez pas être bon à l'oral, et 100 jours plus tard, pour communiquer sur les 100 premiers jours du président Macron, on vous voit sur BFM très à l'aise. Donc vous étiez conscient que pour ne pas rester un député lambda, il fallait acquérir de la visibilité ? -Je sais pas si je l'ai anticipé comme ça, mais j'ai toujours été un faiseur, opiniâtre. Pour moi, échouer, c'est jamais grave. On apprend plus, et ça, c'est une vraie leçon de vie, quoi qu'on fasse dans la vie, on apprend toujours plus de ses échecs que de ses réussites. Donc pour moi, c'était pas un sujet, ces débuts. Sur la capacité à passer un message, à vulgariser et à être clair, c'est toujours ce que j'ai essayé de faire dans toutes mes activités, mais c'est vrai qu'en politique, peut-être plus qu'ailleurs, il faut essayer d'avoir un mode de fonctionnement et de communication direct, ce que j'ai essayé de faire par la suite avec d'autres formats. Pour moi, c'est essentiel. Sinon, c'est facile de se réfugier dans une forme de technocratie. Or on essaie d'expliquer à des gens des choses compliquées. -Vous êtes rapidement nommé coordinateur du groupe En Marche au sein de la commission du Développement durable. C'est comme si vous cherchiez à gravir des échelons dans une grande entreprise. -C'est plus simple que ça. Comme on était quelques-uns à se connaître, il y a eu à un moment une forme de speed-dating entre les 30-40 députés qui postulaient pour coordonner les travaux de la commission, et il s'est trouvé que mon profil a probablement à peu près convaincu. Donc j'ai fait ça. C'était pas forcément facile parce que ça nécessitait... -C'était un peu un rôle de manager. -Oui. Il fallait s'assurer que tout le monde comprenne bien ce qu'on faisait. On était proches du gouvernement. Gabriel Attal était whip de la commission des Affaires sociales... -Donc coordinateur. -Amélie de Montchalin était whip de la commission des Finances. -Vous étiez déjà parmi ceux qui se distinguaient. -C'était pas simple. On a rapidement eu des textes de loi à voter, la réforme ferroviaire pour moi et plein d'autres textes pour les autres, et ça forge. Ca m'a formé. C'est une formation accélérée... -Sur le tas et sur le tard. -Exactement. -Vous êtes un bon joueur de rugby amateur. Ca aide quand on doit affronter le monde politique ? -Je pense que la politique devrait ressembler plus au rugby. C'est un sport de combat collectif, et tous les mots comptent. De combat, parce que la politique, c'est dur, et collectif, parce que tout seul, on est rien. Au rugby, que vous soyez grand, gros, rapide, malin, buteur, vous avez une place. Et moi, j'ai toujours essayé de mener ma barque comme ça : où je peux rendre service ? Comment faire gagner l'équipe ? La politique devrait ressembler plus au rugby. -En 2018, vous êtes rapporteur de la loi SNCF. Vous accompagnez Elisabeth Borne, ministre des Transports, dans toutes ses concertations avec les partenaires sociaux. C'est là que vous vous êtes dit que c'était pas si compliqué d'être ministre des Transports ? -Non. D'abord, ça m'a permis de rencontrer les syndicats, les patrons de la SNCF, de comprendre intimement comment ça pouvait se passer. Et comme le texte a fini en commission mixte paritaire, dans laquelle n'est pas le gouvernement, c'est moi qui ai finalisé toutes les négociations. C'était un texte important, emblématique. Tout le monde disait que la réforme de la SNCF était impossible, et Emmanuel Macron l'a fait, et j'y ai modestement contribué. J'ai jamais mésestimé la difficulté d'être ministre, mais ça m'a permis d'avoir de l'élan. Je connaissais l'aviation. Par le truchement de cette loi, j'ai bien connu le monde ferroviaire. Ca donne un peu de confort. Ca m'a aussi forgé quelques convictions sur le monde des transports. -Désolé de piétiner votre humilité, mais vous vous êtes quand même distingué. Il y a plus de 300 députés En Marche élus. Début 2019, on nomme 9 porte-parole du groupe En Marche, vous en faites partie. Sur ces 9 porte-parole, 5 vont devenir ministres, dont vous. Donc pour entrer au gouvernement, il faut être capable d'être brillant dans les médias ? -Il faut être efficace dans l'action parlementaire et pour porter le message en dehors, parce qu'à la fin de la fin, vous essayez de convaincre des gens, qui, par ailleurs, ne vous aiment pas ou ne vous comprennent pas, que vous avez raison et que vous le faites pour le bien du plus grand nombre. Donc c'est un travail de communication très directe. Il faut pas oublier qu'il y avait eu les gilets jaunes entre-temps. Ca a été une expérience incroyable pour moi. C'était très dur. J'ai fait cinq grands débats. J'ai fait un grand débat en prison. Sur trois heures de discussion, vous aviez une heure où c'était sportif, ou viril, pour reprendre les allégories rugbystiques. Moi, j'ai aimé ça. J'aime bien le débat, j'aime bien les gens et j'aime bien convaincre. -Ca vous a permis de vous distinguer des autres députés. Il y a aussi une question de chance. Vous entrez au gouvernement en 2019, mais si Elisabeth Borne ne remplace pas François de Rugy à l'Ecologie, vous ne devenez jamais ministre des Transports. -Quand on me demande comment j'ai fait pour devenir ministre, je dis que j'ai été le fruit d'un scandale assez bizarre autour des homards. -On a reproché à François de Rugy d'avoir bouffé du homard. -S'il avait duré quelques semaines de plus, je n'aurais jamais eu cette opportunité. La vie, c'est aussi la chance. Il faut savoir la générer, mais la chance fait pleinement partie de la vie. J'en ai eu, sur ce coup. -En même temps, entre juillet et la rentrée, il y avait pas de ministre des Transports. Est-ce que vous avez levé le doigt pour y aller ? -J'ai pas levé le doigt, mais j'avais déjà fait... D'abord, j'ai attendu d'être considéré comme légitime. Je voulais me sentir légitime pour faire savoir mon intérêt. C'est vrai que j'ai fait savoir mon intérêt directement au président de la République, et à Edouard Philippe, Premier ministre. -C'est le 4 septembre 2019. Vous le savez quand ? -Vraiment pas longtemps avant. J'ai eu le président 48 heures avant. J'ai vu Edouard Philippe à Matignon pendant une grosse heure, où on a parlé de pas mal de choses, et j'ai été nommé le lendemain. Cette période des 24 heures entre le moment où on vous propose d'entrer au gouvernement et le moment où vous êtes nommé n'est pas agréable à vivre. Je connais d'autres personnes qui... -Qui n'ont pas eu... -Exactement. -Si on devait remercier, qui vous a le plus servi pour entrer au gouvernement ? Qui vous devez remercier ? -Objectivement... J'aime beaucoup le président de la République, Emmanuel Macron, après, on peut tous être lucide sur la politique, et y compris en macronie, faire un exercice de critique bienveillante, mais c'est vrai que... -C'est grâce à Emmanuel Macron ? -Bien sûr, bien sûr. Quoi qu'il en soit, participer à ce moment de 2017, à ce moment démocratique, à cet élan autour de lui, qu'on aime ou pas la politique, l'homme, pour moi, ça restera un moment extraordinaire de ma vie. J'ai essayé d'y contribuer à ma mesure. -Au gouvernement, vous avez pu nommer votre cabinet ou vous avez pris celui d'Elisabeth Borne ? -J'ai eu la chance... Enfin... Moi, je voulais être ministre des Transports, pas ministre tout court, pour les raisons que j'ai citées. J'aimais le secteur et j'avais des idées. Donc, en arrivant, je me suis séparé de certains membres du cabinet. Le président m'a demandé si j'avais besoin en particulier de profils... -Vous avez pu choisir ? -Oui, j'ai pu choisir une équipe que j'ai organisée avec un pôle politique, quatre conseillers, certains avaient fait la campagne, et d'autres avec des profils jeunes, techniques, technologiques, car je ressentais que pour être fort à l'intérieur, il fallait un cabinet fort politiquement et techniquement. -Un ministère se dirige comme une entreprise ? -Je sais pas, mais c'est un gros ministère, les Transports. 26 000 fonctionnaires, 10 milliards de budget... C'est la vie quotidienne, les grèves... C'est une grosse entreprise. Après, vous avez 100 proches, un cabinet d'une quinzaine, d'une vingtaine de personnes, et vous avez 100 personnes que vous voyez régulièrement, et comme une grosse boîte, vous n'êtes pas tout le temps sur le terrain. Vous avez beaucoup de grosses boîtes publiques. La SNCF, Air France... Dans votre environnement. Air France-KLM, ADP, etc., qui fonctionnent en plus avec des cultures et des profils très différents. Il faut essayer de bien comprendre dans quel écosystème vous évoluez, puis faire oeuvre utile. -Le soir même ou au lendemain de votre nomination, vous dînez avec Gérald Darmanin. Ca veut dire qu'on a besoin d'appuis politiques, quand on est novice ? -Vous me le rappelez. -Vous aviez oublié ? -Non, je l'avais pas oublié, mais ça s'est passé rapidement. J'aime bien Gérald Darmanin. -C'est un soutien politique ? -C'est un vrai poids lourd, mais je le voyais avant. Je l'aimais bien avant. J'aime bien son intuition politique et son opiniâtreté. C'est intéressant... -Il vous a calé un rendez-vous avec Sarkozy, mais pour vous recruter ? -Vous savez tout ! Non, c'est très vrai. Ca m'intéressait de rencontrer le président. J'avais demandé à Gérald de l'organiser. Je savais qu'il aimait rencontrer les jeunes ministres. J'ai revu le président Sarkozy y a pas très longtemps. C'était très étonnant et très intéressant, ce rendez-vous d'une heure, face-à-face... -Un fauve politique... -C'est vraiment le terme, un fauve politique au sens animal du terme, au sens énergétique. Evidemment, il a un très grand savoir-faire politique. Ca m'a intéressé. Ca m'a probablement donné des clés. -On peut être de gauche et aimer Sarkozy. -En tout cas, on peut être de gauche... Je ne sais pas si je suis totalement de gauche, mais... Si. Je m'identifierais comme un libéral social, dans l'ordre que vous voulez, mais bien sûr qu'on peut avoir voté à gauche et trouver Sarkozy, le président Sarkozy, très intéressant. -2019, décembre, la plus grande grève de l'histoire de la SNCF. Votre pire moment au gouvernement ? -On l'avait anticipé. C'était un moment assez simple à gérer, parce que c'était une grève politique contre l'action du gouvernement, pas un sujet interne. La direction de la SNCF n'était pas très engagée. On était en désaccord, et on savait qu'on n'avait aucun autre choix que de faire passer cette réforme, parce qu'elle était devenue très emblématique, parce qu'on était sur des positions assez radicalisées entre nous : il y avait d'un côté l'UNSA et CFDT plutôt favorables à la réforme, et de l'autre, CGT-SUD, qui étaient très raides, dans un combat politique. Je leur avais dit que la porte était ouverte... -Dans ces cas-là, votre boulot, c'est d'assurer la communication dans les médias pendant que la négociation se fait à Matignon ? -Non, c'était plutôt chez nous, au ministère des Transports, mais en coordination avec Matignon. Le rôle, c'est d'assumer le débat avec les syndicalistes, quand c'est nécessaire, d'aller expliquer ce qu'on fait, y compris parfois de débattre de façon musclée... -Virile, comme on dit ? -Mais correcte, toujours, et puis in fine, pour le coup, là, de l'avoir emporté politiquement... Mais moi, j'avais dit au président et au Premier ministre que dans toute victoire, il fallait montrer de la considération et pas écraser ceux qu'on avait vaincus. J'ai toujours eu du respect pour les syndicalistes. On avait besoin d'eux. La vie, c'est toujours des victoires et des échecs... -Là, c'était une victoire pour vous. Ca a contribué à votre promotion. Vous n'êtes plus secrétaire d'Etat, mais ministre délégué. Ca change quoi ? -Ca change... Je sais pas si ça change réellement beaucoup de choses. Ca change certainement le fait d'avoir un cabinet un peu plus grand, un peu plus de moyens, plus d'autonomie dans l'action gouvernementale, mais moi, j'ai pas eu l'impression d'avoir... ...d'avoir souffert comme secrétaire d'Etat. Elisabeth Borne était sur les sujets écologiques. J'avais une très bonne relation avec Matignon. Donc, je sais que pour certains, le titre est important, mais pour moi, ce qui primait, c'était ma capacité à faire. J'ai pas vraiment observé qu'avec mon changement de titre, ma capacité à faire changeait. -Vous avez eu l'occasion de faire vos preuves. Est-ce que vous vous êtes dit "je suis capable d'être ministre, "j'aimerais m'intéresser à un autre domaine" ? -Non... Evidemment, on se pose la question, parce qu'on observe les camarades qui changent parfois de secteur, parce qu'ils ont l'objectif, in fine, d'être à Matignon ou d'être président, moi, c'était pas mon sujet. D'abord, je m'étais dit que je ferais 5 ans en politique, que je les faisais entre 35 et 40 ans, qu'à 40 ans, je ferais autre chose. J'ai adoré la politique, et j'ai aussi considéré que ne pas vouloir durer, c'était avoir beaucoup de liberté. Les transports m'ont intéressé, et j'ai eu la chance de faire 3 ans aux transports, et j'ai voulu faire ça. Je dis pas plus jamais pour la politique, mais je pense que dans la vie, il faut construire des séquences. Dans un monde avec moins de partis, moins d'idéologies, où on a une haute autorité des transports problématique, du point de vue du politique... Ouais, j'étais assez serein sur le fait que je voulais être ministre des Transports et faire ça. -2017 : député, 2018 : rapporteur SNCF, 2019 : secrétaire d'Etat, 2020 : ministre délégué, 2021 : vous devenez le ministre le plus populaire du gouvernement sur TikTok. Ca sert à quoi, sur TikTok ? -Ca sert à faire comprendre aux jeunes, puisque les jeunes sont plus sur TikTok qu'ailleurs, ce que faisait le ministre des Transports, quels étaient les dossiers que je traitais, et à le faire dans un format peut-être avec un peu plus de dérision... -Vous aviez une équipe dédiée à ça pour communiquer sur TikTok ? -J'avais une équipe, mais pas dédiée. On était 3, et on avait fait Instagram, on avait fait Twitter, vraiment le clash, ce qui est peu intéressant. Instagram, c'est assez joli, mais c'est le fan-club. TikTok, c'était intéressant, car c'était viral, on pouvait parler à beaucoup de monde assez rapidement. On a réfléchi au format, et on a trouvé des formats qui ont été réputés assez drôles. -C'est un des trucs qui m'a scotché dans votre parcours. En 2022, vous êtes le politique le plus populaire sur TikTok, à part le président, devant Bardella, devant Mélenchon. Vous avez un capital énorme. Et vous ne l'investissez pas ? -C'est marrant. Ce capital existe toujours. Dans la rue, je croise des jeunes qui me demandent quand je reprends TikTok. C'est extrêmement puissant. -Des gens rêvent de ça. Aujourd'hui, Bardella a des fans sur TikTok, vous en avez autant. Et vous ne faites pas de politique ? -Je pense que la vie est sensible. Vous voyez, j'ai relu il y a pas longtemps les mémoires de guerre de de Gaulle. Pas forcément l'après-guerre, plutôt l'avant-guerre, dans les années 30, il a une grosse trentaine d'années. On voit bien que sa pensée politique est d'ores et déjà sédimentée et cristallisée. 20 ans plus tard, il va mettre en oeuvre tout ça. Mais de Gaulle, c'est la 1re Guerre mondiale, c'est aussi une autre ère politique. Dans la vie, pour être bon quelque part, il faut avoir des expériences sensibles multiples. Je me construis comme ça. Je fais ça dans ma vie. Je ne dis pas plus jamais la politique, mais à 40 ans, j'avais envie de refaire autre chose dans le secteur privé, de me ré-enrichir, de me ré-oxygéner. -Ce qui m'a aussi frappé, on ne le sait pas forcément, mais les ministres, vous avez fait une formation, vous avez un Master Executive à Polytechnique. C'est important, quand on est ministre ? -C'est Important tout le temps. Je viens d'une culture aéronautique, j'ai été pilote, et en aéronautique, on se forme tout le temps. -Une erreur est plus grave, qu'une erreur quand on est ministre. -Je sais pas, finalement. En tout cas, les conséquences sont plus rapides. Moi, j'ai considéré que pour mes sujets, c'était important de rafraîchir mes connaissances. Sur des sujets d'électrification, de technologie, de l'hydrogène, de l'impact de l'intelligence artificielle, au-delà des mots-valises, on doit comprendre ce que ça veut dire sur le plan scientifique. -Il faudrait des formations pour les ministres avant certaines nominations ? -Je sais pas, mais une formation pour rafraîchir ses connaissances, pour moi, quand on est à des postes de décideurs, ça me paraît indispensable. Je prenais l'exemple des militaires : un officier général, avant d'être nommé général, il part un an, et il est formé sur des sujets de décision... -Il faudrait s'en inspirer ? -Oui, dans à peu près n'importe quel poste de décision publique. Des patrons d'administration, des ministres... J'avais voulu cette formation en tant que député. Je l'avais retardée, car j'arrivais comme ministre, mais j'ai voulu la faire en pensant que c'était une plus-value pour mon action ministérielle, pour l'action que je produisais, et je sais que ça m'a aidé à mieux comprendre les sujets et à être meilleur ministre. -Une dernière question, on la pose à tous nos invités. Vous avez passé plus de deux ans au gouvernement de la France, quelles sont les trois qualités nécessaires pour être un bon ministre ? -Il faut des idées et des convictions, 1re qualité. Si vous n'en avez pas, vous subissez. Et moi, voilà, je vous l'ai dit, les transports, j'avais des idées et des convictions, et c'est plus facile d'avoir de l'élan avec ça. Il faut du courage, parce que c'est dur, la politique. Vous êtes critiqué tout le temps, vous êtes pris à partie, y compris physiquement, vous êtes insulté sur les réseaux sociaux... C'est vraiment dur. Il faut du courage et de l'opiniâtreté. Et je pense que la 3e qualité, c'est la lucidité. A bien des égards, en politique, singulièrement dans un monde où on a moins de partis politiques, pas de cumul des mandats, moins d'idéologie, à part aux extrêmes, mais dans l'arc modéré, le pouvoir politique est parfois une illusion. Donc, ne pas forcément vouloir durer, ne pas s'illusionner de ce que serait le titre, et essayer de cheminer utilement pour sa famille, pour soi, pour le pays, c'est ce que j'essaye de faire. La lucidité manque parfois un peu en politique. -Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. -Merci à vous. SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA