-Bonjour, Jean-Baptiste Djebbari. -Bonjour à vous. -Merci d'être là
pour cette série d'entretiens consacrés aux ministres
issus de la société civile. Vous incarnez bien ce profil. Vous n'aviez jamais fait
de politique avant d'être élu député
en 2017, ce qui va vous permettre
de devenir secrétaire d'Etat puis ministre délégué
aux Transports. Un parcours différent
des ministres qui font de la politique
depuis toujours. Par exemple, Gérald Darmanin a pris
sa carte au RPR à 16 ans, Gabriel Attal a pris
sa carte au PS à 17 ans. Vous n'avez jamais pensé
à vous inscrire dans un parti quand vous étiez jeune ? -J'y ai pensé. Ca m'a même intéressé,
et j'ai fait deux réunions, une réunion de section du PS
en Limousin et une réunion dans ce qui était
l'UMP à l'époque à Paris, et j'avoue que ça ne m'avait pas
particulièrement enthousiasmé. Mais j'ai toujours aimé
et suivi la politique. -Qu'est-ce qui vous avait déçu
dans ces réunions ? -On parlait assez peu
de la France. On avait...
C'était très tactique. C'était très électoraliste,
un peu clientéliste, ce que je comprends, il faut
de la tactique en politique, mais c'était pas mon sujet à ce moment-là de l'histoire. J'ai eu une famille politique.
J'ai même une grand-mère qui a été très impliquée
au PS. -Elle vous emmenait pas
aux meetings ? -Non, on parlait beaucoup. Nos déjeuners du dimanche étaient
essentiellement politiques. -Darmanin et Attal ont
tous les deux fait Sciences Po. Vous, vous avez fait une école qui forme
des contrôleurs aériens. Vous vouliez passer votre vie dans une tour de contrôle ? -J'avais envie de travailler
dans l'aviation. J'ai d'abord été formé à l'Ecole de l'aviation civile
à Toulouse avant d'être pilote et formé
en France et en Angleterre. C'était une passion, pas forcément
une passion d'enfant, mais elle m'est venue
au fil du temps. J'avais toujours aimé
suivre la politique, mais je m'étais jamais envisagé
entrer en politique. Ca, c'est la rencontre
avec Emmanuel Macron et la rencontre plus globalement
autour de ce moment, en 2017, où on a eu... -En tout cas, vous avez été
contrôleur aérien, pas très longtemps.
Pilote de jet, ça, vous l'avez été
pendant quelques années. Mais vous avez une vocation
pour créer des entreprises. Vous avez créé votre première
entreprise à quel âge ? -J'ai participé à la création
de la première à 28-29 ans. J'ai découvert
l'entreprenariat sur le tas, au travers
des opportunités, des crises, et je me suis
révélé à moi-même, en me disant :
"Je peux aussi faire ça." Après, j'ai eu envie
de créer des projets, et au gré des rencontres,
j'en ai eu l'opportunité. C'est un projet de création de compagnie aérienne
régionale qui m'a fait rencontrer
Emmanuel Macron. -On est en 2015. Pour créer
une compagnie aérienne, on a besoin de fonds
et d'appui politique. Bruno Le Roux, président
du groupe socialiste à l'Assemblée,
vous dit : "Je vais te présenter
le ministre du Budget "de François Hollande." Ca se passe comment ? -Ca s'est passé sur la péniche
de Gérard Feldzer. Bruno Le Roux aime l'aviation,
connaissait Gérard Feldzer, et Gérard Feldzer m'a envoyé
voir Bruno Le Roux, que j'ai trouvé très sympathique,
que je connaissais pas, qui a trouvé le projet
intéressant et qui m'a mis en contact avec ce jeune ministre
qui arrivait à Bercy. -On veut son nom ! -Emmanuel Macron, qui, avec son cabinet, a trouvé le projet
intéressant. Moi, ça m'a permis
de le rencontrer, et surtout, après,
de suivre son aventure. Le hasard a fait que
j'ai rencontré plus tard ceux qui deviendraient
les Jeunes avec Macron, Pierre Person... -On veut en savoir plus. Est-ce que vous vous dites
que vous venez de rencontrer le futur président
de la République ? -Non... Je l'ai rencontré à Bercy,
il y avait du monde, donc mon échange avec lui, c'est quelques minutes,
c'est court, mais j'ai trouvé qu'il comprenait
le projet assez vite, qu'il posait
les bonnes questions, et surtout, je l'ai trouvé
très efficace dans le traitement après,
au travers de son cabinet. Moi, je découvrais un peu
les schémas politiques, le mode de fonctionnement
politique. Je l'ai trouvé différent.
Et après, en suivant son évolution... -Ca vous a permis
de vous rapprocher de son entourage,
la "bande de Poitiers", c'est un peu
l'aile gauche du parti, donc c'est des gens qui avaient
déjà fait 10 ans de politique autour du PS.
C'est eux qui vous ont permis d'être candidat en 2017 ? -En fait, c'est vraiment
une amitié naissante avec Pierre Person
autour de sujets... -Qui a été numéro 2
d'En Marche. -Oui, et député de Paris.
On avait commencé à réfléchir sur les sujets
de démocratie numérique. Il se trouve que ce sujet
de la démocratie numérique, ça m'intéressait.
J'avais postulé en 2013, toujours sous l'aspect
de l'entreprenariat, au Concours mondial
d'innovation sur un sujet de plate-forme
numérique pour voter. Déjà, en 2013, j'étais intéressé
par ces sujets-là. Avec Pierre Person, on avait réfléchi
à comment mettre ça à profit pour En Marche,
qui se structurait. Et après, dans la campagne,
avec Pierre, Stéphane Séjourné
et d'autres, j'avais participé
à des petites missions, mais oui, ça a commencé
comme ça pour moi. -Donc vous êtes élu en 2017 représentant du peuple
pour cinq ans. Est-ce que
vous vous êtes dit que ça allait être
un bon tremplin pour devenir ministre ? -Non. J'étais
très impressionné... D'abord, j'ai pas du tout
anticipé ça. Au moment
où En Marche se crée et où Emmanuel Macron
est candidat, j'étais en train
de développer une compagnie aérienne européenne
pour intégrer mon projet de compagnie aérienne
régionale, dont j'étais très concentré
là-dessus. Entre octobre 2016
et mars 2017, j'étais un peu loin de la France
et des sujets politiques. Et puis après,
je comprends qu'Emmanuel Macron
va être candidat. Je comprends à un moment
qu'il va être élu. On échange un peu avec le parti,
qui cherchait des candidats à la députation.
Je leur avais dit que la terre de ma famille,
c'était le Limousin, et que s'ils cherchaient
des candidats dans ce territoire,
ça pouvait m'intéresser, que j'étais candidat.
Ca s'est fait comme ça. Donc entre mars et avril-mai,
le temps est dilaté. Emmanuel Macron
devient président, puis les investitures se font
mais assez tardivement, et après, on se prend au jeu
de la campagne. -Quand vous arrivez
à l'Assemblée, vous n'avez pas l'idée de... -Non. Déjà, la campagne,
c'est très dense. Je faisais deux réunions publiques
par soir. Je commence à avoir envie de gagner
entre les deux tours, parce que j'arrive,
à ma grande surprise, premier, mais la campagne
de second tour est assez dure.
J'ai face à moi le maire communiste
de Saint-Junien, Pierre Allard,
que je salue, qui est d'ailleurs très sympathique,
mais qui remontait pas mal, donc je finis par gagner.
On arrive ici... J'ai beaucoup lu
l'histoire parlementaire, j'ai été empreint
de la IIIe République, donc rentrer dans l'hémicycle
la première fois, c'était un grand moment
d'émotion. Après, j'ai vu
que dans les faits, le débat parlementaire pouvait être
parfois moins glorieux. -Vos débuts à l'Assemblée étaient pas très réussis. La première fois que vous posez
une question au gouvernement, vous y allez sans fiche,
et en fait... -J'avais mésestimé le stress,
ce qui se passe réellement. C'est en lien avec ce que je disais
précédemment. Pour moi, cette enceinte
parlementaire, là où se forge le débat public,
c'était très important. -Vous ne pouvez pas
finir vos phrases, vous êtes en panique... -Il faut se rendre compte,
vous le savez, c'est extrêmement bruyant, vous êtes interrompu
en permanence, vous êtes à moitié insulté,
ce qui était le cas, et c'est très désarçonnant.
Ca m'a désarçonné. Quand vous avez 2 minutes
pour poser la question, si vous perdez le fil,
vous perdez le fil. Ca a été une très bonne expérience.
Il faut toujours apprendre des moments de difficulté
dans la vie. -En voyant ces débuts,
on se dit que vous n'allez pas
être bon à l'oral, et 100 jours plus tard, pour communiquer
sur les 100 premiers jours du président Macron, on vous voit
sur BFM très à l'aise. Donc vous étiez conscient
que pour ne pas rester un député lambda, il fallait
acquérir de la visibilité ? -Je sais pas si je l'ai anticipé
comme ça, mais j'ai toujours été
un faiseur, opiniâtre. Pour moi, échouer,
c'est jamais grave. On apprend plus, et ça,
c'est une vraie leçon de vie, quoi qu'on fasse
dans la vie, on apprend toujours plus
de ses échecs que de ses réussites.
Donc pour moi, c'était pas un sujet,
ces débuts. Sur la capacité à passer un message,
à vulgariser et à être clair, c'est toujours ce que
j'ai essayé de faire dans toutes mes activités, mais c'est vrai
qu'en politique, peut-être plus qu'ailleurs,
il faut essayer d'avoir un mode de fonctionnement
et de communication direct, ce que j'ai essayé de faire
par la suite avec d'autres formats.
Pour moi, c'est essentiel. Sinon, c'est facile
de se réfugier dans une forme
de technocratie. Or on essaie d'expliquer
à des gens des choses compliquées. -Vous êtes rapidement nommé coordinateur
du groupe En Marche au sein de la commission
du Développement durable. C'est comme si
vous cherchiez à gravir des échelons
dans une grande entreprise. -C'est plus simple que ça. Comme on était quelques-uns
à se connaître, il y a eu à un moment
une forme de speed-dating entre les 30-40 députés
qui postulaient pour coordonner les travaux
de la commission, et il s'est trouvé que
mon profil a probablement à peu près convaincu.
Donc j'ai fait ça. C'était pas forcément facile
parce que ça nécessitait... -C'était un peu
un rôle de manager. -Oui. Il fallait s'assurer que tout le monde comprenne bien
ce qu'on faisait. On était proches
du gouvernement. Gabriel Attal était whip
de la commission des Affaires sociales... -Donc coordinateur. -Amélie de Montchalin
était whip de la commission
des Finances. -Vous étiez déjà parmi ceux
qui se distinguaient. -C'était pas simple. On a rapidement eu
des textes de loi à voter, la réforme ferroviaire pour moi
et plein d'autres textes pour les autres, et ça forge.
Ca m'a formé. C'est une formation accélérée... -Sur le tas et sur le tard. -Exactement. -Vous êtes un bon joueur
de rugby amateur. Ca aide
quand on doit affronter le monde politique ? -Je pense que la politique devrait
ressembler plus au rugby. C'est un sport de combat collectif,
et tous les mots comptent. De combat, parce que
la politique, c'est dur, et collectif, parce que
tout seul, on est rien. Au rugby, que vous soyez grand,
gros, rapide, malin, buteur, vous avez une place. Et moi, j'ai toujours essayé
de mener ma barque comme ça : où je peux rendre service ?
Comment faire gagner l'équipe ? La politique devrait
ressembler plus au rugby. -En 2018, vous êtes rapporteur
de la loi SNCF. Vous accompagnez Elisabeth Borne,
ministre des Transports, dans toutes ses concertations
avec les partenaires sociaux. C'est là que vous vous êtes dit
que c'était pas si compliqué d'être ministre
des Transports ? -Non. D'abord,
ça m'a permis de rencontrer les syndicats,
les patrons de la SNCF, de comprendre intimement
comment ça pouvait se passer. Et comme le texte a fini
en commission mixte paritaire, dans laquelle n'est pas
le gouvernement, c'est moi qui ai finalisé
toutes les négociations. C'était un texte important,
emblématique. Tout le monde disait
que la réforme de la SNCF était impossible,
et Emmanuel Macron l'a fait, et j'y ai modestement
contribué. J'ai jamais mésestimé
la difficulté d'être ministre,
mais ça m'a permis d'avoir de l'élan.
Je connaissais l'aviation. Par le truchement
de cette loi, j'ai bien connu
le monde ferroviaire. Ca donne un peu de confort.
Ca m'a aussi forgé quelques convictions
sur le monde des transports. -Désolé de piétiner
votre humilité, mais vous vous êtes
quand même distingué. Il y a plus de 300 députés En Marche
élus. Début 2019, on nomme 9 porte-parole
du groupe En Marche, vous en faites partie. Sur ces 9 porte-parole,
5 vont devenir ministres, dont vous.
Donc pour entrer au gouvernement,
il faut être capable d'être brillant
dans les médias ? -Il faut être efficace
dans l'action parlementaire et pour porter le message
en dehors, parce qu'à la fin
de la fin, vous essayez de convaincre
des gens, qui, par ailleurs,
ne vous aiment pas ou ne vous comprennent pas, que vous avez raison
et que vous le faites pour le bien
du plus grand nombre. Donc c'est un travail
de communication très directe. Il faut pas oublier qu'il y avait eu
les gilets jaunes entre-temps. Ca a été une expérience incroyable
pour moi. C'était très dur. J'ai fait
cinq grands débats. J'ai fait un grand débat
en prison. Sur trois heures de discussion,
vous aviez une heure où c'était sportif, ou viril,
pour reprendre les allégories rugbystiques. Moi, j'ai aimé ça.
J'aime bien le débat, j'aime bien les gens
et j'aime bien convaincre. -Ca vous a permis
de vous distinguer des autres députés. Il y a aussi
une question de chance. Vous entrez au gouvernement en 2019,
mais si Elisabeth Borne ne remplace pas
François de Rugy à l'Ecologie, vous ne devenez jamais
ministre des Transports. -Quand on me demande comment j'ai fait
pour devenir ministre, je dis que j'ai été le fruit
d'un scandale assez bizarre autour des homards. -On a reproché à François de Rugy
d'avoir bouffé du homard. -S'il avait duré
quelques semaines de plus, je n'aurais jamais eu
cette opportunité. La vie, c'est aussi la chance.
Il faut savoir la générer, mais la chance fait pleinement
partie de la vie. J'en ai eu, sur ce coup. -En même temps, entre juillet et la rentrée, il y avait pas
de ministre des Transports. Est-ce que
vous avez levé le doigt pour y aller ? -J'ai pas levé le doigt,
mais j'avais déjà fait... D'abord, j'ai attendu
d'être considéré comme légitime. Je voulais me sentir légitime
pour faire savoir mon intérêt. C'est vrai que j'ai fait savoir
mon intérêt directement au président de la République, et à Edouard Philippe,
Premier ministre. -C'est le 4 septembre 2019.
Vous le savez quand ? -Vraiment pas longtemps avant. J'ai eu le président
48 heures avant. J'ai vu Edouard Philippe à Matignon
pendant une grosse heure, où on a parlé de pas mal de choses,
et j'ai été nommé le lendemain. Cette période des 24 heures
entre le moment où on vous propose
d'entrer au gouvernement et le moment où vous êtes nommé
n'est pas agréable à vivre. Je connais
d'autres personnes qui... -Qui n'ont pas eu... -Exactement. -Si on devait remercier,
qui vous a le plus servi pour entrer au gouvernement ? Qui vous devez remercier ? -Objectivement...
J'aime beaucoup le président de la République,
Emmanuel Macron, après, on peut tous être lucide
sur la politique, et y compris en macronie, faire un exercice
de critique bienveillante, mais c'est vrai que... -C'est grâce à Emmanuel Macron ? -Bien sûr, bien sûr. Quoi qu'il en soit,
participer à ce moment de 2017, à ce moment démocratique,
à cet élan autour de lui, qu'on aime ou pas la politique,
l'homme, pour moi, ça restera un moment extraordinaire
de ma vie. J'ai essayé
d'y contribuer à ma mesure. -Au gouvernement,
vous avez pu nommer votre cabinet ou vous avez pris celui d'Elisabeth Borne ? -J'ai eu la chance...
Enfin... Moi, je voulais être
ministre des Transports, pas ministre tout court,
pour les raisons que j'ai citées. J'aimais le secteur
et j'avais des idées. Donc, en arrivant, je me suis séparé
de certains membres du cabinet. Le président m'a demandé
si j'avais besoin en particulier de profils... -Vous avez pu choisir ? -Oui, j'ai pu choisir une équipe que j'ai organisée
avec un pôle politique, quatre conseillers,
certains avaient fait la campagne, et d'autres avec des profils
jeunes, techniques, technologiques, car je ressentais que
pour être fort à l'intérieur, il fallait un cabinet fort
politiquement et techniquement. -Un ministère se dirige comme une entreprise ? -Je sais pas, mais c'est un gros ministère,
les Transports. 26 000 fonctionnaires,
10 milliards de budget... C'est la vie quotidienne,
les grèves... C'est une grosse entreprise. Après, vous avez 100 proches, un cabinet d'une quinzaine,
d'une vingtaine de personnes, et vous avez 100 personnes
que vous voyez régulièrement, et comme une grosse boîte, vous n'êtes pas tout le temps
sur le terrain. Vous avez beaucoup
de grosses boîtes publiques. La SNCF, Air France...
Dans votre environnement. Air France-KLM, ADP, etc., qui fonctionnent en plus avec des cultures et des profils
très différents. Il faut essayer
de bien comprendre dans quel écosystème vous évoluez,
puis faire oeuvre utile. -Le soir même ou au lendemain
de votre nomination, vous dînez avec Gérald Darmanin. Ca veut dire qu'on a besoin
d'appuis politiques, quand on est novice ? -Vous me le rappelez. -Vous aviez oublié ? -Non, je l'avais pas oublié,
mais ça s'est passé rapidement. J'aime bien Gérald Darmanin. -C'est un soutien politique ? -C'est un vrai poids lourd, mais je le voyais avant.
Je l'aimais bien avant. J'aime bien son intuition politique
et son opiniâtreté. C'est intéressant... -Il vous a calé un rendez-vous
avec Sarkozy, mais pour vous recruter ? -Vous savez tout ! Non, c'est très vrai. Ca m'intéressait
de rencontrer le président. J'avais demandé à Gérald
de l'organiser. Je savais qu'il aimait rencontrer
les jeunes ministres. J'ai revu le président Sarkozy
y a pas très longtemps. C'était très étonnant
et très intéressant, ce rendez-vous d'une heure, face-à-face... -Un fauve politique... -C'est vraiment le terme,
un fauve politique au sens animal du terme,
au sens énergétique. Evidemment, il a un très grand
savoir-faire politique. Ca m'a intéressé.
Ca m'a probablement donné des clés. -On peut être de gauche
et aimer Sarkozy. -En tout cas,
on peut être de gauche... Je ne sais pas si je suis totalement
de gauche, mais... Si. Je m'identifierais
comme un libéral social, dans l'ordre que vous voulez,
mais bien sûr qu'on peut avoir voté à gauche
et trouver Sarkozy, le président Sarkozy,
très intéressant. -2019, décembre, la plus grande
grève de l'histoire de la SNCF. Votre pire moment au gouvernement ? -On l'avait anticipé. C'était un moment
assez simple à gérer, parce que c'était
une grève politique contre l'action du gouvernement,
pas un sujet interne. La direction de la SNCF
n'était pas très engagée. On était en désaccord, et on savait
qu'on n'avait aucun autre choix que de faire passer cette réforme, parce qu'elle était devenue
très emblématique, parce qu'on était
sur des positions assez radicalisées entre nous :
il y avait d'un côté l'UNSA et CFDT plutôt favorables
à la réforme, et de l'autre, CGT-SUD,
qui étaient très raides, dans un combat politique. Je leur avais dit que la porte était ouverte... -Dans ces cas-là, votre boulot,
c'est d'assurer la communication dans les médias
pendant que la négociation se fait à Matignon ? -Non, c'était plutôt chez nous, au ministère des Transports,
mais en coordination avec Matignon. Le rôle, c'est d'assumer le débat
avec les syndicalistes, quand c'est nécessaire, d'aller expliquer ce qu'on fait,
y compris parfois de débattre de façon musclée... -Virile, comme on dit ? -Mais correcte, toujours,
et puis in fine, pour le coup, là,
de l'avoir emporté politiquement... Mais moi, j'avais dit au président
et au Premier ministre que dans toute victoire, il fallait montrer
de la considération et pas écraser
ceux qu'on avait vaincus. J'ai toujours eu du respect
pour les syndicalistes. On avait besoin d'eux. La vie, c'est toujours
des victoires et des échecs... -Là, c'était
une victoire pour vous. Ca a contribué à votre promotion. Vous n'êtes plus secrétaire d'Etat,
mais ministre délégué. Ca change quoi ? -Ca change... Je sais pas si ça change réellement
beaucoup de choses. Ca change certainement le fait d'avoir un cabinet
un peu plus grand, un peu plus de moyens, plus d'autonomie
dans l'action gouvernementale, mais moi,
j'ai pas eu l'impression d'avoir... ...d'avoir souffert
comme secrétaire d'Etat. Elisabeth Borne était
sur les sujets écologiques. J'avais une très bonne relation
avec Matignon. Donc, je sais que pour certains,
le titre est important, mais pour moi, ce qui primait,
c'était ma capacité à faire. J'ai pas vraiment observé
qu'avec mon changement de titre, ma capacité à faire changeait. -Vous avez eu l'occasion
de faire vos preuves. Est-ce que vous vous êtes dit
"je suis capable d'être ministre, "j'aimerais m'intéresser
à un autre domaine" ? -Non...
Evidemment, on se pose la question, parce qu'on observe les camarades
qui changent parfois de secteur, parce qu'ils ont l'objectif,
in fine, d'être à Matignon
ou d'être président, moi, c'était pas mon sujet.
D'abord, je m'étais dit que je ferais 5 ans
en politique, que je les faisais
entre 35 et 40 ans, qu'à 40 ans,
je ferais autre chose. J'ai adoré la politique,
et j'ai aussi considéré que ne pas vouloir durer,
c'était avoir beaucoup de liberté. Les transports m'ont intéressé,
et j'ai eu la chance de faire 3 ans aux transports,
et j'ai voulu faire ça. Je dis pas plus jamais
pour la politique, mais je pense que dans la vie, il faut construire des séquences. Dans un monde avec moins de partis,
moins d'idéologies, où on a une haute autorité
des transports problématique, du point de vue du politique... Ouais, j'étais assez serein
sur le fait que je voulais être ministre
des Transports et faire ça. -2017 : député,
2018 : rapporteur SNCF, 2019 : secrétaire d'Etat,
2020 : ministre délégué, 2021 : vous devenez le ministre
le plus populaire du gouvernement sur TikTok.
Ca sert à quoi, sur TikTok ? -Ca sert à faire comprendre aux jeunes, puisque les jeunes sont plus
sur TikTok qu'ailleurs, ce que faisait
le ministre des Transports, quels étaient les dossiers
que je traitais, et à le faire
dans un format peut-être avec un peu plus de dérision... -Vous aviez une équipe dédiée à ça pour communiquer sur TikTok ? -J'avais une équipe,
mais pas dédiée. On était 3,
et on avait fait Instagram, on avait fait Twitter, vraiment le clash,
ce qui est peu intéressant. Instagram, c'est assez joli,
mais c'est le fan-club. TikTok, c'était intéressant,
car c'était viral, on pouvait parler à beaucoup de monde
assez rapidement. On a réfléchi au format, et on a trouvé des formats
qui ont été réputés assez drôles. -C'est un des trucs qui m'a scotché
dans votre parcours. En 2022, vous êtes le politique
le plus populaire sur TikTok, à part le président,
devant Bardella, devant Mélenchon.
Vous avez un capital énorme. Et vous ne l'investissez pas ? -C'est marrant.
Ce capital existe toujours. Dans la rue,
je croise des jeunes qui me demandent
quand je reprends TikTok. C'est extrêmement puissant. -Des gens rêvent de ça. Aujourd'hui, Bardella a des fans
sur TikTok, vous en avez autant. Et vous ne faites pas de politique ? -Je pense que la vie est sensible. Vous voyez,
j'ai relu il y a pas longtemps les mémoires de guerre
de de Gaulle. Pas forcément l'après-guerre,
plutôt l'avant-guerre, dans les années 30,
il a une grosse trentaine d'années. On voit bien
que sa pensée politique est d'ores et déjà sédimentée
et cristallisée. 20 ans plus tard,
il va mettre en oeuvre tout ça. Mais de Gaulle,
c'est la 1re Guerre mondiale, c'est aussi
une autre ère politique. Dans la vie,
pour être bon quelque part, il faut avoir des expériences
sensibles multiples. Je me construis comme ça.
Je fais ça dans ma vie. Je ne dis pas plus jamais
la politique, mais à 40 ans, j'avais envie de refaire autre chose
dans le secteur privé, de me ré-enrichir,
de me ré-oxygéner. -Ce qui m'a aussi frappé, on ne le sait pas forcément, mais les ministres,
vous avez fait une formation, vous avez un Master Executive
à Polytechnique. C'est important,
quand on est ministre ? -C'est Important tout le temps. Je viens d'une culture aéronautique,
j'ai été pilote, et en aéronautique, on se forme tout le temps. -Une erreur est plus grave, qu'une erreur quand on est ministre. -Je sais pas, finalement. En tout cas,
les conséquences sont plus rapides. Moi, j'ai considéré
que pour mes sujets, c'était important de rafraîchir mes connaissances. Sur des sujets d'électrification,
de technologie, de l'hydrogène, de l'impact
de l'intelligence artificielle, au-delà des mots-valises,
on doit comprendre ce que ça veut dire
sur le plan scientifique. -Il faudrait des formations
pour les ministres avant certaines nominations ? -Je sais pas, mais une formation pour rafraîchir
ses connaissances, pour moi, quand on est
à des postes de décideurs, ça me paraît indispensable. Je prenais l'exemple
des militaires : un officier général,
avant d'être nommé général, il part un an,
et il est formé sur des sujets de décision... -Il faudrait s'en inspirer ? -Oui, dans à peu près n'importe quel poste
de décision publique. Des patrons d'administration,
des ministres... J'avais voulu cette formation
en tant que député. Je l'avais retardée,
car j'arrivais comme ministre, mais j'ai voulu la faire en pensant
que c'était une plus-value pour mon action ministérielle,
pour l'action que je produisais, et je sais que ça m'a aidé à mieux comprendre les sujets
et à être meilleur ministre. -Une dernière question, on la pose à tous nos invités. Vous avez passé plus de deux ans
au gouvernement de la France, quelles sont les trois qualités nécessaires
pour être un bon ministre ? -Il faut des idées
et des convictions, 1re qualité. Si vous n'en avez pas,
vous subissez. Et moi, voilà, je vous l'ai dit, les transports, j'avais des idées
et des convictions, et c'est plus facile
d'avoir de l'élan avec ça. Il faut du courage,
parce que c'est dur, la politique. Vous êtes critiqué tout le temps,
vous êtes pris à partie, y compris physiquement,
vous êtes insulté sur les réseaux sociaux...
C'est vraiment dur. Il faut du courage
et de l'opiniâtreté. Et je pense que la 3e qualité,
c'est la lucidité. A bien des égards, en politique,
singulièrement dans un monde où on a moins
de partis politiques, pas de cumul des mandats,
moins d'idéologie, à part aux extrêmes,
mais dans l'arc modéré, le pouvoir politique est parfois
une illusion. Donc, ne pas forcément
vouloir durer, ne pas s'illusionner
de ce que serait le titre, et essayer de cheminer utilement pour sa famille, pour soi,
pour le pays, c'est ce que j'essaye de faire. La lucidité manque parfois un peu
en politique. -Merci beaucoup d'avoir accepté
notre invitation. -Merci à vous. SOUS-TITRAGE :
RED BEE MEDIA