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Dissuasion nucléaire française et Europe

La France va-t-elle franchir un cap inédit pour protéger l'Europe ? Emmanuel Macron a rouvert un délicat débat en évoquant un possible élargissement de la dissuasion nucléaire à nos voisins. Si mes collègues veulent avancer vers une plus grande autonomie et des capacités de dissuasion... Je suis disponible pour que cette discussion s'ouvre. Malmené et lâché par Donald Trump, qui a confirmé la nuit dernière gelé l'aide militaire à l'Ukraine, les Européens s'interrogent sur les moyens d'assurer leur sécurité sans l'allié américain. En Allemagne... Le futur chancelier préconise de s'abriter sous un parapluie nucléaire européen. La question est de savoir si, à défaut de participation, nous pourrions bénéficier de la sécurité nucléaire de la Grande-Bretagne et de la France. La Grande-Bretagne et la France sont les deux seules puissances nucléaires en Europe. Avec une différence de taille, les missiles britanniques et la maintenance dépendent des Etats-Unis. Là où la dissuasion nucléaire française est souveraine, libre de ses propres choix. Mais l'extension du parapluie nucléaire français est loin de faire l'unanimité. Lundi à l'Assemblée, sous les yeux de l'ambassadeur de l'Ukraine, des députés ont donné de la voix furieux contre le chef de l'État. Son appel à partager notre dissuasion nucléaire est une hérésie stratégique. La dissuasion nucléaire voulue par le général de Gaulle. D'autres assurent que partager ne veut pas dire perdre le contrôle. Un parapluie, ça peut couvrir plusieurs personnes, mais il y a une seule personne qui tient le manche, et en l'occurrence, ça ne peut être que le président de la République. Alors quelle forme pourrait prendre un parapluie européen ? Des rafales nucléaires seront-ils bientôt déployées chez nos voisins ? La France possède-t-elle un arsenal suffisant pour défendre l'Europe ? Trois invités, trois invités pour ce débat. Le général Vincent Desportes, bonsoir, ancien directeur de l'école. de guerre. Selon vous, dans l'état actuel de notre doctrine, à nous les Français, il est tout à fait envisageable d'utiliser notre dissuasion nucléaire pour protéger un allié européen. Mais il est hors de question qu'une autre personne que le président de la République française appuie sur le bouton. À côté de vous, Louis Gauthier. Bonsoir, ancien secrétaire général de la Défense et de la Sécurité Nationale de 2014 à 2018. Vous êtes directeur de la chaire Grands Enjeux Stratégiques Contemporains à l'Université de la Sorbonne. Selon vous, partez-vous Partager le parapluie nucléaire, ce sont pour le moment des mots, en l'occurrence des paroles en l'air. Cela poserait plusieurs questions fondamentales. Par exemple, celle-ci, partageons-nous réellement une communauté de destin avec la Hongrie de Viktor Orban, qui appartient au 27 et donc à l'Union européenne ? Et à côté de vous, Joséphine Staron. Bonsoir Madame, directrice des études et des relations internationales du think tank Sinopia. Votre dernier essai Europe, la solidarité contre le naufrage est paru aux éditions Sinopia. Selon vous ? Nous sommes aujourd'hui à des années-lumières d'une dissuasion nucléaire commune à toute l'Europe. Il est absolument impensable que le bouton nucléaire se retrouve entre les mains de la Commission à Bruxelles, par exemple. Et on démarre ce débat, il va être riche, avec les mots du jour. Les mots du jour, les intérêts vitaux, selon la doctrine française, la dissuasion nucléaire sert à défendre les intérêts vitaux de la nation. Mais encore faut-il les définir, Général Vincent Desportes. Qu'est-ce que ça veut dire, les intérêts vitaux ? dans cette optique ? Je vais vous dire, encore faut-il surtout ne pas les définir. C'est bien l'ambiguïté sur la limite de l'emploi qui est une part tout à fait importante de la dissuasion. Dès lors que vous définissez les intérêts vitaux, vous définissez la limite jusqu'à laquelle votre adversaire peut aller. Les intérêts vitaux n'ont jamais été définis et à mon avis... Le jour où on commence à les définir, on diminue très largement la puissance de la dissuasion. On perd une part de mystère et donc de dissuasion. Louis Gauthier, malgré tout, comment vous voyez ces intérêts vitaux ? Il semble évident pour une part le territoire national, s'il était mis en cause de manière extrêmement invasive. Est-ce qu'on peut voir au-delà ? C'est vrai qu'il y a toujours une zone d'ambiguïté sur la définition précise des intérêts vitaux, mais il y a un cœur qui n'est pas contestable, qui est que l'arme nucléaire sert à... assurer la survie de la nation en tant que telle, de son territoire, de sa population. On a évoqué d'entrée la notion de partage. C'est le mot que je conteste, parce qu'effectivement, on ne partagera ni la fabrication, ni la détention des armes, ni l'ordre nucléaire, ni les procédures de commandement, ni même le contrôle gouvernemental, puisque je voyais qu'on disait qu'on pouvait positionner ici ou là des ogives ou des vecteurs stratégiques. Ça va y revenir tout à l'heure. D'accord. Et donc, cette notion d'intérêt vital ou les intérêts vitaux, En revanche, elle fait partie, elle peut intégrer la protection d'alliés. Et d'ailleurs, Chirac, la déclaration des Tchékers en 1995, dit qu'on n'imagine pas de... Une situation où les intérêts vitaux du Royaume-Uni seraient en cause et les intérêts vitaux de la France ne le seraient pas. Et nous avons souvent dit la même chose à nos partenaires les plus proches, allemands ou ceux qui constituaient le cœur de l'Europe. Et ça depuis longtemps, depuis la fin de la guerre froide, Mitterrand, Chirac et tous les successeurs de ces présidents ont reconfirmé la possibilité que la dissuasion française soit mise au service de la protection d'alliés européens. Donc Joséphine Staron ? Il y a forcément une dimension européenne à ces intérêts vitaux français. Oui, je pense que la dimension européenne des intérêts vitaux, elle ne fait pas... Il n'y a pas de doute aujourd'hui, c'est les modalités maintenant qui sont en question, parce qu'on en parle effectivement depuis un certain moment. Ça tombait dans l'oreille de sourds lorsqu'Emmanuel Macron en faisait la proposition déjà en 2017. Et aujourd'hui, eh bien, on a quand même des échos, puisque le parapluie nucléaire américain semble faire défaut. Donc, les alliés se tournent vers les seules puissances nucléaires. que sont le Royaume-Uni et la France. Et la France est d'autant plus crédible qu'elle est véritablement autonome dans sa stratégie de défense. Pour les intérêts vitaux, rappelons-nous quand même que Vladimir Poutine, au début de la guerre en Ukraine, avait défini les intérêts vitaux comme étant de la Russie, le respect du territoire, de l'intégrité territoriale des frontières russes. Et puis, quand même, force est de constater que les Ukrainiens sont à Kursk depuis un certain nombre de mois, et que ça n'a pas pour autant déclenché le feu nucléaire. Bien sûr. La notion d'intérêt vital, bien évidemment, elle nécessite d'être, comme l'a dit le général, floue, nécessairement floue, parce que sinon ça pousse vos ennemis à vous pousser dans vos retranchements. Écoutez, avant d'aller plus loin dans le débat, je vous propose de regarder une archive à propos de quelqu'un, le père de la dissuasion nucléaire française, le général de Gaulle en 1960, qui avait une manière très subtile de naviguer entre mystère et définition précise de ses intérêts vitaux. Regardez. Il faut que la France soit debout à l'égard de ses amis. On n'est jamais seul dans le monde aujourd'hui, surtout, et moins que jamais, il faut avoir des alliés, c'est vrai. Et la France d'ailleurs donne l'exemple de la fidélité à ses amis et à ses alliés. Mais il ne faut pas avoir de protecteur. C'est l'autre raison pour laquelle la France, avec ses moyens... et sans outrecuidance a cru devoir entrer dans la voie qui lui procurera l'armement, il faut bien le dire, nécessaire pour être elle-même. mais pas de protecteur, dit le général de Gaulle, le général Vincent Desportes. Est-ce que cette doctrine, depuis 1960, elle a varié, elle a évolué en France ou pas du tout ? Pas dans son esprit, dans ses modalités peut-être, dans son élargissement peut-être, mais pas dans son esprit. Quand il dit qu'il faut avoir des alliés mais pas de protecteur, on sait bien que la sécurité suppose la puissance. Mais elle suppose soit votre propre puissance, soit la puissance de l'autre, et alors vous êtes un vassal. Ce qui se passe un peu pour les autres pays européens, et je crois que la France aujourd'hui n'est vassale de personne, parce que... justement, elle dispose de cette autonomie de dissuasion. D'ailleurs, il faut peut-être différencier parmi les deux puissances nucléaires du continent, la France et le Royaume-Uni, les deux forces dans la mesure où le Royaume-Uni dépend en partie des Etats-Unis pour sa force nucléaire, c'est bien ça, Général Desportes ? Alors, je crois que mon voisin de droite et mes amis commandes répondent. Moi, je crois qu'elle dépend en partie parce que ses armes elles-mêmes, le corps des armes dépendent. Maintenant, qui ? Est-ce que le Premier ministre britannique a toute liberté pour appuyer ou pas sur le bouton ? Je ne sais pas. Sur la dépendance ? Oui, la dissuasion nucléaire a été instituée, le général de Gaulle l'a rappelé, pour confirmer l'indépendance des choix ultimes de la France. Ce qu'il y a, c'est qu'on était dans une période de guerre froide où cette dissuasion jouait sur les interstices et était quand même, j'allais dire, adossée à ce qu'était toute la puissance de l'OTAN. Et après la guerre froide, elle est encore restée adossée à cette alliance. Aujourd'hui, le défaut américain dans l'alliance pose une question, comment rétablir… entre Européens, l'épaisseur stratégique qui fasse que la dissuasion, la dissuasion c'est un domaine à part, mais ce n'est pas une dimension suspendue dans l'air. Il faut de la crédibilité, on ne passe pas de la fronde ou de l'obus d'artillerie à la dissuasion nucléaire. Et donc ça veut dire que si les Européens veulent aller dans le sens... d'une dissuasion concertée ou discutée entre nous, il faut aussi qu'il y ait en arrière-plan, construit ensemble, toute une série de dissuasions conventionnelles et nucléaires multicouches qui impliquent peut-être boucliers antimissiles, des missiles de frappe dans la profondeur conventionnelle, davantage de densification dans le spatial. Il n'y a pas de décorrélation. Et le point, alors vous l'avez évoqué sur les intérêts vitaux russes, ce qui est important, c'est que la dissuasion, ça peut être le va-tout. qui assure la survie, mais ça peut être aussi le signal qui est envoyé à un adversaire qu'à partir de cette limite... On passe dans un autre jeu. Et donc, ça participe de ce qu'on appelle des stratégies de déni d'accès. Et c'est ça, en réalité, qui jouerait. On n'imagine pas que la France tire ses 16 missiles nucléaires d'un sous-marin si sa survie en tant que nation n'est pas en jeu. En revanche, qu'elle émette un signal nucléaire, qu'elle gesticule, qu'elle fasse savoir pour dire que... C'est quoi un signal nucléaire ? Un signal nucléaire, par exemple, M. Poutine en a envoyé un très directement à travers le missile qui est tombé sur Dnipro. Il n'y avait pas de charge nucléaire et ça faisait partie de ses gesticulations. On vient de dire, nous pouvons le faire. Oui, et d'ailleurs, ça a quelque part marché parce que le fait que le conflit soit en ambiance nucléaire a évité que d'autres rentrent dans la belligérance. Il y a eu des tirs et il y a eu des frappes sur le territoire russe, mais il n'y a eu aucune frappe sévère. Donc la dissuasion a joué son rôle. Donc la dissuasion a quand même joué son rôle pour contenir ce conflit. et pour éviter des emballements et l'escalade. Alors le soutien à l'Ukraine et l'élargissement de ce parapluie nucléaire français ou pas a donné lieu à un débat en début de semaine. Il y a deux jours au Parlement, les forces politiques ont pu s'exprimer à l'image de Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement National. Partager la dissuasion, c'est l'abolir. Le feu nucléaire, degré suprême de la souveraineté, est un absolu. Un absolu ne se relativise pas, sauf à ne plus exister. Déclencher le feu nucléaire est indissociable d'une légitimité. nationale et populaire. Alors, est-ce qu'il n'y a pas ici, Joséphine Staron, une confusion entre le fait d'avoir le doigt sur le bouton nucléaire qui est autre chose que de discuter d'un éventuel parapluie commun, mais d'une décision unique, celle de la France ? Bien sûr, je pense que dans ce débat, c'est très politisé, donc beaucoup font semblant de ne pas comprendre la nuance. Encore une fois... Personne n'a jamais parlé de partager le bouton nucléaire à 2, 3, 27, ni même de le confier à la présidente de la Commission européenne. Ce n'est absolument pas un projet envisagé, ce n'est même pas discuté. On est sur un autre registre, comme ça a déjà été très bien expliqué, d'extension de la puissance nucléaire française et non pas de partage. En fait, le mot partage est peut-être celui qui induit en erreur une partie de la classe politique et qui inquiète aussi la population légitimement. Donc il faut vraiment revoir peut-être la manière dont on parle de cette dissuasion élargie et non pas partagée. Mais Général Desportes, peut-être aussi qu'Emmanuel Macron n'a évidemment pas ça en tête, mais c'est ce mot « souveraineté » qui induit ces réactions politiques. Et c'est fausse, mauvaise compréhension. Oui, vous avez raison, c'est-à-dire qu'on prône la souveraineté, en même temps on dit qu'on partage, et donc c'est le terme qui est mauvais, d'ailleurs je ne sais pas d'où il vient ce terme, je ne sais pas qui l'a utilisé, je ne pense pas que le président Macron l'ait utilisé, donc est-ce que c'est un terme qui sort de la bouche de Madame Le Pen et donc elle joue là-dessus pour jouer sur un argument ? Pour jouer sur les peurs. En tout cas ça m'étonnerait bien que le président Macron l'ait dit. On ne peut pas partager, ça ne peut pas être Madame von der Leyen évidemment qui appuie, pour une bonne raison, c'est que celui qui va décider… d'appuyer sur le bouton, il prend une responsabilité extraordinaire. Si, d'aventure, par exemple, le président Macron décidait pour protéger Varsovie ou Vilnius d'appuyer sur le bouton, ce n'est pas Varsovie ou Vilnius qui seraient détruits, c'est Paris, c'est ce studio-là. Et donc, c'est pour ça que c'est peut-être une autorité légitimement élue, représentant et élu. Et d'ailleurs, c'est bien pour ça, le suffrage universel, il y a un lien très fort entre le choix du général de Gaulle et du suffrage universel et le droit qui est donné au président d'utiliser cette affaire-là. Et le président qui est le chef des armées d'ailleurs. Qui est le chef des armées, mais tant qu'il n'y aura pas d'autorité politique légitime élue au niveau européen, il ne pourrait pas y avoir d'armes atomiques européennes. Et d'ailleurs, Louis Gauthier, jusqu'à quel pays étendre ce parapluie ? Il y a des pays dans notre voisinage assez proche qui sont anti-nucléaires. L'Autriche ne veut pas entendre parler du nucléaire. Est-ce qu'on la met sous le parapluie ? Et puis les pays dont vous parliez, la Hongrie, la Slovaquie, qui n'ont pas exactement... les mêmes visions que nous de leurs intérêts ? Quand vous évoquez la Hongrie, effectivement, si la Hongrie se retrouvait dans le camp russe et plus dans le camp européen, ça poserait une question. Je crois que les choses ont été bien dites. Il n'y a pas que l'ordre qui ne se partage pas, ni la fabrication, ni la détention, il faut être très clair. Ce qui est intéressant, ce qui a changé par rapport à ce qu'on a connu, proposé par d'autres présidents, et vous l'avez dit, c'est que des grands responsables européens viennent vers nous, M. Tusk, M. Trump… M. Polonais, M. Merz, Allemand. Et donc ça c'est nouveau parce qu'autrement, ils étaient plutôt sourds à ces propositions qui les gênaient au plan de leur politique intérieure et qui par ailleurs risquaient de mettre un porte-à-fois avec la dissuasion nucléaire américaine, avec le parapluie américain. Et ça révèle combien ils ont intériorisé le risque de défaut américain. Et donc c'est pour ça qu'il faut commencer d'abord, me semble-t-il, par des négociations, par des concertations sur... La stratégie, la multicouche, elles n'ont jamais commencé au niveau adéquat puisqu'aujourd'hui cette protection stratégique... est offerte par l'OTAN avec une garantie de supériorité qui est apportée par les Américains. D'ailleurs, Joséphine Staron, ça serait passé pour ces pays-là d'une dépendance à l'autre s'ils se mettaient sous le parapluie français finalement ? Alors c'est toute la difficulté parce qu'autant une dépendance vis-à-vis des Etats-Unis était acceptée parce que, eh bien, les Etats-Unis, gendarmes du monde, première puissance mondiale, bon, on va dire que ça passait. En revanche, une dépendance vis-à-vis de la France, ça irrite et c'est ce qui bloque sur un certain nombre de sujets. en matière de défense. Beaucoup de nos voisins sont inquiets de voir la France vouloir obtenir une position de leadership similaire à celle des Etats-Unis. Et donc là, c'est un véritable problème politique, presque même culturel, finalement, en Europe. Donc toute la difficulté de la dissuasion et de l'Europe de la défense, en règle générale, c'est de ne pas faire passer ça comme une prise de pouvoir de la France et une position de leadership intégrale vis-à-vis des voisins européens. mais juste sur les États à qui on pourrait élargir cette dissuasion. Ça veut dire oui à l'Allemagne par exemple ? À l'Allemagne oui, elle est volontaire, mais il n'est pas question de l'élargir à des pays qui n'en veulent pas, qui ne la demandent pas et qui ne font pas les efforts ensuite pour, entre guillemets, la mériter ou en tout cas… se conformer à un certain nombre de principes. La méritée du point de vue de leur valeur, vous pensez à des pays illibéraux ? Pas uniquement de leur valeur, là je pense d'un point de vue tout à fait concret, de combien ils sont prêts à dépenser, parce qu'il faut aussi des armements communs. Qui va contribuer financièrement ? Il faut une coalition des volontaires, aussi sur la question de l'élargissement de la dissuasion. Alors on va évoquer avec vous trois et avec Anna, notre arsenal nucléaire français. De quoi est-il fait ? Vous êtes spécialiste ? Je vais essayer. La France possède un petit peu moins de 300 têtes nucléaires, le chiffre est tenu secret. Mais la fourchette oscillerait entre 260 et 290 têtes, un stock qui est stable depuis 2010. Et on le voit ici, ces ogives ne représentent en fait que 3% de l'arsenal mondial. À titre de comparaison, celle des États-Unis et de la Russie réunies représentent 85% du total mondial. Mais la France, en tout cas, peut utiliser sa dissuasion nucléaire de deux manières. Par voie aéroportée, avec des missiles embarqués sur des rafales, et par voie océanique. L'armée française, vous l'avez dit tout à l'heure... disposent de 4 sous-marins avec 16 missiles nucléaires chacun, d'une portée de 10 000 km. Ces sous-marins sillonnent la planète sans qu'on ne sache vraiment jamais où ils se trouvent. C'est ce qu'on appelle la frappe en second, à savoir la capacité à riposter immédiatement en cas d'attaque majeure d'un ennemi. Mais notre particularité à nous, c'est que toutes les têtes nucléaires se trouvent en territoire français, c'est-à-dire sur notre eau-sol ou en tout cas dans nos sous-marins, contrairement aux Etats-Unis qui... eux ont déployé leurs armes nucléaires sur le sol européen. Il y en aurait aujourd'hui une centaine, on va le voir, réparties en Allemagne, en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et en Turquie. Général Desportes, est-ce que c'est quelque chose qu'on peut imaginer que demain nos têtes nucléaires françaises puissent être réparties sur le sol européen, comme c'est le cas ici pour les Américains ? Je crois que vous posez un autre problème qui est là, on est en train de traiter du problème immédiat, comment faire en sorte qu'immédiatement au fond de notre discussion nucléaire ... puissent être non pas partagées parce que ce n'est pas le bon terme, mais que ça puisse rentrer dans les intérêts vitaux. Ensuite, il y a le problème du long terme. Et on ne peut pas concevoir une défense européenne ou une capacité autonome de défense de l'Europe, les termes ont une certaine importance, sans que ce problème de la dissuasion nucléaire ait été réglé. Ce que je veux dire, c'est que si ce problème n'est pas réglé, on risque de voir une prolifération nucléaire aussi sur le sol européen. Il y a plusieurs pays en Europe qui pourraient avoir sous quelques années, évidemment, des armes atomiques. Lesquelles, pardon ? Comment ? L'Allemagne, très sûrement, la Pologne, très sûrement, l'Italie, qui ont des gens qui sont des chercheurs de haut niveau. Il n'y a pas de raison de penser qu'ils n'y arrivent pas. Et donc se pose là un véritable problème, si vous voulez. Et je ne sais pas du tout comment il sera réglé, mais on ne peut pas avoir une autonomie globale de défense au niveau de l'Europe et un seul pays ou deux pays qui ont cette puissance nucléaire. C'est un problème à long terme, mais c'est un problème qu'il faut se poser quand même assez rapidement, sur lequel il faut réfléchir, au risque sinon de voir une prolifération nucléaire contre laquelle il faut évidemment lutter. Mais Louis Gauthier, est-ce que une dissuasion nucléaire européenne, c'est possible, ou ça vous paraît totalement impossible ? Pour l'instant, ce n'est pas possible, et dès lors qu'on n'a pas intégré les briques avant, c'est comme une maison, dès lors qu'on n'a pas construit les murs et toutes les briques pour poser le toit... Vous parliez des brites, des britanniques. Mais... Je reviens juste sur les aspects quantitatifs. Vous avez donné les 280-280 têtes françaises. Il y en a 220 au Royaume-Uni et il y a à peu près 180 très vieilles armes de l'OTAN. Donc volumétriquement, vous avez cité les chiffres russes, mais c'est l'équivalent des armes, des têtes nucléaires détenues par la Chine. Donc il y a une capacité suffisante, étant donné la puissance de ces armes, pour exercer en tant que telle une dissuasion. Après, ce qui pose problème, c'est, je dirais, le ratatouille. à des scénarios différents. Nous, notre dissuasion nucléaire, elle... entre dans une logique à la fois de la stricte suffisance, qui a fait d'ailleurs qu'on a divisé par deux ces têtes du fait du recul de la menace après la guerre froide, et dans une logique de frappe très forte. Ce qui peut se poser comme question, c'est est-ce que ces armes, outre que les nôtres, sont modernisées et qu'on attend la modernisation des forces du Royaume-Uni et qu'on attendrait possiblement des recharges américaines, comment on fait pour les adapter à des scénarii qui soient peut-être différents ? Mais là, je ne lève pas l'hypothèque. La seule chose qu'on peut savoir, c'est que les forces françaises vont aller vers leur troisième génération, qu'elles sont sans doute les plus modernes au monde, que l'état de l'art a été maintenu par cette capacité autonome de fabrication, de recherche, de maintien des compétences qui est essentielle. Et ça, c'est aussi un patrimoine pour les Européens. Josephine Staron, d'ailleurs, si on imagine que l'arme nucléaire est désormais désirable pour un certain nombre de pays, On a tendance à oublier que la France, comme d'autres pays, ont signé le traité de non-prolifération. Comment on gère ce conflit entre les deux ? C'est bien tout l'enjeu. C'est-à-dire que l'idée n'est pas d'aider les pays européens à eux-mêmes détenir l'arme nucléaire, mais bien de leur assurer une protection. En fait, l'idée, on va le dire très brutalement, c'est de remplacer le parapluie nucléaire américain par un puits par parapluie nucléaire français. mais sûrement pas de créer 27 parapluies nucléaires européens. Parce que là, c'est-à-dire qu'imaginez demain que tous les pays membres de l'Union européenne aient des têtes nucléaires et imaginez que vous ayez plusieurs victoires urbanes, qu'est-ce que ça donnerait ? Quelle dissuasion y aurait-il vis-à-vis de la Russie d'un côté, vis-à-vis des États-Unis de l'autre, de la Chine ? Finalement, on serait dans une forme de cacophonie et la dissuasion n'a de sens. que si elle est d'une certaine manière assez restrictive. Par ailleurs, Général Vincent Desportes, quand on parle de ce parapluie nucléaire français qui pourrait s'étendre, ça ne se ferait pas en un claquement de doigts ? Il y a la décision politique, il y a les négociations, mais il y a aussi la technique, le matériel, le dur, et ça prendrait du temps. Oui, ça prendrait du temps, mais encore une fois, on a dit le parapluie, si vous voulez, il arrête les gouttes ici comme à Vilnius, ce n'est pas une affaire de portée. les armes françaises portent à 10 000 kilomètres. D'ailleurs, leur problème, c'est qu'elles ne portent pas à 5 000. Et on a bien vu qu'on avait un petit trou dans la raquette au moment où les Russes ont tiré un missile de portée intermédiaire. Nous, nous avons respecté le traité réduisant ou même annulant les armes à portée intermédiaire. Et donc, on a une difficulté qu'il faudra traiter un jour d'ailleurs. Mais techniquement, la France a tout. pour utiliser ses armes nucléaires pour ses intérêts vitaux ou qu'il se trouve en Europe. Très bien. Le débat est terminé. En tout cas, trois têtes nucléaires brillantes, un débat passionnant. Merci à tous les trois. On en reparlera, j'imagine, d'ici quelques semaines. Merci encore.