Générique Bonjour à tous et bienvenue dans Express Orient, une émission spéciale consacrée cette semaine à l'eau au Moyen-Orient. L'or bleu, enjeux stratégiques et géopolitiques dans la région. Dans un contexte de changement climatique et de démographie galopante, la pression sur cette ressource vitale s'accentue. Pour nous éclairer sur ces problématiques, j'ai le plaisir de recevoir Pierre Blanc, professeur de géopolitique à Sciences Po Bordeaux et rédacteur en chef de Confluence Méditerranée.
Une première question, Pierre. Quels sont les enjeux stratégiques et sécuritaires liés aux ressources de l'eau au Moyen-Orient ? Je pense qu'il faut commencer par se dire quelques évidences.
D'abord, plusieurs usages. L'eau potable, l'eau pour l'irrigation, l'agriculture irriguée qui permet de nourrir les hommes. Mais aussi, dans certains cas, l'eau pour produire de l'énergie. Un chiffre qui peut être intéressant, c'est la région qui au monde retient le plus de ces eaux superficielles en proportion. Autrement dit, 80% des eaux de ces pays sont retenues dans des barrages, quand la moyenne mondiale est à 10% à peu près.
Donc ça dit l'investissement dans toute cette grande hydraulique à des fins sécuritaires. Étant donné qu'on est sur des territoires où les eaux sont partagées, on y reviendra peut-être, eh bien ça donne lieu à des rivalités de pouvoir entre États qui, plus est, sont des rivaux. Justement, avant de revenir au conflit inter-étatique, on va parler d'un exemple concret. En Irak, la sécheresse menace l'un des trésors nationaux du pays, le riz ambre. Pour la première fois cette saison, de nombreux agriculteurs n'ont pas pu planter cette céréale cultivée depuis des siècles dans le sud du pays.
Dans la province de Najaf, au sud de l'Irak, c'est avec parcimonie qu'Ali abreuve son troupeau. J'avais une vingtaine de bêtes, mais j'ai dû les vendre. Maintenant, je n'en ai plus que 7 ou 8. Il n'y a pas d'eau.
Les cours d'eau sont asséchés. Le jeune éleveur, s'il veut de l'eau, doit l'acheter à prix d'or ou parcourir des distances de plus en plus grandes pour en trouver. Après avoir perdu plusieurs bêtes, son voisin Sayed Sattar s'est résolu à vendre une partie de son troupeau. On vend une bête pour en nourrir une autre.
Comme on dit, l'une mange l'autre. Ça permet d'acheter de l'eau et du foin pour le reste de la vie. le reste du troupeau. Le pays des deux fleuves, traversé par le Tigre et le Frat, voit depuis des années ses ressources en eau diminuées.
Mais au-delà du manque de pluie, c'est le partage territorial des ressources hydrauliques qui pose problème. La Turquie et l'Iran voisin ont détourné de nombreux fleuves et la récente mise en route sur le Tigre du barrage turc d'Illisu a porté un nouveau coup dur à l'agriculture irakienne. Pour la première fois, le gouvernement a dû suspendre la culture de plusieurs céréales comme le riz ambre.
cultivés ici, à Diwania. Est-ce qu'ils veulent que l'on meure ? Nous, nous voulons cultiver nos terres, les légumes et le blé.
Est-ce que l'on est supposé aller mendier dans les rues ? Les autorités estiment à un montant de 34 millions d'euros les pertes pour les familles qui vivent de cette culture depuis des générations. Certains ont commencé à quitter la région. Dans la province voisine de Missane, plus de 150 familles sont déjà parties et d'autres sont prêtes à les suivre.
On l'a vu dans ce reportage, le manque d'eau est aujourd'hui une source de forte colère. En Iran aussi, il attise le mécontentement populaire. C'est même devenu un épineux problème politique.
Pourquoi ? Alors cette région fait face effectivement à une sécheresse importante, dans un contexte de forte aridité qui vient de loin. Je rappellerai quand même que cette région est connue pour être la civilisation de la maîtrise de l'eau.
On est évidemment aujourd'hui en situation de rupture par rapport à cette grande civilisation hydraulique, avec des signes que l'on voit, des lacs qui disparaissent, des rivières dont les débits diminuent, et tant d'autres signes. Les raisons sont multiples. On évoque le changement climatique.
Oui, il est indéniable. Il est déjà engagé. On évoque les actions des autres.
En Irak, aujourd'hui, on évoque la Turquie. On y reviendra peut-être. et la Syrie, deux pays qui ont fait des abarages à Namant.
On évoque qu'à Niran, ce n'est pas tout à fait la même chose. Mais enfin, en tout cas, le mal viendrait donc de l'ailleurs. C'est une façon aussi de se dédouaner.
Parce qu'il y a aussi des responsabilités. Ou des pays voisins. Et justement, ces sécheresses, est-ce qu'elles peuvent déstabiliser le pouvoir en place ? Oui, ça peut produire de l'instabilité. C'est déjà le cas.
Il y a en Irak des conflits entre tribus pour le partage de l'eau dans le sud de l'Irak. ... Il y a des manifestations en Iran actuellement.
Et puis, il y a cet épisode syrien. Il y a eu une sécheresse entre 2006 et 2010. Avant le soulèvement populaire de Bachar Al-Assad. Et d'aucuns ont analysé le soulèvement populaire avec ce prisme de la sécheresse. Je crois que c'est plus compliqué que ça. Même si c'est un facteur qui s'est ajouté, qui s'est agrégé à d'autres facteurs de mécontentement.
C'est-à-dire... la dénonciation d'un régime autoritaire, la corruption et bien d'autres éléments. Pour synthétiser, quels sont les conflits hydrauliques au Moyen-Orient aujourd'hui ?
Alors les conflits hydrauliques au Moyen-Orient, on peut les séparer en trois grands bassins. Il y a le bassin de Mésopotamie avec un pays nommant la Turquie et puis un aval l'Irak et la Syrie. Puis il y a le bassin du Jourdain avec Israël, le Liban, la Palestine, la Jordanie.
Et puis il y a le Nil. avec l'Egypte, l'Ethiopie, entre autres. On est dans une conflictualité relativement intense, avec des situations d'hydrohégémonie, qui ne tiennent pas à la géographie.
Ce n'est pas parce qu'on est en amont ou en aval, c'est le rapport de force qui fait qu'on se sert de l'eau au détriment des autres. C'est la Turquie qui est une hydrohégémonie. On l'a observé, elle a déjà tenté de dévier des cours d'eau. Oui, c'est déjà le cas, avec un grand projet d'aménagement dans le sud-est anatolien. pour arrimer cette région réputée pauvre au reste du territoire, avec 22 barrages et 19 centrales hydroélectriques.
Et le grand enjeu aujourd'hui, c'est le développement de l'irrigation à partir de ces barrages. Et si les Turcs vont au bout de leur projet, ça peut être catastrophique pour les États à naval, c'est-à-dire l'Irak et la Syrie, parce que c'est les prélèvements de l'irrigation qui vont peser le plus sur l'aval. Donc il y a un vrai problème.
Est-ce qu'il y a aussi des États qui se servent de l'eau comme moyen de pression ? Je pense que la Turquie... Elle peut être dans ce cas, elle n'a pas de pétrole mais elle a beaucoup d'eau et elle peut jouer cette carte de l'eau en la vendant. C'est un moyen d'influencer son voisinage.
Après, il y a d'autres situations géopolitiques qui ne se posent pas. ne se posent pas tout à fait dans les mêmes termes. Entre Israéliens et Palestiniens, la question est posée autrement. C'est un État à naval du Jourdain, Israël, et puis les Palestiniens sont au-dessus de nappes phréatiques importantes. Et depuis 1967, depuis la guerre des Six Jours, qui a permis à Israël d'occuper la Cisjordanie, eh bien Israël contrôle ce château d'eau, ce petit château d'eau, tout est relatif.
par des dispositifs très bien pensés. Et donc, ce qui conduit les Palestiniens à n'utiliser que 20% de leurs nappes souterraines. Celui qui a l'eau a donc le pouvoir. Est-ce qu'on peut craindre une guerre de l'eau au Moyen-Orient ? Alors, celui qui a le pouvoir a l'eau.
Et celui qui a l'eau peut en faire un objet de pouvoir, comme la Turquie. Est-ce qu'il y a des guerres de l'eau ? Est-ce qu'il peut y avoir des guerres de l'eau ? Je suis toujours très prudent par rapport à cette...
expression, parce que ça supposerait qu'on ferait une guerre au simple motif de la captation de la ressource en eau des autres. La guerre qui se rapprocherait le plus de cette guerre de l'eau, c'est la guerre des six jours. Mais, puisqu'Israël a saisi le Golan, petit château d'eau, la Cisjordanie et les eaux du sud Liban. Mais c'était une guerre avec d'autres raisons. Donc il n'y a pas eu de guerre de l'eau.
Est-ce qu'il y aura une guerre de l'eau ? C'est très difficile de faire des conjectures là-dessus. Il est sûr qu'on a des éléments qui aggravent les situations. Une augmentation de population, des rivalités inter-étatiques très virulentes et un changement climatique qui opère.
Donc ça peut accroître les tensions hydropolitiques. si évidemment on n'entre pas dans des processus de paix durables et souhaitables. Donc vous l'avez dit, l'eau ne sera peut-être pas à l'origine de guerre, mais elle est au moins à l'origine de tensions.
Le partage de l'eau, une source majeure de conflits. La bataille fait déjà rage entre l'Égypte et l'Éthiopie autour des eaux du Nil. Addis Abeba est en train de construire un immense barrage, appelé le barrage de la Renaissance, pour produire de l'électricité.
Plusieurs centaines de kilomètres plus loin, du côté égyptien, de vastes terres pourraient être asséchées. Le Nil est la première ressource en eau d'Afrique. Tous les pays qu'il traverse veulent s'approprier un peu de la puissance du plus grand fleuve du monde. Au cœur du continent, un monstre de béton et d'acier se dresse désormais sur le chemin du Nil. L'Ethiopie veut faire du grand barrage de la Renaissance la vitrine de son essor économique.
Dans un pays où la demande en électricité augmente chaque année de 30%, ce barrage est un enjeu national. Le problème, c'est qu'il l'est aussi pour d'autres pays de la région. Le barrage de la Renaissance, situé sur le Nil bleu, déplait fortement à un pays qui, historiquement, a toujours été le premier à dompter les eaux du fleuve.
L'Egypte et son impressionnant barrage d'Assou. Pour comprendre l'impact potentiel du barrage éthiopien, il faut prendre la direction du Delta du Nid. C'est le plus long agricole de l'Egypte, une région où près de 30 millions de personnes vivent des eaux du flou.
Quand le barrage sera fini, on va vivre dans la misère. Avec de l'eau, vous pouvez contrôler vos champs, mais avec le barrage, notre situation va encore empirer. Pour faire face à cette pénurie programmée, le gouvernement égyptien a décidé de faire face à la pénurie.
a demandé aux agriculteurs de délaisser les cultures gourmandes en eau. L'an dernier, il y avait du riz partout ici. Mais aujourd'hui, on est obligé de planter d'autres cultures qui consomment moins d'eau, comme du coton ou du maïs.
Des négociations sont en cours avec le Soudan et l'Ethiopie pour trouver une solution. L'Egypte réclame par exemple que le remplissage du réservoir du barrage en Ethiopie soit étalé sur 8 ans pour minimiser la baisse temporaire. Pour conclure, Pierre, y a-t-il des solutions envisageables, des innovations pour garantir aux populations l'accès à cette ressource vitale ?
Pour répondre à ces grands problèmes, Il y a deux types de réponses. Il y a une réponse qu'on appelle la politique de l'offre, c'est-à-dire trouver de nouvelles ressources en eau. Il y a le décèlement de l'eau de mer, par exemple, mais qui peut répondre aux besoins non potables, plus que l'agriculture, le coût étant trop élevé.
On peut aller chercher de l'eau ailleurs. Mais surtout, c'est le deuxième levier qui est le plus efficace, c'est-à-dire l'économie d'eau, par ce qu'on appelle une politique de gestion de la demande, c'est-à-dire faire en sorte que... On utilise beaucoup mieux l'eau et là, il y a des gisements tout à fait importants en matière d'économie d'eau.
Ce sont des modèles agricoles puisque c'est quand même l'agriculture qui est la plus dépensière à nous, 80% à peu près. Donc, c'est la conversion technologique de l'agriculture et c'est aussi l'entrée dans des cercles vertueux politiques parce qu'il y a un mésusage de la ressource lié au fait de certaines incuries étatiques. Et enfin... Je crois que ça passe aussi par des concertations à l'échelle des bassins partagés pour entrer dans des logiques de gagnant-gagnant, ce qu'on appelle l'hydrodiplomatie.
Mais cette hydrodiplomatie demande des volontés communes qui ne sont pas encore au rendez-vous. Merci Pierre Blanc pour votre éclairage. Voilà, c'est la fin de cet Express Orient consacré aux enjeux de l'eau au Moyen-Orient.
Merci à vous de l'avoir suivi. Restez avec nous, l'information continue sur France 24. La météo avec 4 funs, des campings de folie !