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Les enjeux de la croissance et de l'innovation

Bonsoir, je pense que tout le monde est plus ou moins prêt. Bonsoir. Cher Philippe Aguillon, vous êtes jeune. Vous avez commencé vos études en France avec un brillant doctorat de 3e cycle en économie mathématique de l'université parisien Panthéon-Sorbonne, avant de poursuivre par une thèse en économie à l'université Harvard. Depuis, vous avez fait un parcours sans faute aux États-Unis, où vous étiez encore récemment titulaire d'une chaire d'économie à Harvard, tout en professant dans d'autres pays, dont le Royaume-Uni et la Suède. Vous fûtes un temps chargé de recherche au CNRS, et vous rejoignez aujourd'hui le Collège de France, ce qui signifie pour vous quitter Harvard, un choix qui démontre l'attractivité de notre institution. Pour ne pas heurter votre modestie et laisser un peu d'espace à votre leçon inaugurale, je renonce à décliner la liste longue des prix, médailles et autres marques de la place éminente qui est la vôtre dans la discipline que vous allez enseigner dans cette maison, où vous êtes désormais titulaire de la chaire Économie des institutions, de l'innovation et de la croissance. Ce qui m'a fait comprendre à quel point nous devons nous réjouir de vous compter parmi nous, au-delà de la description élogieuse de vos travaux par votre présentateur Robert Ghenry, et ce jour où Howard Chalansky, économiste qui travaille pour Barack Obama, ayant entendu prononcer votre nom, je me renseignais discrètement, a immédiatement voulu vous rencontrer, ce qui, hasard du calendrier, fut fait le soir même. On aurait dit un enfant découvrant ses cadeaux au pied de l'arbre de Noël. Mon aura personnel a instantanément pris plusieurs logs dans la famille Chielanski. Je ne vais évidemment pas m'aventurer sur le contenu de votre leçon inaugurale, dont vous m'avez gracieusement fourni le texte. Mais rappelez que vos travaux portent principalement sur la théorie de la croissance et l'économie de la connaissance, et que vous avez développé avec Peter Ho. de la théorie schumpeterienne de la croissance économique, théorie que vous continuez de rectifier en vous penchant sur ce que vous appelez les énigmes de la croissance et en réfléchissant à partir de l'expérience, un mot très fort chez vous, sur les diversités de la croissance économique. diverses politiques de croissance, diverses parce qu'adaptées, je vous cite, au contexte institutionnel et au niveau de développement technologique du pays ou de la région concernée. Ma science toute récente est sans vain espoir de la réussite de la recherche et de la de pérennité, me permet de rappeler que vos travaux de recherche se situent, je vous cite de nouveau, à l'intersection de la macroéconomie de la croissance et de la microéconomie des marchés, des contrats et des organisations. Vous vous affirmez donc résolument comme un expérimentateur confrontant les théories économiques aux analyses empiriques, ce qui signifie que pour vous, l'économie est une science au même titre et de même valeur que d'autres sciences expérimentales. Aussi scientifique que soit votre recherche, vous l'inscrivez dans une vision politique, au sens fort du terme, et le Centre pour l'innovation et la croissance que vous vous proposez de créer, je crois que c'est en cours, se donne pour but, dernière citation, de donner aux acteurs politiques et économiques les outils nécessaires à l'invention d'un nouveau type de croissance fondé sur l'innovation. C'est porté par ce terme d'innovation que je quitte le chemin de la croissance. balisé de vos propres déclarations pour conclure sur un propos de facture plus personnel. Chacun s'accorde pour dire la nécessité d'une économie de la connaissance et en l'an 2000, le Conseil européen de Lisbonne avait décidé de doter d'ici à 2010 l'Union européenne de l'économie de la connaissance la plus puissante en montant les investissements en recherche et développement à 3% du produit intérieur brut. Le but était, c'est dans les textes, d'installer une croissance économique durable, accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi, et d'assurer une plus grande cohésion sociale. Rappelons qu'il y a 20 ans, l'investissement en recherche et développement de la France atteignait 2,25% du PIB à égalité avec l'Allemagne. Aujourd'hui, la France en est toujours à ce niveau, quand notre puissant voisin est en passe de dépasser ce 3% décidé à Lisbonne, ce qui correspond à un différentiel de 16 à 20 milliards d'euros par an. Pour ce qui est de la recherche publique, cela se traduit approximativement par un défaut de 4 milliards chaque année, mettant en péril notre place de cinquième nation mondiale dans un domaine, la connaissance, qui a son importance pour notre survie symbolique, mais aussi économique, voire politique. Un été grec vient de nous rappeler cette réalité. Économique, noblesse oblige, non seulement parce qu'il n'y a pas d'innovation sans une recherche fondamentale, richement dotée et libre des carcans que des politiques s'acharnent à imposer au nom d'une science pour le peuple, populisme qui n'a jamais marché, l'expérience soviétique, belle manip pourriez-vous dire, là hélas amplement démontrée. A l'inverse, nombre de recherches, menées sans autre moteur que celui de la curiosité intellectuelle, marqueur de notre humanité, sont à l'origine d'innovations utiles, réjouissantes et même enrichissantes. Vous le disiez, M. Ce lien entre recherche et innovation, souligné par le Conseil européen de Lisbonne, traduit en partie le fait que les connaissances fondamentales sont les moteurs des innovations futures et donc du haut niveau technologique d'une offre capable de répondre à une demande. elle aussi exigeante de plus en plus en innovation. Mais il ne s'agit pas seulement de cela. Nous devons aussi comprendre que les entreprises préfèrent investir dans des régions dont l'activité scientifique est éminente. Elles y trouvent un milieu favorable, non seulement du fait de cette excellence intellectuelle, mais aussi parce que de jeunes chercheurs y sont formés, qui trouvent dans le secteur de l'innovation des débouchés naturels et, pourquoi pas, lucratifs. L'exemple de Cambridge et de la région de Boston, que vous venez de quitter, illustrent ce point à merveille. Les entreprises françaises y investissent massivement et préférentiellement, même si le coût du travail scientifique y est plus élevé que sur le sol national. Affaiblir la recherche fondamentale, en pensant que cela va inciter les jeunes diplômés à entrer dans le monde de l'innovation, est donc une coûteuse absurdité. En réalité, cette politique pousse nombre d'entre eux à embrasser d'autres carrières, voire les contraint à l'exil, à l'encontre très exactement du but recherché. Aveuglement politique et économique dont le coût est et sera, si rien ne change très rapidement, infiniment supérieur. aux quelques milliards ainsi économisés, ou plutôt non investis, chaque année. Sur ce, cher Philippe Agnon, je vous laisse le pupitre pour y prononcer votre leçon inaugurale au titre prometteur Repenser la croissance J'ai déjà été intimidé, mais alors... Les compliments si généreux d'Alain. Monsieur l'administrateur, chers collègues, chers amis, mesdames, messieurs, il est certainement peu d'occasion aussi solennelle et intimidante dans la vie d'un universitaire que celle d'une leçon inaugurale au Collège de France. Je vais prendre un verre d'eau. C'est pas la fin de la leçon encore. En guise d'introduction à sa propre leçon inaugurale, présentée ici même le 2 décembre 1970, Michel Foucault écrit Il y a chez beaucoup, je pense, un pareil désir de n'avoir pas à commencer, un pareil désir de se retrouver d'entrée de jeu de l'autre côté du discours. Et comme pour encore mieux pointer du doigt l'exemple de la leçon inaugurale, puisque Foucault poursuit, à ce vœu si commun, l'institution répond sur le mode ironique puisqu'elle rend les commencements solennels, puisqu'elle les entoure d'un cercle d'attention et de silence et qu'elle leur impose des formes ritualisées. Ce qui m'a permis de surmonter la barrière du discours décrite par Foucault et d'échapper au syndrome de la page blanche, ce qu'on dit le writer's block en anglais, c'est à la fois mon impatience de vous livrer mes quelques idées iconoclastes sur l'économie et c'est aussi une formidable envie de vous faire vivre les péripéties de cette aventure intellectuelle qu'a été l'élaboration d'une théorie schumpeterienne de la croissance économique. En particulier, essayez de vous faire partager pourquoi et comment, dans notre tentative, quand je dis notes c'est moi et mes co-auteurs, à commencer par Peter Howitt, mais j'ai eu... beaucoup d'autres co-auteurs après, pourquoi dans notre tentative de changer le paysage en théorie économique de la croissance, dans notre tentative de transformer une théorie de la croissance que nous trouvions initialement assez fade et ennuyeuse en un domaine excitant de l'économie, c'est nous qui avons dû changer et apprendre à travailler autrement, en particulier pour faire dialoguer la modélisation, la théorie, avec l'analyse empirique. C'est l'histoire de cette double transition. transformation de l'objet et du sujet que je vais vous faire vivre pendant l'heure qui vient. Il se peut que je déborde un petit peu. Voilà. Donc pourquoi une nouvelle théorie de la croissance ? Bien tout simplement parce que les théories existantes, quand j'étais étudiant, nous apparaissaient insatisfaisantes, à la fois d'un point de vue théorique et d'un point de vue empirique. D'un point de vue théorique d'abord, quand je me suis mis à travailler sur le sujet, la théorie dominante était ce qu'on appelle le modèle de croissance néoclassique. celui d'une croissance basée sur l'accumulation de capital. La version la plus élégante de ce modèle fut développée en 1956, c'est l'année de ma naissance, donc une année très importante pour la croissance économique, par Robert Solow, qui fut récompensée d'ailleurs pour cet article. Voilà la première page de cet article, le Contribution to the Theory of Economic Growth. Il fut récompensé pour cet article par son prix Nobel en 1987. Je ne vais pas vous ennuyer ici avec les détails du modèle, mais en deux mots le modèle décrit une économie où la production se fait avec du capital et où c'est la croissance du stock de capital qui fait croître la production, le produit intérieur brut. D'où provient la croissance du capital ? De l'épargne des ménages et l'épargne des ménages c'est une partie de la production, une partie est consommée et le reste est épargné et c'est cette épargne qui fait que le capital s'accumule. Donc on se dit, dans une économie comme ça, tout va bien. Davantage de capital financé par l'épargne produit davantage de PIB, ce qui se traduit par davantage d'épargne et donc davantage de capital pour produire davantage de PIB, etc. Et on se dit, c'est formidable. D'accord ? Autrement dit, voilà une économie qui semble générer une croissance économique durable, même sans progrès technique, sans innovation, sous le simple effet de l'accumulation de capital. Le rêve soviétique, d'une certaine façon. Malheureusement, là où le bas blesse, et justement l'Union soviétique en a fait l'expérience, c'est qu'il y a des rendements décroissants à ne produire qu'avec du capital. Car plus le stock de capital pensé à des machines est élevé, moins on augmente le PIB en rajoutant une unité de capital, en rajoutant une machine. Il y a donc des rendements décroissants à l'accumulation de capital. Donc moins on augmente l'épargne et donc moins on augmente l'accumulation de capital. Donc à partir d'un certain moment, le processus d'accumulation s'essouffle et l'économie cesse de croître. Comme l'explique très clairement Robert Solow dans son article, pour générer une croissance soutenue, ça ne suffit pas d'avoir l'accumulation du capital. Il faut le progrès technique qui permet d'améliorer non pas seulement la quantité de machines, mais la qualité des machines. Et seulement le problème c'est que Solow ne dit rien sur l'origine. du progrès technique, en particulier sur ce qui, dans l'économie, stimule ou freine l'innovation. Et ça, c'est là que, voilà, on dit, voilà, c'est un très beau modèle, mais qui n'explique, en fait, qu'il n'y a pas de croissance au progrès technique, mais je ne peux pas vous expliquer d'où vient le progrès technique. D'un point de vue empirique, donc ça, c'est l'insatisfaction du point de vue théorique, et du point de vue empirique, le modèle de croissance néoclassique ne permet pas d'expliquer, donc, la croissance de long terme, puisque je ne peux pas expliquer la croissance, le progrès technique, je ne peux pas expliquer pourquoi on voit, qu'on observe que les pays ont eu de la croissance de la croissance, la croissance n'est pas tombée à zéro dans les pays développés. Et elle permet encore moins de comprendre pourquoi certains pays croissent plus vite que d'autres. Pourquoi, par exemple, les États-Unis croissent plus vite que nous, ou les Scandinaves croissent plus vite que nous, c'est quand même intéressant de savoir. Pourquoi certains pays émergents ou moins développés convergent vers les niveaux de PIB par tête, c'est-à-dire les niveaux de vie des pays développés, et d'autres ne commencent même pas à converger, ou d'autres, comme l'Argentine, commencent à converger puis vers les années 30, ils s'arrêtent. de converger. J'y reviens sur le cas argentin. Il s'arrête à mi-chemin. On appelle ça en anglais la middle income trap. Et nous, on se moque. À Harvard, on dit middle income trap. Ça se dit MIT parce que c'est notre concurrent, évidemment. On se moque un peu. Mais ça, c'est nos petites histoires à Cambridge. Bon. C'est cette double insuffisance, c'est cette double insuffisance théorique et empirique qui a motivé notre tentative d'élaborer un cadre d'analyse radicalement nouveau. Et c'est ainsi qu'avec Peter Howitt, nous avons produit notre premier modèle de... de croissance. Je ne veux pas vous parler trop de temps. En gros, j'étais assistant professor. J'étais en première année. J'avais mon bureau. Et moi, souvent, je sors de mon bureau et je vais embêter tout le monde. Et lui, il était le seul qui sortait de son bureau également. Et on a commencé à discuter dans le couloir. Et c'est comme ça que ça a commencé. Mais je me suis dit, s'il avait laissé sa porte fermée, il ne s'est rien passé du tout. C'est à quoi ça tient, une recherche ? C'est fou, quoi. Donc, on a produit notre premier modèle de croissance en 1987. Choumpé-Thérien, parce qu'inspiré par trois idées. émise par l'économiste autrichien Schumpeter. Alors, Jules Béthard disait que sur trois choses, qui étaient être bon cavalier, bon amant et bon économiste, il savait faire deux des trois. Je sais qu'il était mauvais cavalier. Moi aussi, je suis mauvais cavalier, mais je ne peux pas dire que je suis bon aux mêmes choses qu'il était lui, mais je sais que je suis mauvais aux mêmes que lui. Bref, voilà, un petit peu. Alors, première idée, première idée, donc voilà les idées, voilà le modèle choupé-terrien. Donc, première idée, la croissance de long terme résulte de l'innovation. Donc ça, c'est continuer solo. Lui, il avait cette idée avant le modèle de solo. Il dit, voilà, à long terme, c'est l'innovation qui vous donne la croissance, d'accord ? Il est très important. Deuxième idée, l'innovation ne tombe pas du ciel. Elle résulte de décisions d'investissement, notamment R&D, mais l'investissement dans les qualités. qualification, l'avissement dans les organisations, de la part d'entrepreneurs qui eux-mêmes répondent aux incitations positives ou négatives qui résultent des institutions politiques publiques. C'est très important, cette phrase n'a l'air de rien du tout, mais elle permet d'introduire un nouveau domaine qui est celui des politiques et des institutions de la croissance. C'est-à-dire que votre incitation à investir plus ou moins dans l'innovation résulte du investment climate, comme on dit en anglais. C'est-à-dire, vous êtes par exemple au Zimbabwe où on vous exproprié tout, vous n'allez pas investir dans l'innovation. Vous êtes en Argentine avec... l'hyperinflation, vous n'avez pas à investir dans l'innovation parce que tous vos profits vont être bouffés par l'inflation. Donc on voit tout de suite que les politiques et les institutions économiques influent sur la croissance parce qu'elles influent sur les incitations, les coûts et les bénéfices d'investir dans l'innovation plutôt que dans autre chose. Donc ça c'est déjà tout un domaine énorme, une énorme boîte noire quelque part pour nous, qui est celui des politiques de la croissance. Et puis vient la troisième idée qui est celle de la destruction créatrice, c'est-à-dire que les nouvelles innovations rendent les technologies ou les produits existants obsolètes. Le nouveau remplace l'ancien. Et donc, en fait, si vous voulez, l'innovation est un processus conflictuel. La croissance par l'innovation, c'est les nouveaux qui remplacent l'ancien. Mais évidemment, les anciens, ils vont se bagarrer pour rester et empêcher les nouveaux d'arriver. Donc, il y a l'économie politique de la croissance. Et tout le problème que les gouvernements confrontent, c'est de donner à la fois des incitations pour devenir innovateur, donc des rentes, mais faire en sorte que les rentes ne soient pas telles qu'une fois que vous êtes devenu innovateur, vous dites Ah, maintenant, je suis le dernier et no more et il n'y a plus de gens qui viennent à ma place. Et ça, c'est toute la dialectique de la croissance. Et donc, c'est ce domaine aussi extraordinairement intéressant qui s'appelle l'économie politique de la croissance. Donc, on avait démarré là-dessus, on était très excités avec Peter Howitt, on s'est dit que c'est vraiment une théorie très sympa, parce que tout d'un coup, la croissance devient un domaine, là où c'était vraiment ennuyeux, ça devient un domaine vraiment amusant, on peut faire plein de choses. Mais évidemment, rien ne se passe jamais parfaitement, et voilà que paraissent certaines études empiriques qui viennent un peu troubler la f... fait. Alors d'autres qui ont fait de la croissance ont eu certitude empirique, mais nous, on a dit on doit quand même regarder ce qu'ils font. Parce qu'une autre attitude, c'est de dire, écoutez, nous on fait la théorie, les autres font de l'empirique, on les laisse faire leur empirique dans leur coin et on n'intervient pas. Et nous, on a dit, non, on ne peut pas faire ça. On doit confronter nos modèles à l'évidence empirique. Et donc, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu plusieurs objections, je ne veux pas vous embêter avec ça, mais une était concernée, le lien entre concurrence et croissance. Parce que notre théorie, initialement, vous disiez, voilà, vous voulez innover, parce que vous voulez des rentes de monopole à l'innovation. Ça peut suggérer que la concurrence n'est pas bonne, puisque la concurrence réduit les rentes de monopole. Et un petit peu Bill Gates, c'est ce qu'il vous dit. Bill Gates, il vous dit, écoutez, quand la commission de la concurrence à Bruxelles ou d'autres, il a des procès antitrust, il dit, mais c'est terrible ce que vous faites là, parce que tout ce qui réduit mes rentes va décourager des futurs Bill Gates. Donc, si vous êtes pour l'innovation, vous ne devriez pas faire de l'antitrust, en gros. Vous voyez, l'antitrust, c'est très mauvais. Il ne faudrait pas avoir de la concurrence. Donc... Donc, et en fait, si vous voulez, l'idée, c'est qu'en fait, si on croit le modèle de manière littéralement, eh bien la relation entre concurrence, ici, et croissance devrait être négative. Or, qu'est-ce que trouvent les analyses empiriques ? Les analyses empiriques, au contraire, montrent que la relation est positive. Enfin, que si on fait une droite, enfin, ou une courbe, elle a l'air d'être plutôt positive. Alors, comment réconcilier la théorie et l'évidence empirique ? Et c'est là, si vous voulez... Alors certains pourraient dire, une manière aurait été de dire je jette mon modèle à la poubelle. L'autre aurait été de dire j'ignore l'empirique, tant pis, les données ont tort, quelque part les données empiriques ont tort et la théorie a raison. Et nous ce que nous avons fait avec Peter Howitt et avec d'autres co-auteurs, nous avons dit on va collaborer avec des empiristes. Et les empiristes que nous avons trouvés c'est Richard Blandel qui a créé l'Institute of Fiscal Studies à Londres. Et il a toute une équipe autour de lui. C'est lui qui a dirigé la Morley's Review for Tax Reform. C'est un type incontournable. C'est un micro-économètre, mais c'est un économètre et un empiriste qui respectent la théorie, qui comprend l'utilité de la théorie. Il y a beaucoup d'empiristes qui pensent que la théorie, ça ne sert à rien, comme il y a des théoriciens qui pensent que l'empirique ne sert à rien. Et lui est quelqu'un qui comprend la nécessité de dialoguer. Donc on a pu dialoguer avec lui et avec Rachel Griffiths qui travaillait avec lui. Et ce que nous avons fait, c'est de reprendre notre modèle en essayant d'identifier l'hypothèse ou les hypothèses restrictives qui conduisaient... à cette prédiction contrefactuelle qui faisait qu'on obtenait une prédiction différente de la réalité. Et c'est ce travail-là que nous avons fait. C'est ce dialogue entre les empiristes et les théoriciens. Et on a fini par comprendre d'où venait le problème. Dans le modèle initial, seules les firmes inactives innovent. C'est-à-dire que vous avez quelqu'un qui est en place et l'innovation suivante se fait par quelqu'un qui était en dehors du marché, qui était profit zéro. Il innove et il fait un profit. D'accord ? Donc quand on est dans un monde comme ça, eh bien tout... Tout ce qui réduit le profit après innovation réduit l'incitation à innover. Puisque le profit d'un innovateur potentiel, c'est zéro avant d'innover, c'est un certain P après, et la concurrence réduit P, donc elle réduit l'incitation à innover. Mais en réalité, il y a deux types de firmes dans l'économie. Il y a des firmes qui viennent d'ailleurs, vous voyez, des firmes qui n'existaient pas, qui se créent, et qui passent de zéro au profit P, mais vous avez également des firmes que j'appelle proches de la frontière technologique, ce que Edmund Phelps appelle proches de la best practice, qui réalise déjà des profits. Et là c'est une histoire très différente, c'est que je suis une firme active, je suis proche de la frontière, je fais des profits, et la concurrence, c'est comme si j'habitais dans un appartement avec quelqu'un, et la concurrence c'est comme si notre appartement se réduit, ou un bureau, je partage un bureau avec quelqu'un, pas d'appartement, un bureau. Oui, il commence à faire des gaffes là. Alors je fais des... Donc je partage un bureau avec quelqu'un et tout d'un coup le bureau se rétrécit. Ça c'est l'augmentation de la concurrence. Et qu'est-ce que je veux faire ? Je veux aller ailleurs pour échapper à la concurrence. Donc je veux innover pour échapper à la concurrence. Mais on est dans un monde où si je n'innove pas... Je fais des profits et la concurrence peut peut-être réduire un peu les profits post-innovation, mais ils réduisent encore plus les profits avant innovation. Donc au total, ils augmentent l'incitation à innover. Et c'est cet effet de escape competition. On innove pour échapper à la concurrence. Et donc il suffisait de faire un changement au modèle pour introduire ces firmes frontières. Et donc vous avez d'un côté, si vous voulez, ce qui se passe, c'est qu'en fait, la concurrence, elle a des effets différents sur les firmes qui sont à la frontière et des firmes qui sont très loin derrière la frontière. Les firmes très loin derrière la frontière, c'est l'effet qu'il y avait dans le modèle de base. La concurrence décourage l'innovation. Et dans les firmes frontières, c'est la courbe en bleu. La concurrence encourage l'innovation. Et c'est ce que nous avons vu empiriquement. Un petit peu pour comprendre ça, imaginez une... classe, au lieu d'imaginer des firmes, imaginez une classe d'élèves, d'accord ? Et imaginez que vous avez devant vous non pas des firmes et donc une classe d'élèves. Imaginez qu'un jour, on fasse rentrer un nouvel élève brillant dans cette classe. Comment les élèves de la classe vont-ils réagir à cette concurrence de cet élève brillant ? Eh bien, ce qui va se passer, c'est que la réponse est que l'arrivée de ce nouvel élément brillant va inciter les meilleurs élèves de la classe à travailler plus dur pour rester les meilleurs de la classe. Et ça, c'est l'effet de escape competition Mais d'un autre côté, ça va décourager les moins bons élèves pour qu'y rattraper devient encore plus difficile, maintenant qu'il y a encore un élément brillant en plus. Eh bien ça, il y a eu des études d'ailleurs là-dessus, par ma collègue Caroline Oxby, qui montrent exactement que dans les classes, il y a cet effet que vous observez avec les firmes. Les firmes, c'est comme des individus. Ça se conduit de la même manière. Et vous avez ce double effet là. Eh bien, il en va des firmes comme des élèves, les firmes proches de la frontière. Ils innovent davantage en réponse à la concurrence pour échapper à la concurrence alors que les firmes d'Eri, loin derrière la frontière technologique qui essaie de rattraper, vont être découragées par la concurrence comme dans le modèle de base que j'avais mentionné avant. Donc au total, l'effet de la concurrence sur l'innovation... prend la forme d'un U inversé qui synthétise ces deux effets opposés. L'effet de découragement sur les firmes qui sont très en deçà de la frontière et l'effet de escape competition qui s'applique aux firmes près de la frontière. Et donc, en fait, c'est intéressant... parce que ces traductions étaient testées sur le même type de données que celles utilisées dans les études empiriques. Et donc, finalement, on a montré qu'on avait le U inversé partout. On a essayé dans tous les pays et on trouve à chaque fois ce U inversé. D'accord ? Donc, on l'a vérifié partout. Et c'est assez intéressant parce que ce dialogue, finalement, au bout du compte entre nous, les théoriciens et les empiristes, eh bien, qu'est-ce qu'il a fait ? Il nous a enrichis, nous, au 8 et moi et mes amis théoriciens, parce qu'on a compris qu'il n'y avait pas un, mais deux effets fondamentaux de la concurrence. concurrence sur la croissance, et on a identifié sous quelles conditions l'un ou l'autre de ces deux effets dominaient l'autre, de façon à générer ce U inverse. Quant à nos amis empiristes, eux, ils avaient vaguement l'idée d'une relation croissante, et maintenant ils savent que la relation entre concurrence et croissance est plus subtile que ce qu'ils pensaient. Donc finalement, tout le monde a gagné de cette coopération entre théorie et empirique. Voilà. C'est ça qui a été un peu le point de départ de la collaboration que j'ai eue avec les empiristes. Et cette façon de dialoguer avec les empiristes ne nous distingue pas seulement des théoriciens purs. mais également des empiristes, ils sont nombreux, qui ne croient pas dans l'utilité des modèles. Ça nous distingue également de certains économistes qui d'un côté exhibent des faits empiriques et des données eux-mêmes très intéressants et utiles, de l'autre côté proposent des théories sans vraiment chercher à tester ces théories, notamment en les confrontant à leurs propres données. Et nous on pense que c'est très important de faire dialoguer les deux. Voilà, je crois que c'est tenu. Dans le temps qui me reste, puisque je veux aborder quelques énigmes de la croissance, puisque le titre s'appelle Les énigmes de la croissance je veux vous parler d'énigmes de la croissance. de la croissance. Alors je voudrais aborder plusieurs. D'abord je vais parler des paradoxes argentins et ce que j'appelle les traps de non-convergence, la fameuse middle income trap. Donc je vais parler d'abord du paradoxe argentin. Ensuite je vais vous parler de la relation entre innovation, inégalité et mobilité sociale. Voilà, et je vais revenir là-dessus, parce que c'est très important, on veut de la croissance et une maîtrise des inégalités. Comment vous faites ça ? Donc on va commencer par ça, donc ça, ça sera la deuxième partie. Et puis la dernière chose, je vais parler du débat sur la stagnation séculaire. Je sais qu'il y a beaucoup occupé les journaux, vous avez certainement lu, quand vous lisez un jour, vous avez certainement vu le débat sur la stagnation séculaire. Voilà, donc je vais faire ça, et puis après je vais parler un peu de politique économique et ma relation avec la politique économique. Et puis après je vais conclure avec... en mentionnant un thème de recherche, parce que vous n'en pourrez plus de moi à ce moment-là, et donc je vous épargne d'autres choses. Vous savez, j'ai coupé vos couilles déjà, vous savez, ça doit être bien pire que ça. Bien pire, voilà. Alors je commence par le paradoxe argentin. Est-ce que vous êtes encore en vie ? Bon, voilà. Alors le paradoxe argentin. Il est un beau pays qui s'appelle l'Argentine, vous y êtes sûrement allé, c'est un pays très sympathique. En 1890, l'Argentine avait un niveau de PIB par habitant, de PIB par tête, qui représente le niveau de vie de l'Argentine, disons à peu près à 40%. à 40% du niveau de vie américain, du PIB par tête américain. Et en fait, ça s'était maintenu assez longtemps. Vous voyez, de 1870 à fin des années 30, l'Argentine demeure à 40% du niveau américain. Or, l'Amérique croit beaucoup, ce qui veut dire que l'Argentine... Argentine croit beaucoup puisqu'elle se maintient à 40%. Certes, elle ne rattrape pas, mais elle garde le rythme de croissance des États-Unis. Et puis, on voit que ce qui se passe, c'est qu'à partir de la fin des années 30, eh bien, il y a une rupture de tendance. Alors, il y a un test de show, je ne vais pas vous embêter, un test statistique qui, en fait, met en évidence les ruptures de tendance. Et ce qu'on voit, c'est qu'après, eh bien, à partir de là, on observe, vous voyez, une tendance à la baisse du PIB par tête argentin par rapport au PIB par tête américain et de 0,5%. 0,21 par an, ce qui est énorme. Donc il y a un vrai décrochage argentin par rapport aux Etats-Unis. Et donc la question c'est de voir comment ça se fait que l'Argentine s'est si bien débrouillée avant et après a décroché. D'accord ? Et l'explication que propose la théorie de la croissance choupétérienne, c'est que des pays comme l'Argentine étaient dotés d'institutions ou avaient suivi des politiques qui étaient bonnes pour la croissance par l'accumulation de capital ou pour la croissance par le rattrapage, notamment les substitutions aux importations. Vous savez, ils avaient beaucoup cette politique. politique de dire on n'importe pas mais on produit ce qu'on pourrait importer alors évidemment le problème c'est que ça va vous sumer à peu de concurrence et on peut rattraper mais c'est pas une politique qui stimule beaucoup l'innovation puisqu'on empêche la concurrence des pays étrangers quelque part et en fait ils n'ont pas su faire évoluer leurs institutions pour devenir une économie innovante. Or plus un pays se développe, plus il se rapproche de la frontière plus on sait que c'est l'innovation frontière qui devient le moteur de la croissance c'est à dire quand vous êtes loin de la frontière technologique et bien la Chine ou d'autres pays émergents font font de la croissance beaucoup en rattrapant. Mais quand vous êtes à la frontière technologique, il faut faire de l'innovation sur vous-même. C'est ça que j'appelle l'innovation frontière, pour continuer à générer de la croissance. Or, les politiques et institutions qui sont bonnes pour le rattrapage technologique ne sont pas les mêmes que celles qui sont bonnes pour l'innovation à la frontière. Alors, j'ai parlé de l'Amérique latine, mais il y a également l'Asie, et notamment le Japon. Au Japon, la concurrence a toujours été étroitement contrôlée par l'État. Le ministère du Commerce et de l'Industrie, le MITI, limite l'émission de licences d'apportation. Les... L'État subventionne l'investissement de ces gros consortia industriels aux financiers connus sur le nom de Keretsuz. Ce n'est donc pas une surprise que le Japon ait vu sa croissance passer d'un niveau très élevé, envié par tous les pays développés entre 1945 et 1985, à un niveau faible depuis 1985. Mais nous, nous sommes un autre exemple, parce que les 30 glorieux, c'est exactement la même histoire. Nous avions des institutions et politiques qui étaient très bien pour la croissance des 30 glorieuses. C'était la politique des grands champions, c'était les politiques de subvention... top-down, c'était un système éducatif essentiellement basé sur le primaire, secondaire et les grandes écoles, c'était un système financier essentiellement basé sur le financement bancaire, c'était une concurrence limitée sur le marché des biens, c'était un marché du travail très corporatisé avec je ne sais pas combien de caisses de retraite et combien de caisses... il y en a beaucoup de ça qui reste encore d'ailleurs, et... et nous ne sommes pas encore, nous sommes en train de, mais nous avons exactement le même problème, il faut que nous passions d'une économie du rattrapage à une économie de l'innovation. et nous sommes exactement engagés dans ce processus-là. C'est pour ça qu'il faut qu'on fasse ces changements en France. Donc ça, si vous voulez, c'est toute cette approche-là qui a été développée. Donc ça, c'est le paradoxe argentin. Toujours en vie ? Je passe à la seconde énigme de la croissance. C'est innovation, inégalité, mobilité sociale. Au cours des dernières décennies, on a assisté dans les pays développés à une augmentation accélérée des inégalités de revenus, en particulier tout en haut de l'échelle. Le top 1%, c'est-à-dire la fraction du revenu qui est gagnée par le top 1% le plus riche, a augmenté très très vite. Je vais vous montrer une figure, mais je la montre un petit peu plus tard. Depuis notamment les années 80. Comment expliquer cette évolution ? Donc tout le monde l'a noté, comment peut-on l'expliquer ? D'accord ? Et là, je vous propose de jeter un regard sur la façon... Donc ça, c'est une recherche que j'ai faite avec Antonin Bergeau, qui est ici, qui est étudiant à la London School of Economics, toujours Richard Blandel, mon ami de l'University College London et de l'Institut de Fiscal Studies, Oufou Kaksigit, qui est mon ami, qui est professeur à Chicago, et David Emous, qui était à l'INSEAD, qui maintenant vient d'aller à Zurich, qui était aussi mon étudiant, voilà. Donc, avec mes quatre co-auteurs... on a regardé cette courbe. C'est quand même intéressant. Regardez, ça c'est aux Etats-Unis. Donc, qu'est-ce que ça représente ? Eh bien, c'est la façon dont d'un côté, vous avez la courbe rouge. La courbe rouge, c'est la façon dont la fraction du top 1% a évolué aux Etats-Unis. Vous voyez, elle n'augmentait pas beaucoup jusqu'aux années 80. Et puis là, hop, ça décolle. Le top 1% se met à l'augmentation très rapide de la part du top 1% depuis les années 80. Ça, c'est le côté inégalité. Mais regardez ce qui est remarquable dans cette courbe, c'est que si vous regardez en même temps... L'évolution de l'innovation mesurée par le nombre de brevets par habitant, ce n'est pas la meilleure mesure. On peut prendre des mesures de qualité de l'innovation par les citations. Mais là, je regarde juste le nombre de brevets. C'était une évolution totalement parallèle. C'est-à-dire qu'au moment où le top 1% gagne plus, l'innovation s'accélère également. Alors, ce n'est pas une preuve de causalité. Mais on se dit quand même, il y a quelque chose. Il y a un lien. Il faut aller quand même regarder. Et donc, en fait... Donc ce qu'on a fait, c'est que dans une étude avec mes quatre co-auteurs, on montre que cette forte corrélation reflète un lien causal de l'innovation vers l'inégalité extrême. En fait, ce qui se passe, c'est que quand vous faites de l'innovation, j'augmente mon marquable, j'augmente ma marge à l'égard du reste du marché, parce que je fais mieux qu'avant. Donc ma marge, ça m'augmente mon top 1%, vous voyez ce que je veux dire ? Vous augmentez vos marges bénéficiaires quand vous innovez. Parce que les gens sont prêts à payer plus, vous avez un produit de meilleure qualité ou bien vous avez réduit vos coûts. Dans les deux cas, vous augmentez votre marge bénéficiaire. Et en général, vous tendez à utiliser moins de travail. Les deux vont dans le sens d'augmenter la part du 1%. Mais donc, on a montré, nous, qu'en fait, il y avait un lien causal de l'innovation vers le top 1% inégalité. Alors, pourquoi est-il important de savoir que l'augmentation du top 1% résulte en partie de l'innovation et pas seulement de rentes foncières et spéculatives ? Pourquoi ? Pourquoi c'est important ? Parce que l'innovation a des vertus que d'autres sources de top 1% n'ont pas. Une première vertu, c'est que l'innovation génère de la croissance et elle est même le principal moteur de croissance dans les pays développés. C'est quand même une vertu, ce n'est pas négligeable. L'innovation vous donne la croissance. Donc quand même, on dit, tiens, c'est différent. Alors que mettre des barrières à l'entrée, moi j'étais dans un hôtel... la semaine dernière, c'était clairement des rentes. Et là, je ne crois pas que ça génère beaucoup de croissance, même pareil que l'innovation. Ou bien il y a d'autres rentes auxquelles on peut penser. Voilà, les barrières à l'entrée diverses. Et donc, l'innovation a cette vertu de générer de la croissance. La deuxième chose... C'est que s'il est vrai que l'innovation profite dans le court terme à ceux qui ont généré l'innovation, à ceux qui ont permis l'innovation, dans le long terme, les rentes de l'innovation se dissipent. Pourquoi elles se dissipent ? Parce que vos innovations sont imitées par d'autres. Donc quand il y a de l'imitation, ça réduit vos rentes. Et puis par ailleurs, un jour, quelqu'un fait mieux que vous, et là vous disparaissez. Donc les rentes de l'innovation sont typiquement temporaires. C'est intéressant, c'est un élément intéressant en soi. Et enfin, il y a une autre caractéristique de l'innovation. C'est que l'innovation, comme je le disais tout à l'heure, disais tout à l'heure, c'est la destruction créatrice. C'est-à-dire que c'est le nouveau qui remplace l'ancien. Et ça, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l'innovation génère de la mobilité sociale. Elle permet à de nouveaux talents d'entrer sur le marché et d'évincer partiellement ou totalement les firmes et intérêts en place. Il est intéressant à cet égard de remarquer qu'aux États-Unis, la Californie, qui est actuellement l'État américain le plus innovant, devance largement l'Alabama, qui est parmi les États américains les moins innovants, à la fois en matière de... part du top 1%, mais aussi en matière de mobilité sociale. Vous avez beaucoup plus de mobilité sociale en Californie que vous en avez en Alabama. Donc, vous voyez, c'est ça qui est intéressant. Et je veux quand même vous montrer là deux figures. Ça, c'est un lien entre... Alors, je pourrais montrer des tableaux avec des tableaux économétriques. Évidemment, je ne vais pas faire ça dans une leçon inaugurale. Mais en fait, si vous voulez, il y a un lien très positif. Au moins, ça, c'est sur des données américaines au niveau des municipalités. Il y a des collègues à moi, Raj Chetty, avec d'autres collègues, Emmanuel Saez, et d'autres collègues qui ont fait une étude où ils ont regardé, vous voyez, des municipalités aux Etats-Unis. Et ils connaissent le revenu des parents entre 96 et 2000 quand les enfants avaient 15 ans. Et après, ils peuvent regarder le revenu de l'enfant entre 2010-2011, quand l'enfant a 30 ans. Et ils regardent si le revenu de l'enfant est très corrélé avec le revenu des parents. S'il est très corrélé, eh bien on dit qu'il n'y a pas beaucoup de mobilité sociale. S'il n'est pas très corrélé... On dit qu'il y en a par exemple, si on trouve que conditionnellement à avoir des parents qui étaient dans le quintile le plus bas de la distribution des revenus, il y a une forte probabilité pour l'enfant d'être dans le quintile supérieur, ben là on dit qu'il y a beaucoup de mobilité. Et c'est ce que je regarde là. Et on voit qu'en fait il y a un lien très positif entre innovation et mobilité sociale. On peut montrer aussi que c'est particulièrement l'innovation par les entrants, par ceux qui brevettent pour la première fois, qui génèrent la mobilité. Pas tellement l'innovation par les incumbents. Donc on est vraiment dans l'optique schumpeterienne. C'est l'innovation par les entrants. qui génère la mobilité sociale. Voilà, ça c'est ce qu'on a montré dans cette étude. Alors maintenant, il y a une autre que je veux vous montrer, qui est assez étonnante. C'est le lien entre innovation et deux mesures d'inégalité très différentes. L'une, c'est le top 1%, et l'autre, c'est le Gini. Le Gini, si vous voulez, c'est une mesure globale d'écart à l'égalité. Si vous voulez, c'est une mesure d'inégalité globale. Plus le Gini est grand, plus l'inégalité globalement est grande. Le top 1%, c'est juste l'inégalité tout en haut. Et ce qui est remarquable, et c'est là que l'innovation c'est formidable, l'innovation c'est vrai qu'elle augmente le top 1%, mais elle n'augmente pas le Gini. Vous voyez ? Quand vous faites plus d'innovation, peut-être vous augmentez le top 1%, mais vous n'augmentez pas l'inégalité au sens large, et vous augmentez la mobilité sociale. Donc, je prends. Moi, si vous me donnez quelque chose, je dis, tu m'augmentes la mobilité, tu ne me réduis pas les inégalités, tu ne m'augmentes pas les inégalités au 100%, et ça augmente le top 1%, je prends. La Suède, je reviens toujours à la Suède, évidemment, puisque, sentimentalement... Voilà, cher Bénédicte. Alors, la Suède a suivi des politiques innovantes, des politiques d'innovation. Elle a notamment fait une grande réforme fiscale, celle que moi, je voudrais voir appliquée en France, pour à la fois rester redistributée, financer des services publics de qualité. Vous savez, là-bas, en Suède, on ne paye pas un sou pour la santé, on ne paye pas un sou pour l'éducation, jusque au doctorat. Donc ça, c'est tout à fait ce qui me convient, moi. Et en même temps, ils ont rendu la fiscalité plus incitative. Et... Et c'est très intéressant parce que qu'est-ce qu'on a vu ? L'innovation s'est mise, à partir des années 90 en Suède, s'est mise à augmenter très vite. La croissance de la productivité s'est accélérée. Je vais vous le montrer tout à l'heure. Et qu'est-ce qu'on regarde ? Le top 1%, lui aussi, il a augmenté en Suède. Mais regardez le Gini en Suède, il n'a pas augmenté d'un iota depuis 25 ans. Donc, ils ont fait des bonnes réformes. Parce que certes, ils ont augmenté le top 1%, mais ils se sont enrichis et ils n'ont pas augmenté les inégalités au sens large et ils n'ont pas réduit la mobilité sociale. Donc, ils ont... ils ont fait de bonnes réformes. Donc c'est un petit peu comment déjà je vais dans ce... Bon, maintenant je vais à un autre débat. Donc en contraire, qu'est-ce que je veux dire là-dessus ? C'est que maintenant, si je réunis toutes les pièces du PEUZ pour répondre à la question, est-ce qu'il faut s'opposer à l'innovation sous prétexte qu'elle contribue à augmenter la part du top 1% ? Vous avez la réponse, mais je vous la donne, mais vous l'avez. Eh bien la réponse est non, parce que l'innovation génère de la croissance, elle n'augmente pas les inégalités au sens large, et au contraire, elle stimule la mobilité sociale. Donc vous prenez. Corollaire de cette discussion, il faut une discussion... Il faut une fiscalité qui sache distinguer entre l'innovation et d'autres sources d'inégalités en haut de l'échelle. Autrement dit, maintenant, vous savez, je me suis mis à dos quelqu'un qui s'appelle Carlos Slim. Voilà. C'est sûrement un monsieur très bien, mais moi, comme je l'utilise à chaque fois pour le diaboliser, il va même me détester, ce monsieur. Autrement dit, il faut savoir distinguer entre un Steve Jobs et un Carlos Slim. Steve Jobs, il a vraiment innové, etc. Carlos Slim, il a fait beaucoup de choses. Enfin, moi, je me souviens, j'ai une époque mexicaine, et je me souviens, chaque fois que je donnais un coup de téléphone au Mexique, ça coûtait 10... 10 fois le prix que ça coûtait aux Etats-Unis. Voilà. Donc, il y a eu la privatisation des télécoms du Mexique avec Salinas et c'était un monopole très peu régulé et ce monsieur s'est enrichi grâce à ça. Bon, c'est pas la même source, c'est pas la même chose que Steve Jobs. Et l'idée, c'est de dire, voilà, une fiscalité qui décourage l'innovation non seulement nuirait à la croissance, mais également réduirait la mobilité sociale. Mais ça veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres sources. Il faut pas traiter l'innovation comme vous traitez d'autres sources du top 1%. Vous devez avoir une fiscalité qui tient compte de l'aspect... spécificité de l'innovation. Alors qu'est-ce qu'elle doit être exactement ? Là, il y a une recherche, tout est à faire. Mais en tout cas, les choses sont plus complexes que ce que certains peuvent penser. Je voulais juste terminer là-dessus. Je passe maintenant à la stagnation séculaire. La stagnation séculaire. En 1938, l'économiste Alvin Hansen expliquait lors de sa presidential address devant la American Economic Association, l'association américaine d'économie, que selon lui, les Etats-Unis étaient condamnés à... à une croissance faible dans le long terme. Donc, chaque fois que vous avez une grande crise, vous avez quelqu'un qui vous dit, c'est terminé, on est pondérés. à la croissance faible. Donc après 1938, en 1938, donc après la crise de l'international, c'était M. Alvin Hansen. Il n'anticipait pas la seconde guerre mondiale qui a eu des effets épouvantables, mais qui a eu un effet de faire rebondir la dépense publique et la demande agrégée. Depuis, s'est produit une autre grande crise financière, celle de 2007-2009, ce qui a conduit Larry Summers et d'autres à jouer le rôle de M. Hansen. Et Larry Summers et d'autres avec lui ont repris le terme de stagnation séculaire pour décrire... une situation qu'il juge similaire à celle décrite par Hansen en 1938. L'idée défendue par Summers était que la demande en biens d'investissement est si faible qu'il faudrait un taux d'intérêt négatif pour établir le plein emploi. Donc c'est une histoire de demande. Mais d'un autre côté, vous avez Robert Gordon, pour qui, en fait, la stagnation séculaire reflète un problème d'offres. Et qu'est-ce que c'est, M. Gordon ? M. Gordon, il considère que l'innovation, c'est comme des arbres fruitiers. C'est-à-dire que les innovations, les fruits les meilleurs, les plus juteux, c'est le bien-être. les plus faciles à cueillir. Mais ceux où il faut grimper, se faire mal, ceux-là, ils sont plus amers, moins bons. Et lui considère que l'innovation, c'est comme l'arbre fruitier. Les choses faciles sont les meilleures et les choses difficiles. Donc les grandes innovations, la machine à vapeur, l'électricité, on les a faites et maintenant il ne reste plus que les petites choses. Et donc c'est un petit peu, après moi, le déluge. C'est un petit peu ça, Gordon. Et en fait, si vous voulez, les économistes choumpétériens, et en fait, à titre d'exemple, pour illustrer leur cas, ils disent jusqu'en 1958, avec la mise en œuvre de Boeing, du Boeing 707, le temps de transport a diminué de façon exponentielle. Mais depuis, la vitesse de transport n'a plus augmenté, elle a même diminué par souci d'économiser de l'énergie. Vous voyez, regardez, il prend l'exemple du transport, il dit, vous voyez, il n'y a plus de progrès depuis les années 50, et il prend d'autres exemples. Les économistes choupétériens dont je suis ont une vision plus optimiste du futur que Summers et Gordon, et ce pour au moins deux raisons. La première raison, c'est que la révolution dans les technologies de l'information... informations et des télécommunications à améliorer la façon de produire des idées. Vous voyez, maintenant, moi, j'ai un collaborateur, j'en ai un, j'ai un co-auteur qui est en Australie, j'ai des co-auteurs qui sont aux Etats-Unis. Ça veut dire que mes projets de recherche, ils tournent sans arrêt, quoi. J'ai toujours quelqu'un qui travaille sur des projets de recherche. C'est quand même très sympathique. On a les Dropbox, on peut se skyper, on peut faire plein de choses et donc on peut collaborer à distance. C'est-à-dire que les interactions sont beaucoup plus... et l'information qu'on a sont inconsidérablement plus élevées qu'avant. Comment peut-on penser que la technologie... pour produire des idées est moins bonne qu'avant étant donné ces changements-là. Ça c'est la première raison qui me pousse à être totalement en désaccord avec la vision de Gordon. La deuxième considération c'est la mondialisation qui est contemporaine à la vague des technologies de l'information et des communications. Qu'est-ce qu'elle implique la mondialisation ? Elle augmente en fait les gains potentiels de l'innovation. Quand vous innovez et que vous faites quelque chose de très bien, vous pouvez le vendre au monde entier et vous faire beaucoup d'argent. Donc l'incitation à innover est beaucoup plus grande qu'avant. Donc d'un côté la technologie pour innover est bien meilleure. et l'incitation pour innover est beaucoup plus grande. Comment vous pouvez penser que l'innovation et la croissance vont réduire ? Et en fait, on assiste bien à une accélération de l'innovation. Je vous ai bien montré tout à l'heure qu'il y avait une accélération du nombre de brevets aux États-Unis. Donc, c'est bien ce qu'on observe. Mais évidemment, ce qui se passe, c'est là qu'ils reviennent. Ils disent, mais oui, vous êtes bien sympathiques. Tu nous dis que l'innovation s'accélère, mais en même temps, pourquoi cette accélération de l'innovation ne se reflète pas dans une accélération de la croissance de la productivité ? Et pourquoi ? Pourquoi la croissance politique, elle n'accélère pas ? Et une recherche en cours, alors donc, une recherche en cours avec Antonin Bergeau et Pete Clino. Pete Clino est un économiste, en fait, il est le meilleur économiste empiriste, enfin, un des meilleurs de la croissance de sa génération, de la génération actuelle. Il est à Stanford, et toujours Antonin, qui travaille avec moi et avec nous. Eh bien, on est en train de faire une recherche en cours et on suggère que la divergence entre le taux d'innovation d'un côté et le taux de croissance de la productivité de l'autre reflète en partie au moins un problème de mesure. mesures. Il y a en particulier le fait que les innovations, surtout celles qui se traduisent par la création de nouveaux produits, mettent du temps avant d'être prises en compte par les statistiques. Et c'est ce problème de mesures, ce problème de mesures a toute chance d'être exacerbé quand vous avez un fort taux de destruction créatrice, quand vous êtes dans un secteur ou un endroit où sans arrêt il y a des nouveaux produits qui remplacent d'anciens produits, ce problème-là de mesures, il est magnifié. Vous voyez ? Et donc voilà une première figure qui vous montre que le nombre de brevets Ce que je représente là, c'est le lien entre taux de croissance de la productivité et nombre de brevets dans différents états américains. La courbe en rouge, c'est je me restreins aux états où il y a plus de destruction créatrice que la moyenne. Et la courbe en bleu, c'est quand il y a moins de création destructrice que la moyenne. Et la courbe en bleu, c'est la courbe où il y a plus de destruction créatrice. Qu'est-ce qu'on voit ? La courbe en rouge, il y a peu de destruction créatrice. Vous voyez que les brevets et le taux de croissance de la productivité sont assez reliés. L'un est une fonction croissante de l'autre. Mais ce qui est très intéressant, c'est que quand vous vous restreignez aux États américains où vous avez plus de création destructrice que la moyenne, la relation entre le nombre de brevets déposés et le taux de croissance moyenne de la productivité est négative. On voit clairement qu'il y a un problème de mesure. Et alors ça, on peut le voir au niveau des États, mais je vais vous montrer une autre figure. Au lieu de regarder les États, je regarde les secteurs aux États-Unis. Donc, la courbe en rouge, c'est les secteurs qui ont moins de destruction créatrice que la moyenne. Et la courbe en bleu ou en noir sont les secteurs qui ont plus de création destructrice que la moyenne. Qu'est-ce que vous voyez ? Dans les secteurs avec peu de création destructrice, la relation entre croissance de la productivité et nombre de brevets est très fortement positive. Mais dans les secteurs où il y a beaucoup de création destructrice, vous voyez la relation est pratiquement plate. Et vous voyez, donc vous pouvez la voir au niveau des états et au niveau des secteurs. C'est quand même très intéressant. Alors, il y a beaucoup d'autres choses à explorer. C'est une énorme boîte noire. Mais c'est dans cette direction qu'on va. Et c'est une recherche en cours. J'aurais davantage, j'espère, on aura davantage à raconter. Donc ça, c'est déjà un motif d'optimisme. Moi, des gens qui me disent la stagiaison circulaire, j'ai arrêté de vous dire. Je crois qu'en fait, il y a beaucoup d'innovation. Et il y a des bonnes raisons pour ça. Et c'est parce qu'on ne sait pas mesurer l'apport de l'innovation dans la croissance. Je crois que ça va faire pas mal rebondir les débats. Je sais que Gordon a beaucoup de sucre. Moi, j'aime beaucoup Robert Gordon. Je sais qu'il est un groupe. Il y a beaucoup de groupies de Gordon ici en France, mais je crois que ça, ça apporte quelque chose au débat sur la stagnation séculaire. Voilà. Alors j'ai une autre raison d'optimisme, et mon autre raison d'optimisme, en fait, c'est les travaux de mon ami Gilles Berset et Antonin, et leurs co-auteurs. Parce que qu'est-ce qu'ils ont montré, eux ? Ils ont dit, ben voilà, l'Europe, c'est encore une autre histoire. L'Europe, elle croit moins que les États-Unis. Pourquoi ? Parce qu'en fait, ils n'ont pas fait des réformes structurelles. Voilà. Et c'est très intéressant parce que vous voyez... Vous voyez, la Suède, par exemple, quand elle se met à faire ses réformes dans les années 90, la croissance, ça, ça veut dire, ça, c'est de la productivité qui est montrée là. Eh bien, elle augmente beaucoup plus vite après qu'avant. Je ne peux pas vous le montrer là, mais ils ont multiplié par plus que 3 le taux de croissance de leur productivité entre avant et après les réformes de 90. C'est quand même extraordinaire ce qu'ils ont fait. Alors que le Japon, c'est le contraire. Ils n'ont rien, pas fait grand-chose. Et la croissance de la productivité, elle continue d'être, depuis la fin des années 80, beaucoup moins forte qu'elle était avant. Et là, c'est le problème. Ça veut dire qu'en fait, nos pays, en plus des États-Unis, beaucoup peuvent faire pour être aussi performants. On sait que l'économie américaine est beaucoup plus résiliente que la nôtre. Je reviendrai là-dessus. C'est quand même une explication. Comment la France ne se met pas à croître plus vite alors que le prix du pétrole a baissé, que le taux d'intérêt a baissé, parce que les marchés sont extraordinairement rigides en France. Donc, voilà. En tout cas, c'est très intéressant de voir ça. Ça, c'est un petit peu ce que j'ai à raconter, moi, sur la stagnation séculaire. Bon, sur chaque chose, on pourrait faire une leçon entière. Alors j'arrive à penser les politiques de croissance. Vous êtes encore... Oui, ça va ? C'est bon ? Alors à la question, faut-il s'impliquer dans les débats de politique économique ? Alors il y a toujours une question, on lit toujours. Quand on fait une leçon inaugurale, une des choses à faire, c'est de lire les leçons inaugurales de vos prédécesseurs. On ne peut pas toutes les avoir. On va voir comment ils ont fait, etc. Et en général, quand j'ai lu ceux de mes prédécesseurs en économie, ils se posent toujours un peu la même question. Où je suis, moi ? Où je me situe ? Est-ce que je suis... Est-ce que je me concentre sur la recherche fondamentale ou est-ce que je m'implique directement dans le débat de politique économique ? Où est-ce que je veux être ? Eh bien, à cette question, mes prédécesseurs sur des chaires d'économie au Collège de France ont répondu de manière contrastée. première catégorie, celle des professeurs directement engagés dans le débat et l'action, on trouve Michel Chevalier, nommé en 1840, qui plaide en faveur du libre commerce et du développement industriel pour stimuler la croissance. Et il participe à la préparation du traité de libre-échange, le traité Cobden-Chevalier, entre la France et la Grande-Bretagne, signé en 1860. Puis vient Paul Leroy Beaulieu, beau-fils de Michel Chevalier. Alors il y a toute une histoire de famille, mais je ne veux pas entrer là. Beau-fils de Michel Chevalier, et nommé au collège. en 1880, un autre avocat acharné du libre-échange et du libéralisme, et un adversaire tout aussi acharné du collectivisme. Et vient ensuite François Perroux, nommé au collège en 1955, qui se distingue par ses prédécesseurs en dénonçant les inégalités générées, selon lui, par l'économie de marché et la concurrence. Ces trois prédécesseurs nous ont légué des réflexions très pertinentes sur la réalité, sur la pensée et les débats économiques de leur temps, mais ils n'ont pas produit de modèle théorique ni d'analyse empirique. Donc c'est très... très intéressant, vous voyez les débats, mais il n'y a pas de modèle de ces gens-là, il n'y a pas d'analyse empirique de ces gens-là, mais ils ont participé vraiment à la vie économique de leur temps. Dans une seconde catégorie, il y a mes prédécesseurs, ceux parmi mes prédécesseurs qui ont choisi de demeurer en retrait du débat public et se sont concentrés sur la recherche fondamentale. Edmond Malinvaux, nommé au Collège de France en 1988, est particulièrement connu pour ses travaux sur la théorie dynamique du capital en équilibre général. Il est également connu pour ses travaux sur la théorie de pour ces théories du chômage et du risque. et pour ces manuels d'économétrie et de microéconomie qui nous ont tous formés. Il a formé des générations d'économistes, ont été formés par les livres de Malinvaux. Puis vient Roger Guenry, alors toujours un peu... J'ai Roger en face de moi, donc je... Je suis toujours un peu intimidant. qui a fait énormément de choses, qui a en particulier profondément contribué à transformer la théorie de l'économie publique en y introduisant les incitations et les rendements croissants. Dois-je égagement rappeler que c'est Roger qui a fait découvrir l'économie en tant que discipline, à Jean Tirole qui est... est présent, qui nous fait l'honneur d'être présent parmi nous aujourd'hui, je suis en quelque sorte un petit-fils de Roger, puisque je dois tout à Jean, en particulier de m'avoir initié à la théorie appliquée et introduit à la nouvelle économie industrielle, dont je me suis servi comme socle dans l'élaboration du modèle de croissance choupé-terrien. Entre ces deux groupes, celui des économistes engagés dans les débats de politique économique et celui des économistes davantage concentrés sur la recherche fondamentale, je me situe un peu au milieu. Parce que d'un côté, je suis avant tout un chercheur et un enseignant, Et néanmoins, les débats de politique économique m'interpellent pour au moins deux raisons. Tout d'abord, pour des motifs strictement scientifiques. J'entends par là qu'analyser les politiques et interventions publiques permet de mieux comprendre les mécanismes de la croissance. Et je vais être plus spécifique là-dessus dans un moment. Donc, on peut utiliser la politique, on peut même utiliser, je vais vous montrer, les erreurs de politique. C'est très utile, les erreurs. Ou des gens qui font de la politique, qui prennent des mesures. Plus c'est fait, plus on apprend. C'est très intéressant. En fait, un pays, je vais revenir là-dessus, un pays où il y a de très bonnes statistiques, mais vous auriez un dirigeant politique somnambule c'est fantastique pour les économètes parce que ils apprennent énormément, ils ont à la fois les données et le voilà je ne vais pas rentrer dans les raisons économétriques pour lesquelles c'est vrai mais bon alors l'autre raison pour laquelle je m'intéresse à l'analyse c'est parce que je pense que l'analyse économique, théorique et empirique permet d'influencer le débat et elle permet d'influencer le débat de deux façons l'un c'est de combattre les fausses bonnes idées je crois qu'en économie il y a beaucoup de fausses bonnes idées je suis pas immune, je crois que les miennes sont très des fausses bonnes, bonnes simplement bonnes, je ne sais pas, fausses, mais en tout cas on peut combattre les fausses bonnes idées, et puis l'autre chose c'est qu'on peut des fois clarifier les termes d'un débat. Donc je vais mentionner des idées qui sont des fausses bonnes idées, et pourquoi je pense qu'elles sont fausses, et puis d'autres, et puis je vais vous donner l'exemple d'un débat qu'on peut clarifier grâce à la combinaison de théories économiques et d'analyses empiriques. Donc c'est un petit peu comme ça que je vais continuer, et là on sera arrivé au bout, et prenez espoir, nous sommes à plus de la moitié. Alors d'abord la politique économique et les politiques, informe-t-il le chercheur ? Eh bien l'idée c'est que dire que la politique économique peut être utilisée comme instrument et le clientélisme aussi comme instrument. Alors je vais vous expliquer un exemple de chaque. Politique économique comme instrument... Et le client est libre comme instrument. Qu'est-ce que ça veut dire un instrument ? Un instrument, c'est la chose suivante, en gros. Par exemple, je veux montrer que l'éducation, c'est bon. Je veux montrer que, par exemple, tout à l'heure, je voulais montrer que l'innovation augmentait le top 1%. J'avais montré une... corrélation. Mais en fait, je vous ai dit après, il y avait une relation causale. Comment vous établissez un lien causal en économétrie ? Vous prenez un facteur qui a un effet direct sur l'innovation et qui n'affecte l'inégalité que par son effet sur l'innovation. Et à ce moment-là, vous avez un instrument et ça vous donne une causalité. Donc vous avez transformé un lien, une corrélation en une causalité. Donc on cherche des instruments. Alors je vais vous donner des exemples d'instruments. Un qui vient de la politique économique. Alors la politique économique, c'est ce que c'est. Tout à l'heure, j'ai parlé de la relation entre concurrence et innovation. Dans mes études là-dessus, pour comprendre la causalité de la concurrence vers la croissance, il fallait trouver un instrument. Et l'instrument que nous avons trouvé, c'est l'introduction du marché unique. L'introduction du marché unique en Europe a eu un effet d'augmenter la concurrence. Et c'est ça qu'on a utilisé comme instrument. En Angleterre, il y a aussi Madame Thatcher qui a fait des réglementations. C'était peut-être horrible d'être rendu à vie de plein de gens très difficile, mais pour l'économètre, c'était une aubaine parce que, évidemment... les déréglementations de Mme Thatcher, c'est un merveilleux instrument d'augmentation de la concurrence en Angleterre donc on peut analyser l'effet causal de la concurrence sur la croissance en utilisant cet instrument donc voilà ça c'est un exemple où la politique économique sert d'instrument. Je vais vous raconter un truc un peu plus rigolo, c'est le clientélisme comme instrument. Alors là c'est aux Etats-Unis, je m'intéressais beaucoup à l'effet de l'éducation supérieure sur la croissance dans les états développés. J'ai essayé de retourner avec Édicone, on avait fait un rapport, on disait éducation et croissance pour le CAE où on avait expliqué que dans les pays plus développés, il fallait davantage d'éducation supérieure. On a repris ça avec Gilles Berset dans les leviers de la croissance économique. Donc c'est une idée importante de dire, plus vous avez un pays ou une région développée, plus c'est l'éducation supérieure qui est bonne pour la croissance. Pourquoi ? Parce que plus l'innovation, on sait que l'innovation est importante pour la croissance dans une zone développée, mais on sait que pour l'innovation, comme le disait très justement Alain, il vous faut des bonnes universités, bien financées, de la bonne recherche bien financée, fondamentale en particulier. Et donc on a essayé de tester ces théories-là. Donc il fallait... un instrument pour l'éducation. Alors aux États-Unis, on en a trouvé un. En Etats-Unis, c'est l'histoire de M. Lister Hill. Alors laissez-moi raconter cette histoire. Vous avez trois... On a pris trois Etats, l'Alabama, le Mississippi et la Géorgie. Et des Etats à peu près semblables. Et il y a ce qu'on appelle les comités... d'appropriation aux Etats-Unis, c'est-à-dire que le Sénat et la Chambre des représentants ont des comités qui allouent des fonds fédéraux à des Etats. Mais si moi je suis M. Lister Hill, sénateur de l'Alabama, évidemment comme je vais être réélu sénateur de l'Alabama, je vais faire en sorte que ce soit l'Alabama qui reçoive les subventions. Et ça c'est... C'est un instrument. Et on voit d'ailleurs que quand M. Lister Hill, démocrate, mais ça ne veut rien dire démocrate en Alabama, parce qu'ils étaient aussi méchants et même plus méchants que les Républicains à l'époque, je ne rentre pas dans les détails. Quand M. Lister Hill devient Appropriation Committee Head du Sénat, regardez les dépenses. Ça, c'est les dépenses en éducation supérieure, en Research Education en Alabama. Évidemment, elles dépassent la Géorgie et le Mississippi. Et après, quand il cesse d'être Head of Appropriation Committee, on revient au même niveau que les autres. Ça, c'est un merveilleux instrument. Alors, c'est très amusant parce que, si vous voulez, en ironisant un peu, les faveurs politiques ou les errements politiques sont une mauvaise chose en soi, mais elles font le bonheur des économètres à l'affût de bons instruments pour mieux isoler l'effet causal qu'ils cherchent à mettre en évidence. De ce point de vue, on peut penser que le goût immodéré pour l'expérimentation fiscale en France fera de notre pays un laboratoire de premier plan pour analyser l'effet de différentes politiques fiscales sur l'innovation et la croissance. Une raison plus directe pour un chercheur en économie de s'intéresser aux politiques publiques, c'est que ce faisant, il peut combattre, ce faisant, il peut influencer les modes de pensée. D'abord, combattre certaines fausses évidences ou certains faux raisonnements. On demandait à l'économiste John Robinson, qui a été très influente à Cambridge, Angleterre, pourquoi il fallait étudier l'économie. Et sa réponse était pour vous protéger des économistes. Très important. Étudiez l'économie, je vous conseille. Même pour... protéger de moi. Ensuite, l'autre raison pour laquelle, l'autre manière d'influencer le débat, d'influencer la pensée sur la politique économique, c'est simplement qu'on clarifie les termes d'un débat, là où règne un grand degré de confusion. Donc je vais vous donner d'abord deux exemples de fausses idées qu'une analyse économique peut permettre en tout cas de mettre en question, et puis après je vais vous donner un exemple où en fait, il y a un débat où les gens ont les idées complètement en yaourt et qu'on économique, tout d'un coup de dire, voilà, eh bien, on peut structurer la pensée, quoi. Et que ça ne parte pas dans tous les sens. Donc, je vous donne les deux fausses évidences. Il y a d'abord la politique industrielle dans une économie de l'innovation. L'un des piliers de l'État-providence pendant la période des Trente Glorieuses en France était notre politique industrielle. Celle-ci se pratiquait à travers le réseau des grandes entreprises publiques. Je ne veux pas du tout m'attaquer aux grandes entreprises publiques, je ne veux pas. Elles sont très très bien, mais également en subventionnant l'investissement de quelques grandes entreprises publiques. qu'on appelait les champions nationaux. Mais nous avons vu que la croissance par l'innovation requiert la concurrence et la libre entrée pour que la destruction créatrice puisse s'opérer. Et également, on sait que la concurrence vous dit qu'on innove pour échapper à la concurrence. Donc on sait que c'est important d'avoir la concurrence quand vous êtes une économie d'innovation. Et c'est également important quand vous avez une économie d'innovation de fermer des activités devenues non rentables. Or, une politique industrielle colbertiste qui se concentre sur quelques champions nationaux biaise forcément la concurrence, entrave l'entrée de nouvelles firmes innovantes. Cet argument-là a conduit un certain nombre d'économistes et de décideurs, Anne Kruger et d'autres aux États-Unis, mais d'autres ailleurs, à proposer l'abandon pur et simple de toute politique industrielle. C'est-à-dire qu'ils sont allés passer d'une extrême à l'autre. Ils ont dit, comme on veut de l'innovation et comme on veut de la concurrence, plus de politique industrielle. Ils recommandent au contraire au gouvernement de s'en tenir à des ciblages que j'appelle horizontaux, aider les écoles, aider les universités, aider la recherche, faire du soutien aux PME innovantes, mais ne faire aucun choix sectoriel. verticale. Ils ont été dans l'extrême inverse. Et la Commission européenne, d'une certaine façon, aussi a donné dans cet extrême-là, vous voyez, de passer d'une extrême à l'autre. Donc, d'un côté, l'attachement nostalgique au colbertisme. Moi, je me retrouvais entre deux extrêmes. J'avais d'un côté des colbertistes nostalgiques qui voulaient rester à Autrante-Glorieuse. Nous en avons en France. Et de l'autre côté, des ultralibéraux qui disent C'est fini, l'État minimal, l'État régalien, plus de choix sectoriels, plus rien du tout Et en fait, à nouveau, j'ai une attitude médiane. Vous voyez, je suis vraiment un centriste. Entre ces deux positions, il y a place pour une politique industrielle new look, plus favorable à la concurrence parce que moins biaisée en faveur d'un petit nombre de firmes. En particulier, des travaux récents avec Mathias de Watripont, ici présent, collaborateur de toujours, montrent sur des données de firmes chinoises, parce qu'on n'arrivait pas à avoir des données européennes très intéressantes, on ne peut pas avoir vraiment les données européennes, parce qu'on n'est pas censé faire de la politique sectorielle en Europe, vous voyez. Donc on ne peut pas avoir les données, mais en Chine, on peut les avoir. Donc sur données chinoises, on montre qu'une politique industrielle... qui cible des secteurs plus concurrentiels, et distribue les subventions, pas à une personne, mais de manière plus diffuse au sein des secteurs, et pas seulement à des firmes existantes, mais à des entrants, c'est ce que propose Juncker maintenant. C'est-à-dire que vous pouvez choisir des secteurs, mais prenez des secteurs concurrentiels et aidez ces secteurs de manière qui ne favorise pas les firmes en place, au détriment des entrants potentiels. Si vous le faites comme ça, vous générez davantage de croissance. Ça veut dire que ce n'est pas la question, est-ce qu'il faut... la question n'est pas celle d'un oui ou d'un non à la politique industrielle d'abord tout le monde en fait en fait sans le dire c'est un peu le don't ask don't tell elle est plutôt comment repenser la gouvernance de la politique industrielle pour la rendre plus compatible avec la croissance par l'innovation voilà tout un chantier de recherche et d'expérimentation que je soumets aux jeunes générations et chercheurs la question n'est pas oui ou non oui à la politique industrielle et comment la faire comment la gouverner différemment il faut c'est pas qu'il faut plus de politique industrielle il la faut mais différente de celle des 30 glorieuses. Et donc il faut penser, il faut se donner un peu, ne pas paraître intellectuellement, dire je vais repenser la gouvernance des politiques industrielles. Je vous donne maintenant un autre exemple, c'est les réformes structurelles et la flexibilité macro. C'est un débat très important, parce que c'est le débat qu'on a avec Merkel. Face à une récession, il y a d'un côté ceux qui prônent des politiques de relance, notamment par le déficit et la dépense publique. De l'autre, il y a ceux qui disent non, il faut surtout que l'État se désengage pour réduire les impôts, pour réduire les taux d'intérêt. Et tout va repartir. Ça c'est à nouveau, vous voyez, c'est la même division. J'ai ceux qui sont la relance, la relance qui est négative. on dépense n'importe où pour faire repartir la machine, et il y a ceux qui disent au contraire, non, non, non, surtout ne faites rien, pas de dépenses, réduisez les impôts, réduisez la dépense publique, vous ferez baisser les taxes et les taux d'intérêt, et ça repartira de cette façon. Donc vous avez d'un côté, ce que j'appelle les keynésiens... vieille mode, et de l'autre côté, vous avez les ultralibéraux. D'accord ? Mais pour expliquer pourquoi l'économie américaine s'est montrée plus résiliente que l'économie européenne suite à la crise de 2007-2009, vous retrouvez certains qui invoquent un manque de réactivité macroéconomique en Europe, alors que d'autres mettent l'accent sur le fait que plusieurs pays européens, dont le nôtre, ont trop tardé à mettre en œuvre les réformes structurelles. Donc il y a ce débat-là, et on a l'impression que l'un s'oppose à l'autre. Et à nouveau... Entre les deux, la position, elle est de synthèse. Notre sentiment à moi et mes co-auteurs, donc je travaille avec Ennis Karoubi qui est ici, avec Emmanuel Fari qui est à Harvard, avec Gabriel Chodorov et avec Mathieu Lequin, on regarde cette question-là et en fait, ce qu'on a montré, c'est la chose suivante. C'est encore une recherche en progrès. C'est-à-dire qu'on montre qu'en fait, qu'est-ce que je représente là-dessus ? Je représente les effets d'une politique monétaire contracyclique. Qu'est-ce que ça veut dire contracyclique ? Ça veut dire que dans les périodes de récession, vous baissez les taux d'intérêt et vous les réaugmentez. monter dans les périodes d'expansion. Comme ça, vous aidez les firmes à investir en R&D en période de récession. Vous aidez aussi les consommateurs à consommer plus en période de récession. Et donc, c'est des politiques qu'il faut contracycliques. On est d'accord ? Plus c'est contracycliques, plus c'est proactif, d'accord ? Et on regarde l'effet de ces politiques sur la croissance. Et ce qu'on voit sur données sectorielles, ça c'est des secteurs dans les pays de l'OCDE, on voit que les effets d'une politique monétaire, si je passe du quartile le plus bas de politique monétaire contracycliques au quartile supérieur, c'est-à-dire les politiques monétaires les plus contracycliques... cyclique et que je passe de l'un à l'autre et je regarde l'effet sur la croissance, eh bien quand vous avez des secteurs où il y a des barrières à l'entrée, des high barriers to trade and investment, eh bien l'effet est très très petit. Tandis que si vous faites des politiques contracycliques dans un univers où vous avez peu de barrières, beaucoup de concurrence et peu de barrières à trade and investment, l'effet est très important. Ça veut dire qu'en fait Draghi avait raison. Draghi il y a deux ans qu'est-ce qu'il dit ? Il dit moi je peux faire la politique monétaire plus proactive, faire du quantity easing, etc. Mais si vous ne faites pas les réformes structurelles, ça ne sert à rien. rien. Et il a raison. Il faut les deux. Donc c'est très bien parce qu'on peut avoir un dialogue constructif avec Mme Merkel. Elle nous demande de faire des réformes structurelles. Nous lui demandons de la proactivité macro. Eh bien, il faut les deux et on le voit objectivement. C'est pas juste qu'il faut les deux pour que la confiance se rétablisse entre la France et l'Allemagne, mais c'est qu'il faut les deux parce qu'objectivement, l'un complète l'autre pour donner de la croissance. Il faut les deux en même temps. Il faut cesser d'opposer l'un à l'autre. Et ça, c'est une manière différente de raisonner. Donc, on a à nouveau des fausses bonnes idées. Ceux qui pensent que si on est pour une politique... de relance, on est forcément contre les réformes structurelles et ceux qui pensent que les réformes structurelles ça veut dire non forcément on est contre la politique plus proactive, c'est pas vrai, il faut les deux à la fois. Voilà, donc je veux maintenant arriver à comment changer les termes d'un débat. Alors il y a un débat très important qui est celui de comment réconcilier croissance et maîtrise des inégalités. Et j'étais au FMI pendant une semaine pour donner des cours en fait et pour rencontrer un certain nombre de personnes et à la Banque Mondiale cet été. Et j'ai rencontré plusieurs chercheurs qui disent moi quand même on doit s'intéresser à la croissance et aux inégalités quoi. Et ce qu'ils faisaient c'est une régression statistique de l'inégalité sur la croissance. Mais ils regardaient l'inégalité au sens large sur la croissance. Et évidemment ils trouvent rien parce qu'on voit rien. Banerji et Duflo ont montré qu'on ne voit pas grand chose, d'autres ont essayé également. Donc, si vous essayez de faire ça, vous êtes dans le brouillard, quoi. Et ils en sont là, quoi. Et je leur ai dit, c'est pas comme ça qu'il faut faire. Vous n'arriverez nulle part. Ce qu'il faut que vous fassiez, c'est de regarder les leviers de croissance un par un. On sait, je l'ai mentionné tout à l'heure, que les leviers de croissance, c'est mes travaux avec Gilbert et Eli et mes autres collaborateurs, on sait que les leviers de croissance dans une économie avancée, c'est l'éducation supérieure, c'est des marchés des biens plus dynamiques, plus concurrentiels, notamment, et des marchés du travail plus dynamiques. Et on peut se dire, voilà. Voilà, regardons un par un ces réformes qui sont bonnes pour la croissance dans les pays développés puisqu'elles stimulent l'innovation. Demandons-nous qu'est-ce qu'elles font aux différentes mesures d'inégalité. Mais vous vous souvenez que tout à l'heure, j'avais parlé de plusieurs mesures d'inégalité. Il y avait le top 1%, il y avait l'inégalité au sens large et il y avait la mobilité sociale. Donc il faut savoir de quoi on parle. Eh bien, regardons l'éducation. Ça, c'est les données de Chetty. Vous savez, mon ami Chetty dont j'ai parlé tout à l'heure. qui regardait la mobilité sociale entre municipalités américaines. Il représente en abscisse, en fait, les tests PISA, l'équivalent des PISA aux États-Unis, et en ordonnait la mobilité sociale. Et il se rend compte qu'il y a une corrélation fortement positive entre des bons tests PISA et de la mobilité. Ce n'est pas un scoop. Ça ne vous étonne pas quand même, non ? Donc ça, c'est normal. Donc l'éducation, elle est bonne pour la croissance, mais elle est bonne aussi pour le... Ça, jusqu'à maintenant, ce n'est pas très surprenant. Mais ce qui est surprenant, c'est ce qui va venir. Je vous ai dit qu'il y a trois trucs. Il y a le marché des... bien dynamique et le marché du travail dynamique. Regardons donc les deux autres. Ça, ça vous représente, en fait, en abscisse, j'ai ce qu'on appelle le turnover de firmes, voyez, c'est le taux auquel les nouvelles firmes remplacent les anciennes firmes. Donc il y a un endroit où il y a beaucoup de création destructrice, c'est là où ça se remplace beaucoup. Les endroits où il y a peu d'instructions destructrices, il y a peu d'entrées, peu d'exits. Là, c'est quand il y a beaucoup d'entrées, beaucoup d'exits. Et ce que je représente en ordonnée, c'est une mesure inverse de la mobilité sociale, c'est la différence de revenus entre des enfants qui sont issus de familles pauvres et des enfants qui sont issus de familles riches. Quand la différence est grande, vous avez peu de mobilité sociale. Et ce qu'on voit, c'est que dans les endroits où il y a plus de concurrence et de turnover des firmes, il y a plus de mobilité sociale. Parce qu'en fait, la destruction créatrice opère mieux. Ça revient à la même idée que tout à l'heure. Donc en fait, quand vous dynamisez le marché des biens et services, non seulement c'est bon pour la croissance, pour l'innovation, mais c'est bon pour la mobilité sociale. À ce moment-là, je prends. Quand j'ai ça, je prends. Regardons maintenant les emplois, le marché du travail. La même chose dans les endroits où vous avez plus de job turnover, c'est-à-dire un taux de destruction et de création d'emplois plus grand, c'est aussi les régions où vous avez plus de mobilité sociale. Donc, vous voyez, c'est très intéressant parce que ça vous encourage. Ça peut dire qu'on peut faire une croissance. Alors, bien sûr qu'il y a des réformes qu'on doit faire pour aider à ça. Par exemple, une bonne formation professionnelle dans notre pays aiderait à magnifier encore la relation entre marché du travail flexible. Donc, c'est savoir comment on organise cette flexibilité. Et c'est ça les réformes. Mais l'intérêt c'est de dire voilà vous faites de la mobilité et bien si vous la faites intelligemment, vous faites non seulement de la croissance mais vous faites de la mobilité sociale. Vous n'augmentez pas les inégalités au sens large parce qu'on sait qu'il y a un lien très très très clair. Plus de mobilité sociale implique moins d'inégalités au sens large, en tout cas pas plus d'inégalités au sens large. Donc c'est comme ça qu'on a la manière de repenser le problème. Alors maintenant j'arrive à la fin. Je sais que c'est terrible pour vous dire mais non on l'aime tellement, on en voudra encore une heure. Je dois vraiment vous décevoir. On arrive à la fin. La fin s'appelle next. D'accord ? Qu'est-ce que je fais après ? Qu'est-ce qu'on fait ? Il est toujours difficile de prévoir d'où viendront les prochaines grandes innovations. C'est un peu le problème de Gordon. Et cela s'applique particulièrement aussi à mon domaine, celui de l'économie et de la croissance. Mais d'ores et déjà on perçoit de nouveaux champs d'investigation rendus exploitables par l'accès à de nouvelles... bases de données. Ce qui est extraordinaire maintenant, c'est qu'on va pouvoir accéder à des données fiscales individuelles et des données sur les brevets, qu'on va pouvoir regarder, les mettre ensemble et regarder la fiscalité de l'innovation. On va pouvoir regarder la relation entre commerce international et l'innovation. On va pouvoir regarder... On regarde déjà la relation entre réforme structurelle et politique macro, comment ça influe sur l'innovation. On peut faire beaucoup de choses. On regarde les choses sur la stagnation circulaire. Ça, c'est des nouvelles bases de données qui n'étaient pas disponibles jusqu'à récemment. Ça va être un champ passionnant. Et donc, je voudrais me contenter de mentionner un thème qui me paraît particulièrement important, parce que j'ai pitié de vous. Je pensais en faire trois, mais j'en mets qu'un. Trois collègues et amis, Michael Kremer, Abhijit Banerjee et Esther Duflo, ont révolutionné l'économie. du développement en y introduisant les méthodes de l'analyse expérimentale aléatoire utilisées jusque là en médecine pour évaluer l'effet de nouveaux médicaments et vaccins cela nous a permis de mieux appréhender le comportement des individus et ménages en situation d'extrême pauvreté et de voir comment ils réagissent à différentes politiques d'aide et d'assistance notamment ils ont fait récemment une évaluation du micro crédit qui est tout à fait remarquable et il ya vous avez une leçon inaugural d'esther ici qui vous a expliqué en détail comment elle fait donc c'était travaux tout à fait fondamentaux qui ont révolutionné le domaine Cependant, dans sa leçon inaugurale sur pauvreté et développement dans un monde globalisé, François Bourguignon met le doigt sur ce qu'il considérait comme François est là. François, tu lèves le bras si tu n'es pas d'accord et si je t'ai mal cité. Il met le doigt sur ce qu'il considérait que les limites de cette approche. Et je te cite, tu me permets. Grâce à cette approche expérimentale, on peut espérer identifier avec précision l'impact de la distribution de moustiquaires sur la prévalence de la malaria, d'une hausse des salaires des instituteurs sur la racidité. est-elle pour autant susceptible de donner à elle seule la clé du décollage économique ? On peut en douter. Autrement dit, si les expériences aléatoires permettent d'identifier très clairement l'effet causal de telle ou telle intervention locale, on ne peut ignorer les aspects macroéconomiques et systémiques, ni les effets de réallocation d'un secteur à l'autre, d'une firme à l'autre, d'une région à l'autre, lorsque le but est d'éradiquer la pauvreté au niveau d'un pays tout entier. Pour vous donner une première idée de l'importance de la macroéconomie dans le développement, simplement un chiffre en tête. Le taux de pauvreté, ça c'est des études de Jean Drez et d'Angus Deaton, qui est mon collègue avec qui je travaille, qui est à Princeton, sur lequel Alexandra Roulet est là. On a travaillé sur Creative Destruction and Subjective Wellbeing, le bien-être et la destruction créatrice. Donc, notre collègue Angus Deaton avec Jean Drez, eh bien, ils ont réalisé des études sur le taux de pauvreté dans les zones urbaines de l'Inde. Donc, ils ont montré que la fraction de la population disposant de moins d'un dollar par jour, c'est ça le taux de pauvreté tel qu'ils le définissent, était à 39% en 19... 1987-88, et il est passé à 12% en 1999-2000. Il y a eu une réduction radicale de la pauvreté urbaine en Inde. D'accord ? Et dans le même temps, Danny Roderick et Subra Manian, son co-auteur, ont montré que la croissance s'est mise à décoller. Elle ne dépassait pas 0,8% par an jusqu'au milieu des années 80 en Inde, et elle grimpe à 3,2% dans les années 90. Ce décollage de la croissance en Inde n'est pas tant le résultat d'interventions locales que la conséquence de réformes systémiques. En particulier, Rajiv Gandhi a mis en place une libéralisation du commerce et du marché des biens et services avec la suppression de la licensure. J'avais fait un papier là-dessus dans l'American Economic Review. S'intéresser aux aspects systémiques et macroéconomiques ne signifie pas... Vous voyez, je n'ai plus que deux. S'intéresser aux aspects systémiques et macroéconomiques ne signifie nullement qu'il faille ignorer les aspects micros. Et à nouveau, c'est ma théorie de la croissance. C'est une théorie macro, mais qui a des fondements micros. Et on la regarde sur données de firmes. Vous voyez, c'est là, on fait le lien entre la micro et la micro. la macro. Et notamment, je voudrais vous montrer deux illustrations de ça. Donc ça, c'est une étude, je vais vous montrer deux figures, à nouveau, qui ont été faites par mon copain Pilt Clino, avec un co-auteur chinois, mais je ne sais jamais prononcer bien son nom, donc je préfère ne pas le prononcer. Donc, ce qu'ils ont, regardez cette courbe. Cette courbe est très intéressante. Elle vous montre l'évolution de la taille des firmes avec l'âge des firmes. Vous voyez, aux États-Unis, quand vous êtes une firme pour Et plus vous êtes une firme qui a pris de l'âge, plus vous êtes grande. Parce que vous êtes agrandie en fait. Voyez ? Et sinon vous êtes disparaissé quoi. Et donc aux Etats-Unis, il y a une relation très nettement positive entre l'âge des firmes et la taille des firmes mesurée par l'emploi dans les firmes. Mais en Inde et au Mexique par exemple, ça a convenu à croire et puis ça s'arrête, vous voyez. Et c'est très intéressant. Donc la première chose c'est de dire qu'à un moment donné, en Inde, on augmente la taille et puis on s'arrête d'augmenter la taille. Même si on est très bon. Alors qu'aux Etats-Unis, on continue d'augmenter la taille. Je vais vous montrer une autre figure qui est la distribution des productivités des firmes. Vous voyez qu'à droite, je mets le nombre de firmes. Ça veut dire que là, il y a beaucoup de firmes qui ont des productivités à ce niveau-là, très peu à ce niveau-là. Vous voyez qu'en Inde, il y a des firmes qui ont des productivités très très basses. Aux États-Unis, elles n'existent pas parce qu'elles disparaissent tout de suite. Les firmes qui ont une productivité faible, elles sont éliminées immédiatement. Vous voyez ? Donc ça veut dire qu'il y a un processus de sélection des firmes bien plus efficaces aux États-Unis qu'il y a en Inde. Il se trouve que ces deux courbes ensemble, elles vous racontent une histoire. Et c'est cette histoire qui est importante pour les Blancs. Qu'est-ce qu'elles vous disent, ces deux courbes ? Qu'est-ce qu'elles vous disent ? Midecote à Côte, elle raconte l'histoire suivante. Elle suggère que c'est l'inaptitude des firmes indiennes, même les plus productives et les plus innovantes, à croître au-delà d'une certaine taille qui permet à des firmes peu productives de survivre en Inde. Elles ne survivraient pas aux États-Unis. Mais au total, c'est l'innovation agrégée qui est réduite. Puisque des gens très meilleurs peuvent rester, les gens très bons ne peuvent pas se développer. Si vous regardez au total, vous avez moins d'innovation et moins de croissance en Inde. Et comment vous expliquez ces deux figures maintenant ? Comment on explique en particulier ? celle-ci. Pourquoi aux États-Unis, les firmes continuent à croître et à n'en indre pas ? Et là encore, pour expliquer ça, il faut regarder des caractéristiques systémiques de l'économie indienne. Comme l'explique mon ami et co-auteur Ufu Kaksigit dans des travaux récents, la croissance limitée de la taille des firmes indiennes avec l'âge apparaît liée au fait que la plupart des firmes indiennes demeurent familiales. Pourquoi ? Parce que vous ne faites pas confiance à des managers qui ne sont pas de votre famille. Et pourquoi vous ne faites pas confiance ? C'est intéressant de savoir pourquoi. Et peut-être que vous ne pouvez pas les poursuivre. S'ils volent dans l'entreprise, on ne peut pas les poursuivre. Il y a quelque chose qui fait qu'on veut rester familial. Alors, pourquoi vous voulez rester familial ? Peut-être en partie parce que le faible niveau d'éducation en moyenne et l'insuffisance culture de management qui en résulte est une raison. Il y a des infrastructures défectueuses en Inde et des imperfections de marché du crédit. Tout ça contribue à inhiber la croissance des firmes, même celles qui sont les plus efficaces. Et ça, ça a un impact sur la croissance. Vous êtes au niveau de la micro, vous êtes au niveau de la firme, mais ça a des implications macro. Et c'est ça la théorie qu'on pousse. Donc, mieux appréhender le processus de croissance des firmes et la réallocation des ressources entre firmes ou entre secteurs d'activité nous donnera certainement de nouvelles clés pour comprendre la relation entre croissance et développement et trouver des remèdes durables au sous-développement et à la pauvreté. Donc c'est à une révolution de la théorie de la croissance et du développement que j'appelle. Conclusion, monsieur l'administrateur, chers amis et collègues, mesdames, messieurs, il reste encore de nombreux chemins à défricher avant de mieux appréhender les énigmes de la croissance. la relation entre croissance-innovation, le rôle des institutions et des politiques économiques dans le processus de développement. Comprendre ces processus fera avancer non seulement la science, mais la société dans son ensemble, car on a moins peur de ce qu'on comprend mieux. Ici, je veux conclure en citant Tocqueville, de la démocratie en Amérique. Je ne puis m'empêcher de craindre que les hommes n'arrivent à ce point de regarder toute théorie nouvelle comme un péril, toute innovation comme un trouble fâcheux. Tout progrès social comme un premier pas vers une révolution et qu'il refuse entièrement de se mouvoir de peur qu'on ne les entraîne. Mon espoir est que les enseignements, les séminaires et les recherches organisées dans le cadre de cette chaire contribueront à conjurer cette crainte. Je vous remercie de votre attention.