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L'Héritage de Charlemagne en Europe

J'ai le plaisir de vous retrouver à Aix-la-Chapelle en Allemagne, devant cette étonnante chapelle palatine, dernier vestige du palais de l'empereur Charlemagne, dont je veux vous faire découvrir l'extraordinaire épopée. En ces temps obscurs du 8ème siècle, celui que l'on appelle pas encore Charles le Grand, Charlemagne, appartient à une dynastie nouvelle, les Francs Carolingiens. Le flamboyant roi des Francs est habité par un rêve, ressuscité l'empire romain chrétien, disparu depuis trois siècles. En quelques années, cet homme de fer et de foi réussit à unifier des territoires grands comme deux fois la France. Pour y parvenir, il dispose de la de la redoutable efficacité de ses cavaliers francs, mais aussi d'une arme secrète de son invention, l'école. Ce n'est qu'après bien des combats qu'il obtient la consécration suprême, une couronne impériale jamais égalée, qui fait de lui, à travers les siècles, le plus fascinant des souverains européens. D'abord, il a un très grand charisme. C'est surtout une force de la nature. Il témoigne d'une énergie physique qui le rend inégalable. Charlemagne est d'abord un roi qui croque la vie à pleines dents. Il a eu plus de 20 femmes. Enfin, telles qu'on les connaît. Il y a une grande liberté sexuelle. Mais ce bon vivant est aussi le champion de la chrétienté. Des frontières de la Germanie aux marches de l'Espagne. Dans la mentalité franque, le roi doit tirer l'épée. il doit être sur le champ de bataille avec la bénédiction du pape il combat pour unifier son royaume jusque dans les forêts profondes qui abrite les derniers païens d'europe vue de charlemagne ce sont des ennemis du christ et l'ennemi du christ n'a pas droit à l'existant de nombreuses légendes s'attache à ce héros plus que millénaire l'empereur à la barbe fleurie Dans le col de Roncevaux, l'arrière-garde est attaquée, non pas du tout par les Sarazins, mais par des Basques. Ces trésors méconnus font de Charlemagne l'un des rois les plus fastueux de l'histoire. Des plus spectaculaires aux plus intimes. Voici un objet extraordinaire. Il s'agit ni plus ni moins de son talisman. Chapelles et palais sont les sanctuaires de ce grand réformateur qui veut réinventer la culture occidentale. Un livre est une chose qui coûte un prix énorme. Il faut 300 ou 400 moutons pour faire une Bible. À Rome, les circonstances de son couronnement par le pape Léon III sont particulièrement troubles. Et cet épisode rocambolesque va donner lieu à bien des controverses. Le pape est arrivé par derrière pendant que Charlemagne priait et il a posé d'autorité en quelque sorte la couronne. Maître de l'Europe, Charlemagne devient par ce triomphe un modèle pour les siècles futurs. C'est un roi dont personne ne doute qu'il a été un des plus grands rois chrétiens d'Occident. Je vous retrouve sur la place de l'Atrium à Aix-la-Chapelle, autrefois l'une des principales entrées vers le palais de Charlemagne. En cette fin du 8e siècle, l'ensemble est très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Il se compose d'une basilique, du grec ancien Bacilléus, résidence impériale, et d'une chapelle palatine reliée par une galerie où l'empereur rend la justice. Vous voyez cette étonnante tête de lion ? Quand on y met le doigt, on sent une sorte de calosité. On dit que c'est le pouce du diable. Car selon la légende, le diable se serait coincé le doigt dans cette magnifique porte de bronze. Elle a été coulée au temps de Charlemagne. Et elle témoigne du fait que le diable a été coulé dans cette magnifique porte de bronze. du facieux raffinement des artisans carolingiens et de leur capacité à imiter les hommes de l'Antiquité. Venez, je vais vous faire découvrir maintenant l'un des très rares vestiges architecturaux du temps de Charlemagne, la chapelle Palatine. Construite sur deux étages, cette chapelle palatine a la forme d'un octogone, symbole de la résurrection et de la renaissance par le baptême. Le lustre spectaculaire que vous apercevez au-dessus de ma tête a été offert par le Père. offert au XIIe siècle par l'empereur Frédéric Barberousse. Il mesure plus de 4 mètres de large et évoque la Jérusalem céleste, une vision du paradis sur terre qui est un peu le programme politique de Charlemagne. Quant à ce devant d'hôtel du XIe siècle, il est entièrement en or. Et c'est un vrai livre d'images. Au centre, on aperçoit le Christ, Marie, sa mère et Saint-Michel, entourés de scènes de la Passion. Ce chef-d'œuvre est destiné à enseigner l'histoire du salut aux fidèles, qui sont pour la plupart illettrés. À part ce que nous en dit son biographe et ami Eginhardt, on sait très peu de choses sur le vrai Charlemagne. Mais vous allez voir que les quelques éléments dont nous disposons laissent deviner une personnalité à la fois surprenante et haute en couleurs. Le 25 décembre 800, Charlemagne est couronné empereur par le pape de Rome, ce qui fait de lui le restaurateur en Occident d'un titre disparu depuis plus de 300 ans. Le personnage ne cadre pas tout à fait avec l'idée que l'on peut se faire d'un empereur romain, mais il est aussi très différent de l'image populaire qui est parvenue jusqu'à nous. Charlemagne n'a pas la barbe fleurie, contrairement à l'imagerie qui va se développer au cours du Moyen-Âge, mais une grosse moustache, typiquement franque. C'est pas un géant, mais c'est vrai que c'est un homme d'une très bonne taille pour cette époque-là. Il fait à peu près 1m90, 7 pieds de haut, dit-on. un très grand personnage fort. Il a un petit peu de ventre, il a un cou assez épais et puis c'est assez surprenant, peut-être une voix de fausset. Il impressionnait sans aucun doute par son regard. On dit même que Charlemagne était capable de foudroyer de son regard ceux qui s'étaient mal comportés. Pendant les 30 ans qui précèdent son couronnement impérial, Charlemagne est seulement le roi des francs, le chef d'un peuple de guerriers venus de l'Est, aux traditions simples et rudes. Il s'habillait à la mode franque habituelle, c'est-à-dire une chemise, des braies, des lanières autour des jambes. Les vêtements de luxe, de soie, ça n'est pas son affaire. Il ne les met que quand on lui demande, quand le pape lui demande, par exemple. L'hiver, il aimait à revêtir une peau de loutre ou des peaux de rat aussi. Et quand viendra la mode du manteau court, qui tombe juste en dessous du fessier, il s'en moquera beaucoup. Qu'est-ce que vous voudriez que je fasse avec ce bavoir ? Quand je vais me vider les boyaux, j'ai froid aux fesses. En perpétuel mouvement, Charlemagne n'a pas de palais fixe. De villa en abbaye, sa cour se déplace principalement en Australie, le cœur du territoire franc entre le Rhin et la Seine. Mais également au sein d'un vaste empire en formation qui s'étend de l'Allemagne au Pyrénées. Si l'on devait faire le kilométrage des distances parcourues par Charlemagne pendant son règne, on aboutirait à des milliers de kilomètres. Charlemagne se déplace avec une centaine, peut-être 200 personnes, tout compris. Et donc, on emmène avec soi son trésor, c'est la chose la plus importante, c'est-à-dire tout le fourniment royal, le bijou de lire, d'objet qui atteste la puissance royale. L'un des rares objets de ce trésor ayant traversé les siècles se trouve à la Bibliothèque Nationale. Il témoigne du goût de Charlemagne pour la culture romaine, mais également de son étonnant sens pratique. C'était un trône de campagne, si je puis dire. C'est-à-dire un trône où vous pouviez sortir le dossier, sortir les accoudoirs, replier le siège et vous l'emportiez où vous voulez. C'est ainsi que Charles VIII a été élu. Sièges imités de l'Antiquité, parce que si vous regardez sur, par exemple, des diptyques consulaires du Vème siècle, vous retrouvez très souvent ces sièges croisés avec des têtes de panthères. Charlemagne dispose de tous les attributs du pouvoir, mais il n'est pas, contrairement aux empereurs romains, un souverain absolu. Il vit entouré des principaux aristocrates qu'il doit associer à ses décisions. À toi, mon fidèle Roland. Montre-nous ce que tu sais faire. Tu es mon meilleur chevalier et mon porte-bonheur. D'abord, il a un très grand charisme. Il est à la fois un personnage d'autorité et en même temps, il arrive à... à être assez cordial. C'était un leader, comme on dirait aujourd'hui, un vrai meneur d'hommes. Et d'autre part, quelqu'un qui était capable d'emmener les gens avec lui, c'est-à-dire de les faire adhérer à son programme. Il faut imaginer la vie de cour comme une vie très communautaire. Charlemagne est d'abord un homme du clan. Tout le monde se connaît, tout le monde peut accéder à l'empereur, ce qui fait que Charlemagne est quelqu'un d'apprécié parce qu'il connaît ses gardes, parce qu'il connaît ses parents, parce qu'il connaît ses amis. Le prince est forcément accessible parce qu'il est le premier entre ses pères d'une certaine manière. Au palais d'Aix-la-Chapelle il suffit pour voir le roi de se rendre à la piscine il pratique chaque jour son sport favori la natation il faut imaginer la piscine d'aix-la-chapelle comme des termes romains plus ou moins modernisés c'est à dire avant tout un lieu de sociabilité l'hiver il fait très froid or le palais a la chance d'avoir une source d'eau chaude donc tout le monde rentre dans l'eau pour se réchauffer pendant quelques heures Lorsqu'on a besoin d'une grâce, d'une protection, d'une aide de Charlemagne, on peut aller le voir à ce moment-là et en discuter librement avec lui. Mais pour cet homme du Nord, l'activité la plus importante, c'est bien sûr la chasse. À partir de l'automne, à partir de la fin septembre... Le roi est indisponible et ça court avec lui parce qu'il est à la chasse. La chasse, c'est toute la cour qui se déplace, ou presque, car à celui qui refuse d'accompagner Charlemagne à la chasse. Il aime les forêts de Meuse, il aime les forêts du Rhin. Donc il faut imaginer qu'en Rhénanie, à l'époque, on chassait l'ours. Il était toujours devant. Il lui arrivait de descendre et de faire lui-même l'office de piquier. C'était lui-même qui tuait le sanglier. C'est des gens qui aiment le physique, la force. Il y a un côté très barbare dans ses mœurs. Privilège du prince, la chasse a également pour fonction de nourrir la cour à l'occasion de banquettes truculents. Charlemagne a un mé favori, c'est le rôti. Il aime les viandes rôties. Donc il semble, d'après Ginard, qu'il soit assez malheureux en phase de jeûne. Il le respecte. Charlemagne a des manières assez libres. Lorsqu'un évêque à table se sert en premier, sans offrir au roi ou aux autres courtisans, Charlemagne lui dit Eh bien vas-y, te gêne pas, prends tout ! Il aime boire, il aime manger. Toutefois, il n'aimait pas l'ivresse. Vu sa carrure, il devait assez bien encaisser, je pense, la boisson. En matière de femmes, ce bon vivant est d'abord un germain, qui multiplie les mariages tout au long de sa vie. Il a eu plus de 20 femmes, au total, enfin, telles qu'on les connaît, bien sûr, on ne les connaît peut-être pas toutes. On est encore dans une société où le mariage monogame et indissoluble n'a pas encore été imposé en tant que tel par l'Église, même si l'Église cherche à le faire reconnaître. Bon, il y a une grande liberté sexuelle. Qui est une liberté prédatrice ? Une grande liberté sexuelle des hommes, bien sûr, pas des femmes. Mon cher roi, ne crois-tu pas qu'un héritier viendrait à point nommé ? De son adolescence à sa mort, Charlemagne aura cinq épouses principales. Émile Trude, son premier amour. Désiré la Lombarde, avec qui il ne s'entend pas. Il de garde, dont il a neuf enfants, mais aussi fastrade et lieu de garde. L'idéal physique carolingien, c'est chevelure longue, tressée, des fibules, des bijoux. Mais sinon, c'est hanches et poitrines assez marquées. Celle pour laquelle on sait qu'il avait de l'affection, apparemment. C'est Frastrade, il est possible qu'il en ait eu pour... Il de garde, mais c'est plutôt la mère de ses enfants. Que cherche Charlemagne lorsqu'il prend une nouvelle épouse ? Il ne cherche pas vraiment une femme, il cherche un beau-frère. Et en multipliant les mariages, les uns après les autres, il cherche surtout et avant tout à multiplier les alliances avec l'aristocratie franque. Ses cinq femmes, il les a choisies dans cinq régions différentes de l'Empire. Mais Charlemagne ne marie pas ses filles dont il ne se sépare jamais, ce qui ne manque pas d'intriguer les contemporains. Charlemagne adorait ses filles et il voulait toujours montrer à tout le monde qu'il avait de belles filles. Il semble que justement il y ait là un excès d'amour ou un excès de possession chez Charlemagne. On a pu parler d'inceste, sans doute pas. Pourquoi est-ce que Charlemagne les a laissées sans mari ? Vraisemblablement parce que Charlemagne ne voulait pas de gendre. Donner ses filles en mariage à des aristocrates, c'était le risque de voir des familles aristocratiques revendiquer une partie du pouvoir royal au nom du sang carolingien qui désormais coulerait dans leurs veines. Néanmoins ces jeunes filles étaient forcément amenées à rencontrer de jeunes hommes, de jeunes aristocrates et ce qui devait arriver arriva, c'est à dire que elles ont eu des relations avec des hommes et cette humiliation il a dû la cacher. Et Gignard précise qu'il ne montra pas du tout à quel point il était dépité de ce qui s'était passé. Pour se consoler de ses déboires familiaux, le souverain qui parle le francique, une langue proche du vieil allemand, se réfugie dans le monde de l'esprit. On n'a pas un intellectuel, mais quelqu'un qui s'intéresse à tout, qui s'intéresse à son environnement, qui s'intéresse aux sciences. Charlemagne est un homme qui aime la clarté, la rationalité. Il aime que les choses soient claires, nettes. En réalité, Charlemagne n'a jamais su écrire. Jusqu'à tard dans sa vie, il s'essayait à écrire la nuit, et il cachait sous ses oreillers les résultats très décevants de ses essais d'écriture. À cette époque, on apprend à écrire que, quand on possède entièrement la lecture, on peut être un lettré sans savoir écrire. Pour compenser ses lacunes, le roi des Francs réunit autour de lui quelques-uns des meilleurs esprits de son temps, au sein de l'Académie Palatine. Autour de Charlemagne, il y a une vingtaine d'aristocrates qui résident au palais, une vingtaine de grands lettrés qui... fréquemment à faire des joutes poétiques. Flaccus, prêtre fidèle de la félicité éternelle en Jésus-Christ. Chacun se donne un nom, alors Charlemagne va être David en référence aux droits bibliques. Par exemple, Alcuin. C'est Horace, Théodulphe, c'est Pindar. Alcuin, que dites-vous aujourd'hui de la position des pouvoirs temporels et spirituels ? Il faut plutôt essayer d'imaginer ça comme une reconstitution de ce que l'on pense avoir été l'entourage des empereurs romains. Donc un milieu très savant dans lequel la culture est déployée pour elle-même. La cour de Charlemagne est aussi le creuset d'un projet politique ambitieux. En cette fin de 8e siècle, l'Occident est morcelé en une mosaïque de peuples, issus des invasions barbares. Cet ensemble disparate, Charlemagne rêve de le réunifier, comme au temps de l'Empire romain disparu. La notion d'empire telle qu'elle est comprise à l'époque carolingienne, c'est cette notion d'empire du IVe siècle, c'est-à-dire de l'empire chrétien. Les empereurs de référence, ce sont Constantin et Théodose, c'est-à-dire les empereurs chrétiens. Un successeur des empereurs de Rome existe pourtant. Mais il se trouve en Orient, à Byzance, autant dire très loin du royaume franc. Lorsque Charlemagne et son entourage pensent à restaurer un empire d'Occident, ils pensent surtout à faire une rupture avec Byzance, c'est-à-dire à essayer de reconstituer un monde qui n'a jamais existé, mais que l'on pourrait appeler la chrétienté occidentale. Le but de Charlemagne, c'est d'instaurer, aussi loin qu'il peut le faire, une société qui est une société chrétienne. Il estime qu'il a été choisi par Dieu, non seulement lui, mais aussi les gens qui l'accompagnent, le peuple franc, pour faire advenir la cité de Dieu sur terre. L'entreprise de christianisation est au cœur. de la démarche de Charlemagne. Alors cette christianisation, il ne faut pas la concevoir comme simplement de la prédication, comme simplement l'envoi de mission. Ce n'est pas une christianisation de bons apôtres. C'est par le fer et par le feu que Charlemagne a mis en œuvre ce projet, cette idée. La chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle date de la dernière partie du règne. Elle peut se lire comme un autoportrait politique de Charlemagne, roi franc et roi chrétien. Autour de l'an 800, ce dôme est le plus important au nord des Alpes. Pour tenter de surpasser l'empereur byzantin, son concurrent, Charles fait venir de Rome et de Ravenne en Italie, par charabeux, des colonnes antiques de marbre et de porphyre. A l'origine, sur cette voûte en mosaïque, on aperçoit un grand Christ en majesté au moment du jugement dernier. Il a malheureusement été remplacé au XIXe siècle par ce nouveau décor dans le style néo-byzantin. Je vais vous faire découvrir maintenant l'endroit où le souverain se tient chaque jour lorsqu'il assiste à la messe. Assis sur ce trône au premier étage, Charlemagne incarne parfaitement la fonction d'intermédiaire entre Dieu et les hommes dont il se sent investi. De là-haut, il dispose d'un poste d'observation idéal pour contrôler le bon déroulement de la liturgie. Roi des Francs, empereur des Romains, il est le seul lieutenant de Dieu sur la Terre. A sa naissance, vers 742, le destin du jeune Charles est pourtant loin d'être tracé à l'avance. La couronne impériale est encore loin, à peine un rêve. Dans une monarchie franque, où la légitimité est fondée sur des bases fragiles, il doit s'imposer dès sa première jeunesse. Au sortir de l'enfance, le jeune Charles reçoit son épée, la spata du guerrier franc, lors d'une cérémonie solennelle. Pour le jeune prince, c'est une étape fondamentale sur le chemin du pouvoir royal. Il craigne cette épée. Il est possible que Charles se soit montré très jeune un garçon prometteur. On est quand même dans une société, il ne faut pas l'oublier, où on vit très jeune des choses très importantes parce que la vie est courte. Les circonstances exactes de la naissance de Charlemagne sont incertaines. Pour la date, on hésite entre 742 et 748. Quant au lieu, il pourrait s'agir d'un petit village de la vallée de l'Oise, Kierzi. Au 8e siècle, un palais carolingien se dressait dans ce paysage. Charlemagne y serait née lors d'une étape de la cour, au printemps. La légende veut que Charles de Mecque soit né le lundi de Pâques, ici. Ce serait une belle histoire de penser qu'il avait choisi Pâques pour naître et avoir la carrière qu'on lui a donnée par la suite. Selon le propriétaire du domaine, la villa carolingienne se situait à l'emplacement même de ce petit manoir. On pense que le bâtiment est une construction importante avec probablement autour des jardins, des potagers, enfin de quoi subvenir aux nécessités alimentaires du passage royal. Ces villas, ce sont des grands domaines fermiers, riches, des haras princiers. Ce sont de grandes maisons sans étage, toits de chaume, toits de bardeau, parfois des sous-bassements en pierre. Mais il faut imaginer quelque chose de très rustique. Charles est le fils de Pépin le Bref et de Berthe de Lens, que l'on surnommera plus tard Berthe aux grands pieds. Il grandit à la cour et suit son père dans ses expéditions. À la cour, on apprend à chasser, on apprend à se battre, on apprend à recevoir les ambassadeurs, à tenir son rang, à dire les bonnes paroles au bon moment. C'est une éducation qui est plus politique que l'éducation du monastère. Charles doit être d'autant mieux préparé que la La dynastie est encore fragile. Son père vient tout juste de s'emparer du pouvoir royal. Charlemagne est avant tout un fils usurpateur. Lorsqu'il naît, son père n'est pas roi. Charlemagne, pendant toute sa vie, reste prisonnier de ce problème essentiel, c'est que sa famille n'est pas une famille royale. Le jeune Charles appartient à une lignée d'Austrasie, les Pipinides, qui remontent au VIIe siècle. Ces grands aristocrates occupent la fonction de maire du palais, l'équivalent de premier ministre. Le plus illustre d'entre eux n'est autre que le grand-père de Charlemagne, un certain Charles Martel. Le maire du palais est une sorte d'intendant de la maison du roi, c'est-à-dire qu'il a la main sur toutes les ressources. Il est capable de conduire l'armée à la place du roi, il est capable de rendre la justice à la place du roi. Donc c'est quelqu'un qui se substitue peu à peu au roi dans son exercice. Charles Martel a hérité son surnom de l'arme qu'il utilisait, une espèce de gros marteau avec lequel il écrasait les adversaires. Dans les années 730, le grand-père de Charlemagne doit faire face à une menace d'un nouveau genre. Des troupes arabes venues d'Espagne. Adeptes de l'islam, elles pratiquent des incursions au cœur du royaume franc. Charles Martel était quelqu'un qui redoutait le danger de déchristianisation. du sud du royaume des francs il se disait si on les laisse installer le royaume franc ne sera plus un royaume chrétien il le redoutait vraiment c'est à poitiers en 732 qu'a lieu l'affrontement légendaire qui fait entrer charles martel dans l'histoire et Charles Martel a-t-il pour autant enrayé une invasion en règle ? Rien n'est moins sûr. Il est clair que cette armée d'Arabes à Poitiers n'était pas une armée de conquêtes. Elle n'était pas assez nombreuse pour être une armée de conquêtes. Ils cherchaient essentiellement à faire du but. On ne sait pas si c'est une véritable bataille ou plutôt une escarmouche. Ce qui est sûr, c'est que Charles Martel a très bien su exploiter l'événement en informant toutes les autorités voisines, et notamment la papauté, d'une grande victoire obtenue contre les Arabes. Donc cette victoire à Poitiers était un argument légitimant à conquête du trône. Charles Martel n'est jamais allé jusqu'à la conquête du trône. C'est son fils Pépin, puissant maire du palais, qui se décide à détrôner en 751 Childéric III, le dernier des Mérovingiens, en employant une stratégie originale. Pour donner un aspect plus ou moins légitime à cette déposition, Pépin le Bref a fait appel au pape. Il envoie une ambassade auprès du pape Zacharie pour demander qui doit-on appeler roi. On ne serait pas allé à Rome chercher... la réponse si on ne la connaissait pas bien à l'avance. Mieux vaut que la royauté revienne à celui qui possède le pouvoir plutôt qu'à celui à qui ne subsiste plus guère d'autorité. Et Pépin le Bref ne se l'est pas fait répéter deux fois. Dès l'année suivante, en 751, il s'est fait couronner roi des Francs et a mis de côté le dernier Mérovingien. Pour la papauté et la dynastie carolingienne, c'est le début d'une alliance durable. En ce milieu du VIIIe siècle, Rome, enclavée dans le royaume des Lombards, veut s'affirmer comme un État. En échange d'une légitimation spirituelle, le pape demande au roi des Francs d'être son bras armé. La papauté ne reconquérera des positions que par le support d'une puissance politique et militaire. Les papes l'ont cherché chez les Lombards, ils ne l'ont pas trouvé. Ils l'ont cherché à Byzance, mais Byzance est trop loin. Finalement, on a pris le plus proche, le plus digne et le plus fort. Et le plus proche, le plus digne et le plus fort, c'est le roi d'Ephraim. En 754, l'Alliance se renforce encore. Menacé par les Lombards, le pape traverse les Alpes pour se rendre à la cour de Pépin. Ce premier voyage d'un pontife hors d'Italie permet au petit Charles de jouer pour la première fois un rôle politique. C'est un événement extrêmement important. Le pape Étienne II arrive à Pontion et est reçu en chemin, en Champagne, par le petit Charles, futur Charlemagne. qui a été envoyé au devant du souverain pontife. Au nom de mon père, le roi Pépin, soyez le bienvenu au royaume des Francs. Aller accueillir le pape dont on lui explique qu'il est le personnage le plus sacré, peut-être, qui existe dans le monde chrétien, ça fait partie, sans doute, des éléments qui ont pu marquer le plus profondément un enfant. Pour la monarchie franque, la visite du pape est l'occasion d'un événement fondateur, le Sacre de Pépin-le-Bref. Il se déroule dans un des hauts lieux du royaume, l'abbaye de Saint-Denis. C'était en quelque sorte le cœur du pouvoir. Il faut se rendre compte qu'il y a des terres dans toute l'Europe qui appartiennent aux abbés de Saint-Denis, donc il y a une puissance temporelle très importante. Et puis la puissance symbolique, on va dire. Saint-Denis, le saint, est le patron particulier de la dynastie mérovingienne. Et il prend une importance encore plus marquée à l'époque carlingienne. En présence de toute l'aristocratie franque, ce sacre royal applique un cérémonial inédit. Il est inspiré de rituels visigots, mais aussi de l'onction des évêques. On met de l'huile sainte sur certains nombres de parties du corps de Pépin le Bref, de Charlemagne, le fils qui a 12 ans, et de l'autre fils, Carlemant, qui a 3 ans. C'est une manière de dire que ces rois, ils sont comme les rois de l'Ancien Testament. Donc ils sont élus de Dieu sur Terre, en quelque sorte. première fois qu'un roi franc et sacré donc c'est un événement considérable ce qui devient sacré là ce n'est pas pépin en tant que personne c'est toute cette dynastie soutien de la papauté invention de l'onction ça fait que désormais on ne peut pas mettre en cause légitimité carolingienne à sa mort en 768 pépin laisse à ses fils une alliance privilégiée avec le pape et à chacun une moitié du royaume L'arc de cercle allant du sud-ouest au nord pour Charlemagne et la zone intérieure pour Carlemans. On dit que Pépin avait prévu dans le partage que la capitale des deux frères soit Noyon et Soissons, c'est-à-dire en effet des villes qui sont très proches l'une de l'autre, de manière à ce qu'ils puissent collaborer. En réalité, on constate qu'il n'y a aucun projet de collaboration, même dans la première année. Car depuis toujours, une violente rivalité oppose les deux frères. Une seule personne les empêche de se faire la guerre, leur mère, Berthe au grand pied. Berthe semble avoir voulu exercer une forme de régence à la mort de Pépin le Bref en 768. Elle a en effet tout fait pour maintenir la paix entre ses enfants. Et sans doute, si la guerre n'a pas éclaté, Berthe y est probablement pour quelque chose. Tant que tu es de mon côté, mère, je n'ai pas à craindre mon jeune frère. Je te soutiendrai toujours, mon fils aimé, tu le sais bien. Charlemagne aime beaucoup sa mère. Il y a eu une seule occasion de désaccord entre Charlemagne et sa mère, c'est lorsque celle-ci a voulu lui faire épouser la fille du roi des Lombards. Berthe souhaite la paix avec l'Italie et la paix en Italie. Elle va obtenir que Charlemagne épouse une des filles du roi de Didier. Je vous en prie, laissez-moi vous présenter ma fille désirée. Dans un premier temps, Charlemagne obéit à sa mère et répudie son amour de jeunesse, Émile Trude. Mais le mariage lombard tourne court. Sous la pression des aristocrates francs, le jeune roi change de stratégie. Elle est répudiée rapidement parce que Charlemagne a décidé de faire la guerre aux Lombards. La stratégie d'alliance avec les Lombards aboutit à un échec et peut-être aussi au désir de Charlemagne de prendre les choses en main loin de la politique qu'a suivie sa mère. Dès lors, c'est la rupture avec Berthe. Moi, Charles, roi de tous les francs, prendrai désormais seule toutes les décisions importantes. Charles écarte sa mère de la cour et il n'y aura plus d'obstacles au conflit qu'il oppose à son frère. La tension atteint son paroxysme lors d'une révolte en Aquitaine dans le royaume de Charles. Charlemagne lève une armée pour aller combattre les Aquitains et les faire entrer dans le rang. Et il attend, comme il est normal, l'aide de son frère qui ne vient pas. Politiquement, c'était un coup grave. Ça s'apparente à de la... Il faut dire le mot, à de la trahison. La guerre fratricide ne sera évitée que grâce à un événement inattendu, la mort de Carloman. Âgé d'à peine 20 ans, il laisse derrière lui une veuve, deux fils orphelins et bien des interrogations. Car le Mans aurait été atteint d'un saignement de nez important. Et donc on peut imaginer que l'origine de saignement de nez est un poison violent qui lui aurait été inoculé par l'entourage, peut-être sous la direction de son frère Charlemagne. sans que ce soit évidemment avéré par les textes. Quoi qu'il en soit, il meurt au bon moment, ce qui permet à Charlemagne, sans attendre, d'envahir ses territoires, de venir dans la capitale de son frère, de s'y faire acclamer comme roi, et de négliger totalement les droits de ses neveux, des fils de Carlemans, qui auraient pu prétendre à récupérer son territoire. En 771 à 29 ans, Charlemagne se retrouve seule aux commandes du royaume des Francs réunifié. Je vous retrouve maintenant à Reims, la ville des sacres, dans l'ancien palais des archevêques qui jouxte la cathédrale, le palais du Thau. Achevé sous Louis XIV, l'édifice existait déjà au temps de Charlemagne. Nous arrivons ici dans la salle du couronnement de la Vierge. Et parmi ces rois gigantesques, on retrouve selon toute probabilité l'empereur Charlemagne. Mais ce palais du Thau abrite aussi un trésor. Les nombreux objets offerts par les rois de France au moment de leur sacre. Habituellement présentés et protégés dans des vitrines, nous avons aujourd'hui le privilège rare de pouvoir les admirer de près. Regardez comme ce somptueux reliquaire de la résurrection offert par le roi Henri II en 1547. On y voit Jésus surgissant du tombeau entouré de soldats romains endormis. Et ici, regardez, la nef de Saint Ursule, offerte par le roi Henri III à l'archevêque de Reims. Mais voici un objet unique, extraordinaire. Il aurait appartenu à Charlemagne. Il s'agit ni plus ni moins de son talisman. Un bijou d'or, de perles, d'émeraudes et de saphirs qu'il portait autour du cou. Ce chef-d'œuvre d'orfèvrerie carolingienne enchasse une ampoule reliquaire dont le souverain ne se séparait jamais. Et selon la légende, elle contient un morceau de la vraie croix. En l'an 1166, l'empereur d'Allemagne le découvre sur le corps même de Charlemagne. Il aurait été offert par le calife Haroun al-Rachid de Bagdad, avec lequel Charlemagne entretenait, malgré la distance, des relations plutôt cordiales. Je vous propose maintenant de découvrir un autre Charlemagne, le chef de guerre. Pendant la majeure partie de son règne, il n'a cessé de guéroyer afin de consolider, d'élargir et d'unifier ses territoires. Dans la mentalité franque, le roi doit tirer l'épée, quitte à ce qu'il ne combatte pas lui-même, et il doit être sur le champ de bataille. Sa légitimité ne serait pas concevable s'il restait enfermé dans son palais. S'il ne se montre pas comme chef guerrier, c'est le moment de se faire enlever. sa légitimité se retrouverait altérée et peut-être même anéantie. Charlemagne, contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'est pas véritablement un conquérant. Il ne cherche pas délibérément, je dirais, à s'emparer de territoires simplement pour agrandir le royaume des Francs. Mais le but, c'est toujours de consolider son royaume ou son empire. Dans cette quête d'unité, Charlemagne doit d'abord éliminer son principal rival en Occident, le roi Didier des Lombards, qui rêve d'imposer au pape son autorité. Charles franchit donc les Alpes et envahit la Lombardie. L'armée carolingienne est très bien organisée, elle est relativement nombreuse et surtout elle dispose d'une unité particulièrement puissante, c'est la cavalerie lourde. Les Carolingiens vont occuper toute l'Italie du Nord en très peu de temps car personne n'est capable de lutter contre un cavalier lourd carolingien. Les Francs contraignent le roi Didier à se réfugier dans sa capitale, Pavi. La bataille de cavalerie laisse place à une guerre de sièges qui s'éternise. Pour le jeune roi, c'est l'occasion de se rendre pour la première fois en pèlerinage à Rome, le cœur du monde chrétien. La découverte de l'ancienne métropole des empereurs romains est pour lui un éblouissement. Il arrive dans une ville qui est abandonnée en partie, où il y a des friches, où il y a des champs, où il reste des monuments qui sont plus ou moins entretenus. Mais ce qu'elle a perdu... puissance matérielle, elle le conserve en aura, en rayonnement spirituel. C'est resté la ville de la papauté, la ville de Saint-Pierre et de Saint-Paul. Et toutes les grandes églises et les grandes basiliques romaines sont encore en place. Et on dit qu'il a monté l'escalier de Saint-Pierre de Rome en baisant toutes les marches. Donc il l'a monté quasiment à genoux. La rencontre avec Adrien Ier semble être un moment extraordinaire pour Charlemagne, qui rencontre le pontife romain, mais aussi l'héritier putatif de toute l'histoire impériale. Adrien Ier, comme tous les papes à cette époque, fait partie de la très haute noblesse aristocratique. Il y a sans doute un sentiment d'autorité spirituelle et intellectuelle vis-à-vis de ce jeune homme. Après avoir salué le pape, Charles accomplit ses dévotions à Saint-Pierre-de-Rome. Le tombeau de Saint-Pierre représente un pouvoir magique qui dispense une énergie que personne ne connaît ailleurs en Occident. Si Adrien Ier entend profiter de Charles pour s'affranchir de la menace lombarde, le roi d'Effran prend conscience, pour la première fois, de ce que représente le titre d'empereur. Ce qui a dû sans doute le marquer dans ce pèlerinage à Rome, c'est Rome comme source et comme tête. de la chrétienté. Là, il y a dû y avoir quelque chose de très marquant chez lui. Il est évident que la rencontre entre Charlemagne et Rome a préparé l'idée impériale qui s'est définitivement installée dans l'esprit de Charlemagne dans les années 790. En Lombardie, c'est le dénouement. Quelques semaines plus tard, la ville de Pavie tombe aux mains des francs. Il s'empare du roi des Lombards, Didier, qu'il va remiser dans un monastère. Il s'empare également de ses neveux, les enfants de Carloman, qui s'étaient réfugiés à Pavie. Or, ces deux enfants disparaissent très rapidement des sources. Il semble bien que les deux enfants aient été mis à mort par Charlemagne. Charlemagne, évidemment, pouvait se trouver un petit peu inquiet du devenir de ses neveux, qui pouvaient réclamer la moitié du royaume, selon l'habitude des francs, mais... Il n'y a pas lieu de penser qu'il soit forcément vraiment débarrassé de façon violente de ses neveux, mais c'est vrai qu'ils disparaissent complètement des images. Il restait encore une royauté en Occident qui pouvait faire pièce à la royauté des France, c'était celle des Lombards, peuple ancien, peuple prestigieux. En devenant en 774 roi des Lombards, en prenant cette couronne de fer, tant qu'on voitait, ça l'opposait en seul concurrent de l'empereur de Byzance. Autre entreprise d'envergure, l'Espagne, alors sous domination arabe. En 777, l'émir de Saragosse, en conflit avec son souverain, se rend chez Charlemagne pour lui demander de prendre son parti et lui offrir les clés de sa ville. Il semblerait qu'il ait monté cette expédition pour consolider la frontière de son royaume sur les Pyrénées. Charlemagne, il n'avait pas anticipé une conquête de l'Espagne, mais on vient lui apporter sur un plateau une possibilité d'action. Et comme d'habitude, même s'il n'a pas de plan d'ensemble, il répond favorablement. Seulement à Saragosse, l'émir Transfuge a été remplacé et Charlemagne trouve porte close. Charlemagne a avec lui des grands seigneurs, des aristocrates qui ont participé à l'expédition aussi pour en ramener tout de même un certain butin. Alors comme on n'a pas pu prendre Saragosse, plutôt que de revenir les mains vides, eh bien ma foi, on va se rattraper sur Pamplune. L'armée franque pille la cité basque, pourtant chrétienne, et rase ses murailles. Puis reprend le chemin de l'Austrasie. C'est alors que se produit un événement imprévu, inséparable de la légende de Charlemagne. L'armée de Charlemagne est une armée lente. Elle est accompagnée de plusieurs centaines de chariots qui portent l'équipement tiré par des... et donc elle est fragmentée le long des routes. Et au moment de repasser les Pyrénées, dans le col de Roncevaux, l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne est attaquée, non pas du tout par les Sarrazins, mais par des Basques qui protégeaient la région. Et les Basques détruisent, anéantissent l'arrière-garde. Dans l'Escarmouche, une dizaine d'aristocrates sont tués, dont un certain Roland, comte des marches de Bretagne, qui sera immortalisé 200 ans plus tard dans la célèbre chanson de Roland, écrite au moment de la première croisade. La chanson de Roland, au Xe-XIe siècle, a fait de cette attaque une espèce de combat héroïque quasi homérique opposant les Francs et les Musulmans, et non pas les Francs et les Basques. On est dans un contexte qui est tout à fait différent, un contexte d'opposition entre musulmans et chrétiens. Et donc voilà un épisode qui pouvait servir à montrer que Charlemagne a été d'une certaine façon le premier croisé, alors que les questions de religion n'ont quasiment rien à voir dans l'affaire. Et cet échec espagnol a une conséquence inattendue. Le rapprochement du très chrétien Charlemagne avec le calife de Bagdad, grand rival des musulmans d'Espagne. Le calife Haroun el-Rachid, pour sceller cette bonne entente, envoie des objets précieux à Charlemagne. Il envoie une sphère armilaire. Haroun al-Rachid va envoyer une horloge hydraulique tout à fait splendide avec des petits cavaliers qui sortaient pour sonner les heures. Et il envoie aussi un éléphant. L'éléphant s'appelait Abou Labas. Donc Charlemagne n'avait pas jugé utile de changer son appelation. Il avait là un don qui lui a été fait par le calife de Bagdad quand même. C'est en imposé aux autres. Il y a un déséquilibre assez frappant entre les cadeaux qu'envoie Charlemagne et ceux qu'envoie Haroun al-Rachid. Contre l'éléphant et l'horloge hydraulique, Charlemagne envoie des chevaux, des chiens, quelques côtes de maille, mais rien de bien élaboré, bien entendu. La politique d'unification territoriale de Charlemagne passe aussi par la reprise en main de régions anciennement contrôlées par les Francs. En particulier la Saxe, pays de marécages et de forêts, dernière enclave païenne d'Europe occidentale. Une grande partie de la population saxonne rend un culte aux éléments naturels, semble-t-il. C'est-à-dire aux arbres, aux rochers, au ciel. Ainsi, les Saxons vénéraient en plein cœur de la Saxe ce qu'on appelle l'Irminsul. C'est un gigantesque arbre qui était censé assurer l'assise du ciel sur la terre. Dans les croyances germaniques, l'arbre c'est très important. C'est une divinité, le plus gros arbre de la forêt en principe. Vu de Charlemagne, ce sont des ennemis du Christ, et l'ennemi du Christ n'a pas droit à l'existence. Dès lors qu'il ne se convertit pas, il est pire que tout. Et la première chose que fait Charlemagne, c'est de couper l'Irminsoul pour montrer aux Saxons la vacuité de leur foi et de leur religion face au christianisme. L'Irminsoul a battu, la politique de christianisation peut commencer. Le seul outil de pouvoir véritablement efficace c'est l'église, parce que l'église est partout, dans toutes les paroisses. Charlemagne va donc ordonner une unification massive de ses populations, d'abord par le baptême forcé. Charlemagne va imposer le baptême à toutes les populations soumises, sous peine de mort. A la plus grande inquiétude, les hommes d'église, qui considèrent que le baptême forcé est une aberration. Cette politique suscite chez les Saxons une résistance farouche. Elle est incarnée par un chef charismatique, Vidoukind. Quelle est la stratégie de Vidoukind ? C'est de laisser pénétrer Charlemagne avec ses troupes à l'intérieur de la Saxe pendant les beaux jours. Éventuellement, on se soumet, mais de pure façade. Et une fois que l'hiver est arrivé, on... Les quelques francs qui sont restés sur place, ce qui fait qu'au printemps suivant, Charlemagne doit refaire tout ce qu'il avait fait l'année d'avant. Confronté à la guérilla en terrain difficile... Charlemagne va devoir s'adapter en adoptant la manière forte. Charlemagne a divisé son armée en escouades, des petites compagnies mobiles qui sont allées partout, dans tous les foyers en saxe. Et quand ils entraient dans une maison où ils avaient le soupçon que le maître de maison était un guerrier qui allait se révolter, eh bien tant pis, ils mettaient le feu à la maison, tout simplement. En se révoltant contre Charlemagne, ils sont parjures à leur serment de fidélité envers Charlemagne, mais plus encore et beaucoup plus grave, ils sont parjures à leur baptême, donc ils ont trahi leur parole envers Dieu. A partir de là, tout est permis envers ces gens-là. pillage, réduction en esclavage, Charlemagne multiplie les mesures de répression. Mais c'est à Verden, en 782, que la guerre semble culminer dans l'horreur. Il récupère à peu près 4500 des jeunes garçons et des hommes pris dans les villages du sud de la Saxe. Et pendant une journée entière, il les fait tous décapités les uns après les autres. 4500 personnes décapitées en raison de la révolte des Saxons. Et on nous raconte que l'eau du fleuve sur les bords duquel s'était passée cette tuerie, l'eau était entièrement rouge à cause du sang des tués. Pour soumettre la Saxe, Charlemagne met en place une législation d'exception. Le capitulaire saxon. Sera condamné à mort toute personne qui tuera un autre homme dans le but de l'offrir en sacrifice aux idoles païennes. Le moindre manquement aux ordres de Charlemagne, le moindre manquement à la foi chrétienne, était puni de mort. Par exemple, si on mange de la viande en carême, on est exécuté. Le crime religieux devient un crime politique, le crime politique... qui est un crime religieux qui justifie la répression la plus féroce. Toute tentative de se reconstituer en nation, je ne dis pas en nation païenne, mais en nation tout court, était réprimée avec la dernière violence à tel point que l'entourage de Charlemagne, notamment l'abbé Alcuin, a dit à l'empereur qu'il avait la main trop lourde. Mais il faut encore attendre trois ans pour que Widukind, en 785, prenne la décision d'abandonner le combat. Il a estimé que si ça continuait encore trop longtemps comme ça, les derniers résistants seraient aussi les derniers saxons. Et donc c'était tout le peuple saxon qui allait y passer. Vitukind est allé à la rencontre de Charlemagne, il est descendu de son cheval, il s'est étagelouillé, et Charlemagne l'a embrassé. Et ça s'est terminé comme ça. C'est très symbolique, l'époque donne beaucoup d'importance au symbole. Surtout, Widukind accepte d'embrasser la foi chrétienne. Et son parrain de baptême n'est autre que son vainqueur, Charlemagne. Ça oblige en quelque sorte Widukind à respecter son engagement, la foi qu'il a donnée à Charlemagne. C'est là encore une fois que l'on s'oriente un peu, tout doucement, vers les débuts de la feudalité. Dix ans plus tard, il y a eu un deuxième capitulaire saxon, où là, ce qui était condamné de mort, par exemple, rompre le carême, refuser d'aller à la messe, devient puni d'une amende, ce qui signifie sans doute que les saxons étaient en train progressivement d'adopter les règles du christianisme qu'ils avaient été obligés d'accepter. En soumettant la Saxe après 30 ans de guerre, Charlemagne a réussi un exploit dont les Romains s'étaient montrés incapables. Cette victoire sans partage fait de lui plus que jamais l'incontournable champion de la chrétienté. Cette tribune de l'actuelle cathédrale d'Aix-la-Chapelle, que l'on appelle un embon, servait à l'annonce de la bonne nouvelle, c'est-à-dire la lecture des textes. Elle date du XIe siècle et son décor célèbre les quatre évangélistes. Certi dans le cuivre doré, on y découvre de nombreux objets de pierre dure, dont des camés antiques, des tasses en cristal ou même des pièces de jeux d'échecs. Le chœur gothique où nous nous trouvons date du début du XVe siècle. Mais c'est l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen qui, deux siècles plus tôt, fait placer le corps de Charlemagne dans ce reliquaire d'argent doré. Les parois sont ornées des effigies de ses descendants, les empereurs romains germaniques et Charlemagne trônent à l'une des deux extrémités entourées du pape et de l'archevêque de Reims. Juste en face, une autre chasse en argent doré, somptueusement ornée de pierres précieuses, contient des reliques collectées par Charlemagne en Orient. Et selon la tradition, il s'agit de la robe de la Vierge, des langes de Jésus, du tissu ayant enveloppé la tête coupée de Saint Jean-Baptiste, et du perisonium, le vêtement que portait Jésus sur la croix. Tous les sept ans, à l'occasion d'une cérémonie solennelle, ces textiles qui symbolisent la vie du Christ sont montrés aux fidèles. Le règne de Charlemagne correspond à une véritable floraison dans le domaine des arts et de la culture, au point qu'on peut parler d'une renaissance carolingienne. Pour Charlemagne, après les conquêtes territoriales, c'est l'occasion d'aller plus loin encore dans son entreprise d'unification de l'Europe. Il y a une chanson célèbre que toute une génération a prise par cœur et dont cette question qui a eu un jour cette idée folle d'inventer l'école C'est ce sacré... Charlemagne n'a pas inventé l'école, les Romains avaient inventé l'école. En revanche, et c'est ça qui est important, Charlemagne est le premier depuis longtemps à avoir pris des mesures pour permettre l'éducation. Dans un fameux texte de loi qui s'appelle l'admonition générale, l'admonitio generalis, Charlemagne dit qu'il y ait dans tous les monastères et tous les évêchés des écoles. Des écoles pour les garçons qui sont appelés à devenir les prêtres ou des moines, ceux qui prient pour le peuple et ceux qui encadrent la vie religieuse du peuple. Au fur et à mesure, il va demander à ce que ces écoles, dans les villes épiscopales ou dans les grandes abbayes, soient aussi ouvertes à quelques enfants de la noblesse. Pour Charlemagne, le développement de l'école s'enracine dans le projet global du règne. Conduire les peuples de son immense empire au salut. Il s'agit de donner au peuple chrétien l'accès au savoir et évidemment l'accès au texte par excellence qui est le texte de la Bible. Tout ce que nous appelons renaissance carolingienne est orienté vers la connaissance de la Bible et vers la connaissance de Dieu. Pour mieux connaître les choses de Dieu, on apprend la rhétorique, l'arithmétique ou la musique, mais surtout le latin et sa grammaire. Le livre de base pour la connaissance, la lecture, l'écriture, c'est le livre des... psaumes, le livre biblique des 150 psaumes qui sont donc 150 prières sous forme poétique et ce livre des psaumes, eh bien on commence par l'apprendre par coeur, par l'apprendre par coeur en le chantant puis en le lisant puis en l'écrivant. Le maître agit avec la férule, une mauvaise réponse et c'est un coup sur la tête ou sur les doigts. En formant l'Éclair, Charlemagne cherche d'abord à favoriser le renouveau de la liturgie, le rituel des célébrations religieuses. Une liturgie qui se trouve au cœur de sa politique d'unification culturelle. En Gaule, on avait différentes traditions. La messe en Aquitaine n'était pas tout à fait la même que la messe qui était dite dans le nord de la Gaule. Il y avait des variantes. Or, les variantes sont un signe de dispersion. C'est Babylone. Si on prie Dieu de façon différente, quelle est la bonne prière ? Si vous célébrez la messe selon toutes les règles... de qualité et de piété, à ce moment-là, Dieu vous enverra ses bénédictions et à ce moment-là, le peuple franc sera vainqueur. Donc Charlemagne récupère toute une série de manuscrits qui lui semblent importants, notamment les manuscrits du texte de la messe, et il les demande carrément au pape lui-même. Charlemagne essaie d'unifier sa liturgie autour du chant. Le chant que l'on appelle grégorien, puisqu'il remonte en théorie au pape Grégoire Ier. En réalité, ce chant est assez novateur et c'est un chant savant. Quelque chose qui désormais ne peut plus être réellement chanté par le peuple. On va voir apparaître les premiers traités de musicologie à cette époque-là, avec des otations musicales qui commencent un peu à ressembler aux nôtres. Sur le terrain, l'unification de la liturgie se traduit par un extraordinaire renouveau des arts sacrés, et notamment de l'orfèvrerie. D'origine géorgienne, l'orfèvre contemporain Gucci s'inspire aujourd'hui encore des artisans du VIIIe siècle. J'ai eu le grand privilège d'être sollicité pour créer ces trois objets. Cube baptismal, chandelier pascal et une aiguille. Ces trois objets, ça sert pour la cérémonie de baptême. Par exemple, Jean-Paul II baptisait plusieurs adultes dans cette cube baptismale. Ces trois objets sont faits en cuivre repoussé, donc c'est des cuivres argentés. Vous voyez l'application de pierres dures. Chaque pierre a son symbolique. Évidemment, la couleur rouge, c'est la couleur du sacrifice. Par exemple, cette poisson, c'est une fossile de vraie poisson. C'est le symbole même des premiers chrétiens. Maître de la pierre et du métal, Guggi a pour repère un atelier très secret de la butte Montmartre où il pratique encore les techniques d'autrefois. Ici, on travaille pour les plus grands sanctuaires, comme la cathédrale de Chartres. Parmi les 25 objets créés pour ce lieu, un évangéliaire, comme on pouvait en voir au temps de Charlemagne. Depuis la chute de l'Empire romain, il y a eu une vide, il ne se passait pas grand-chose, et tout d'un coup, il y a eu une explosion. Chaque objet a une destination bien précise. Soit c'était les rolicaires, soit c'était les monstroses, soit c'était les ciboires, le calice, le custode, Aquamanil. Donc tout, tout, tout, tout tenait dans ce formidable développement du christianisme de l'époque. Pour mener à bien l'unification culturelle de l'Europe, Charlemagne s'entoure d'une équipe de chocs. Des savants venus des quatre coins de l'Occident chrétien, comme le poète visigot Théodulf, ou encore le théologien anglais Alcuin. Là, regarde ! c'est le grand Alcuin de York. C'est lui désormais qui sera ton nouveau maître. Alcuin, c'est un auteur, c'est un théologien. Il ne devait pas être un compagnon d'une extrême drôlerie. Mais c'était un puits de science. Et Ginard, le biographe de Charlemagne, dit de lui qu'il était l'homme le plus savant de son temps. Alcuin devient ce qu'on peut appeler son ministre de la culture si on veut faire des rapprochements avec ce qui se passe aujourd'hui. Son conseiller le plus écouté est certainement le grand penseur de la Renaissance carolingienne. De ses conseillers, Charlemagne fait des évêques, mais surtout des abbés, qu'il nomme à la tête des grandes abbayes de son royaume. Charlemagne veut faire des monastères, une espèce de colonne vertébrale spirituelle, grâce auquel la foi chrétienne va circuler à travers le royaume. La mission première du moine, c'est de prier. De prier pour le salut de l'empereur, pour le salut de son gouvernement, et pour le succès de ses âmes. Dans les régions nouvellement conquises, une des premières choses que l'on fait, c'est de créer des abbayes. C'est là que se fait une grande partie de ce travail intellectuel, d'écriture, de copie de manuscrits, de transmission de la culture antique. Fondée en 719, l'abbaye bénédictine de Saint-Galle en Suisse a été l'un des plus grands sanctuaires des temps carolingiens. Entièrement reconstruite à l'époque baroque, elle est riche d'une superbe église dédiée à l'ermite singale, mais aussi de l'une des plus anciennes bibliothèques au monde. Ici nous sommes à l'entrée de la bibliothèque abbatiale et il y a une inscription très intéressante là-bas en grec qui dit Psyches iatreon ça veut dire c'est un sanatorium de l'âme C'est l'idée qu'on prend un livre de rayonnage de la bibliothèque comme on prend un médicament dans une pharmacie. Véritable écrin de stucs et de boiseries, la bibliothèque est un chef-d'œuvre du baroque tardif où sont conservés les trésors les plus rares. Le programme de peinture ici, elle orthodoxie la foi. Et il y a quatre représentations du concile œcuménique sur le plafond. Dans les monastères, le lieu le plus important après l'église est le scriptorium, le lieu où l'on copie les manuscrits. Il y a de toute évidence chez Charlemagne l'objectif de rassembler une matière intellectuelle et religieuse qui va servir un projet politique. Du coup, ces manuscrits, parce qu'ils servent un projet politique, doivent être sans erreur, sans faute. parfait. D'où l'investissement qu'il met dans ces monastères à faire copier avec une grande qualité ces manuscrits. Dans les années 560-570 se développe une écriture extrêmement lisible, extrêmement belle, que l'on va appeler la minuscule Caroline. Et comme elle est beaucoup plus lisible, beaucoup plus facile à écrire, qu'elle permet une diffusion beaucoup plus ample des œuvres, et bien elle va se multiplier partout. Et c'est à Saint-Gal qu'aujourd'hui encore, on conserve certains des plus beaux témoignages de ce minutieux travail sur parchemin. C'est un des livres les plus importants qui vient de la France à Saint-Gal, c'est la grande Bible d'Alcuin dans un volume. C'est une Bible qui était diffusée en toute l'Europe, parce que le but de Charlemagne était d'avoir un texte uniforme de la Bible dans son royaume. Chaque monastère qui avait un manuscrit comme ça avait aussi un modèle pour l'écriture. In principio creavit Dominus caelum et terra Au début, Dieu créait le ciel et la terre. Il faut 300 ou 400 moutons pour faire une Bible. Donc ça représente, indépendamment du travail, d'écriture, de peinture, déjà, j'allais dire, un capital considérable. Le livre, à l'époque carolingienne, est un objet de luxe. Et en plus, vous y rajoutez des enluminures, des images, alors là, on arrive dans l'objet de collection de très grand luxe. Le manuscrit enluminé est, à l'époque carolingienne, l'équivalent de la collection de peinture dans le monde contemporain. Seuls quelques très grands princes, quelques très grands monastères pouvaient s'offrir des manuscrits enluminés. Parmi ces trésors, l'un des plus beaux est conservé à Paris, à la Bibliothèque Nationale. Il s'agit du tout premier manuscrit illustré de la collection de Charlemagne, l'évangéliaire de Godescalque. Mais au-delà de sa fonction liturgique, la copie des manuscrits a un effet inattendu, dont nous bénéficions toujours aujourd'hui. Comme le latin s'imprend par les anciens, par les auteurs païens de l'Empire romain, les lettrés, les clercs vont être amenés à découvrir les textes païens de l'Antiquité. C'est par des manuscrits carolingiens que beaucoup de textes de l'Antiquité, de Cicéron, de Titlib, de Salustre, etc. nous ont été transmis. On estime qu'il y a 700 œuvres antiques latines. On en connaît 150. Notre culture classique, c'est 150 œuvres. Et ces 150 œuvres, la plupart, nous les connaissons par des manuscrits carolingiens. Ce que les carolingiens n'ont pas sélectionné, eh bien, ne fait pas partie de notre culture classique. Je vous propose maintenant de découvrir l'un des plus beaux ensembles d'arts sacrés du monde occidental, le trésor de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. Derrière les épaisses portes blindées de cette chambre forte se trouvent certains des plus précieux souvenirs de Charlemagne. Suivez-moi. Voici le sarcophage antique qui lui a servi de premier tombeau. Il l'avait fait venir spécialement de Rome de son vivant. Il représente le rapte de Proserpine par Pluton, le dieu des enfers. Ce bras reliquaire est un reliquaire parlant. Il indique par sa forme l'élément du corps de Charlemagne qu'il contient. Il a été offert à la cathédrale en 1480 par le roi de France Louis XI, dont on reconnaît le blason. Ce reliquaire, quant à lui, abrite la calotte crânienne de Charlemagne. Il prend la forme d'un buste idéalisé de l'empereur. Il aurait été offert en 1349 par l'empereur allemand Charles IV à l'occasion de son couronnement. Vous le constatez, les dynasties royales françaises et allemandes se réclament toutes les deux de Charlemagne. A l'origine de cette fascination, on trouve un événement destiné à marquer pour toujours l'histoire de l'Europe, le courant. Le couronnement impérial de Charlemagne le 25 décembre de l'an 800. Il faut dire que le contexte est idéal. À Byzance, suite à un coup d'État, il n'y a plus d'empereur en titre. Et dans les derniers jours de l'année 799, c'est un événement inattendu à Rome qui va offrir à Charlemagne cet aboutissement. En 799, le pape Léon III, qui a été récemment élu pape, est en difficulté avec l'aristocratie romaine. Lors d'une procession, le pape est victime d'un guet-apens. C'est assez violent, semble-t-il. Il est sévèrement battu. Une tentative est faite pour lui couper la langue et lui crever les yeux. Léon III est un bureaucrate de la curie qui a bien du mal à s'imposer comme un grand pontife. C'est un homme de rien, qui vient de on ne sait d'où, et d'autre part, il s'intéresserait de trop près au sexe opposé. Qu'est-ce qu'on lui reproche réellement ? Peut-être tout simplement d'avoir eu une politique trop autoritaire contre telle ou telle famille aristocratique de Rome. Quoi qu'il en soit, il doit fuir. Afin de sauver sa peau, le pape se réfugie auprès du roi Charles à Paderborn, en Saxe, et lui demande de l'aider à reprendre son trône. Votre Altesse, Dieu vous a désigné pour que vous soyez le protecteur de l'Église. Je vous en prie, relevez-vous, très Saint-Père. Échaudé par la mauvaise réputation du personnage, Charlemagne hésite à intervenir. Mais ses conseillers y voient une occasion à ne pas laisser passer. À mesure que son pouvoir s'étend, à mesure de ses conquêtes, à mesure de sa réussite, Charlemagne, ou surtout son entourage, font apparaître le fait que l'Occident est christianisé sous sa gouverne. Et là, Alcuin, qui préparait très certainement depuis longtemps la renaissance du titre impérial dans l'Europe de l'Ouest, a devant lui une situation absolument exceptionnelle. Et si c'est la volonté de Dieu, cher maître Alcuin, avec votre aide, j'emprunterai volontiers le chemin qui mène à la plus haute dignité du pouvoir temporel. Charlemagne va donc venir à Rome pour essayer de réinstaller Léon III sur son siège. Et il va en profiter pour essayer pour lui-même de conquérir l'Empire. Pour rétablir Léon III, il faut d'abord le laver de tout soupçon. Charlemagne décide de mettre en place une procédure exceptionnelle. Lord Ali, le jugement de Dieu. Le jugement de Dieu peut consister par exemple... À marcher sur des braises. Si on en sort les pieds intactes, c'est que Dieu l'a voulu. On vous brûle la main et selon l'état de la main après la brûlure, vous êtes décrété innocent ou coupable. Ou bien on vous met un peu la tête dans l'eau et si vous survivez, c'est que Dieu estimait que vous deviez survivre. Mais par égard pour la dignité du pape et pour ne pas insulter l'avenir, Charlemagne choisit une méthode moins douloureuse. Il demande à Léon III de prononcer un serment purgatoire dans lequel l'accusé doit jurer de son innocence. serment. Moi, Léon, pape de la Sainte Église romaine... Il est demandé au pape Léon III de se purger des accusations sur ce qu'on appelle la confession de Saint-Pierre et sur les reliques et sur les évangiles et tout. tout ce qu'il y a de plus sacré au monde. Je me justifie devant Dieu en proclamant que ces actes criminels, je ne les ai ni moi-même accomplis, ni laissés accomplir par qui que ce soit. Les choses repartent. Il est réconcilié, dit-on, en termes chrétiens. Léon III a été rétabli dans ses fonctions, mais il n'en mène pas large. Le grand vainqueur, c'est Charlemagne. Pour Charles, l'heure de la consécration suprême a sonné. Profitant de son ascendant sur le pape, il prévoit de se faire couronner empereur deux jours plus tard, à l'occasion de la fête de Noël. Le rituel qui est adopté pour le couronnement impérial semble assez improvisé. Donc on peut supposer qu'il arrive à Saint-Pierre-de-Rome dans son habit de cérémonie ordinaire. Pour couronner quelqu'un empereur, il y a trois moments normalement. L'empereur est d'abord acclamé. Il est donc proclamé empereur par le peuple. Ensuite, le pape couronne l'empereur. Mais le pape couronne quelqu'un qui est déjà empereur. Et enfin, troisième partie, le pape se prosterne devant l'empereur. Bon, c'est quelque chose d'assez formel. Bon, donc, acclamation, couronnement, prosternation. C'est ainsi que ça devait normalement se produire. Mais au tout début de la cérémonie, alors que Charlemagne est en prière devant le tombeau de Saint-Pierre, le programme ne se déroule pas vraiment comme prévu. Le pape a sorti du trésor de Saint-Pierre une couronne. Ça ne manque pas dans le trésor de Saint-Pierre, tout le monde a donné des couronnes, donc on peut supposer qu'il a une couronne à fournir. On nous dit qu'elle est très précieuse, on va bien le croire. Le pape est arrivé par derrière pendant que Charlemagne priait. Et il a posé d'autorité en quelque sorte la couronne sur la tête de Charlemagne. Et là tout le monde a crié, c'était les vivas, l'acclamation. Charlemagne est donc empereur, mais pas tout à fait comme il l'aurait souhaité. Charlemagne s'est fait avoir parce que c'est le pape qui fait l'empereur. Là, le pape a voulu montrer que, eh bien, Charlemagne avait la force matérielle et militaire, mais lui, pape, avait la force spirituelle. Là, il a piqué une colère. Son biographe nous dit que s'il avait su que ça se passerait de cette façon-là, il ne serait pas entré dans la basilique ce jour-là. Car le geste du pape a une portée considérable. Dorénavant, on ne couronnera plus les empereurs de la même façon. Désormais, si c'est bien le pape qui distribue la couronne impériale, il faudra que chaque nouvel empereur vienne à Rome ou au moins dispose de la personne du pape pour pouvoir prétendre à ce titre impérial. Pour autant, ce couronnement ne change pas grand-chose au quotidien du nouvel empereur de 58 ans. Charlemagne a beaucoup cru à ce titre impérial, puis il s'est rendu compte que son véritable pouvoir était autre. Le titre impérial est une breloque que l'on rajoute à une titérature déjà fournie de roi traditionnel, c'est-à-dire de roi territorial. Donc il y a peut-être chez Charlemagne une amertume qui grandit, un besoin de se poser aussi, comment être aussi un homme d'un certain âge. Charlemagne accorde une importance croissante à son activité de réformateur. Il multiplie les capitulaires, des textes de loi où il donne libre cours à son esprit pratique. Il diffère sur tout, sur l'économie, sur la politique, sur la justice, même jusqu'à la direction des vents puisque Charlemagne change le nom des vents pour essayer de normaliser les pratiques. Surtout, Charlemagne invente pour l'Europe une monnaie unique, le denier. Le cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale en conserve un exemplaire rare, qui est aussi un instrument de communication. Alors on sait que ce denier a été émis... par Charlemagne à l'époque où il était empereur. C'est un buste drapé et lauré à la romaine, mais avec une petite touche naturaliste et qui marque son identité propre, qui est sa moustache. C'est à peu près une des seules représentations potentiellement réalistes de Charlemagne qu'on ait. Et de l'autre côté, on voit un petit temple qui accompagne la légende Christiana Religio. C'est l'importance de l'appui de l'Église et du statut de roi chrétien. Pour le peuple de l'époque, ce genre de monnaie a sans doute été un des vecteurs principaux d'information autour de la renaissance de l'Empire et un des moyens principaux qu'avait Charlemagne d'exprimer sa puissance nouvelle. Cet empire est quand même gigantesque pour l'époque, donc il met en place une administration également uniforme. Il va utiliser ses fils pour créer des sous-royums en faisant des grands commandements régionaux confiés à chacun de ses trois fils. Et c'est une des grandes nouveautés de l'époque carolingienne que la mise en place d'un réseau de comptes dans les différentes régions et de contrôleurs de ces comptes que l'on appelle les missi dominici, les envoyés du maître. Ce sont des équipes d'enquêteurs qui, au nom du souverain, circulent sur le territoire et vont voir si l'évêque est honnête, si le comte n'a pas triché dans un procès, etc. Parmi ces Missi Dominici, l'un des plus remarquables est le poète Théodulf, évêque d'Orléans et abbé de Fleury. Dans le Loiret, l'oratoire de Germini des Prés témoigne aujourd'hui encore de son influence considérable auprès de Charlemagne. Cette église qui a la réputation d'être une des plus anciennes églises de France, voire la plus ancienne, est en fait un oratoire, c'est-à-dire une église privée. Ce n'est pas l'église paroissiale, c'est l'église d'une villa que possédait Théodulphe ici, qui était en quelque sorte sa résidence de vacances. Théodulphe joue un rôle de premier plan. à l'occasion de la crise iconoclaste. Elle oppose Charlemagne aux Byzantins sur le culte des images, une spiritualité dont il se méfie. Cette querelle théologique inspire à Théodulf le décor unique en Europe de cette petite église de campagne. Dernier témoignage des mosaïques carolingiennes. Dans l'idée de Théodulphe, il fallait arriver à représenter Dieu dans l'Église, mais ne pas le représenter sous les traits d'un homme. Donc il va utiliser un objet pour ce faire. Cet objet, c'est l'Arche d'Alliance. Dans l'Ancien Testament, la... L'arche d'alliance est un coffre dans lequel les Hébreux conservaient leur bien le plus précieux, c'est-à-dire les tables de la loi. Théodulphe va se dire, si je représente l'objet qui contient la parole de Dieu, je montre que Dieu est là sans montrer Dieu lui-même. Devenu empereur, Charlemagne se passionne de plus en plus pour les questions religieuses, au point de modifier une partie du credo, la profession de foi des chrétiens. Une évolution théologique aux conséquences incalculables, qui sépare encore un peu plus le christianisme d'Orient de celui d'Occident. En intervenant et en précisant ce que les gens doivent croire et ce qu'est le Dieu vers lequel on se destine. il est véritablement dans sa position de lieutenant de Dieu sur la terre. La tête de l'Église, c'est Charlemagne. C'est l'empereur qui a à la fois l'autorité ecclésiastique et le pouvoir du roi. Et ça, dans la tradition antique des empereurs du IVe siècle, de Constantin et de Théodose. Toujours doté d'une santé de fer, Charlemagne connaît pourtant une triste fin de vie. Autour de lui, les deuils s'accumulent. Je te voilà enfin, mon fils. Charles, le plus grand, qui était sans doute le plus brillant d'entre les fils, disparaît rapidement, suivi de peu par Pépin d'Italie. Il ne lui reste plus qu'un fils, Louis le Pieux, en qui il va devoir trouver un successeur. Il devient plus sédentaire. Il est à Aix-la-Chapelle presque tout le temps. On sait qu'il est atteint de crises de gouttes extrêmement douloureuses. Donc il est un petit peu diminué, un petit peu affaibli. Mais c'est surtout son empire, si durement consolidé, qui commence à donner des signes de faiblesse. Charlemagne a vu les premiers dracards normands Envahir la Normandie, enfin ce qui sera plus tard la Normandie. Charlemagne qui est sur la falaise et qui voit les navires danois qui sont... ...et qui se met à verser quelques larmes car il se dit que va-t-il arriver après ma mort ? Tant que je suis là ça va, mais quand je serai mort, qu'est-ce qui va arriver ? Je pense qu'il avait pressenti la fin de son empire. Avec lui ! Sans aucun doute, oui. Il a vu sa mort venir. Et Génard raconte même que cette mort a été annoncée par des présages météorologiques. Des comètes bien entendu, des éclipses, alors tout ça c'est pas très bon comme signe avant-coureur. En décembre 1813, il est en train de chasser dans les Ardennes, lorsque soudain, il a froid. Il est atteint visiblement d'une pleurésie, une pneumonie qui tourne mal, qui évidemment ne s'est pas soignée, et qui le met sur le flanc dans les derniers jours de l'année 813. Ses médecins lui conseillent d'aimer spécialement apprêter, mais lui décide de se mettre à une diète totale, et il va s'affaiblissant. Il est mort le 28 janvier 814, à l'âge de 71-72 ans à peu près. Pour les gens du Moyen-Âge, c'est la bonne mort. La mort subite, ça fait peur. Il faut avoir le temps d'abord de se repentir de ses péchés, c'est très important si on veut aller au paradis, et ensuite de régler ses affaires terrestres. Il a eu dans ces derniers moments l'assistance de ses chères filles qui étaient présentes à Aix. Il a toujours été un homme du clan, un homme de l'ethnie, et il est mort très certainement comme ça. De cette place du marché dominée par la statue de Charlemagne portant la couronne, l'épée et le globe de l'Empire, on accède à l'hôtel de ville d'Aix-la-Chapelle. Le bâtiment date du XIVe siècle mais il a été bâti à l'emplacement exact de l'aula, l'ancienne résidence de l'empereur. De 936 à 1541, 30 empereurs du Saint-Empire romain germanique sont couronnés ici par fidélité au souvenir de Charlemagne. Nous entrons maintenant dans la salle dite des couronnements. Le nouvel empereur y entre en vêtements de cérémonie afin d'assister ici à un grand banquet. Au milieu du XIXe siècle, l'endroit a été décoré par le peintre ex-soi Alfred Rettel. Ses fresques relatent les grands moments de la vie de Charlemagne. La chute de l'Irminsoul, la prise de Pavi en Lombardie ou encore la campagne contre l'Espagne dominée par les Arabes. Charlemagne mort, ses aventures symboliques ne font pourtant que commencer. Son couronnement de l'an 800 et l'étendue de son pouvoir font de lui un modèle indépassable pour les souverains européens au point d'être considérés comme un saint au Moyen-Âge. À Aix-la-Chapelle, le 28 janvier est une date particulière. On fête l'anniversaire de la mort de Charlemagne. Dans l'église qu'il a construite il y a 1200 ans, une messe solennelle est célébrée en son honneur. Ce jour-là, plus que tout autre, le fantôme de l'illustre empereur hante la cathédrale. Aachen est très fière de Charlemagne. Les habitants d'Aix-la-Chapelle célèbrent avec cette messe leur passé grandiose. Et on a l'impression qu'ils vivent pendant deux heures comme si Charlemagne était encore parmi eux. Voilà plus d'un millénaire que la légende de Charlemagne, unificateur de l'Europe, poursuit son règne. Une légende qui a progressivement gommé sa part d'ombre pour faire de lui l'un des personnages les plus consensuels de l'histoire. C'est un personnage qui ne fait pas peur, alors que je pense qu'il a terrorisé une grande partie des populations européennes. Donc ça, c'est un peu un paradoxe. Il témoigne d'une énergie physique, d'une solidité mentale qui le rend inégalable. C'est quand même un criminel de guerre, ayant été également un fanatique religieux, responsable de nombreuses conversations forcées. Cette légende de Charlemagne a pour point de départ un événement hors du commun. Il se déroule en l'an 1000 au sein même de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. L'ouverture du tombeau de Charles par l'empereur germanique Othon III. Un épisode qui a donné lieu à des récits extraordinaires. Il raconte qu'il a trouvé Charles enterré assis sur un trône avec tous les attributs du pouvoir dans la main, le sceptre, la couronne, etc. Ce qu'a fait Houton, et ça on en est sûr, c'est qu'il a pris dans la tombe de Charlemagne non pas des attributs du pouvoir, mais des reliques avec lesquelles Charlemagne était enterré. On sait aussi qu'il lui a coupé les ongles. Parce que ces rognures d'ongles pouvaient déjà apparaître comme des reliques. À partir du moment où la tombe est ouverte, Charlemagne, sans véritablement devenir un saint, devient le fondateur symbolique de la puissance impériale en Occident. La sainteté, Charlemagne y accède 150 ans plus tard, grâce à l'empereur Frédéric Barberousse. Mais cette canonisation est controversée, car elle est prononcée par un antipape. Frédéric Barberousse ne reconnaît pas le pape Alexandre III, il reconnaît un autre pape qui s'appelle Pascal, et c'est ce pape-là qui va donner son accord pour la canonisation de Charlemagne. Dans ce contexte très étrange, la canonisation est entendue et discutable, et la sainteté de Charlemagne ne sera jamais confirmée par le siège apostolique. Jamais infirmé non plus. Ce qui fait que Charlemagne se retrouve, pendant le second millénaire, dans un statut intermédiaire, disons un personnage en réputation de sainteté. Le but est purement politicien pour Frédéric Barberousse. Comme il se rattache à Charlemagne, avoir comme ancêtre un saint, c'est un moyen de se grandir, surtout face à la papauté, bien entendu. Charlemagne, qui n'a eu de cesse de se légitimer, va dès lors être revendiquée par tous les souverains germaniques, mais aussi par les rois de France. Les chansons de gestes ont, dès le Moyen-Âge, célébré les qualités de ce prestigieux ancêtre. Dans la chanson de Roland, Charlemagne est un personnage qui ne fait pas peur, c'est le bon roi. qui rend la bonne justice, qui s'entoure des bons conseils. Un Charlemagne vénérable, non guerrier, un Charlemagne pacificateur, qui est désormais beaucoup plus acceptable pour l'ensemble de l'opinion publique. Et quand la monarchie capétienne se trouve en mal de légitimité, elle appelle Charlemagne à la rescousse. La monarchie capétienne valorise le sacre. Valorisant le sacre, elle va avoir tendance à essayer de se rapprocher de la monarchie carolingienne et donc à se revendiquer d'un héritage du grand Charles. Ce faisant, elle va développer toute une série d'objets, de symboles attachés à la mémoire carolingienne dont les plus marquants sont les régalia. Parmi ces objets qui étaient remis au roi lors du sacre, il y a l'épée dite de Charlemagne, appelée Joyeuse dans la chanson de Roland. mais aussi le sceptre orné d'une statuette de l'empereur. Ces précieux symboles de la monarchie sont depuis passés dans les mains de plus d'une trentaine de rois. Aucun n'a pourtant jamais appartenu à Charlemagne. Je pense que ce qui fait la valeur de la référence à Charlemagne, c'est la solidité de la référence. C'est-à-dire un roi dont personne ne doute qu'il a été un des plus grands rois chrétiens d'Occident. Toutefois, cette référence est fragilisée au cours du siècle des Lumières. À cette époque, le roi des Francs passe surtout pour un guerrier sanguinaire. C'est un Franc, donc c'est un barbare, donc c'est un sauvage, pour beaucoup de philosophes des Lumières qui n'aiment pas du tout ce passé-là. Voltaire a utilisé l'expression, quand il se référait à Charlemagne, le tyran Charles surnommé Magne. Donc pour Voltaire, Charlemagne, c'est un abominable missionnaire à coups de hache contre les Saxons, évidemment pour vous. Voltaire, c'est quelqu'un d'exécrable. Mais Charlemagne ne tombera pas aux oubliettes pour autant. Après la Révolution, c'est un autre conquérant célèbre qui le remet sur le devant de la scène. Séparés par un millénaire, Napoléon et Charlemagne partagent certaines particularités. Lorsque Bonaparte prend le pouvoir et surtout lorsqu'il cherche à reconstituer un empire en France, il lui faut des références. Or ces références, il ne peut pas véritablement les trouver dans la monarchie française. L'ancien régime a vraiment trop mauvaise presse. Mais comme il veut fonder en même temps... une dynastie, je crois que la dynastie carolingienne lui paraît une référence qui est assez... Elle est très lointaine, donc il n'y a pas besoin quand même de faire des références trop précises. Elle est glorieuse puisque Charlemagne a conquis la plupart des territoires européens, donc tous les éléments coïncident. Pour s'imprégner du personnage... Napoléon va jusqu'à effectuer le pèlerinage d'Aix-la-Chapelle. Je crois que la petite histoire, Joséphine s'est assise sur le trône de Charlemagne, ce que Napoléon lui-même n'a pas osé faire. Ça portait peut-être malheur de le faire. Je crois que ce pèlerinage légitimait par avance la cérémonie du 2 décembre 1804 à Notre-Dame-de-Paris. Une cérémonie du sacre qui s'inspire ouvertement de Charlemagne. Au musée du Louvre, on conserve toujours la couronne qui a servi ce jour-là. Une couronne fabriquée de toutes pièces pour l'occasion. C'est donc la célèbre et fameuse couronne dite de Charlemagne. Elle n'a évidemment jamais appartenu à Charlemagne, mais elle est censée représenter et être la couronne qui avait servi ou qui aurait servi à Charlemagne lui-même. Il y a la couronne proprement dite, faite de fleurs de lys, enrichie de camées qui ponctuent toute la circonférence. Et puis les arceaux, puisque c'est une couronne fermée, c'est-à-dire une couronne impériale. Et puis au sommet, bien sûr, l'orbe, le symbole de la terre, évidemment surmontée par la croix. L'orfèvre Martin-Guillaume Biennet a créé cette couronne en s'appuyant sur des représentations de Charlemagne. Il s'est inspiré de gravures que l'on possédait, gravures représentant soit la couronne d'un reliquaire d'Aix-la-Chapelle, soit d'autres couronnes réputées être celles de Charlemagne. Et en arrangeant l'ensemble, il a donc créé cette couronne. La cérémonie somptueuse a lieu comme en l'an 800, en présence du pape. Mais le nouvel empereur a retenu les leçons de l'histoire. Napoléon a pris soin de se couronner lui-même, alors que le pape était là, il n'a rien fait pendant la cérémonie. Donc là, Napoléon s'est servi de la mésaventure de Charlemagne. On sait que Charlemagne avait été très irrité de voir que Léon III l'avait couronné lui-même, semblant montrer par là que le pouvoir impérial de Charlemagne dépendait d'un papauté. Toute l'ambition de Napoléon était de montrer que celui qui commandait à l'autre, c'était l'empereur des Français qui commandait au pape et non l'inverse. Il faisait encore mieux que Charlemagne. Au XIXe siècle, les romantiques continuent d'exalter la figure de Charlemagne en héros de chansons de gestes. Mais avec l'avènement de la République, c'est une autre facette du personnage qui suscite l'admiration de la France laïque, celle du promoteur de l'instruction. Ça permet à l'école de Jules Ferry de se trouver un prédécesseur qui se trouve ne pas être un saint de l'église catholique, ce qui arrange un peu le courant anticlérical. Et donc, il va y avoir une figure laïcarde de l'empereur, grand défenseur de l'école de la Troisième République. Dès lors, l'empereur carolingien figure en bonne place dans tous les manuels d'école primaire. Voici des manuels scolaires des débuts de la Troisième République. Ce sont les petits lavis. Celui-ci comporte une image extrêmement célèbre qui est celle de Charlemagne inspectant des écoles. Et cette image fonctionne autour du personnage central qui est Charlemagne en empereur, dominant tous les autres et dispensant à sa droite et à sa gauche les jugements. D'un côté... Ce sont les enfants riches, mais qui sont mauvais travailleurs. À sa droite, en revanche, qu'ils récompensent, ce sont les enfants pauvres, mal habillés, bons travailleurs, avec tous leurs outils. De fait, ça sert à dire à la Troisième République, l'école est un instrument de méritocratie. Si vous travaillez bien, quel que soit votre rang social, vous serez récompensé. La Troisième République a conçu ce qu'on appelle aujourd'hui le roman national. en s'appuyant sur des figures monarchiques dont certaines sont les bonnes figures et d'autres des mauvaises figures. Dans cette galerie, il est clair que Charlemagne est une bonne figure. Là, il est devenu le Charlemagne à la barbe fleurie, le gentil grand-père, je dirais, ou un petit peu comme Dieu le Père avec sa grande barbe aussi, qui ne fait plus peur à personne. Cette figure sympathique est pourtant récupérée par l'un des régimes les plus terrifiants de l'histoire, le Troisième Reich. Devant plus de 20 000 représentants du Parti National Socialiste, le Bourgmest de Nuremberg offre au chancelier une copie de l'épée de Charlemagne. Au moment où les nazis se cherchent... Il y a un débat entre dignitaires, Himmler étant fasciné par des personnages comme Widukind, mal connu et donc sur lequel on peut à peu près tout projeter, et Hitler qui en revanche cherche plutôt des rattachements historiques plus solides. Charlemagne était quand même une référence qui pouvait être utile pour justifier l'extension du Reich. C'est une évidence, l'empire de Charlemagne coïncide avec l'empire brun des nazis. Dans l'esprit d'Hitler, la Nouvelle Europe doit avoir pour socle un rapprochement avec la France, dont Charlemagne, trait d'union entre les deux peuples, devient le symbole. Une unité française de la Waffen-SS va même porter son nom. Les Allemands et les collaborateurs avaient fait de Charlemagne une sorte de figure centrale dans la collaboration franco-allemande. Et heureusement, par la suite, la construction européenne va permettre de laver en quelque sorte la mémoire de Charlemagne, de ses funestes souvenirs. En 1950, la ville d'Aix-la-Chapelle crée le prix Charlemagne, qui récompense chaque année les personnalités engagées dans l'unification européenne. Quand on prend le panthéon européen aujourd'hui, finalement on a peu de personnages consensuels pour fonder l'Europe. Le seul qui apparaîtrait, en définitive, assez consensuel, car il peut apparaître comme un véritable européen, c'est Charlemagne. C'est quelqu'un qui est très loin dans l'histoire, donc ça lui permet d'évoluer dans une aura un petit peu au-dessus de la mêlée. Aujourd'hui considéré comme le grand-père de l'Europe, Charlemagne a survécu à toutes les récupérations, en bénéficiant d'une longévité exceptionnelle. En 843, à Verdun, les trois petits-fils de Charlemagne se partagent l'Empire carolingien, mettant fin aux rêves de leur grand-père. Malgré cela, la mémoire de l'empereur Charlemagne a survécu jusqu'à aujourd'hui. Même s'il n'est pas loin sans faux le père de notre démocratie, son incroyable énergie et son charisme continuent de nous fasciner. Comme continuateur de l'Antiquité et bâtisseur de la chrétienté, Charlemagne est indissociable de ce qui fonde la culture européenne. Je vous remercie de votre fidélité et je vous donne rendez-vous très prochainement pour un nouveau numéro de Secrets d'Histoire. Sous-titrage Société Radio-Canada Musique