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L'héritage de Cicéron dans l'histoire

Je n'ai pu hélas combattre seul tous les ennemis de César. Sont-ils plus nombreux que ses amis ? Non, mais ils leur sont supérieurs dans les joutes oratoires. Cicéron. Cicéron ? C'est mon ami et c'est aussi mon ennemi. Le père de la patrie, un grand orateur et un grand patriote, mais qui ne veut pas comprendre et qui préfère ignorer mes propositions au lieu de les écouter. Féro flammaque mini tantem, ex erbe, well e iquimus, well... Donc serait éloquent celui qui au forum et dans les causes civiles parlera de manière à prouver, à charmer, à fléchir. Prouver est la part de la nécessité, charmer de l'agrément, fléchir de la victoire. C'est en effet cette dernière chose qui de toute peut le plus pour gagner les causes. Mais autant de devoirs de l'orateur, autant il y a de genres de style. Précis dans la preuve, moyens dans le charme, véhéments quand il s'agit de fléchir, car c'est là seulement que réside toute la puissance de l'orateur. pour ce qui est de l'homme Cicéron et de l'avocat puisque finalement il a fait sa carrière en tant qu'avocat et en même temps en tant qu'orateur l'un de ses discours politiques qui est donné comme une sorte d'exemple, souvent, enfin, tu sais qu'on me l'a fait étudier, qui est le promilonné, pour Milan, justement, lorsqu'il a défendu Milan à la suite des altercations à Clodius, etc. Bon, dont on sait maintenant qu'il s'est conduit d'une manière absolument pitoyable devant le tribunal, et que le promilonné est quelque chose qui est totalement réécrit. Mais, alors, je veux dire que cette réputation d'avocat qui était faite si extraordinaire à Cicéron, il faut voir quand même que les gens de son temps, ça les faisait rire. Je prends simplement là une épigramme de Catulle. le grand grand poète, qui dit ceci, Toi, le plus discoureur des descendants de Romulus, qu'il soit passé ou présent, Marcus Tullius, ou à venir dans les années futures, alors vraiment, c'est tous les descendants de Romulus, toutes générations confondues, reçoit mille remerciements de Catulle, le pire des poètes sans doute, vraiment le pire des poètes, autant que toi, tu es le meilleur de tous les avocats. Alors évidemment, comme Catulle, on le sait bien, se considère comme le plus grand poète de Rome, ça veut dire que Cicéron est le pire des poètes. Cicéron, c'est le modèle absolu de l'orateur, de l'homme qui a la domination de la parole publique et qui agit dans la cité essentiellement par la parole publique. Il suffit de jeter un coup d'œil, j'allais dire un coup d'oreille, sur la vie politique contemporaine pour s'apercevoir que ça n'est plus la parole qui est désormais maîtresse du débat public. Donc, pour diverses raisons d'histoire culturelle... Je crois que Cicéron n'est plus une figure publique. N'étant plus une figure publique, il n'est plus une figure discutée, alors qu'il l'a été, il l'a été encore avant la Deuxième Guerre mondiale. Une grande polémique a agité à ce moment les milieux universitaires, mais aussi un peu les milieux politiques. Elle a opposé une grande figure de l'histoire de la littérature latine en France, qui était Jérôme Carcopino, qui est devenu, pour son malheur, également une figure politique, puisqu'il a été ministre de l'instruction publique de Pétain. Et Carcopino, bien que nourri dans le serail des latinistes, excellent latiniste et excellent historien de Rome, s'était pris d'une haine virulente contre Cicéron. Cicéron incarnait pour lui peut-être le prototype du politicien de la Troisième République. L'homme qui... est un avocat, et qui est un avocat passé en politique, c'est-à-dire un type sociologique et politique pour lequel Carcopino avait une profonde détestation. Et Carcopino a donc écrit un ouvrage extraordinairement brillant, extraordinairement intelligent. et informé sur la correspondance de Cicéron. Et ce livre est une démolition, chaque mot de Cicéron étant passé au scalpel de Carcopino pour amener à des conclusions tout à fait négatives et critiques vis-à-vis du personnage. Et la polémique donc a opposé Carcopino à un autre historien dont le nom est je pense maintenant oublié, qui s'appelait Pigagnol, et qui a pris lui ce citant dans la tradition. humaniste et républicaine de l'université française, la défense de cette grande figure. Sa carrière commence dans le cadre d'un très très grand mouvement historique qui a intéressé Rome et l'Italie. Les historiens appellent cela la municipalisation de l'Italie. On pourrait appeler cela tout simplement la première unification, avant la grande unification due au prince de la maison de Savoie, à Gavour, à Garibaldi. Cette unification, elle a mis sous l'autorité d'une cité-état, d'une petite cité-état du Lassium, Rome, un ensemble civique extrêmement important. Il ne s'agit pas seulement d'un empire, c'est-à-dire... d'étrangers, de cités étrangères soumises à l'autorité d'une autre cité-État. Il s'agit de l'afflux massif dans les années 90-80 avant notre ère de gens qui sont désormais des citoyens romains, qui, bien que ne résidant pas à Rome, bien qu'ayant leur propre cité, leur petite patrie, comme disait Cicéron, bénéficient de tous les droits inhérents à la citoyenneté romaine et qui peuvent venir les exercer à Rome. par exemple en votant pour désigner les magistrats, en votant pour faire la loi. Et Cicéron est un exemple de cette municipalisation de l'Italie. Il n'est pas un Romain de Rome, il est né à Arpinum, Arpi dans l'actuel, qui est à un peu plus de 100 km au sud ou au sud-est de Rome, dans un pays qui était le pays des Volsques. Donc il n'est ni un Romain de Rome, ni un Latin. Et il naît dans un milieu... qui est un milieu d'aristocratie locale, dirons-nous. On ne devient pas un homme politique important à Rome en ne naissant de rien. L'image qui a été donnée par Cicéron lui-même, et qui est véhiculée par une légende assez complaisante, est celle d'un homme qui est entré en politique uniquement par ses talents oratoires. Les choses sont bien entendu plus complexes. Cicéron est né dans un milieu de notables locaux. qui portait déjà le titre de chevalier romain, c'est-à-dire qu'ils appartenaient au deuxième ordre de l'État après l'ordre sénatorial. Donc élite locale, élite locale qui entretenait des liens de parenté avec des dirigeants politiques romains. Il se trouve qu'Arpino est aussi le lieu de naissance de Marius, le grand conquérant, l'homme qui a vaincu Jugurtha, un des dirigeants politiques majeurs de Rome. Donc la famille des Cicéros était apparentée à la famille de Marius, ce qui d'ailleurs... aurait pu impliquer pour lui des connexions politiques dans les milieux populares. Comme disaient les latins, nous dirions grosso modo les milieux démocratiques. Cicéron est donc arrivé à Rome assez tôt et, outre les connexions familiales qu'il avait déjà dans l'aristocratie romaine, il a fait un mariage. Un mariage qui est bien entendu un arrangement social. Et il a épousé une femme, Terentia, qui appartenait assez probablement au milieu dirigeant romain. Et il a donc renforcé sa position politique. Donc, ses talents oratoires ont certainement joué un rôle, mais il y a aussi un ancrage familial et politique dans un système qui est essentiellement un système aristocratique. Quelqu'un comme Cicéron a appris la rhétorique en grec. Puisque, et c'est un débat auquel il fait allusion dans son Deoratoré, on avait tenté d'ouvrir des écoles. pour enseigner la rhétorique en latin et l'un des personnages de son dialogue, c'est la raison pour laquelle il fait allusion à cet événement, Gracius, a fait fermer ses écoles. Donc, quand déjà on se représente que tout l'enseignement auto-physique, que celui du grammaticus se passait en grec, la question de la traduction est totalement impertinente parce qu'on n'a pas besoin de traduire. Donc, on fait autre chose. Et cette autre chose, on a beaucoup de mal à l'appréhender parce que tout simplement, on n'arrive même pas à trouver les mots en latin qui disent traduction. Alors, bien sûr, il y en a toute une série. mais qui ne recouvre jamais ce que nous, nous mettons dans traduction. C'est-à-dire que c'est soit trop, soit pas assez. Soit c'est un mot à mot, comme on peut imaginer qu'il y avait des interprètes pour le Sénat traduisant du punique en latin, mais en tout cas la question de traduire du grec en latin ne s'est jamais posée pour personne. Et l'un des verbes, c'est ce qui m'avait intéressée parce que ça peut expliquer aussi beaucoup de choses. Chez le grand contemporain de Cicéron, qui écrit lui aussi de la philosophie en latin, qui est Lucrèce, il y a cette idée que transporter, je dirais, la Grèce dans Rome, donc c'est un transfert, c'est un déplacement, et le verbe qui est utilisé dans des contextes très significatifs par Cicéron, c'est la raison pour laquelle ça avait attiré mon attention, c'est un verbe transféré. qui est utilisé également pour dire faire des métaphores Or, quand on fait une métaphore, on enrichit bien sûr sa langue, on répond dans un premier temps à un besoin, mais la métaphore, c'est pour produire de la lumière et de l'éclat. La vie publique de Cicéron est encadrée par deux périodes de dictature. La dictature de Silla, dans les années 82-81 avant Jésus-Christ, c'est le moment où il entre en politique. Il est déjà entré dans les activités judiciaires, dans les activités d'avocat plaidant, mais il entre en politique à la fin du régime sildanien. Et la fin de sa carrière politique est marquée tout d'abord par la dictature de César et ensuite par la lutte contre Antoine. un des deux successeurs potentiels de César, qui cherchait donc à maintenir à son profit ce système de dictature. Donc cet idéal d'une république aristocratique corrigée par l'élection populaire, qui a toujours été celui de Cicéron, est en crise au moment où il entre dans la vie politique, pour des raisons complexes, les tensions entre une cité-État et ses institutions, et la gestion d'un immense empire. la gestion de l'Italie, désormais composée en très grande partie de citoyens romains, donc cette contradiction interne au système politique, et le fait qu'un certain nombre d'aristocrates n'acceptent plus de jouer le jeu de la compétition. Cette compétition, elle implique un certain nombre d'acteurs, quelques dizaines d'acteurs qui appartiennent à des lignées. qui estiment avoir vocation à gérer la cité. Et le peuple, la plupart du temps, accepte cette vocation que les aristocrates revendiquent à leur profit. Il se trouve que ce système n'est tenable que si aucune tête ne s'élève trop haut au-dessus des autres. Si tous acceptent les procédures de conquête du pouvoir, d'exercice du pouvoir, et acceptent de rendre le pouvoir à la fin de l'exercice de leur magistrature pour remettre en jeu sous l'arbitrage du peuple, l'exercice du pouvoir politique. Et c'est cette acceptation par les acteurs aristocratiques du système politique qui n'est plus assurée à la fin de la République. On pourra chercher les raisons, l'émergence de personnalités exceptionnelles, le modèle des monarchies hellénistiques. Beaucoup de dirigeants romains sont obsédés à la fin de la République par la personnalité d'Alexandre, le monarque macédonien. pourra aussi mettre en cause la stature particulière qui est donnée à certains individus par la conquête militaire. Pompée, probablement le plus grand général de son époque, même avant César, a acquis une stature très supérieure à celle de tous les autres acteurs du système politique grâce à la conquête de l'Orient. César acquiert ensuite une stature presque équivalente grâce à des conquêtes moins importantes. La Gaule était évidemment une province beaucoup moins rémunératrice que ne pouvaient l'être les riches royaumes hellénistiques conquis par Pompée. Donc outre cette situation personnelle, cette gloire qui est donnée par la conquête militaire, un autre élément de déséquilibre est représenté par l'accumulation de l'argent. Un certain nombre d'acteurs du système politique accumulent des fortunes énormes. En particulier, un des membres du premier triumvirat, Crassus, avait été surnommé... par ses compatriotes, Crassus d'Iwess, Crassus le riche. Et il est évident qu'il rompait de cette manière, comme Pompée et comme César le faisaient par leur situation militaire, il rompait cette quasi-égalité qui devait statutairement exister entre les acteurs de la compétition aristocratique. La qualité de toute constitution politique dépend du caractère et des intentions de celui qui la dirige. C'est pourquoi la liberté ne peut habiter dans aucun état sauf dans celui où le pouvoir suprême appartient au peuple. Or comment la liberté pourrait-elle être égale pour tous ? Je ne dis pas dans un royaume où la servitude n'est pas même dissimulée, ne faites aucun doute, mais aussi dans les états où les citoyens ne sont libres qu'en parole. Ils déposent en effet leur suffrage. Ils confient à ceux-ci ou à ceux-là les commandements militaires et les charges civiles. On les circonvient, on sollicite leur suffrage, mais ils accordent des choses qu'ils devraient donner, même contre leur gré, et des choses qu'ils ne possèdent pas eux-mêmes, alors que d'autres viennent les leur demander. Un État est-il en effet rien d'autre qu'une association de droits entre citoyens ? F.A.S. il y a un lien en fait entre la philosophie et la politique chez Cicéron. Absolument. indissociable, mais ce qui semble-t-il était quelque chose qu'il a pensé et posé d'abord, il devait absolument le prouver, le construire, faire en sorte qu'il soit encore possible, dans les temps troublés dans lesquels il a vécu, de mettre la philosophie au cœur du forum. Et la partie n'était pas gagnée. Et il n'a pas gagné la partie, sauf que grâce à lui il y a eu quand même, je dirais presque 2000 ans de culture philosophique et politique qui ont trouvé là leur nourriture, donc ce qui n'est pas si mal. Mais ce lien-là, il fallait absolument l'établir dans des conditions difficiles et surtout dans des conditions théoriques difficiles. Parce qu'au fond, si j'accepte le cas... d'un panétius stoïcien, mais vivant dans ce qu'on a pu appeler le siècle d'or de la République, qui est un siècle absolument reconstruit par Cicéron, et à partir de lui, tous les historiens ont abondé dans son sens. Donc cette espèce de siècle d'or où, bien sûr, les Scipions apportaient l'hélénisation à Rome, etc. Et donc là, la philosophie était... je dirais de facto au cœur de la cité. Après cela, il semblerait plutôt que le statut de la philosophie se soit cantonné, je dirais, à des discussions dans des villas privés. On peut penser par exemple au contemporain de Cicéron, Philodème de Gadara, qui avait le statut quand même d'un maître invité ou protégé, ce qui suppose une grande dépense. dépendance à l'égard de ses patrons, les bisons, là il tenait école, jusqu'à quel point était-il libre au fond de divulguer uniquement ce qui l'intéressait ? devait-il aussi former à la rhétorique, etc. Vous voyez, la philosophie n'est pas au cœur de la cité. Parce que de toute façon, dans le cas de l'épicurisme, on sait bien qu'il prônait un retrait et la vie, au fond, dans une communauté d'amis, qui n'incluait pas nécessairement une prise de position et d'engagement dans la cité. Ça ne l'excluait pas non plus, mais ça ne l'incluait pas. Les stoïciens sont bien peu présents, je veux dire que Posidonius est à Rhodes, il va faire des visites. Disons qu'il n'y a pas de grande figure et la personne qui va au fond le plus régulièrement sans doute instruire Cicéron sur le stoïcisme et lui apporter je dirais une culture dialectique extraordinaire, c'est ce philosophe familier qu'il a eu dans sa maison 30 ans, Diodote, mais ce statut même. de philosophes attachés à la maison, dit assez à quel point tout cela reste dans la sphère privée. Et la question théorique de fond, c'est comment, après Platon, quand on est lecteur... De Platon et platonicien, comment peut-on réinstaurer et sur quelle base la philosophie au cœur de la cité ? Donc ça c'est la grande question théorique à mon avis qui hante. toute la pensée cicéronienne et cette grande question théorique il a choisi de la régler d'une manière qui n'est pas anti-platonicienne mais qui montre une extraordinaire liberté dans l'usage de Platon parce que pour lui c'est l'éloquence qui va donner la possibilité au coeur de la cité de discuter, d'entendre les raisons de l'autre, de travailler sur la persuasion et donc d'établir dans la cité et avec les limites qu'il y a dans la discussion politique, réinstaurer les formes d'un dialogue rationnel. Et cela, ce n'est pas quelque chose qui était acquis. C'est-à-dire que quand il met en scène, lui, des dialogues philosophiques qui sont effectivement des écritures, des jeux de mise en scène, c'est une façon de nous rappeler que le dialogue, ce n'est pas simplement faire comme Platon. Ça n'intéresse plus personne, et puis tout le monde peut lire Platon directement, et c'est rappeler qu'avec le dialogue, avec le langage partagé, on peut élaborer une pensée en commun. Et je pense que c'est ça, vraiment, l'enjeu politique de cette mise en scène dialoguée qui n'a pas cessé d'utiliser au cours de ses œuvres. Dans ce rouleau réside le cœur de l'affaire. Un décret écrit par les habitants d'Ameria. Venez. Nous envoyons une délégation à Silla demandant une enquête urgente sur l'inscription du nom de Sextus Rossius l'Ancien sur une liste noire et la confiscation de ses terres. Demandant que l'honneur de son nom soit rétabli et que ses terres soient rendues à son fils, son héritier, Sextus Rossius le Jeune. Vous faisiez partie de la délégation ? Nous étions dix. Quelle fut la réaction de Silla quand vous l'avez vue ? Nous, nous ne l'avons pas vue. Nous avons vu Chrysogonus. Et vous aviez été envoyé par la population de votre ville pour rencontrer Silla ? Chrysogonus nous a assuré que ce n'était pas nécessaire. Oh oui ! En 80, Cicéron est sollicité. Philippe Moreau. pour présenter la défense devant un tribunal d'un personnage nommé Roscius, qui est accusé de parricide. L'affaire n'est pas seulement une affaire criminelle, elle est aussi probablement une affaire de spoliation de biens. Un certain nombre de personnages cherchent, à l'occasion de cette accusation, à s'assurer définitivement la possession des biens familiaux de Roscius, dont le père a été déclaré proscrit en vertu... des mesures silaniennes. Silla avait fait voter une loi qui l'autorisait à faire inscrire sur une liste qui était ensuite affichée dans les rues de Rome un certain nombre d'ennemis politiques. Et ce simple affichage, le mot technique est proscription, qui ne signifie tout d'abord rien d'autre qu'affichage public, ce simple affichage public autorisait tout citoyen à mettre à mort les personnes dont les noms avait été affiché sur ordre du dictateur Sylla. Le père de Roscus a été victime dans des conditions probablement techniquement illégales. Je ne parle pas de la moralité de la proscription, mais de son application pratique en fonction des règles édictées par Sylla lui-même. Donc il y a une volonté d'appropriation du patrimoine du père proscrit régulièrement, du fils accusé peut-être à tort, et il y a certainement derrière l'accusation un proche de Sylla. Un de ses affranchis, un de ses anciens esclaves, quelqu'un donc qui, du fait qu'il ait l'affranchie de Silla, occupe une position importante dans la société romaine. Et Cicéron accepte la défense de Roscus. Il se met donc en conflit avec un protégé du dictateur. Il a cherché lui-même, ultérieurement, à présenter cette défense qu'il assumait comme un acte de courage, comme un acte d'héroïsme, face au régime sylénien qui d'ailleurs était à sa fin. Quand on regarde de plus près les personnages qui gravitent autour de ce procès, il semble que les choses étaient plus complexes. Roscius, l'accusé défendu par Cicéron Invoca, était aussi protégé par un certain nombre d'aristocrates de très haut vol, y compris des gens qui touchaient de très près à la famille de Sylla, en particulier à sa femme. Donc il est probable que la prise de position de Cicéron était peut-être un peu moins héroïque qu'on ne pourrait le penser. Et quand on lit de près son discours, on est frappé par les précautions oratoires multiples qu'il emploie pour mentionner le dictateur et pour rappeler que lui-même a combattu dans l'armée de Silla avant les guerres civiles. Cicéron a pendant deux ans effectué un service militaire. Et il a commencé sa carrière militaire sous les ordres de Sylla. Les hommes ont été conçus pour obéir à cette loi, veiller sur ce globe qu'on appelle la Terre. Ils ont reçu leur esprit de ces feux éternels que vous nommez constellations et étoiles, qui de forme parfaitement sphérique, émues par une intelligence divine, accomplissent à une vitesse étonnante leur orbite. C'est pourquoi tu dois, Publius, toi et tous les hommes respectueux de cette loi, retenir ton esprit dans la prison du corps et ne pas quitter la vie sans en avoir reçu l'ordre de celui qui vous a donné cet esprit. Sinon, vous auriez l'air d'avoir fui le métier d'homme, menus humanum, que la divinité vous a assidué. Clara Ouvré-Azaïas, il y a ce texte qui est très symptomatique, qui est le songe de Scipio. Dans ce dialogue, il faut rester prudent. puisque vous le savez peut-être, le De Republica ne nous est parvenu que sous une forme absolument de fragments dont il nous manque beaucoup, beaucoup de choses. Et alors, le songe de Scipion, lui, a voyagé tout seul dans le temps, puisqu'il a été commenté par Macrobe, et le songe de Scipion a eu une postérité extraordinaire, et de manière isolée, sous cette forme, se trouvait présenté donc le sort. extraordinairement enviable qui attend l'homme d'état ayant parfaitement rempli donc son métier d'homme. C'est ainsi que j'ai voulu traduire Mounous qui veut dire charge, qui peut signifier magistrature. Et il me semblait que dans le contexte Mounous ou Manoum c'était vraiment plus un métier d'homme, c'est ce par quoi on devient un homme et ce par quoi l'homme atteint sa plus parfaite réalisation. Donc ce songe de Scipion à... Alors là, une influence extraordinaire pendant, au fond, presque deux millénaires de pensée politique. Et il n'avait pas clairement, au fond, sa place dans l'architecture d'ensemble. On savait bien qu'il y avait, par macrobe, nous savions que cela cherchait à imiter, entre guillemets, le récit que fait R. le pamphilien dans La République de Platon. Mais à lire les deux textes côte à côte, on voit assez peu de rapports, et c'est ça aussi qui est intéressant, c'est-à-dire que dans ce type de texte, on voit ce que signifie pour un Romain, et là je généralise, et pas seulement pour Cicéron, ce que veut dire imiter, ça veut dire simplement se rendre égal. Et nos auteurs au XVIIe siècle avaient fort bien compris. Et ne serait-ce que par le statut du personnage qui parle, et c'est là qu'on voit à quel point. Chez Cicéron, on se soucie davantage d'une transmission directe dans le sein de la famille, puisque c'est un ancêtre qui indique à son petit-fils ce qui l'attend. Ce n'est pas un obscur pamphilien sorti d'on sait où, comme chez Platon, où souvent ce sont les personnages les plus obscurs, sans identité, qui profèrent des paroles sans doute pleines de sens et qui vont aider à comprendre l'ensemble. Mais là... Il y a un effet de transmission directe qui déjà nous fait comprendre qu'on a vraiment basculé dans un autre monde. Et ce qu'enseigne très succinctement ce songe qui est vraiment une vision, justement, qui n'est pas un récit. Alors, dans un ciel décrit très succinctement, et là aussi une tradition savante a voulu accuser Cicéron de n'avoir rien compris à la cosmologie de son temps, d'avoir fait des erreurs, d'avoir représenté un ciel. où il y avait des erreurs d'astronomie extravagantes, etc. Mais l'on s'est dit, ce sont les Grecs qui ont trouvé ça. Mais mise à distance, ce n'est pas important. L'essentiel, c'est le message que je veux te livrer, et qui est que tu peux avoir effectivement de bonnes raisons d'attendre ta place dans cette voie lactée, mais ton travail est sur Terre. C'est en restant et en accomplissant jusqu'au bout ce métier. difficile parce que tout le texte en même temps est organisé sur une difficulté et une menace. L'ancêtre prévient son petit-fils qu'il risque sans doute de mourir sous les coups de ses adversaires politiques. Jusque à quand abuseras-tu de notre patience, Caterina ? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? Jusqu'où s'emportera ton audace effrénée ? Quoi ? Ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin ? Ni les forces répandues dans toute la ville ? Ni la... La consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n'a pu t'ébranler. Tu ne vois pas que tes projets sont découverts, que ta conjuration est ici environnée de témoins, enchaînés de toutes parts. Penses-tu qu'aucun de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et celle qui l'a précédée ? Dans quelle maison tu t'es rendu ? Quelles complices tu as réunis ? Quelle résolution tu as prise ? Philippe Moreau, donc, dans le parcours politique de Cicéron, il devient consul. Il y a là déjà un fait étonnant. Il n'appartenait donc pas aux familles qui, traditionnellement, recevaient du peuple les magistratures les plus importantes, en particulier le consulat. Et l'élection de Cicéron a été ressentie comme une exception. Il l'a exercé, et il l'a exercé dans des circonstances de crise. Il a eu à affronter une tentative de coup d'État. Et ce qui aurait pu être une année de gloire pour sa part, a d'abord été une année de gloire qui s'est transformée ensuite en malédiction pour la suite de sa vie politique. Cette conjuration, elle est bien connue, c'est la conjuration de Catalina, qui lui appartient par sa naissance. au milieu qui justement fournissait les consuls. Il est un patricien, il est un descendant de magistrats, c'est donc un homme qui estime avoir une sorte de droit éminent à l'élection populaire. Mais, et c'est là qu'intervient la régulation démocratique, il n'a pas obtenu par l'élection ce consulat auquel il était candidat. Et il décide donc, dans des circonstances qui nous échappent un peu, puisque nous avons principalement la version du vainqueur, comme toujours en histoire, alors... la version de Cicéron. Dans des conditions qui nous échappent en partie, il organise probablement une conjuration assez hétéroclite qui se donne pour objectif d'assassiner les consuls et d'occuper le pouvoir politique par la violence, donc de renverser le système constitutionnel. Cicéron, avec l'aide plus ou moins réticente ou du moins l'approbation tacite de son collègue, l'autre consul, est en fait le moteur de la défense des institutions républicaines et je crois que quand il dit qu'il a sauvé la République face à la conjuration de Catalina, là, nous pouvons effectivement lui donner notre assentiment. Il demande bien entendu, fidèle au système constitutionnel romain et fidèle à sa vision de celui-ci, il demande au Sénat de le munir de pouvoirs exceptionnels pour réprimer la conjuration de Catalina. Et c'est là qu'intervient une ambiguïté dans ce système constitutionnel qui n'a pas de constitution écrite, qui repose sur des traditions et qui est donc soumis à des interprétations divergentes. De son point de vue, Cicéron considère que la décision du Sénat lui remettant les pleins pouvoirs l'autorise à aller très loin dans les mesures répressives, y compris à faire mettre à mort un certain nombre des participants de la conjuration. Et c'est ce qu'il fait. Il organise une série de prises de parole au Sénat et au peuple qu'il tient régulièrement informés de la lutte contre la conjuration et, sans avoir déférer les conjurés devant un tribunal, il les fait exécuter. Et là, il y a quelque chose qui heurte profondément la conception romaine de la citoyenneté. La vie et le corps, les romains disaient le dos du citoyen, puisque c'est sur le dos qu'on recevait les coups de fouet, la vie physique et le corps du citoyen romain sont considérés comme inviolables, sauf décision de justice. Et même... Dans le cas d'une décision de justice, la tradition judiciaire et politique romaine autorise tout accusé à s'exiler volontairement à condition qu'aucune condamnation n'ait été prononcée contre lui. Jusqu'à quelques minutes avant le prononcé de la sentence, un citoyen, sentant qu'il va être condamné, peut sauver sa vie physique à condition de perdre sa citoyenneté. Et Cicéron a cru pouvoir... Aller au-delà de cette protection de la vie du citoyen romain. Et il fait étrangler dans une prison souterraine, tout proche du Sénat, quelques-uns des conjurés. Et c'est une scène fameuse, racontée de manière pittoresque par les historiens. Il sort de la prison souterraine, c'est la nuit. Il est entouré d'esclaves et d'affranchis portant des torches et pour informer les sénateurs et les citoyens qui se demandent ce qui s'est passé dans la prison souterraine de Julianum, il a, utilisant toutes les ressources de la brièveté de la langue latine, ce seul mot, Wixhund, ils ont cessé de vivre. Les suites immédiates sont très glorieuses pour Cicéron. Un de ses collègues du Sénat déclare publiquement que Cicéron est non seulement le sauveur, mais le père de la patrie. Il atteint donc à ce moment-là le sommet de la gloire que pouvait espérer un magistrat romain. Et puis, après ce consulat de 263, la fortune tourne assez rapidement. Ses ennemis, dès l'année 58, font ressortir le dossier de l'exécution des complices de Catilina. On lui reproche d'avoir outrepassé les pouvoirs que la Constitution et les Sénats lui avaient conférés. Et un de ses ennemis... un tribun de la plèbe nommé Claudius, obtient du peuple, par le vote de deux lois successives, dont des conditions d'ailleurs peut-être peu régulières, que Cicéron soit exilé. Et c'est le grand drame de sa vie. Il s'effondre psychologiquement. Nous avons grâce à sa correspondance une sorte de journal psychologique de la souffrance profonde de Cicéron. Pour la comprendre, il faut revenir encore sur la notion de citoyenneté, sur cet attachement extraordinairement fort qui, en Grèce comme à Rome, lie le citoyen à sa cité. Je vous disais il y a un instant que, puisqu'on laissait partir quelqu'un qui risquait d'être condamné à mort, à condition qu'il s'exile volontairement, cela implique que la perte du statut civique et la mort étaient considérées comme quasiment équivalents par la conscience commune. Donc quand Cicéron perd la citoyenneté, il perd son statut de sénateur, il perd ses biens qui sont confisqués, il perd même le droit de résider non seulement à Rome mais en Italie, il doit s'écarter même des côtes de l'Italie, il est obligé de se réfugier en Grèce, il ne peut plus vivre en Italie sous peine de mort et toute personne qui lui aurait porté secours en vertu de la deuxième loi de Claudius aurait été mise à mort. Et c'est là donc que... Il écrit ces lettres à sa femme, Terentia, à sa fille, Thulia, à son ami Atticus, et ses ennemis, antiques ou modernes, je pense à Carcopino, se sont bien entendu emparés de ces lettres, qui sont pour nous tout d'abord un document humain absolument extraordinaire. Pour en faire autant d'armes contre Cicéron, comment cet homme qui a en quelque sorte vulgarisé les philosophies hellénistiques... à Rome, cet homme qui mettait la Virtus au-dessus de tout et qui n'a pas été capable de supporter cette épreuve de l'exil. Merci. Et bien il est revenu grâce à l'action de ses amis qui ont en particulier Pompée et un certain nombre de magistrats.................. favorables au Sénat, qui ont fait voter une loi de rappel. Est-ce que Cicéron en a tenu grief à ce qui étaient ses adversaires ? Bien entendu, il a poursuivi de sa haine dans ses discours ce malheureux Clodius, qui est devenu pour toute une partie de la tradition historiographique le vilain de la vie politique romaine de la fin de la République. Les choses, bien entendu, sont beaucoup plus complexes. Clodius qui, comme Catilina... est un patricien et un aristocrate appartient à un autre courant, le courant popularis, qui souhaite l'obtention du pouvoir en s'appuyant sur l'assemblée du peuple, et qui souhaite donc accorder un certain nombre d'avantages matériels au peuple, la gratuité du blé, des avantages de ce genre. Donc il y a une politique de Claudius qui s'oppose à la politique cicéronienne. Claudius finira par être assassiné, c'est un nouveau signe d'ailleurs de la dégradation. de la vie politique, c'est l'installation de la violence au cœur même de la cité. C'est une scène qui nous est assez bien connue. Claudius revient en cortège d'une ville des environs de Rome, il revient par la Via Appia, et il croise un autre cortège dans lequel se trouve un de ses ennemis politiques qui s'appelle Milan. Les esclaves de l'un et de l'autre se prennent de main, la querelle se généralise, et cela tourne à un pugilat dans lequel Claudius est assassiné. On rapporte son corps transpercé de coups de poignard, on l'expose au forum pour soulever l'indignation populaire et, bien entendu, Milon est déféré devant un tribunal qui est d'ailleurs un tribunal exceptionnel. Ennemi de Claudius, bien entendu, pour Cicéron, devait être défendu. Il défend Milon. Et les circonstances toutes particulières du procès, il s'agit d'une juridiction d'exception, La ville est dans un état de siège. Pompée, qui exerce le pouvoir à ce moment-là, a fait placer une garnison dans les rues de Rome, y compris au Forum. Donc Cicéron, voyant des hommes en armes au Forum, contrairement à toute tradition romaine, a été totalement désarçonné. Et son plaidoyer a probablement été très inférieur à ce que Milan aurait été en droit d'attendre du premier orateur de son époque. Et Milan, pour éviter la condamnation, s'est exilé. Il s'est exilé d'ailleurs à Marseille, dans une cité qui était une cité oligarchique, une cité aristocratique. Et il écrivait, il continuait d'entretenir une correspondance avec Cicéron. Cicéron n'a pas voulu rester sur cet échec, il a réagi je dirais en homme de lettres. Et il a donc réécrit le plaidoyer qu'il aurait pu et même probablement dû écrire à Milan. Et c'est le texte que nous possédons, qui est effectivement un de ses très grands discours. Par une forme de naïveté, ou en tout cas d'impropriété, ou de faute de goût, il a commis l'erreur d'envoyer cet excellent plaidoyer à Milon, exilé à Marseille. Milon, qui était un homme d'esprit, ne s'en est pas formalisé, et lui a répondu simplement, mon cher Cicéron, si c'était là le plaidoyer que tu avais prononcé pour moi, je ne serais pas à Marseille en train de manger d'aussi bons rougets. Le scélérat a subi la peine qu'il méritait. A ce prix, subissons, s'il le faut, une peine que nous ne méritons pas. Cet homme généreux, qui n'a vécu que pour la patrie, mourra-t-il autre part coussin de la patrie ? Ou s'il meurt pour elle, conserverez-vous le souvenir de son courage en refusant à s'ascendre un tombeau dans l'Italie ? Quelqu'un de vous osera-t-il rejeter un citoyen que toutes les cités appelleront quand vous l'aurez banni ? Heureux le pays qui recevra ce grand homme ! Oh ! Romain gratte si elle le bannit ! Rome malheureuse si elle le perd. Mais finissons. Mes larmes étouffent ma voix, et Milon ne veut pas être défendu par des larmes. Je ne vous demande qu'une grâce, citoyens. C'est d'oser, en donnant vos suffrages, émettre le vœu dicté par votre conscience. Croyez-moi, nul ne donnera plus d'éloge à votre fermeté, à votre justice, à votre intégrité, que celui même qui, dans le choix de nos juges, a préféré les plus intègres, les plus éclairés, les plus vertueux des Romains. Ce que nous avons donc, ce sont des discours écrits. Et Cicéron, théoricien lui-même, ne manque pas de dire que, au-delà de toutes les recettes rhétoriques, qu'il dominait parfaitement et qui devait être appliqué dans la recherche de l'idée, dans l'organisation de la phrase, le choix du vocabulaire, la place des éléments rythmés à la fin de certains passages de la prise de parole. Cicéron ne manque jamais de dire que l'élément central de l'efficacité de la parole publique, c'est ce qu'il appelle l'action. C'est-à-dire cet ensemble de postures physiques de gestuelle, de mimique, de procédé phonique. qui font que l'on agit concrètement sur l'auditeur. Et là, c'est quelque chose qui est très douloureux, bien entendu, pour tous les gens qui travaillent sur l'éloquence cicéronienne. C'est quelque chose qui est pour nous irrémédiablement perdu. Et ce qui était le point fort de l'éloquence cicéronienne, généralement plusieurs avocats intervenaient en faveur d'un accusé. Et on laissait la plupart du temps à Cicéron la dernière prise de parole, puisque c'était dans ces dernières prises de parole que l'émotivité, l'appel à la sensibilité du jury devait avoir le rôle le plus décisif. Et c'est là, nous dit-on, qu'Excellences y sera. Clara Ouvré-Asoyas, il y a un aspect qui est très humain, quand on est chez Cicéron. Il comprend l'homme parce que lui-même vit sa position de stratège, de consul, et en même temps souffre sans doute. C'est quelqu'un qui vient... bien sûr, avec une fragilité, une fragilité revendiquée. Et c'est ce qui me paraît intéressant et important là aussi, parce qu'on se promène à l'époque déjà avec des figures de la sagesse qui sont des caricatures et sur lesquelles il peut parfois s'appuyer, parce que c'est important aussi quand on a besoin de reprendre des forces, de penser à quelques grandes figures de sagesse. Mais ce sont des... Posture qu'il ne cherche pas à cultiver. Donc, il pourra assez facilement se moquer des prétentions à l'insensibilité des stoïciens. Ou sur un autre plan, parce qu'on ne peut pas dire des épicuriens qu'ils prônent l'insensibilité, mais ce qu'ils recherchent, c'est quand même l'absence de trouble. Et ce n'est pas du tout cela. Que cherche Cicéron ? C'est-à-dire qu'il sait que l'homme est fait d'affects. Et que c'est aussi comme ça qu'on est excellent. C'est comme ça qu'on persuade. C'est comme ça qu'on fait de la politique. Et ça ne veut pas dire que la politique est un monde brouillon d'affects, là où la raison supérieure des philosophes se détacherait. Non. Tous les philosophes, tous les hommes sont au même niveau. De toute façon, leur capacité de jugement... sont les mêmes et ils doivent travailler sur leurs affects, avec leurs affects. Et tout cela se fait dans le travail sur la langue, qui est évidemment un travail sur la pensée. Quant à ma situation de fortune, je suis, comme tu le sais, en pleine confusion. Avec cela, j'ai certains ennuis domestiques que je ne confie pas à une lettre. Mon frère Quintus est un cœur plein de dévouement, de vertu, de fidélité, et je l'aime comme il le mérite. Je t'attends. Hâte-toi d'arriver, je t'en prie, et que ce soit avec l'intention de ne pas me laisser manquer de tes conseils. Quelque chose comme une nouvelle vie commence pour moi. Déjà, certaines personnes qui ont pris ma défense quand j'étais absent se mettent maintenant que je suis là à m'en vouloir secrètement, à me donner des marques publiques de malveillance. J'ai grand besoin de toi. Nous avons ces extraordinaires lettres à Anticus qui sont non seulement des lettres de commentaires de la vie politique, nous avons une sorte de journal de la vie politique de Cicéron, grâce à ces lettres dans lesquelles il parle à cœur ouvert, ce qu'il ne fait évidemment jamais dans ses discours, ce qu'il fait rarement dans ses traités théoriques, mais nous avons aussi l'homme, l'homme dans sa sensibilité, l'homme dans sa cyclotimie. sur laquelle le cruel Gercopino avait beaucoup insisté. C'est là que nous pouvons avoir Quelques brefs échappés sur la vie familiale de Cicéron. Sa vie amoureuse, non. Nous savons que Cicéron a été marié deux fois, mais le mariage est un engagement social. Sa première épouse, Terentia, a été probablement un des moyens d'entrer dans les milieux aristocratiques, le moyen d'acquérir une dot. Les époux ne se sont jamais véritablement entendus. Et Cicéron a divorcé. Il s'est remarié avec une femme beaucoup plus jeune que lui, Publilia, mais ce mariage non plus n'a pas duré. Il a duré à peine un an. Donc, s'il y a eu une vie affective de Cicéron, une vie amoureuse de Cicéron, elle nous est inaccessible. En revanche, outre les sentiments d'amitié, nous avons grâce à la correspondance une connaissance assez précise des relations de Cicéron avec son frère, son frère cadet, Quintus. Relation difficile avec son fils. Marcus et avec son neveu, Quintus. Et surtout, avec celle qui a probablement été le personnage central de sa vie familiale, qui est sa très chère et très aimée fille, Thulia. C'est un sanctuaire que j'entends édifier à ma chère Thulia. Et on n'en fera pas des mordres. Si je m'applique à éviter toute ressemblance avec un tombeau, c'est moins en raison de l'amende légale que pour obtenir pleinement la divinisation. Je le pourrais à condition de construire dans l'enceinte de la maison, mais, comme nous l'avons souvent dit, je redoute les changements de propriétaire. Sur les terres que je construise, je crois pouvoir obtenir que les générations futures obéissent aux scrupules religieux. Il te faut supporter mon enfantillage, c'en est un, je l'avoue, car je n'ai personne, même pas moi, à qui parler aussi librement qu'à toi. Mais si tu approuves l'idée et le lieu et les dispositions, lis, s'il te plaît, le texte de la loi et envoie-le-moi. Si un moyen de l'esquiver te vient à l'esprit, nous l'emploierons. Pour lutter en quelque sorte contre ce chagrin, il aura une attitude qui est probablement révélatrice de ses véritables croyances. Il a fait élever à Thulia quelque chose qui est une sorte de sanctuaire, pas seulement un tombeau, une sorte de sanctuaire. Et on s'est beaucoup interrogé sur le statut cultuel et sur le statut religieux de ce sanctuaire. Cicéron croyait-il qu'il pouvait y avoir pour sa fille une femme, une personne privée ? Il n'avait pas eu de carrière politique, donc, qu'il pouvait y avoir une forme de survie, puisque dans le mythe terminal du De Republica, il accorde une possibilité de survie aux âmes, mais pas à toutes les âmes, uniquement aux âmes des hommes vertueux, et tout particulièrement... Aux âmes des grands hommes qui ont bien servi la patrie. A cela, il leur accorde une forme de survie astrale. Leur âme rejoindrait les astres. C'est un mythe qui est évidemment d'inspiration platonicienne. Mais pour Thulia, quel type de survie pouvait-il lui accorder en lui élevant ce sanctuaire ? C'est un point sur lequel on s'interroge encore. A la fin de sa vie, José Caniturpa, cet homme qui a beaucoup souffert et qui a certainement cru au destin, comme sans doute les hommes politiques peuvent y croire, à partir de sa réflexion philosophique profonde, c'est-à-dire après la mort qui a marqué sa vie, celle de... de sa fille Thulia, pour laquelle il pensait même composer une apothéose. Il s'est mis à pratiquer le doute systématique, et son grand combat, c'est celui contre le destin, il combat avec les... les armes politiques avec les armes de la philosophie dans le dédivinationné mais finalement le dernier grand livre ce sera le Défato où il entreprendra de montrer que le destin stoïcien qui donnait ses armes à la divination est faux mais c'est sans doute un ouvrage il nous est parvenu incomplet mais où Cicéron sont-elles tous les arguments des stoïciens ? Les stoïciens qui étaient des matérialistes, au sens moderne ou au sens ancien, pensaient que le monde était gouverné par un principe matériel qui était le feu, qu'on appelait aussi Jupiter par communauté, et que ce feu compénétrait tous les êtres et correspondait à une providence. Et puis ils avaient un discours logique aussi très fort, et Cicéron a entrepris de le désarticuler complètement. Sous-titrage Société Radio-Canada José-Thierpache Cicéron, est-ce qu'il y a une remise en cause du religieux ? Le religieux est maintenu par Cicéron. C'est un homme qui a toujours fait partie de l'académie sceptique et finalement, comme Platon, il pense qu'on ne peut pas connaître la vérité. Et sa critique de la croyance en la divination est une critique qui est fondée sur la volonté, dans la vie quotidienne et dans la vie politique, de maintenir la liberté. Mais notamment pour la divination naturelle, c'est-à-dire la divination inspirée, qui ne fait pas partie de la culture romaine, il a un certain doute. Mais il ne prononce pas un interdit sur la croyance. Je sais que chez Platon, il y a toujours ce rapport entre la vérité et le mensonge. Oui. Comment ça s'articule en fait ? Chez Cicéron ? Oui, chez Cicéron. Il aborde de fond le problème du mensonge et de la vérité dans un contexte qui n'est pas du tout platonicien, c'est dans le contexte de la prise des auspices. Parce qu'une énonciation peut être fausse, un tribun qui veut, à juste titre, que Crassus ne parte pas en guerre contre l'Eparte, ne fasse pas tuer ainsi que ses fils et toute son armée, a prononcé un auspice. défavorable qui était mensonger donc l'énonciation était fausse mais elle a été considérée comme vrai puisque elle a été suivie de son accomplissement donc il y a là un rapport qui est authentifié par les augures entre la vérité et le mensonge qui est du ressort de la logique même de la logique moderne D'une manière générale, pour la divination, en effet, il examine le caractère vraisemblable ou non des prédictions. Et là, pour lui, il est évident que cela paraît invraisemblable. Une matronne qui désirait un enfant mais qui n'était pas certaine d'être enceinte rêva qu'elle avait le sexe scellé. Elle consulta un interprète. Il affirma que puisqu'elle se trouvait scellée, elle ne pouvait concevoir. Mais un autre lui assura qu'elle était enceinte, car jamais on ne scellait rien de vide. Où est l'art de l'interprète quand il ne fait que berner avec intelligence ? La plupart des textes sur la divination sont empruntés aux grands poètes ou à la légende grecque et à la légende latine. Et lorsqu'ils racontent ces récits, Certains rêves, par exemple, il lui arrive, lorsqu'il ne reprend pas les grands textes sacrés, de mimer la parole des vieilles femmes un peu radoteuses et avec une rhétorique très plate. Et quand il reprend les textes, au contraire, il est extraordinairement nerveux et il n'a pas cette rhétorique qui peut nous sembler quelquefois un peu lourde. Je ne sais sûrement pas. Alors, Cicéron, dans le livre des Divinations, évoquent leurs rêves. Bien sûr, il y a les augures, il y a plein d'autres choses, les auspices, mais il y a quand même une fonction importante et très singulière, très originale qui l'accorde aux rêves. Il fait raconter à son frère un rêve. qui est dans la lignée des grands rêves poétiques, notamment un rêve d'Egnus avec le fleuve et tous les grands symboles liés au rêve. Ce pourrait être un rêve freudien. pour Cicéron dans le rêve ? Quelquefois, on a l'impression que oui. Et que son frère était moins là que Cicéron a cru à son rêve avec l'émotion. Peut-être après tout, a-t-il cru aussi au songe de Scipion ? Il y croit comme homme émotif et sa grande rationalité, sa grande probabilité intellectuelle l'oblige ensuite à critiquer les rêves. Et puis aussi, sa croyance en la liberté. Il pense que... La croyance aux formes de la divination alienne... Le projet de la divination c'est une mise en cause en fait. C'est une mise en cause de la divination et des processus de pensée qui amènent à croire en une prédiction de l'avenir non fondée sur des procédés rationnels. C'est ce qu'il défend, peut-être essentiellement, dans cette république aristocratique, c'est le fait que la vie politique... ne soit pas dominé par un individu. C'est le pouvoir personnel, c'est tout ce qui peut paraître un élément monarchique dans la vie politique. Philippe Moreau. Vis-à-vis de César, son jugement personnel était probablement complexe. Il y avait d'ailleurs réciproquement probablement une véritable estime de César pour Cicéron et de Cicéron pour César. Cicéron, comme César, écrivait... et ces messieurs s'échangeaient leurs ouvrages, se faisaient hommage de leur production littéraire. César était conscient des qualités intellectuelles de Cicéron. Mais à partir du moment où César s'affranchit de la règle légale, qui pour Cicéron est absolument indispensable au fonctionnement de la République, à partir du moment où il refuse de se plier aux injonctions du Sénat, à partir du moment où il souhaite faire intervenir l'armée comme un élément déterminant dans la conquête du pouvoir, Cicéron s'oppose. Le seul point qui l'a fait hésiter dans son opposition absolue au projet de César, c'est la guerre civile. Cicéron a eu l'exemple de la guerre sociale, de la guerre contre des cités italiennes, où il a été lui-même un combattant, un officier. Il a eu... L'expérience de la guerre civile à l'époque de Silla, des massacres sillaniens, et il en a gardé une horreur profonde pour ce qui est pour lui le mal absolu. La discorde à l'intérieur de la cité, les citoyens se massacrant. Dans l'étude que l'on a édite, il partage finalement l'opinion qui est celle de Socrate où la mort n'est rien et c'est un long sommeil. C'est la position de Lucrèce que Cicéron a eu la grandeur de publier, si c'est bien lui qui l'a publié, comme il est rassemblable, où c'est un long sommeil, ou bien c'est l'occasion de parler aux grands héros à laquelle leur sagesse a conféré l'immortalité. Alors il ne le dit pas sous cette forme mythique dans l'étude là, mais c'est un homme qui a... a su avoir l'audace du doute jusqu'au bout et il se refuse à donner une réponse absolue alors qu'il demande à sa morale sceptique tout de même une ligne de conduite, elle peut la lui donner, c'est ça le scepticisme n'empêche pas une morale ferme et une morale politique Après l'entrée de César en Italie, les opérations militaires commencent. Très rapidement, Pompée doit quitter l'Italie devant la pression militaire de César. La question qui se pose à Cicéron, c'est, va-t-il aller combattre avec les partisans de Pompée et du Sénat dans l'armée en Grèce ? Il hésite énormément. Il hésite énormément. Ses positions politiques l'auraient poussé à rejoindre Pompée, mais la perspective de la guerre civile et surtout la perspective d'une victoire de ses propres amis, qu'il redoutait autant pour ses conséquences que la victoire de César, l'ont retenu. Il est à ce moment-là, je dirais, dans la demi-mesure. Il n'en fait pas assez pour contenter. Pompée est les partisans du Sénat, mais il en fait malgré tout suffisamment pour se marquer comme ennemi de César. A ce moment-là, on peut dire qu'il perd sur tous les tableaux. César est vainqueur de Pompée. Pompée, après sa défaite militaire, fuit en Égypte où il est assassiné. Et César est maître du jeu politique. Et il joue d'ailleurs... d'une vertu qui est la vertu de clémence et petit à petit il laisse revenir en leur pardonnant ses anciens adversaires politiques. Cicéron bénéficie, Cicéron et sa famille bénéficient comme les autres de ce pardon de César. C'est probablement d'ailleurs ce qui lui a été le plus douloureux de devoir accepter ce pardon de César. Il est marginalisé dans la vie politique, il s'abstient la plupart du temps de siéger au Sénat puisque le Sénat n'a plus qu'un rôle de chambre d'enregistrement, ce qui lui est absolument insupportable. Il est obligé de plaider devant César en faveur de certains des ennemis vaincus de César. Comble d'horreur, il est obligé, lui, le maître du forum romain, de plaider dans la demeure privée de César, seul juge de fait. pour obtenir des faveurs et la clémence du dictateur. Et c'est un moment de profonde souffrance personnelle qu'il combat par une activité littéraire tous azimuts, par une activité philosophique, par une activité de théoricien de la rhétorique et par une activité de théoricien de la vie politique sur laquelle il ne peut plus agir. Il ne participe pas directement au complot de Brutus et de Cassius contre César. Il a probablement été informé du projet d'assassinat. On prétend qu'après avoir plongé son propre poignard dans le corps de César, Brutus l'aurait levé et aurait invoqué le nom de Cicéron, l'associant en quelque sorte à l'assassinat du dictateur. Rappelle-toi donc, Antoine, ce jour où tu as aboli la dictature. Replace devant tes yeux l'allégresse du Sénat et du peuple romain. Mais en parallèle, le monstrueux trafic auquel vous vous livrez, toi et les tiens, alors tu comprendras quelle différence il y a entre le lucre et la gloire. Mais, si l'attrait de la gloire ne peut t'amener à une conduite vertueuse, la crainte ne peut-elle pas non plus te détourner des actions les plus infâmes ? Ramène enfin, je t'en prie, tes regards sur la République, Marc-Antoine. Considère ceux dont tu es issu. Et non ceux avec qui tu vis, avec moi tu feras comme tu voudras. Réconcilie-toi avec la patrie. Mais à toi d'aviser pour toi-même. Quant à moi, je ferai à mon sujet cette déclaration. J'ai défendu la République dans ma jeunesse, je ne l'abandonnerai pas dans ma vieillesse. J'ai méprisé les épées de Catilie. je ne redouterai pas les tiennes. Bien plus, je ferai volontiers le sacrifice de ma vie, si, par ma mort, je puis réaliser pour les citoyens leur établissement de la liberté, pour qu'enfin la douleur du peuple romain enfante ce dont elle est en travail depuis longtemps. Merci. d'empêcher la réinstallation d'un pouvoir personnel au bénéfice de l'un ou l'autre des héritiers de César. Il n'a plus à ce moment-là que l'arme de la parole. Et il la manie, il la manie au Sénat, il la manie aussi en diffusant sous forme de discours des pamphlets politiques d'une extraordinaire violence contre Marc-Antoine, ce sont les textes que l'on appelle les philippiques. Et il est désormais noté comme un ennemi irrémédiable du système politique. Il tente de pousser Brutus et Cassius à l'union et à l'action. Et sa correspondance nous montre d'ailleurs qu'il a parfaitement conscience d'échouer dans sa volonté de diriger en sous-main Brutus et Cassius dans leur lutte contre les héritiers de César. Donc la fin de sa vie est un combat, un combat qu'il perd. Et on est dans une époque où l'échec politique signifie la mort physique. De même qu'il y avait eu des proscriptions à l'époque de Marius, puis à l'époque de Silla, et Cicéron avait vu les proscriptions sillaniennes, il y a de nouveau des proscriptions. Octave, Antoine et Lépide se mettent d'accord sur une liste d'adversaires politiques dont on fera afficher les noms à Rome et que tout citoyen pourra mettre à mort légalement. Et Antoine obtient... d'octave que le nom de Cicéron et de membres de sa famille soient placés sur cette liste de proscription. A partir de ce moment-là, Cicéron est un homme mort et les circonstances matérielles de sa mort ne sont qu'une question purement pratique. Étant donné que les anciens accordaient, grecs et romains, accordaient une extraordinaire importance au récit des derniers moments des grands hommes, on pensait que l'attitude d'un homme face à la mort était en fait la pierre de touche. de toute son existence. Il est très extraordinaire pour nous qui voyons la mort comme un moment de dépossession de soi qui ne peut en aucun cas être l'élément qui permet de juger de la vie d'une personne. Pour les anciens c'est le contraire. L'attitude face à la mort est ce qui permet de juger définitivement de ce qu'a été un individu. Et donc, nous connaissons de manière tout à fait détaillée les circonstances de la mort de Cicéron. Il est réfugié dans une de ces villas à Formy et il hésite. Va-t-il s'embarquer, prendre le bateau et tenter l'exil ? Une forme de lassitude probablement s'empare de lui. Il peut aussi bien être assassiné en Grèce qu'il peut l'être en Italie. Donc il s'enfuit en litière, porté par ses esclaves, accompagné de quelques affranchis, et il est rejoint par des soldats. Et l'officier qui commande ces soldats est un homme que jadis Cicéron a défendu en justice, qui selon les conceptions romaines était donc désormais lié à lui par un lien très fort, un lien quasi-filial. Et cet homme donc s'apprête à appliquer la décision de proscription. Cicéron fait poser sa litière. Il tend la tête hors de sa litière et il voit le soldat qui va l'assassiner trembler. Cicéron passait pour un des hommes les plus spirituels de son époque. Et quelques minutes avant sa mort, il lance à celui qui hésitait à le tuer, Que serait-ce si c'était ton coup d'essai ? Puis, il renonce à parler et on lui coupe la tête. Couper la tête d'un proscrit, c'était donc tout simplement la condition nécessaire pour obtenir le paiement de son acte. Il n'y avait aucun autre moyen d'identification. Pour le fait du proscrit, il fallait apporter physiquement son visage au caisseur, au magistrat, qui était chargé de la gestion du trésor public du peuple romain. Et c'est une procédure tout à fait administrative. C'est donc au vu de cet élément de preuve qu'était la tête du proscrit que l'on versait le montant de la proscription. En revanche, couper les mains de Cicéron était un acte de cruauté gratuite. Antoine l'avait exigé. pour punir Cicéron d'avoir écrit contre lui la deuxième Philippique. Et Plutarch et Titlive, qui nous font connaître ces détails macabres, racontent qu'on a apporté la tête et les mains de Cicéron à Antoine alors qu'il était au Forum romain en train de présider une élection. Il s'en est bruyamment réjoui et il a ordonné que l'on place sur la tribune au harangue celle d'où Cicéron, magistrat, avait. très souvent parler au peuple, la tête et les mains de Cicéron. Et les deux historiens ajoutent que le peuple romain ne pouvait pas passer devant la tribune au Harangue sans verser de larmes. Alors, Asayas, si c'est bon, il y a une grande générosité qui est donnée à l'autre, peut-être à ceux dont il lui-même est issu, en fait, la possibilité de pouvoir penser en tant que citoyen. Oui, c'est vraiment formé à une pensée citoyenne, mais il sait bien qu'il n'est pas maître de philosophie, il n'a jamais revendiqué ce statut. C'est une incitation à penser. C'est en cela que... C'est une démarche généreuse, c'est une incitation à penser ensemble, et ça peut être dans le conflit. Le conflit est parfaitement accepté, il y a des dialogues où franchement on échange des boutades qui pourraient être jugées déplaisantes dans d'autres contextes, mais ça fait avancer, le ton reste toujours courtois, mais dans cette réécriture qui nous présente des mises en scène, la dimension de polémique et de confrontation n'est jamais occultée. Les argumentations sont souvent précises, violentes. n'hésite pas à recourir à des provocations, surtout quand il s'agit de se moquer de ses amis épicuriens. C'est une générosité qui, en même temps, inclut la taquinerie, quelques pics. C'est-à-dire que c'est tout l'homme, comme on le voit dans ces procès civils ou politiques. Il n'hésite pas à caricaturer. Il a le trait vif, parfois lourd. Il change, il a beaucoup de couleurs. Mais disons que dans tout cela, il s'agit de donner la possibilité aux Romains de penser qu'on peut maintenir le débat sur des questions qui sont essentielles. Qu'est-ce que le politique ? À quoi doivent ressembler les lois ? Dans quelle constitution vivons-nous ? Est-ce que notre constitution repose sur la justice ? Tout cela qui sont des questions fondamentales, il n'y a aucune raison que ça reste cantonné à des débats de spécialistes. Et c'est cette démarche constante de ramener tout avec... Il ne s'agit pas simplement de dire je vais poser toutes ces questions au cœur du forum. Je vais faire en sorte qu'il soit possible de les poser au forum, c'est-à-dire en ayant proposé une définition de l'éloquence, de la maîtrise de la parole, qui soit, je dirais, aux antipodes de ce qu'une certaine tradition a voulu faire de l'héritage des sophistes. Donc, c'était un énorme travail. Il s'agissait de... Rappelez que bien sûr la parole peut être mensongère, bien entendu on peut tromper. Mais la parole c'est d'abord surtout un outil de communication, c'est un lien, c'est le lien le plus profond qui unit les hommes et que tant qu'on ne l'a pas détruit, tant qu'on peut encore parler, et c'est un homme qui va mourir d'avoir parlé. Donc, ce ne sont pas des paroles en l'air. Tant qu'on peut encore parler, on peut sans cesse maintenir vivant le lien social et politique. Je crois que c'est vraiment ça qui anime de manière constante la démarche de Cicero. Michel Cazan, par rapport au Dieu, par rapport à la divination, quel est le positionnement de Cicéron ? Il est, je dirais, double. Premièrement, est-ce que ça concourt à ce que la cité tienne ? Alors là, il y a effectivement une sorte d'antiquité de toute façon, de rite, l'augura, etc. Si c'est en lui-même, il sera augure, ce qui est quand même assez étonnant pour quelqu'un qui ne croit pas. Mais il sera augure, donc ça, on donne tout à fait son accord. Mais sur le fond... Il n'est pas question d'y croire un instant. Et alors là, je dirais, il y a un usage, qui est un usage strictement politique, pour ne pas dire un usage stratégique, tactique, de la part de Cicéron, de tous les procédés, et même d'ailleurs de la religion civique. J'en prends quelques exemples. Lorsqu'il se bat, il se dresse, enfin, nous raconte-t-il, il se dresse contre la conjuration de Catalina, dans la troisième catégorique, il rappelle qu'un certain nombre de prodiges sont survenus, et des prodiges qui, à l'évidence, annoncent un grand péril pour Rome. Enfin, simplement, ce qu'il oublie, c'est que ces prodiges sont survenus deux ans avant, ce qui veut dire quand même que, bon, l'histoire bégait quand même. avant de se révéler. On voit très bien qu'au moment de l'affrontement vraiment extrêmement fort avec Clodius, Clodius étant là en train d'éveiller, si on peut dire, au parti des populares, alors que César est en train de guérir en Gaulle, au moment de l'affrontement avec Clodius, Cicéron va prononcer un grand discours. Enfin, il va prononcer un grand discours. Il faudrait examiner aussi les discours qu'il a prononcés réellement. Parce que maintenant, je crois que tout le monde n'est pas prêt d'accord pour dire qu'il les a largement réécrits après. Qu'il s'est passé. Enfin, va prononcer en principe, disons, un grand discours, la réponse des aruspices devant le Sénat. Et on voit bien même dans son texte que beaucoup de sédateurs ont quelques réticences devant ce qu'il déclare. Il n'y croit quand même pas tout à fait. Dans laquelle il montre que, d'une certaine manière, il y a eu tout un certain nombre de prodiges qui ont eu lieu. On les connaît, ils sont tout à fait datés, en 1956, qui annonçaient donc des choses mauvaises. Mais évidemment, si ce prodige a eu lieu... c'est que c'était la faute de Claudius et donc c'est la faute de son adversaire donc les dieux ont manifesté qu'ils étaient du côté de lui, Cicéron, contre son adversaire. Bon, et puis, je veux dire, une fois qu'on est lancé comme ça, on ne s'arrête plus. Au moment de l'affrontement avec Marc-Antoine, après l'assassinat de César, au moment où il choisit Octave contre Marc-Antoine, quand il écrit les Philippiques, alors que Marc-Antoine avec Dolabella, tous les deux ont été obligés de partir de Rome, on voit très bien comment Cicéron va là aussi sortir tout un son de prodiges qui se sont produits au tournant des années 44-43, pour montrer précisément qu'à travers ces prodiges, les dieux ont abandonné Marc-Antoine et de la Belle-Lande. Alors c'est absolument curieux. toujours du côté de Cicéron et sont toujours contre ses adversaires. Et c'est tellement manipulateur d'une certaine manière, et Cicéron le sait tellement bien lui-même, qu'en réalité cette façon par exemple dont il se sert des prodiges contre Marc-Antoine et de la Bella, on le sait à peu près. à peu près maintenant la quatrième philippique, il la prononce devant le peuple. Alors là, il parle des prodiges. Parce qu'on sait bien que le peuple romain est quand même assez facilement superstitieux, et que donc c'est un argument qui est capable d'impressionner le peuple. Mais la troisième philippique, qu'il ne prononce pas devant le peuple. Il n'y a plus aucune mention des prodiges. Parce qu'il se trouve devant des gens dont il sait qu'eux, ils savent de quoi ils retournent, qui sont ses égaux, si l'on peut dire, qui eux aussi le mosmaïoum quand même, le fréquentent et l'ont intériorisé. Et... et que donc on ne leur a fait pas croire. Et donc on voit très bien que selon l'auditoire auquel on s'adresse, on s'en sert ou on ne s'en sert pas. Alors c'est ça qui est assez extraordinaire dans Ciceron, par rapport à la définition, au prodige, c'est-à-dire de voir de quelle manière il s'en sert, avec un art de la manipulation absolument extraordinaire. Alors, ceci dit, il faut être honnête. Je veux dire par là qu'en même temps, il y a une certaine logique dans sa position. Je veux dire que, d'une certaine façon, la théorie politique de Ciceron, c'est qu'en gros il doit y avoir une conduite raisonnable de la cité alors évidemment par définition ceux qui ne sont pas d'accord avec Louis Cicéron sont hors de la raison ils sont déraisonnables donc ils empêchent une conduite raisonnable de la cité d'où effectivement les dieux qui se manifestent par des prodiges pour montrer que vraiment tout cela ne va pas alors d'une certaine façon à quoi est-ce que cela tend ? c'est tout à fait logique avec sa philosophie enfin j'ai osé à peine servir le mot de philosophie pour politique, mais enfin, disons, avec sa conception politique, c'est qu'il est là pour conduire le peuple dans la voie de la raison, et donc on fait appel au Dieu, effectivement, pour venir le sanctionner. Mais ce qui veut dire qu'en réalité, disons-le dans les termes d'aujourd'hui, il veut faire le bien du peuple malgré lui. Et je dirais que pratiquement il aura passé toute sa vie à ça. Puisque finalement, le peuple se sera toujours trompé, puisque c'est toujours Cicéron qui a raison, c'est qu'il se trouve que l'histoire lui donne toujours tort. Souvent, Quintus, je t'ai raconté mon rêve. Souvent, je t'ai entendu conter le tien. De mon côté, quand j'étais pro-consul en Asie, j'ai rêvé que tu arrivais à cheval sur la rive d'un grand fleuve. Soudain, te voilà emporté au galop, précipité dans le fleuve, et comme tu ne réapparaissais nulle part, je me suis mis à trembler de terreur. Tout à coup, tu as ressurgi, heureux, puis, sur le même cheval, tu as remonté la rive et nous nous sommes embrassés. L'interprétation de ce rêve était facile, et les spécialistes m'ont prédit en Asie les événements qui se produisirent par la suite. Il y a un texte magnifique du Deoratoré qui est lié à Asimodi, qui est un des plus beaux textes qui font de l'art de la mémoire. Et ce texte est lié mort, souvenir, ordre, et il est écrit dans un latin d'une très grande beauté, dont les mots grammaticaux qui vont ensemble sont... comme dans la grande prose cicéronienne, séparée. Et cette rupture est aussi une rupture cicéronienne. Quand on entend ces discours qui sont admirables, on aurait tendance à les lire comme un continu qui n'est plus celui de notre goût. Or, Cicéron est peut-être avant tout l'homme plus discontinu. C'est pour ça aussi que sa langue est, je crois, très moderne. Mais ce qu'on oublie parce qu'on lui plaque une rhétorique continue. Il faut relire ce texte de Simonide, il est admirable, très difficile pour les étudiants parce que précisément l'ordre paraît chamboulé, mais l'ordre est poétique, l'ordre est de la rupture, presque du côté de Joyce, du côté d'Olivier Cadiot. Il peut être lu de manière tout à fait moderne. Il faut renoncer à cette orchestration rhétorique qui vient... Des défauts de nos traductions et des défauts de ma propre traduction. Il faut se plonger dans le latin. C'était Une vie, une oeuvre, Cicéron, par Florence Marguier, avec José Canet-Durpa, Clara Ouvré-Azaiaz, Philippe Moreau, Michel Casnard. Texte lu par Philippe Lodenbach. Prise de son, Michel Thomas, Alexandre James, Annick Rien. Mixage, Philippe Palares. Réalisation, François Connac.