La frontière entre le Mexique et les Etats-Unis est une frontière entre deux Etats. C'est une frontière de géographie physique, vous allez le voir. Mais elle est aussi linguistique, économique, c'est un enjeu migratoire. C'est donc un point de contact assez brutal entre le Nord et le Sud. Elle est donc particulièrement intéressante à étudier.
La frontière qui sépare les Etats-Unis du Mexique va de l'océan Pacifique au golfe du Mexique. Elle est longue de 3141 km au total. Et sur ces quelques 3000 km, le fleuve Rio Grande a été utilisé comme frontière entre les deux États sur plus de 2000 km de long. Quand on s'approche du milieu naturel, on voit que le fleuve serpente souvent dans des paysages montagneux, en s'écoulant au fond des canyons. La frontière est ici matérialisée par le trait jaune.
Et de part et d'autre, c'est une zone désertique. Et ce paysage nous est presque familier par les images des films de western. Et quand on voit le terrain...
On mesure à quel point cette frontière est à la fois difficile à franchir dans la clandestinité et difficile à contrôler sur une telle longueur et dans une telle géographie. Côté États-Unis d'Amérique, la frontière longe quatre États fédérés et côté Mexique, elle longe six États de la Fédération mexicaine. Son tracé final date de la fin des affrontements militaires qui ont opposé les Mexicains aux Anglo-Américains de 1835 à 1848. Alors justement, faisons un petit peu d'histoire en comparant deux cartes. Celle que nous connaissons du Mexique d'aujourd'hui, puis celle montrant ce dont le Mexique avait hérité à son indépendance en 1821, c'est-à-dire, on le voit, une superficie beaucoup plus importante. Alors que s'est-il passé ?
D'abord en 1836, donc 15 ans après son indépendance, le Mexique perd le Texas, plus ce morceau de territoire à l'est du Rio Grande. peuplé majoritairement de colons européens et américains. Ensuite, en 1848, les États-Unis déclarent la guerre au Mexique.
Ils refusent de vendre la Californie. Et les États-Unis prennent ainsi les terres situées au nord-ouest du Rio Grande. Et puis enfin, le Mexique vend un dernier petit bout de terrain en 1853. C'est ce qu'on appelle l'achat Gadsen, qui va permettre ensuite le passage de la ligne de chemin de fer du sud des États-Unis.
Ce qui fait qu'en 30 ans, entre... les affrontements et les ventes, le Mexique a perdu la moitié de son territoire. Aujourd'hui, il y a 310 millions d'habitants du côté américain et 112 millions du côté mexicain. Mais l'écart entre les deux pays est encore plus grand au niveau économique. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat d'un Américain est trois fois et demi supérieur à celui de son voisin mexicain.
Et ce différentiel économique a induit un important flux migratoire vers le nord. Vous voyez sur la carte les principaux points de passage du Mexique vers les Etats-Unis. Le record du nombre de passages est détenu par la ville de San Diego, où plus de 100 000 personnes passent chaque jour. Alors les deux pays ont bien sûr tenté d'encadrer à plusieurs reprises ce flux migratoire, notamment avec un programme de développement de la frontière connu sous le nom de Maquiladoras.
Là encore, en survolant les villes jumelées de El Paso, côté américain, et Ciudad Juarez, côté mexicain, on voit bien comment ce développement a opéré. D'abord, vous remarquerez que les villes américaines et mexicaines semblent ne former qu'une seule agglomération, mais qui est divisée en deux par une frontière d'État, avec un certain nombre de points de passage. Vous voyez également côté mexicain, donc à droite, des maquiladoras. Ce sont de grandes usines où sont assemblées des produits manufacturés tels que le textile, la mécanique et les chroniques, c'est-à-dire à faible valeur ajoutée, et qui sont ensuite réexportées vers les États-Unis, mais aussi vers le Rampoule Japon.
Ces maquiladoras sont un double avantage. Côté mexicain, elles favorisent la création d'emplois pour une main-d'œuvre jeune, nombreuse, peu qualifiée, donc un certain développement économique pour le pays. Côté américain, la main-d'œuvre est moins chère, les produits fabriqués sont exonérés de droits de douane à l'exportation.
Et en principe, cela fixe sur place les migrants potentiels qui sont à la recherche de travail. Le développement des maquiladoras a été spectaculaire du fait de l'entrée du Mexique dans l'ALENA, c'est-à-dire l'accord de libre-échange nord-américain signé en 1994, et aussi l'entrée du pays dans l'OMC en 1995. En 2010, il y a 5283 maquiladoras au Mexique, dont plus de 3000 sont situés dans les États frontaliers. Et les États-Unis sont le premier partenaire commercial pour Mexico, représentant 80% des exportations et 48% des importations. Sauf que depuis quelques années, le dynamisme économique des maquiladoras s'essouffle pour au moins deux raisons. D'abord, la Chine a dépassé le Mexique en nombre de délocalisations.
Donc les importations américaines venant de Chine dépassent celles venant du Mexique du fait des coûts de main-d'œuvre qui sont encore plus compétitifs en Chine. Ensuite, ce système tournait exclusivement vers l'exportation et restait isolé du reste de l'économie mexicaine et il n'a pas dynamisé les autres secteurs économiques du pays. Donc cet essoufflement des maquiladoras se traduit par une hausse du chômage côté mexicain qui vient grossir le flux des migrants. qui partent en clandestin vers les États-Unis.
Donc regardons maintenant l'implantation des ressortissants mexicains aux États-Unis. Cette carte nous montre que la migration mexicaine est avant tout concentrée le long de la frontière américaine et dans l'ouest des États-Unis. Au total, les Mexicains sont 11,5 millions, soit 30% de la population américaine née à l'étranger.
C'est la première communauté de citoyens américains nés à l'étranger. Les Mexicains constituent aussi la première communauté de clandestins, migrants entrés ou résidents clandestinement aux États-Unis. Cela fait environ 7 millions de personnes, soit à peu près 60% des clandestins présents aux États-Unis, selon les chiffres du ministère américain de la Sécurité intérieure. Et ce mouvement de population mexicain renforce dans son ensemble la communauté hispanique aux États-Unis. Si on ajoute migration et soldes naturels dus à un taux de fécondité élevé, Le nombre d'Hispaniques devrait, d'ici 2050, passer de 15 à 30% de la population résidente aux États-Unis.
À cette date, les Américains blancs ne représenteront plus la majorité absolue aux États-Unis. La langue est aussi un indicateur qui permet de mesurer l'importance croissante des Hispaniques. Cette carte des Hispanophones installée de part et d'autre de la frontière montre que la frontière entre Amérique anglophone et Amérique hispanophone ne correspond plus tout à fait à la frontière de souveraineté.
En juin 2010, sur les 20% de résidents américains parlant désormais une langue autre que l'anglais à la maison, plus de la moitié parlent espagnol, soit près de 37 millions de personnes. Alors tout cela entraîne parfois aux États-Unis des réflexes identitaires. Le politologue américain Samuel Huntington, qui est l'auteur du Choc des civilisations, estime dans son livre Who We Are que face à une communauté hispanique de plus en plus importante numériquement, concentrée dans certaines régions du pays, parlant une autre langue que l'anglais, provenant en partie de l'émigration clandestine, et refusant de s'assimiler, la nation américaine risquerait finalement d'éclater. Ces Mexicains américains formeraient une sorte de cinquième colonne du Mexique. Elles pourraient revendiquer un jour le rattachement des anciens territoires mexicains à la mère patrie.
sur lesquels elle aurait un droit spécial et historique qu'aucune autre minorité ne pourrait revendiquer aux États-Unis. Tout cela pour expliquer que, face à cette poussée migratoire qui est difficile à maîtriser, le contrôle de la frontière physique entre les deux États est devenu un enjeu important pour les gouvernements américains, et tout particulièrement depuis le 11 septembre 2001. Par son étendue et sa configuration désertique, la frontière que l'on voit ici entre l'Arizona et le Sonora favorisent évidemment les trafics, des trafics humains, avec les candidats à l'immigration clandestine et de nombreux trafics de drogue. Quatre cartels se sont partagés, le contrôle de la frontière, Golfe du Mexique, Juarez, Sinaloa et Tijuana. Mais ce partage territorial est régulièrement remis en cause.
Par exemple, dans cette région montagneuse que nous survolons actuellement, qui est située entre Sasabe et Nogales, Deux factions du cartel de Sinaloa se sont affrontées pendant l'été 2010, entraînant la mort de 21 personnes. Mais cette guerre pour le territoire oppose avant tout les cartels au gouvernement fédéral mexicain. Le président Calderón a lancé en 2006 la guerre contre les cartels, ce qui a plus en fait exacerbé la violence qu'elle ne l'a réduite. On estime qu'en 10 ans, il y aurait eu entre 25 000 et 28 000 morts.
Côté américain, l'État fédéral a décidé en 2006 de procéder à la construction, le long de la frontière, d'une barrière physique et électronique qui s'étend désormais sur environ 1100 km. Le contrôle de cette frontière sud des États-Unis absorbe 88% des ressources humaines et matérielles du dispositif frontalier américain. Sans compter les milices de citoyens américains. Vous voyez ici une de leurs photographies de propagande, où ils ont pris soin de dissimuler leurs plaques minéralogiques, avant de diffuser la photo sur Internet. Certains États frontaliers américains veulent même se passer des lois de l'État fédéral.
En Arizona, par exemple, la police de l'État est autorisée par la loi, depuis avril 2010, à contrôler les résidents. Dès lors qu'elle a un soupçon raisonnable sur leur statut, ce qui ouvre évidemment la porte aux discriminations par le faciès, donc la Maison-Blanche cherche à empêcher l'application de cette loi en déposant une plainte contre l'Arizona. Alors que peut-on retenir de tous ces éléments ? C'est un petit peu comme si on avait plusieurs sortes de frontières. La frontière linguistique s'estompe peu à peu, et ce des deux côtés.
La frontière de l'emploi, elle aussi, est de plus en plus mobile. Beaucoup de Mexicains travaillent aux États-Unis, et cela arrange les employeurs américains. dans le sens du nord vers le sud, les transferts financiers vers le Mexique sont eux aussi très importants.
Et puis troisièmement, il y a cette frontière de sécurité. Les lois américaines, le mur qui a été construit se voudraient de protection, car la frontière de souveraineté nationale, elle n'est pas négociable et elle ne bougera pas. Alors pour approfondir ce thème, vous pouvez lire Etats-Unis, Mexique, géopolitique de la frontière de Jean Munoz aux éditions de l'Armatan.
Et vous référez pour d'autres ouvrages en français et en allemand à notre site du Dessous les Cartes sur arte.tv