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Vie en prison à Donnacona 1999

La violence, la drogue et l'alcool ne s'arrêtent pas aux portes des pénitentiaires. Jean-François Lépine, en 1999, s'interroge qui mène en prison. Bienvenue au Grand Reportage. Ce soir, nous vous présentons un document exceptionnel qui a été éprimé à plusieurs occasions.

Jean-François Lépine et son équipe ont visité en 1999 le pénitencier à sécurité maximale de Donnacona. Isabelle Richer, notre chroniqueur judiciaire, est avec nous pour en parler, parce que si on parle de Donnacona, c'est qu'un des principaux personnages dans le reportage fait la manchette ces jours-ci. Oui, c'est vrai. Il s'agit de Yves Plamondon, dont le surnom est Colosse. Vous allez voir pourquoi dans le reportage.

Aujourd'hui, Plamondon, c'est un homme de 63 ans qui a passé la plus grande partie de sa vie en prison, dont les 28 dernières années pour trois meurtres dont il a été reconnu coupable en 1986. Mais avant ça, c'était un trafiquant de stupéfiants assez prolifique dans la région de Québec, associé au clan Dubois. Il a été condamné à plusieurs reprises à des peines de prison. Parcours criminel bien garni.

Vous allez voir qu'il emmène large en prison. Tout à fait. Vous avez dit qu'il a été reconnu coupable, mais lui n'a jamais admis de culpabilité.

C'est vrai et c'est assez particulier, Marc-André, parce que la plupart des criminels nient leur culpabilité. Quand ils sont déclarés coupables, ils la reconnaissent quand ils ont épuisé toutes les options d'appel pour espérer obtenir une remise en liberté, une libération conditionnelle, comme on dit. Plamondon n'a jamais reconnu sa culpabilité. Au contraire, il a bataillé pour trouver des éléments qui lui auraient été soustraits. À tel point qu'il a obtenu une réouverture d'enquête et un nouveau procès à la fin du mois de novembre.

Bon, alors ensemble, on va regarder ce document qui est absolument fascinant, réalisé par notre équipe à l'époque de Zone libre. Place de frustration pour tout le monde. Pour tout le monde.

Pour les officiers, pour les détenus, pour tout le monde. Prison. C'est peut-être pas la solution, mais on va en connaître un autre. Qui mène en prison ?

J'ai toujours dit que ça dépend à qui qu'est le chiffre. ... Elle est pas pour être à 15, la bataille, y'a pas rien d'encore.

J'ai pas une âme. J'ai quand même un mâle. Je t'accuse, j'ai trois mâles. ...

C'est des ultra-violents. On est dans le maximum présentement. On est pas dans le médium ni dans le minimum.

Ici, vous avez peut-être la crainte de la criminalité au Canada. Qui mène ? Eux ou vous ?

Merci. Quelle question ! C'est sûr que c'est une prison.

C'est des criminels. C'est sûr qu'on ne peut pas tout empêcher. On ne peut pas tout voir.

On ne peut pas tout enrayer. On fait notre possible dans le fond. Ils sont plus de 350 gardiens et membres du personnel pour à peine 278 détenus.

C'est le pénitencier à sécurité maximale le plus moderne au pays. C'est pas pitié, le tout beau ! Tranquillement, tranquillement, mais sûrement. Ça sent bon ?

Quel bon déjeuner hier matin ! Bon déjeuner, encore une belle journée ensoleillée. Oui. Aux États-Unis, la même prison contiendrait au moins trois fois plus de détenus. Ici, à Donacona, les prisonniers sont très bien traités, mais ils n'aiment pas qu'on le dise.

Ça fait 22 ans que je suis en carcéricite, puis si je ne m'entraîne pas depuis le jour, j'ai un nerveux, besoin de frustration, d'entraînement, de la santé, tout ça. Nous sommes dans le 240, un secteur de la prison contrôlé en partie par les Hells Angels. Mais les Hells ne nous parleront pas dans ce reportage. Ils ont même refusé qu'on les prenne en image. Robert Perrouta est le doyen de Donacona.

Condamné à 10 ans de détention en 1977 pour une agression violente, sa peine s'est accrue par la suite à cause des crimes qu'il a commis en prison. À moins de changements, il ne sortira qu'en 2011. Moi j'ai pris pas mal de temps dans le super maximum. Je commençais avec 10 ans, il m'en restait 20 mois à faire. J'ai pris 3 ans, 5 ans, 12 ans additionnels.

J'ai remis 25 ans de l'Égypte en prison. En 93, Robert Perrouta a été condamné pour homicide involontaire dans une histoire de meurtre d'un co-détenu. Une affaire horrible où la couronne n'a jamais vraiment pu prouver qu'il était l'auteur du crime.

Mais ce meurtre-là, à l'époque, toi, c'était quoi ? Moi, j'ai pas affaire à ça au moins. Ce meurtre-là, il pense tout le temps, c'est 1000 soupçons pour faire une preuve. Tous les jours entre 8h et 11h30, les détenus sont libres de suivre des programmes de réhabilitation, d'occuper un emploi ou tout simplement de se distraire comme ils le peuvent. Les femmes ont besoin des frères.

Il a faim. Ma femme, elle fait 22 ans. À 11h30, c'est le retour obligatoire aux cellules pour le compte. Cinq fois par jour, on ramène les détenus dans leurs cellules pour vérifier si tout le monde est là. Une façon de prévenir les évasions.

Daniel Maclean est le président du comité des détenus du 240. Il est condamné à 24 ans de prison pour multiples vols à main armée. À midi après le compte, les détenus peuvent sortir de leur cellule pour manger dans la salle commune de leur aile de détention. Il n'y a pas de cafétéria centrale à Donnacona. Pour éviter les mouvements de détenus, on apporte les repas dans chacune des ailes, où ils se servent eux-mêmes. Soupe populaire, on vient manger un maillot à la soupe populaire.

Je suis sûr qu'on mange mieux. Le menu, il m'a voulu dire aujourd'hui ce que c'est. Soupe aux tomates et riz. Le riz, il est pas trop dans le sucre comme tu l'as vu. Bon.

Là, tu regardes ça, tu lis ça comme il faut. Pita à la salade de la dengue. Ha ha ha ha !

Mais tu trouves de la dengue, tu me le diras, pis c'est que ça va être louche, je t'en trouve. Ha ha ha ! Là, après ça, t'as salade de patate, trois ongles. Ça, c'est pas pire, t'as pas de délimité. Si les gens voient ce que vous mangez, ils vont tous vouloir venir en prison, ça, vous allez me dire ?

Non, ils vont trouver que c'est pas mal, quand même. Ça c'est parce qu'ils savaient que vous étiez ici. 13 heures.

Les détenus sortent pour la routine de l'après-midi. Au carrefour central de la prison, où on règle la circulation des prisonniers, les gardiens sont nerveux. On met des gants pour faire des fouilles, on met des gants tout le temps. C'est à cause du sida ? C'est à cause du sida, c'est à cause de toutes les hépatites, c'est à cause des blessures qu'on pourrait avoir.

À cause de la drogue en prison, des stéroïdes que les prisonniers s'injectent et surtout du tatouage clandestin, Les cas de sida et d'hépatite C ou B sont très nombreux, beaucoup plus que dans la population normale. Chez les détenus qui ont accepté de subir des tests de dépistage, environ 40 % sont porteurs du VIH ou de l'hépatite. On a actuellement deux officiers qui ont contracté le VIH à travers le Canada suite à des fonctions qu'ils occupaient.

Il y a une autre crainte pour les gardiens, la violence. Depuis 1995, le pénitencier est divisé en deux secteurs, le 240 et le 119. Deux secteurs pour séparer deux groupes ennemis très influents parmi les détenus. Le 240 pour les Hells Angels, le 119 pour les Rock Machine.

Il faut absolument éviter que les deux groupes se croisent. Il faut être sûr que quand ils rouvrent les grilles là-bas, ces grilles-là sont fermées, qu'il n'y ait pas de contact entre les deux. À soi !

Puis l'officier qui est sur le plancher, habituellement, ce qu'on a vu tout à l'heure, c'est tout le temps lui qui fait le signe à l'officier de contrôle pour dire d'ouvrir les portes. Alors les deux sont toujours ceux qui vivent pour être sûr qu'il n'y ait pas d'altercation, ce qui est déjà arrivé à un moment donné quand il y a beaucoup de circulation. Alors il ne faut pas qu'il y ait de contact. Quand tu es dans un contrôle comme ça, tu es là pour les gens sur le plancher, ce fiattois-là. C'est moi qui a toutes les armes ici, puis les gages.

Ici, c'est le 119, l'aile des Rock Machine. C'est un monde plus jeune, plus disparate. Il y a quatre ans, à Donnacona, les deux groupes vivaient ensemble. Mais la guerre qu'ils se livraient à l'extérieur a éclaté un jour à l'intérieur.

Une intervention rapide des gardiens à l'époque avait évité un bain de sang. Martin Blouin est un de ceux qui avait provoqué la bataille. Mais si tu entres en contact avec des Hells ou des gens qui travaillent pour les Hells, ça peut être dangereux ?

Bien, c'est sûr, ça peut faire des étincelles. Mais des étincelles violentes, ça peut être très violent ? Ça peut venir être violent, c'est sûr.

Ça fait partie de la game. Parce que la façon dont vous êtes séparés, les contrôles sont stricts, ils s'arrangent pas pour vous ? C'est sûr, ils s'arrangent pour pas qu'on se rende compte, c'est sûr. Le pénitencier a donc deux gymnases séparés, deux cours extérieurs, deux comités de détenus aussi.

Martin Blouin est un spécialiste des attentats à la bombe au sein des Rock Machine. Sa seule réputation à l'extérieur des murs fait sa force ici. Mais pour la majorité des autres, le pouvoir se mesure à la grosseur des muscles.

Est-ce que vous le faites pour vous défendre aussi ? C'est sûr, ça peut toujours servir dans le monde qu'on vit. Tu as été accusé d'un double meurtre, c'est ça ?

Oui. C'est un vol simple en fait. C'est un vol qui a débuté comme un enfant de 12-13 ans va aller voler une maison privée.

Moi je ne t'apporte pas aller voler une maison privée, sauf que ça a mal viré. Ça a viré, je me suis remonté avec deux cadres, deux omisphères. Ce n'est pas toujours facile.

Il a fallu que je vise avec les conséquences. On m'a retrouvé à peu près à 40 coques dehors. Je ne sais pas, je vais prendre ça une journée à la fois, je pense. Moi, je n'ai plus l'intention de voler, je n'ai plus l'intention de replonger dans le crème.

Mais à 45 ans, ce n'est pas évident. J'ai appris à gagner ma vie de cette façon-là. Je ne peux pas dire ma sortie.

Moi, c'est sûr que je vais faire les efforts, mais des fois, après une couple de mois, tu vas te décourager et tu retombes dans le patin. La façon plus facile de faire de l'argent, c'est la façon que tu es connu. Tu vis avec du monde qui n'ont pas aussi avant toi dans le crime. Ils ont une plus grande expérience.

Tu apprends des choses d'eux autres. C'est l'école du crime, la prison. La procédure, c'est un coup de savant. Au deuxième, c'est complètement inutile. Le premier coup fait foi de tout.

Si vous êtes pris, vous vous rendez au deuxième coup. Ça doit être un coup d'intervention. Les détenus ont beaucoup de droits en prison, même celui de faire l'amour. C'est sûr que je suis nerveux, ça fait 4 ans et demi que je suis en prison, ça fait 4 ans et demi que je n'ai pas eu de relation de soeur avec personne. Il suffit qu'un détenu ait fréquenté sa compagne depuis un an, au vu et au su des autorités de la prison, ou qu'il soit marié, pour avoir accès aux privilèges de la roulotte.

Mario Auclair, lui, a décidé de se marier. M. Mario Auclair, voulez-vous prendre Mme Vanessa Brisson ?

Il se présente pour épouse. Oui, je le veux. Il y a au moins six mariages par année en prison. Mario Auclair a rencontré sa future épouse lors d'une visite de bénévole au pénitencier.

Il est condamné à dix ans de prison pour vol à main armée, mais il ne pourra sortir que dans six ans. Avant de rejoindre son épouse à la roulotte, Le détenu subit une fouille à nu afin de s'assurer que les invités du mariage ne lui ont remis aucune drogue. Tu l'es parti ?

Non. Il passera trois jours dans cet appartement très confortable qu'on appelle la roulotte, parce qu'au début, durant les années 70, c'est dans une roulotte à l'extérieur de la prison que ça se passait. Tout ça fait partie des privilèges exceptionnels consentis aux détenus canadiens. Dans l'unité voisine de celle-ci, Yves Plamondon, condamné à la prison à vie, reçoit sa compagne et sa famille.

Pendant leur séjour en prison, s'ils ne commettent pas de délits graves, les détenus ont droit à un week-end à la roulotte toutes les six semaines. J'ai été à la main des peines, puis j'ai fait quatre semaines de tour, puis c'est pas aussi propre. C'est même beau.

C'est beau, c'est propre. Même le bâtissement en dedans aussi c'est propre. Tu sais, le gymnase, vous avez vu comment c'est écrit ?

Partout c'est propre. Ailleurs c'est pas le même. Elles sont bien ces pavés-là.

Vous êtes d'accord avec ça ? Ils ont tout. Les laveuses, les chaussures.

Ils ont tout. Est-ce qu'on s'habitue à cette vie-là ? Non, je t'habite souvent.

Je t'habite souvent. Non ? Ben non. La liberté, c'est des roses, pas ici.

OK. Bye. Yves-Colosse Plamondon était un des bandits les plus recherchés de la région de Québec. quand il a été condamné pour triple meurtre en 1986. Les gardiens l'appellent le chef des bagnards parce qu'il est le plus puissant des détenus du 240. Selon ses propres co-détenus, c'est par lui qu'il faut passer pour avoir le droit de vendre de la drogue ou pour avoir des privilèges. Rien ne se fait sans son consentement.

Officiellement président du comité des sports, même les Hells Angels, qui cohabitent, dans le 240 sont forcés de le respecter.