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Analyse du poème Marie d'Apollinaire

Ah, ça commence. Donc on reprend notre marathon des enregistrements en espérant que le lieu de la technique soit avec nous et que tout fonctionne. Le nouveau poème qu'on va étudier, le dernier d'Apollinaire, c'est Marie, donc toujours dans Alcool. Et Marie est un petit peu antérieure dans le recueil, à Saloné, pardon, donc c'est deux pages avant. Et il n'y a à peu près aucun lien entre les deux qui puisse nous permettre de rattacher le poème l'un à l'autre. En revanche, ce poème, vous pouvez le relier à un des poèmes les plus célèbres d'Apollinaire, le Pont Mirabeau, qui est tout au début du recueil, puisque c'est le deuxième poème à présent. Donc là encore, vous aviez des questions sur ce poème, donc il faut y répondre tout seul, en essayant de trouver des éléments dans le texte par vous-même. Et moi, je vais vous donner une petite trame. Une explication quand même assez détaillée qui vous permettra de faire votre fiche. Le fil directeur de l'explication, ça pourrait être le fait que ce poème est une réflexion sur l'amour et sur le temps qui passe. Une réflexion sur l'amour et sur le temps qui passe. C'est un poème assez régulier au niveau de la versification, donc c'est un poème en vers, rimé et métrique. Vous avez repéré le système de quintiles. Un quintile, c'est une strophe de cinq vers. Q-U-I-N-T-I-L C'est une strophe de cinq vers. Il garde ce système pendant tout son poème. Nous avons cinq quintiles, donc cinq strophes de cinq vers. C'est extrêmement structuré. Le choix des rimes est particulier. Nous retrouvons l'alternance rime masculine et rime féminine. avec un système de rythme croisé ABABA. Donc c'est un rythme de danse, de tressautement, qui correspond à ce qui est décrit dans la première strophe. Vous y dansez, petite fille, y danserez-vous, mère grande. Donc il faut faire attention à cette versification, parce que ça va vous obliger à repérer, par exemple, les dires. Les masques sont silencieux. Si une syllabe... E une syllabe Et mon mal est délicieux Si une syllabe E une syllabe Il faut faire attention à ça Sinon vous faussez le verre Et puis un peu avant le milieu du poème On trouve une rupture rythmique Avec le surgissement d'un alexandrin Oui je veux vous aimer Mais vous aimez à peine Donc au moment où Le thème amoureux Est introduit dans le poème Apollinaire change de rythme, allonge son vers et revient au vers lyrique, au vers élégiaque qu'est l'Alexandre. Le titre, comme pour Salomé, le titre reprend le prénom du personnage principal, personnage principal féminin, à cette différence près que dans Salomé, c'était Salomé qui parlait, vous vous souvenez, c'était un poème à la première personne, alors qu'ici, c'est le poète qui parle. « Je passais au bord de la Seine, sais-je où s'en iront tes cheveux ? » Le poète parle à Marie. Donc on a une situation élégiaque habituelle, comme chez Ronsard par exemple. Dans « Les amours » de Ronsard, beaucoup de poèmes sont adressés par le poète à la femme aimée. Une s'appelait Marie, une s'appelait Cassandre, l'autre s'appelait Hélène chez Ronsard. Donc on a une situation très proche de cela. Le prénom Marie par soi-même est assez ambigu, c'est un prénom extrêmement courant. Surtout au 19e, 20e siècle, prénom extrêmement courant, prénom à la fois populaire, à la fois aristocratique, à la fois bourgeois, qui ne dénote aucun milieu social, et prénom spirituel aussi, puisqu'il peut faire référence à la Vierge Marie. C'est un prénom qu'on retrouve dans la biographie d'Apollinaire, puisque une des femmes qu'il a aimées s'appelait Marie. Donc ce prénom est lourd de sens, et ici on n'a aucune indication nous permettant d'identifier. précisément s'il s'adresse à une femme réelle, si c'est un jeu littéraire, si en arrière-plan il a un personnage de la littérature, il y en a des centaines qui s'appellent Marie, donc on n'a aucune indication et on est à mi-chemin entre la création littéraire et l'autobiographie. Puisque de la même manière il dit jeu, on a tendance dans Alcool à associer ce jeu à Apollinaire, à considérer que le jeu qui est présent... Comme chez Baudelaire, par exemple, ou comme chez Verlaine, c'est le jeu du poète. Mais en fait, ce n'est pas toujours exact. Ce jeu, ça reste un personnage. Et dans ce poème-ci, le nom d'Apollinaire n'apparaît pas, son prénom n'apparaît pas. Dans certains poèmes d'alcool, le jeu est identifié à travers un de ses éléments. Par exemple, plusieurs poèmes font apparaître le prénom Guillaume. Alors qu'ici, on n'a rien. Pas d'évocation particulière de lieu, à part la scène. Donc on reste dans un certain flux. Vous y dansiez, petite fille, y danserez-vous, mère grand ? C'est la maclotte qui se tille, toutes les cloches sonneront, quand donc reviendrez-vous, Marie ? On n'a pas de ponctuation, comme dans tout le reste du recueil, et en revanche, la syntaxe est très simple, et vous avez à chaque fois une phrase verte. C'est-à-dire que chacun des verts fait sens tout seul, et pourrait être séparé des autres, on pourrait les remanier. dans un autre sens, sauf les deux dernières, toutes les cloches sonnent rondes. Si, mais en fait ça marche pour toutes. Donc les cinq phrases, les cinq vers, enfin les cinq vers forment cinq phrases, séparées les unes des autres et quasiment autonomes. Donc c'est tout à fait particulier parce que ça fait des unités de sens très courtes. On n'a pas des grands enjambements comme on a vu dans le premier poème, dans l'extrait d'Ozone. Des grandes séries, des phrases qui se développent sur cet hiver. On a de toutes petites entités qui font sens et qu'on peut étudier comme des petits bijoux. Chacun s'épargne. Vous y dansez, petite fille, y danserez-vous, grand-mère ? Apollinaire joue sur le temps. Il met en parallèle le passé et le futur. Donc on a une réflexion sur le temps. à travers une réflexion sur le changement, sur la vieillesse, puisque la deuxième phrase est une interrogative. « Y danserez-vous, grand-mère ? » Ce qui nous dit que c'est une interrogative, c'est l'inversion du sujet. « Danserez-vous ? » Donc c'est une question, cette question porte sur le futur, ce qui nous dit que Marie doit être une jeune femme encore, ce n'est plus une petite fille, mais ce n'est pas encore une vieille femme, une grand-mère. Apollinaire a des doutes quant à son évolution. Ça nous renvoie à nous, parce que le prénom Marie n'apparaît qu'à la toute toute fin de la strophe, et d'ailleurs, par le jeu des vers, il est isolé, il est séparé visuellement du reste de la strophe. Donc au début, quand il dit « vous » , on ne sait pas à qui il s'adresse, n'importe quelle lectrice, n'importe quel lecteur féminin. peut finalement se sentir concerné par cette question et par cette description, parce qu'on a toutes dansé, petites filles. Et on peut tous se poser de la question de savoir dans quel état on sera, dans quel état mental, dans quel état physique on sera quand on sera plus vieux. Ça peut faire penser au poème de Ronsard, « Quand vous serez bien vieille le soir à la chandelle » , qui est une invitation à l'amour construite autour d'une projection dans la vieillesse, dans l'avenir. Donc Ronsard parle à la femme aînée et lui dit « Tu ne veux pas de moi maintenant, belle, je suis plus vieux que toi et tu ne te rends pas compte de la chance que tu as, que je t'aime. Mais quand tu seras vieille et toute seule et que mon nom sera célèbre, que tout le monde chantera mes louanges, tu regretteras de ne pas m'avoir favorisé de ton amour alors que tu le pourrais. Vous y dansez. On a un adverbe Y, indéfini, qui donne une indication de lieu, mais ce lieu reste extrêmement vague. C'est juste une lettre. Ça renvoie forcément à quelque chose, parce que c'est un pronom adverbial. Donc Y, normalement, reprend un mot qui a déjà été exprimé. Or, ici, c'est le premier vers du poème. Rien n'a été exprimé. On n'a aucune idée du lieu dans lequel cela se passe ou des circonstances. parce que y peut reprendre un lieu mais peut aussi renvoyer à des circonstances une fête ou ce genre de choses par exemple j'y vais ça ne veut pas dire je vais dans un lieu ça peut dire je vais en cours je vais à la cantine ce qui veut dire d'ailleurs je vais manger ou je vais à la fête donnée par ma chanteuse L'opposition, les fins de vers s'opposent. Petite fille, mère grande. Deux âges de la vie sont évoqués, manque le troisième âge, l'âge intermédiaire, la jeunesse et l'âge mûr. C'est cet âge manquant qui en réalité est l'âge réellement évoqué. Là aussi, c'est assez habilement fait. Pour évoquer l'âge de Marie, il évoque les âges encadrant cet âge et c'est dans le silence qu'on trouve le sens. Il faut regarder la façon dont il évoque la vieillesse. « Y danserez-vous, mère grand ? » Donc il ne dit pas « grand-mère » , ce qui n'aurait absolument rien changé au niveau rythmique, ce qui aurait modifié la rime. N'importe quel poète est capable de choisir ses rimes comme il le veut. « Mère grand » , ça fait penser au petit chaperon rouge. Quand on associe petite fille et mère grand, la grand c'est une terminologie ancienne du XVIIe siècle, l'époque à laquelle Perrault écrivait ses contes, et dans l'esprit de tout le monde, mère grand, mère grand, pourquoi as-tu de grands yeux ? C'est pour mieux te voir mon enfant. Dès qu'on entend mère grand, on pense au petit chaperon rouge parce que c'est une façon de parler populaire et ancienne et qu'on ne retrouve quasiment nulle part. Donc, au niveau du temps, Le flou règne aussi. On a vu avec le Y qu'on ne sait pas où ça se passe, avec le Mère Grand on ne sait pas non plus quand ça se passe. Par cela, Apollinaire nous dit que cette histoire est intemporelle, que cette histoire d'amour qu'il va décrire, histoire d'amour malheureuse, entre un homme qui voudrait aimer et une femme qui visiblement est indifférente, cette histoire d'amour n'a pas d'âge et qu'on peut flotter dans le temps, que ça s'est reproduit. On ne peut pas la dater de façon particulière. C'est la maclotte qui sautille, toutes les cloches sonneront quand donc reviendrez-vous Marie. C'est la maclotte qui sautille. Ça c'est assez amusant, Apollinaire aime les mots. Il y a une gourmandise du vocabulaire chez Apollinaire, vous avez remarqué dans le recueil, de la même façon qu'il jongle avec les références historiques, mythologiques, bibliques, etc. De la même manière, il jongle avec le vocabulaire, parfois des mots qu'il invente, parfois des mots qui sont des mots rares, qu'il va chercher dans du vocabulaire technique, et parfois des mots anciens ou des mots régionaux qu'il réadapte, qu'il s'approprie. Donc c'est le cas ici, on a un mot qui est à la fois ancien et régional, qui est un nom de danse, et ce vers est donc descriptif. Il est en train d'évoquer la danse, on en a longuement parlé quand on a étudié le poème Salomé. Donc la danse c'est un thème central chez Apollinaire, c'est ce qui, c'est un peu ce qui justifie qu'on a un corps en fait la danse, c'est la façon esthétique de bouger. Vous voyez quand vous marchez, c'est un mouvement utilitaire, vous allez quelque part, c'est une façon de vous déplacer, vous allez quelque part parce que vous avez un truc à faire, ou vous fuyez. Alors que la danse, c'est juste fait pour être beau. C'est aussi fait pour se divertir. C'est aussi un rite social, c'est aussi un code de communauté, un délassement, un divertissement. Mais le centre de la danse, c'est la musique, et le centre de la danse, c'est la beauté. C'est comment adapter son corps à la beauté, au rythme d'une musique. Donc ça a du sens qu'un poète s'intéresse à la danse, et d'ailleurs beaucoup de poètes se sont intéressés à la danse. Et ce terme renvoie aussi au monde des matelots, parce que la maquilote c'est aussi une danse marine. Donc on peut se demander si on n'est pas dans un port, on peut se demander si on est dans un port.