Transcript for:
Jacqueline Sauvage : lutte contre la violence

Jacqueline Sauvage, à près de 70 ans, elle est devenue le symbole des femmes battues. Car en 2012, elle a tué froidement son mari Norbert Marot, et que dans ces années 2000, la violence conjugale, heureusement, ça ne passe plus. Elle nous a dit... Je l'ai tué, parce que si ce n'était pas moi qui l'avais tué, ce soir-là, c'est lui qui m'aurait tué. Des artistes, des collectifs féministes, des politiciens de gauche, de droite l'ont soutenu. Ce que cette femme a enduré, je l'ai cru. Ce que ces enfants ont enduré, je l'ai cru. Si moi je ne prends pas la parole, qui va le prendre ? Libérez Jacques Vigny ! Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues. Ça s'emballe. Vigny sauvage ! Ouais, ça s'emballe assez vite. Grâce et liberté ! Plus de 430 000 personnes ont signé une pétition pour sa libération. Son cas a été examiné au plus haut niveau de l'État par un président de la République conjuré de lui accorder sa grâce. Je décide parce que je suis le président de la République et je décide parce que je pense qu'une très grande majorité... La majorité des Français comprennent mon choix. Mais fallait-il gracier Jacqueline Sauvage ? Cette femme a-t-elle agi en état de légitime défense ? Par deux fois, les juges ont répondu non. Et des magistrats ont même refusé la libération que souhaitait l'Élysée. Les magistrats ont rejeté la demande de libération conditionnelle au motif que Jacqueline Sauvage ne regrettait pas son crime. C'était lui ou moi, je voulais juste que ça s'arrête, s'est défendu l'accusé. En tuant. Lundi 10 septembre 2012, il est 19h27 quand l'appel tombe au centre départemental des sapeurs-pompiers du Loiret. Au bout du fil, une voix de femme oppressée. J'ai tué mon mari à la selle sur le biais, il est mort. Arrivez, arrivez tout de suite. Qu'est-ce qui lui arrive ? J'ai tiré dessus, venez. Et la conversation s'arrête là. Il est rare que la personne qui prétend avoir tué son mari ou toute autre personne prenne le téléphone et appelle les pompiers. Généralement, on appelle plutôt la gendarmerie ou la police en fonction du lieu où on se trouve. Est-ce qu'il y a peut-être quelque chose à faire pour lui ? Finalement, il n'est peut-être pas mort. Et dans ce geste de sauvetage, on va dire, elle a eu ce premier réflexe d'appeler les pompiers. Le pompier alerte tout de suite la gendarmerie et la brigade de Courtenay fonce. Mais sur place, l'accueil que la femme en détresse réserve aux gendarmes est assez... déroutant. Le portail était fermé et mes collègues m'expliquent qu'au loin, ils voyaient Mme Marot au niveau de la terrasse. Ils trouvent qu'elle est un petit peu comme si elle était enivrée, titubante, pas dans son état normal. Un chien qui est présent, il demande à ce que le chien soit mis à l'écart. Elle disparaît dans sa maison. Voyant cela et le temps qui s'écoule, le gendarme prend la décision d'escalader le portail. Le corps d'un homme gît sur la terrasse. Le gendarme entre à la recherche de sa femme. Et il découvre Mme Marot affairée à trifouiller dans son sac à main. Le portail enfin ouvert, sa collègue peut entrer et examiner le corps. C'est une scène où on voit M. Marot qui est ventre à terre, une table de jardin approximée. ...des chaises de jardin renversées. Ils constatent la présence d'un cigare et un verre contenant du whisky. C'est un peu comme chacun peut faire pour se détendre après une journée de travail. Il y a trois cartouches de fusils de chasse qui sont présentes au sol. Il y a beaucoup de sang par terre, oui, du fait des trois tirs. Norbert Marot est couché, face contre terre, son fauteuil de jardin sur le dos. Sa femme Jacqueline est en état de choc. Je demande qu'elle soit prise en charge par les pompiers, déjà pour voir si tout de suite il y a des blessures à traiter sur sa personne. Je la vois assise sur cette banquette dans l'ambiance des pompiers. Je vois une femme qui est abattue, le visage fermé, qui regarde ses pieds. Un peu comme une victime. Un peu comme une victime. J'ai vu, effectivement, j'ai pu constater qu'elle avait une blessure au niveau de la lèvre. On l'a équipé de gants au niveau des mains, de manière à pouvoir préserver l'éventuelle poudre qui serait présente sur ses mains suite aux différents tirs avec le fusil de chasse. Je demande ensuite à ce qu'elle soit acheminée jusqu'à l'hôpital de Montargis pour déterminer s'il y a la présence de traces de coups ou d'équimoses qui pourraient faire penser à... Un acte comme une bagarre qui aurait pu avoir lieu entre elle et lui et qui pourrait justifier l'acte qui a été commis. À garde, Jacqueline Marot n'est pas en état d'être entendue. En attendant le feu vert d'un médecin, les gendarmes la laissent reprendre ses esprits et ils commencent leurs investigations. Je vois arriver le maire de la commune, de la selle sur le biais, qui connaît cette famille. Il m'explique. que M. et Mme Marot ont une entreprise de transport et qu'ils emploient deux de leurs quatre enfants au sein de cette entreprise et que les choses ne fonctionnent pas aussi bien que cela, que M. Marot est assez colérique. Les gendarmes font le tour du lotissement pour essayer de déterminer l'heure des tirs. D'après les voisins, il y aurait eu trois coups de feu entre 19h15 et 19h30. C'était mon conjoint qui était là, Robert était là. Il est sorti sur la terrasse et il croyait que, comme d'habitude, M. Marot tirait sur des oiseaux, sur des écureuils. Chez nous, dans le sapin, il y avait un écureuil, il l'avait tué. Vers minuit, les gendarmes viennent nous voir et nous apprennent que M. Marot est mort. Quelque part, on se dit enfin ouf, voilà. Tout le monde pensait que ça aurait pu être le contraire quand même. Ça aurait pu être M. Marot qui tue Mme Marot. Parce que de l'avis général, au haut de la selle, le père Marot, c'était pas un cadeau. Les gens ne parlaient jamais de M. Marot, ils avaient peur. C'est quelqu'un qui est rustre. Vulgaire, qui est sans gêne, qui n'hésite pas à interpeller les voisins, à les insulter. Ils s'introduisaient chez eux, ils rouspétaient toujours, ils les insultaient. On est arrivés en 2001 et en face de nous, il y avait un bois. On ne savait pas à qui ça appartenait. Et puis 15 jours après notre arrivée, c'était au mois d'août, Robert a vu les arbres tomber et on a vu s'installer des 40 tonnes et des camions à ion. Et donc là, dans un lotissement à vocation résidentielle, on n'a pas compris. Comme les chauffeurs démarraient de bonne heure, il fallait qu'ils fassent chauffer leurs camions. Et du coup, ça générait une nuisance sonore. Robert a essayé d'aller voir le maire, fin de non recevoir. Quand on a fait signer la pétition pour que les camions s'en aillent, encore il passait derrière nous pour intimider les gens. M. Marot partait du principe qu'il était le plus ancien sur le lotissement et que partout, il était chez lui. L'enquête de voisinage, en fait, va dire concrètement que... Pardonnez-moi l'expression, mais M. Marot, c'était un sale con, quoi. Le maire réussit à joindre l'une des trois filles marauds, Fabienne, qui prévient sa sœur, Carole. Les deux sœurs habitent dans le coin et elles se précipitent évidemment chez leurs parents. Mais la maison est bouclée. Pas question d'entrer quand la police scientifique est à l'œuvre. J'ai demandé qu'elle se transporte jusqu'à la brigade de Château-Renard pour qu'elle puisse être prise en charge par des collègues afin de procéder à une audition de premier G, on va dire. En chemin, Fabienne, Carole et leur conjoint décident de s'arrêter chez Pascal, à Saint-Firmin-des-Bois. C'est leur frère, il faut le prévenir. Ils trouvent la maison fermée, pas de lumière. Ils ne répondaient pas au téléphone. Donc ils décident de rentrer dans la maison. Ils montent à l'étage et ils le découvrent dans sa chambre à coucher, pendue. Après leur père... Leurs frères, deux morts violentes, en quelques heures, dans la même famille. Comment y croire ? Elle voit sur les mains comme quelque chose de noirâtre. Elle pense que c'est du cambouis. Pascal Marot avait 43 ans. Ça tourne un peu beaucoup dans la tête et elle s'imagine un scénario que Pascal pouvait être l'auteur des faits. La première hypothèse de travail, c'est simplement celle de Mme Marot qui dit avoir tué son mari. Et une hypothèse supplémentaire, on peut se poser aisément la question de savoir s'il n'y a pas une participation de son fils et qu'elle veut peut-être recouvrir en se prétendant l'auteur des faits. Un meurtre suivi d'un suicide, ce ne serait pas la première fois. Pascal, nous on l'a vu le vendredi. Comme d'habitude, il avait... Il se faisait toujours disputer par son père. Enfin, c'est même pas disputer, c'est engueuler, il traitait de tous les noms. Qui compte, t'as mal fait ci, t'as mal fait... Il criait fort. Monsieur Marot avait une grande bouche. Non, non, le vendredi soir, on l'a bien entendu se disputer avec son fils. Et nous, on a su par la suite, par Fabienne, que Pascal voulait quitter l'entreprise. Pascal, qui était le seul des quatre enfants, a travaillé encore avec le père. Les filles ont coupé les ponts une fois l'âge adulte et mariées avec des enfants, compte tenu du contexte familial et du comportement du père. Pascal était là parce qu'il était encore le seul employé de la famille à travailler au sein de l'entreprise. Donc je pense que lui devait prendre pour un peu tout le monde. Et comme l'activité allait en déclinant, tous les reproches venaient sur ses épaules. Sylvie, Carole, Fabienne, trois filles. Toutes dans la quarantaine, trois sœurs qui décrivent avec quasiment les mêmes mots un enfer familial. Les filles, dans leurs déclarations, elles disent qu'elles n'ont pas eu une enfance facile autour d'un père qui était violent physiquement, avec de l'alcool. Elles décrivent des scènes de violence, un repas de Noël où ça s'est pas bien passé. Une mère violentée, oui, elle décrive ça. Elles avaient une mère plutôt aimante, qui essayait tant bien que mal de les protéger. Elles ont été élevées comme ça, sous un climat de tension, de peur de rentrer, de peur de s'en prendre une. Alors un drame dans le drame, c'est bien possible. En tout cas, les trois filles en sont convaincues. Dominique, l'arme du crime, les gendarmes la saisissent en fait sur place. C'est Jacqueline Marot qui leur dit, l'arme du crime, elle est là. Oui, elle est là, elle est posée sur le lit. C'est un fusil de chasse semi-automatique calibre 12 de marque Beretta, près du corps. de Norbert Marot. Les gendarmes retrouvent trois étuis de cartouches calibre 12 qui ont été tirés par ce fusil. Norbert Marot a reçu trois tirs mortels, un dans le cœur, un qui a fait exploser la rate, un autre à la base du cou. qui a fracassé la mâchoire, des tirs qui ont occasionné une hémorragie interne, une déchirure du péricarde, l'enveloppe du cœur et du poumon droit, fracture de la mâchoire, fracture du nez, fracture du crâne. Les balisticiens estiment la distance de tir entre quelques dizaines de centimètres. et 2 mètres. Moins de 2 mètres, c'est un tir à bout portant. Est-ce que le légiste est capable d'établir la chronologie des tirs ? Non, impossible. En revanche, ce qui est certain, c'est que Norbert Marot n'avait aucune chance de s'en sortir. On lui a tiré dessus dans le dos, il était en train de boire son énième whisky de la journée, il était complètement saoul, et les toxicologues lui trouvent 2,02 grammes d'alcool par litre de sang. Et là Dominique, il y a quand même une question centrale qui se pose. Est-ce que c'est Jacqueline Marot ? qui a tiré, comme elle l'a dit lorsqu'elle appelle les pompiers. Où est-ce son fils ? Alors, à l'arrivée des gendarmes, Jacqueline Marot est complètement déboussolée. Elle continue à s'accuser. Et c'est vrai qu'avec ce frère qui va être retrouvé pendu, les filles Marot ont un doute. Elles se disent, et si c'était notre frère qui avait tiré sur notre père ? Et que notre mère voulait le couvrir. Mais de toute façon, à ce moment-là, Jacqueline Marot s'accuse, elle est placée en garde à vue et elle est hospitalisée. A l'hôpital, un médecin examine les blessures de Jacqueline Marot. L'examen physique fait par le médecin montre qu'elle avait une blessure au niveau de la lèvre. Au-delà de cette blessure apparente, il y a également un hématome au niveau du coude et un vieux hématome qui est un petit peu plus ancien au niveau du tibia. La présence de ces traces, de ces équimaux, ne laisse pas penser qu'elle a été rouée de coups. C'est peut-être pas forcément lié à des violences physiques faites par son mari. Le médecin lui délivre une ITT, une incapacité totale de travail d'un jour, et les gendarmes viennent la chercher le mardi 11 au matin, pour la ramener chez elle le temps d'une perquisition. Dans la maison, il y a une cuisine, une salle à manger et il y a deux chambres à coucher. Parce qu'il faut savoir qu'ils faisaient chambre à part. On n'est pas dans une perquisition qui est banale. Dans la mesure où on trouve une quantité impressionnante d'armes, que ce soit fusils de chasse ou carabines, une quantité impressionnante de munitions, et ça, pas stocké dans un seul endroit de la maison, mais un petit peu partout, que ce soit dans la cuisine, que ce soit dans les chambres, que ce soit dans le sous-sol. J'apprends que c'est un couple de chasseurs. Donc ça parait plutôt légitime d'avoir un ou plusieurs fusils de chasse. Du coup, ça paraît normal dans leur quotidien d'avoir ça à portée de main. Comme vous, vous avez votre balai pour passer un petit coup dans la maison. Néanmoins, là, on est quand même à plus d'une dizaine de fusils et de carabines mêlées. Je pense que les munitions, il y avait de quoi tenir un siège. Moi, en disant de... Unité Recherche, c'est la première fois que je fais face à une telle situation, à un nombre aussi important d'armes à feu dans une maison d'habitation. Direction la brigade de Château-Renard, les gendarmes vont enfin pouvoir interroger Jacqueline Marot, seule d'ailleurs. Parce qu'elle refuse l'assistance d'un avocat en disant « Ce que j'ai fait, je l'ai fait » . Sa défense doit patienter dehors, avant de découvrir les déclarations de la suspecte. Les informations les plus importantes que je recueillerai ce jour-là, ce sera en fait par un des gendarmes enquêteurs, qui va m'indiquer, voilà, cette femme est là parce qu'elle a tué son mari, mais au préalable, elle a subi pendant 40 ans les violences de M. Marot. Cette vision des gendarmes est assez inédite, ils sont vraiment dans l'empathie, ils ont une vision tout à fait claire du problème, 40 ans de calvaire. Madame Marot leur a d'abord raconté comment elle avait rencontré son mari en Seine-et-Marne. A l'époque, elle s'appelait encore Jacqueline Sauvage. Un ami de Norbert se souvient de cette période. On s'était connus jeunes, donc on faisait beaucoup la bagarre. A cette époque-là, c'était des coups de poing, c'était pas trop grave. C'était l'époque où on appelait ça le blouson noir. Voilà, on sortait comme ça. Ah, ben, il y a des fois, on allait se faire recoudre. Les bagarres entre... Entre bandes, de Massy, de Mala, et puis d'autres régions, Blondy-les-Tours, tout ça, oui. C'est d'abord que j'ai connu ma femme et puis Norbert a connu Jacqueline. Ils s'entendaient bien, ils étaient toujours ensemble et puis Jacqueline était très amoureuse de Norbert. Et lui aussi. Donc voilà, ils ont voulu créer une famille. Mais à peine le mariage célébré, et le premier bébé arrivé en 65, les violences ont commencé. Pour ne jamais s'arrêter, explique Jacqueline. Les violences étaient constantes. Le bras de M. Marouille part, mais phénoménal, et ça fait clac-clac. Des fois, il me mettait par terre. Et des fois, il me mettait des coups de pied et des coups de poing alors que j'étais à terre. Depuis plus de 40 ans, il m'a frappé. Ce qui est particulier chez Mme Sauvage, c'est qu'elle va s'accepter ses coups pendant 40 ans. Elle m'avait raconté que... Un jour, elle était en vacances avec son mari. Ils avaient un camping-car, donc ils sillonnaient les bords de mer. Et à un moment donné, M. Marot est au volant, Mme Sauvage est à côté, et elle se reçoit une paire de claques magistrales qui la fait taper la vitre. C'était un type extrêmement violent, fort, parce qu'il était costaud, faut pas oublier ça, dangereux et totalement imprévisible. Chaque fois qu'il me violentait, j'étais traumatisé. Tout le monde en atteste, la famille, c'était une sorte de monstre, tout simplement. Mes filles m'ont vu de nombreuses fois, avec des bleus au visage et sur tout le corps. Monsieur Marot, soit il considérait que la nourriture faite par son épouse était correcte, donc il n'y avait pas de commentaire, soit il considérait qu'elle était dégueulasse, et là ça partait en vrille. Elle a passé des nuits dehors parce qu'elle avait peur, parce que son mari était intervenu de telle façon. Ses enfants la cherchaient parce qu'on ne savait plus où elle était. Oui, oui, c'était quelque chose de constant. Madame Sauvage, elle est extrêmement, comment dire, traumatisée au moment où elle comparaît devant les gendarmes. Elle a appris la mort de son fils Pascal. Ce qu'elle va indiquer aux gendarmes est la vérité, et d'ailleurs je pense que c'est la vérité. C'est vraiment la cocotte minute qui éclate au bout de 40 ans, quoi. Mais elle a mis 40 ans à exploser. Lors de l'audition suivante, Jacqueline Sauvage en vient au fait. Et d'emblée, elle réitère ses aveux. Elle a tué Norbert. À l'heure de l'apéro, le énième de la journée. La journée, elle commence comme une journée habituelle, où chacun va prendre son petit déjeuner, puis finalement, comme c'est un lundi, c'est une journée de travail, et tout de suite, lui, il va commencer à dire que l'entreprise va mal, que les affaires tournent mal, que c'est sa faute à elle, c'est la faute de Pascal, c'est la faute à un peu tout le monde. Et finalement, ça va aller de mal en pire tout au long de cette journée. Sa consommation d'alcool faisant, ça n'arrange pas les choses. Il m'a menacé, comme il l'a fait à chaque fois. Il a dit que si je le quittais, il tuerait les enfants, et moi après. Le fait de menacer les enfants de mort, c'est quelque chose de terrible pour elle. C'est l'accumulation de tout ce qu'elle a pu entendre, qui a été redit encore une fois, le fait qu'il veut s'en prendre aux enfants, s'en prendre à elle, qui l'a poussé à faire ce qu'elle a fait. Ils déjeunent séparément, et Madame Sauvage, qui a l'habitude de faire une petite sieste, justement, elle va s'enfermer dans sa chambre, après avoir pris un médicament qui l'aide aussi à dormir. Boucler dans sa chambre pour être un peu en paix. Je me suis allongé sur mon lit, j'ai réussi à dormir un peu, environ 1h30. Peu de temps après, il était environ 15h, il est venu dans la chambre. Je suis sorti dans le couloir, puis après j'ai vu qu'il avait encore pris un verre. Il m'a bousculé, il m'a fichu un coup là sur la lèvre, il m'a frappé, il m'a fichu un coup de poing, il m'a poussé. C'est là que j'ai pété un plomb. Vers 16 heures, je ne sais plus, il s'était resservi un verre de whisky. Il était sur la terrasse, il était insolent envers moi. Bah, j'ai pris le fusil et j'ai tiré. Elle tire à trois reprises sur son mari qui était de dos. Les horaires, l'enchaînement des événements, le récit de Jacqueline Sauvage reste un peu confus. Mais elle a livré des détails intéressants, y compris contre elle-même. Ce sont ces déclarations qui nous font penser qu'on peut envisager l'après-méditation. Elle dit, dans une audition, que de toute façon, ça finira comme ça. Que, d'une manière ou d'une autre, elle le supprimerait, elle mettrait fin à ses jours. Elle explique que c'est aussi pour ça qu'un fusil qui a été déposé dans sa chambre, qu'il y avait ces trois munitions qui étaient sur cette chaise, sous un coussin, parce qu'elle savait pertinemment qu'un jour ou un autre, ces munitions serviront à ça. Elle n'a donc pas attrapé une arme au vol dans la maison. Les gendarmes lèvent la garde à vue à 16h30. Les charges qui pèsent sur Jacqueline Sauvage viennent de s'alourdir. Placée en garde à vue pour meurtre, Jacqueline Sauvage quitte le juge avec une mise en examen pour assassinat. Autrement dit, meurtre avec préméditation. Les doutes sur la culpabilité du fils sont écartés, mais il reste des choses à éclaircir. Est-ce que Norbert, par exemple, était aussi violent que Jacqueline le dit ? Est-ce qu'elle a réagi après la scène de trop ? Ou est-ce qu'elle a bien prémédité son geste ? Soumise ou maîtresse femme, Jacqueline Sauvage ? Au fil des jours, les gendarmes découvrent une personnalité complexe. Pas le profil d'une femme faible ou sous l'emprise d'un tyran domestique. Moi, en fait, je fais face à des faits qui sont, Madame Sauvage a tué son mari du fait des violences physiques ou verbales qu'elle a subies pendant toutes ces années. Donc moi, il faut que je trouve des éléments qui viennent attester cela. Je demande à mes collègues de brigade de rechercher dans leurs archives informatiques ou papiers des traces d'appels ou d'interventions pour des violences. Il n'y a aucune trace de plainte ou de main courante de Mme Marot ou de n'importe qui signalant des violences dont elle a pu être victime. Autre recherche dans l'entourage du couple et à l'hôpital. Lorsqu'on a entendu les voisins, personne n'a été en mesure d'être témoin de violences physiques, ni verbales, ni avoir pu constater sur le visage de Mme Marot des traces, des échymoses ou quoi que ce soit. Je fais une réquisition auprès du doyen des médecins, de manière à ce qu'ils puissent également déterminer s'il y a eu des passages de Mme Meuraux, de ses filles, pour des consultations aux urgences, pour des faits de violences, etc. Résultat ? Rien. Aucun passage aux urgences. Les enquêteurs poursuivent. Pourquoi supporter de telles violences sans se plaindre pendant 47 ans ? Les moyens de partir, oui, elle en avait, ça c'est sûr. Prendre sa voiture, quitter le domicile, demander à l'une de ses filles de venir la chercher, de signaler ce problème aux autorités compétentes. Elle avait tout à fait la possibilité de s'échapper de cette situation. Ce qu'elle n'a pas fait et qu'elle n'a pas voulu faire. Et qu'elle peut expliquer pourquoi elle est comme ça, quoi. Pourquoi elle vit avec ça. Le juge ne la croit pas, quoi qu'elle dise, il est très dubitatif, et d'ailleurs il va avoir cette perception-là tout le temps. L'absence totale d'empathie, on a quelque chose d'également très, très, très, très, très, très, très objectif, très franc. Comme un malentendu qui s'installe entre Jacqueline et la justice, qui découvre une femme plus forte qu'on pourrait le croire, avec du caractère, des ressources. Pour preuve, ce souvenir de l'avocat de la société Marot, TMM. Je reçois un gentil couple qui, à l'heure unie, qui est préoccupé par des difficultés matérielles de fonctionnement de l'entreprise, du genre contrat à passer avec les clients. Le monsieur parle assez peu, mais il regarde sa femme, puisqu'apparemment c'est elle qui s'occupe de l'administration. Et je crois comprendre que lui est plutôt le technicien qui s'occupe des botteres et des camions. Jacqueline Sauvage, elle a un fort caractère, ça c'est certain. C'est elle qui mène. Madame Marot, chef d'entreprise, une réussite sociale dont elle a été l'artisan, mais sans le claironner partout, et surtout, toujours aux côtés de son mari. Elle est beaucoup plus fine que ça, elle ne me dit pas j'ai une certaine notoriété dans le pays, nous sommes reconnus, non. Elle me dit, nous sommes une entreprise familiale, mes enfants travaillent dans l'entreprise et le dimanche, nous allons à la chasse, à la chasse communale avec monsieur le maire. Tous les week-ends, c'est week-end de chasse et ils partent tous les deux à la chasse. On ne les voit jamais l'un sans l'autre. On apprend qu'elle, elle est pas mauvaise, qu'elle tire relativement bien. Une fine gâchette, si on veut. Une femme qui s'est décidée, dirigée, visée, tirée, mais qui aurait pris des coups à longueur d'année sans répondre, et surtout sans lâcher son mari d'une semelle ? On apprend que dans les années 90, M. Marot a eu une liaison avec une des salariés. Il a même vécu pendant un petit peu moins d'un mois chez elle. Et lorsqu'on l'a entendu... Cette personne nous fait le récit d'un moment de sa vie où elle est prise en chasse en véhicule par Mme Marot, qui la poursuit jusqu'à son domicile. On croit même qu'elle était obligée de se réfugier à l'intérieur pour éviter de subir des violences de la part de Mme Marot. Elle va le rechercher, elle va rechercher son mari. C'est une opportunité, une raison de pouvoir quitter son époux et partir. Néanmoins, elle montre une forme de jalousie et ça c'est un peu contradictoire. Dominique, le jour des faits, Jacqueline Sauvage dit qu'elle a pris des somnifères, on est juste après le déjeuner, qu'elle s'est endormie et que c'est son mari qui l'a réveillée. À ce moment-là, elle titube. Le juge a ordonné une expertise toxicologique pour vérifier si elle avait toute sa raison. Qu'est-ce que ça donne ? Les résultats contredisent ces déclarations. Les toxicologues ne retrouvent rien, ni somnifères, ni antidépresseurs, ni aucune autre substance, pas de neuroleptiques, pas de benzodiazépines. pas de barbiturique, pas non plus de produits stupéfiants. Jacqueline Sauvage est clean. Son corps a peut-être évacué les médocs, ça arrive. C'est évidemment ce que vont prétendre ses avocats. Ils le plaideront d'ailleurs plus tard. Ils diront, la méthode employée n'est pas assez affinée, si on avait mieux cherché, les toxicologues auraient pu retrouver des traces résiduelles des somnifères. Mais ce n'est pas ça qui est important, Christophe. C'est quoi ? Ce qui est important, c'est qu'elle a menti. Le juge et les gendarmes savent maintenant qu'elle a menti sur les somnifères. ... et pourquoi elle ne s'est pas montée sur le reste, sur les violences qu'elle décrit. Et donc, il y a d'autres questions qui se posent. Par exemple, quand a-t-elle préparé l'arme ? Et surtout, pourquoi avoir agi aujourd'hui, alors que ça fait quasiment un demi-siècle, 47 ans qu'elle vit l'enfer ? Mystère. Jacqueline Sauvage n'est jamais précise dans ses réponses. Elle va raconter qu'elle est allée chercher des cartouches pour mettre dans le fusil. Elle les a prises dans l'armoire de chasse, dans le sous-sol. Elle les a remontées, posées sur une chaise, dans sa chambre, sous un coussin. On lui demande quand. Elle dit, il y a peut-être une semaine. Est-ce que c'était pour vous en prendre à Norbert ? Oui, mais pas seulement. peut-être aussi à un cambrioleur. Elle n'est jamais claire dans ses réponses. Elle dit au juge, j'avais toujours l'idée qu'un jour, ça finirait mal. Ça veut dire que la préméditation n'est pas tranchée, en fait. Non. Et pour en avoir le cœur net, le juge demande une reconstitution le 5 décembre 2012. Chez elle, dans son élément, Jacqueline Sauvage sera peut-être moins confuse. C'est en tout cas l'espoir du juge. Madame Sauvage arrive chez elle comme si elle avait quitté la veille, elle regarde comment ça se passe chez elle, comment est-ce chez elle après ces quelques mois d'absence, et va regarder son courrier. Ça a un côté un petit peu surréaliste. Le juge, lui, a un plan de travail. On va demander à Mme Marot de refaire les gestes qu'elle a fait le jour des faits, de simuler les tirs, savoir si l'arme est susceptible de dévier ou pas, est-ce que tous les tirs ont pu atteindre leur objectif. Et le résultat est tout simplement que oui, tout est compatible. Et on n'a pas tiré dans tous les sens. Il a fallu réajuster l'arme entre les trois tirs, expliquent les balisticiens. Madame Sauvage, ça fait manipuler une arme, elle avait des munitions, donc on va se focaliser sur les munitions, ça va être vraiment l'interrogation de cette reconstitution. Et c'est d'ailleurs par rapport à ces munitions sous le coussin qu'on va vouloir lui imputer une préméditation. Montrer que Madame Sauvage avait en fait mis de côté des munitions et plus une arme pour se servir contre son mari. Madame Sauvage veut l'indiquer que si elle avait eu envie de tuer son mari et qu'elle aurait préparé cela, elle aurait fait plus longtemps. Reste une zone d'ombre quand même. Ce trou de 3 heures entre son réveil brutal qu'elle situe vers 16h. Et le moment où les voisins entendent les tirs, vers 19h15. C'est vrai qu'on ne sait pas trop ce qui se passe entre ce moment-là et finalement l'heure à laquelle elle se saisit du fusil et qu'elle va tirer sur lui. Ce qui est indéniable, c'est qu'elle appelle juste après avoir tiré, donc il est autour de 19h30, donc il y a trois heures où on ne sait pas trop ce qui s'est passé. Des heures pour ruminer et préparer l'exécution de son mari ? Après avoir caché l'arme et les munitions dans sa chambre ? Juge, la préméditation est signée. En détention, Jacqueline Sauvage s'entretient avec un psychiatre et un psychologue. Dominique, est-ce qu'ils peuvent expliquer comment cette femme, qui a du caractère, un caractère bien trempé, ait pu rester autant de temps ? avec un mari violent. Pas vraiment. Alors, il ne parle pas d'une femme sous emprise. Les psys ne parlent pas non plus d'une menteuse. Elle leur répond, quand il lui pose la question, qu'elle n'a échafaudé aucun plan, qu'elle assume. Et elle dit, j'ai pété les plombs, et voilà. La psychologue note que Jacqueline Sauvage ne remet pas son geste en question parce qu'elle s'est toujours sentie victime d'un homme qu'elle n'a pas réussi à quitter. Est-ce qu'il y a altération du discernement au moment des faits ou pas ? Le fameux article 122-1, non. Ni abolition, ni altération du discernement. Finalement, ces expertises, elles n'apportent pas grand-chose. Donc Jacqueline Sauvage est renvoyée devant une cour d'assises pour assassinat. Assassinat sur conjoint, ce qui est une circonstance aggravante. Elle risque quoi ? Elle risque la réclusion criminelle à perpétuité et elle va être jugée par la cour d'assises du Loiret à Orléans. Il va falloir se battre. Jacqueline Sauvage change d'avocat, elle reprend celui de la société Marot. Et il obtient sa remise en liberté en avril 2014. Exceptionnel pour un assassinat. Le procès s'ouvre 6 mois plus tard, le 24 octobre. La cour d'assises d'Orléans n'attire pas la foule. A peine quelques journalistes de la presse locale. Jacqueline Sauvage, c'est quelqu'un, quand elle rentre dans la salle d'audience, on ne pourrait pas imaginer qu'elle est accusée. Elle arrive libre, c'est vrai, et donc elle compare en imaginant qu'on va pouvoir se mettre à sa place, la place qu'elle a cachée à tout le monde. Mais d'un seul coup, on va pouvoir la découvrir. Mais à peine la présidente l'interroge-t-elle sur sa vie, que l'accusée se referme comme une huître. Elle déroule le fil de sa vie comme si c'était la vie de sa meilleure amie. On n'a pas l'impression qu'elle parle d'elle. Le fait que Jacqueline Sauvage s'acoquine avec Norbert Marot, qui était un mauvais garçon, on n'est pas du tout du goût de sa famille, qui va tout faire pour s'opposer à cette union. Et Jacqueline Sauvage va passer outre. Et je pense qu'elle a toujours voulu prouver qu'elle n'avait pas eu tort. Comment les jurés pourraient-ils croire que cette forte tête, capable de rompre avec sa famille par amour à l'adolescence, a pu plier les chines et prendre des coups pendant plus de 40 ans ? Elles pensent qu'ils vont avoir une empathie telle qu'ils vont comprendre ce qui se passe sans parole. Voilà. C'est impossible. Je lui dis, écoutez, il faudra expliquer exactement ce qui s'est passé, et elle m'a dit, moi, je ne pleurniche pas. L'avocat général ou même la présidente vont s'étonner que personne n'ait jamais vu sur Jacqueline Sauvage de traces de coups, ce qui est quelque chose qui ne correspond pas à ce qu'elle dit. Et Jacqueline Sauvage dit, mais moi, lorsque j'avais des bleus, je ne sortais pas. pas. Lorsque j'allais voir le médecin, c'était parce que je n'avais plus de bleu. Elle s'arrangeait pour continuer à donner le change et à montrer à l'extérieur, en tout cas, faire croire à l'extérieur que tout allait bien. On avait du mal à adhérer à ce qu'elle disait. On avait un peu l'impression qu'elle faisait une récitation. Jacqueline Sauvage s'est construit une carapace, je crois, pour se protéger de la violence de son mari. Et cette carapace, elle y est enfermée, y compris le jour de son procès. C'est-à-dire qu'elle n'arrive pas à transmettre l'émotion que devraient susciter 47 années d'horreur. Inaudible l'accusée. À la barre, ses filles viennent à sa rescousse. Elles sidèrent même la salle. L'une après l'autre, elle se livre une intimité qu'elle n'avait jamais confiée, en tout cas jamais en public. On a découvert qu'il y avait une affaire dans l'affaire et que Norbert Marot pouvait se livrer à des choses encore plus sordides. Ce n'était pas des fessées mais des trempes. Il y a eu des agressions sexuelles quand j'ai eu 12-13 ans. Une fois, il m'a violé dans la salle de bain. Marot a violé ses propres filles, les frappé. Il fallait jusqu'à casser un fusil sur le dos d'une de ses filles, dont il avait également brisé le tympan. Et tout ça dans une espèce d'impunité générale. Une famille qui est sous le joug d'un tyran domestique. Jacqueline Sauvage ignorait-elle vraiment ces violences sur ses filles ? Ses explications restent confuses. Les coups, oui. Les viols, non. On reproche à Jacqueline Sauvage à ce moment-là de ne pas avoir su protéger ses filles, ni des coups, ni des viols. Et on lui fait remarquer qu'elle aurait pu tout aussi bien déposer plainte. Et d'ailleurs, on va faire la même remarque aux filles pour... pourquoi n'avez-vous pas déposé plainte ? Et toutes ont la même réponse à chaque fois. Si on avait déposé plainte, ça aurait été pire. Ce qui en dit long sur l'emprise violente qu'avait Norbert Marot sur ce huis clos familial. L'avocate générale est sensible au récit des filles, mais à la surprise générale, elle renonce à la préméditation. Oublier l'assassinat, c'est un meurtre. Mais ça ne suffit toujours pas à la Défense, qui veut convaincre la Cour que Jacqueline n'a pas réalisé ce qu'elle faisait. À la façon dont Jacqueline Sauvage s'était expliquée, et à la façon dont les filles étaient en difficulté parce qu'elles avaient à exprimer quelque chose qu'elles avaient caché pendant des années et des années, ben il faut... aboutir à la conviction des jurés de ce qu'il n'y a pas eu de volonté homicide et qu'il y a eu un accident, une perte de contrôle. Les jurés pouvaient quand même avoir un doute sérieux. Mais non, les jurés n'ont pas voulu de l'accident. ni de l'altération du discernement. Et le 28 octobre 2014, Jacqueline Sauvage est condamnée à 10 ans de réclusion. 10 ans, c'est mieux que la perpétuité, ou les 12 à 14 ans demandés par l'avocat général. Mais pour certains, ce verdict est encore trop lourd, injustement lourd. C'est le début de l'affaire Sauvage. Je trouve que la peine, elle est sévère et en même temps, je ne suis pas étonnée parce que je trouve que la justice est toujours beaucoup plus dure à l'égard des femmes. C'était un peu la condamner, elle, de tout le déni de la société autour du sujet des violences faites aux femmes. Elle prenait pour tout le monde. Début 2012, quelques mois avant la mort de Norbert Marot, le procès d'une autre femme battue a fait sensation. Celui d'Alexandra Lange. Jacqueline Sauvage se rapproche de ses avocates. Cette affaire avait fait grand bruit parce que c'était quand même la première fois qu'une femme accusée du meurtre d'un homme, de surcroît son conjoint, était acquittée. Une vie de soumission. Une esclave, une esclave conjugale, une esclave ménagère, une esclave sexuelle et de la prostitue. Et un beau jour, traumatisée, elle lui dit « je vais partir » . Réponse du conjoint, des coups. La scène du drame, ils sont dans la cuisine, ils la couchent effectivement sur la table de la cuisine et ils veulent étrangler. Et Alexandra voit un couteau, elle met le couteau dans sa gorge et il va mourir. Le procès de cette jeune maman de 4 enfants se déroule à Douai en mars 2012. Alexandra Lange était très mutique, ne répondait pas aux questions, ne parlait pas. Tant et si bien que la présidente est venue m'interroger en me disant écoutez, il va falloir qu'elle parle. Parce que sinon, on ne comprend pas bien ce qui s'est passé, on ne comprend pas bien qui elle est. Et elle a parlé, elle a réussi. Elle a réussi parce que c'était le moment ou jamais. Alexandre Allange va émouvoir jusqu'à l'homme qui porte l'accusation. Malheureusement, on a un rendez-vous avec ce type de victime d'habitude, c'est à la morgue. Et cette fois-ci, c'est différent. Donc, c'est un procès emblématique qui permet de parler de ce que vivent les femmes victimes de violences intrafamiliales. Les mots de l'avocat général lors du procès d'Alexandra Lange créent un événement judiciaire. Inédit. Historique. Il a estimé que la société ne pouvait pas se défausser puisqu'elle ne l'avait pas aidée. Et il a conclu. en disant « Madame, vous n'avez rien à faire ici. » Acquittez-la. Un acquittement que la défense de Jacqueline Sauvage compte bien demander aussi pour sa nouvelle cliente. Mais pour l'avocat général qui doit soutenir l'accusation en appel, Jacqueline, c'est pas Alexandra. 10 ans de réclusion criminelle, ça me paraissait adapté. Ça me paraissait adapté parce que ça prenait en considération et tenait pour vrai ce que Madame Sauvage nous disait de sa vie, qui était une vie assurée, une vie déterminée, mais une vie aussi... s'y subit de la part de son sale bonhomme. Et donc, je rappelle qu'un homicide volontaire par conjoint, on encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Alors va-t-il réclamer à nouveau 10 ans ? Face à lui, la défense rejoue la stratégie gagnante de l'affaire Lange-Adouet. L'accusé doit susciter l'empathie. Il faut que la famille se mette à nu. Devant la cour d'assises, on appelle. C'est leur dernière chance de tout dire. Le procès en appelle. S'ouvre à Blois le 1er décembre 2015, cette fois c'est la foule des grands jours. Sur les bancs des féministes et des journalistes en nombre, comme au chevet d'une accusée qui a changé. Elle a vieilli, elle a le visage défait, on sent que la détention l'a beaucoup atteinte. On la sent assez inquiète et vraiment, elle renvoie une image beaucoup plus humaine pour le coup. Ces avocates ont reconvoqué les témoins de la vie du couple Marot et c'est un défilé contre Norbert. Il fallait quand même apporter des éléments nouveaux si on voulait que Jacqueline Sauvage soit entendue, soit reconnue dans tout ce qu'elle disait. Nous, on a découvert qu'il y avait plein de gens comme nous qui avaient été embêtés par lui. Il y avait une dame qui avait eu ses chevaux empoisonnés. Il y avait une commerçante qui avait été enquiquinée aussi. J'avais entendu dire qu'il avait... Il avait taillé la haie pour pouvoir regarder chez son voisin, sa voisine qui était en maillot de bain. Voilà. Et ça, ça ne m'étonne pas. Nous, un jour, j'avais mes petits-enfants. En pleine soirée, il faisait nuit. Il a un escalier sur le côté de sa maison avec un petit balcon. Il nous a envoyé un gros projecteur dans le salon. C'était ce genre de conneries. C'était perpétuel. Moi, je savais qu'il n'était qu'un valeur. Pour moi, c'était une famille normale. Sauf qu'un jour, chez lui, j'ai vu que Norbert avait déjà dépassé avec une de ses filles. Mais il n'est plus tel, la poitrine, les hanches. Alors, j'ai fait la remarque. J'ai dit, Norbert, qu'est-ce que tu fais ? Il m'a dit, oh, c'est pas grave, on s'amuse. Donc, on s'était fâchés et là, on ne s'est pas vus pendant un bon moment. On a bu du champagne avec notre voisine. Moi j'ai bu à ma tranquillité, parce que lors de questions que je trinque à la mort de quelqu'un, mais ma voisine, elle, elle a trinqué à sa mort. Le procès en appel de Jacqueline devient le procès de Norbert, et comme pour Alexandra Lange, les avocates soutiennent la légitime défense. Elle nous a dit, je l'ai tué, j'étais... en état de légitime défense. Parce que si ce n'était pas moi qui l'avais tué, ce soir-là, c'est lui qui m'aurait tué. Puisqu'il lui avait dit dès le matin « Je vais tous vous tuer, toi et tes bâtards » . Une légitime défense un peu particulière, décalée ou différée, comme l'explique la défense. Au Canada, des experts psychiatriques invoquent le syndrome de femme battue. C'est-à-dire qu'une femme battue n'a pas les mêmes réactions qu'une femme qui ne l'a jamais été. Et que ça peut s'expliquer qu'il y ait une altération du discernement au moment où elle tire, parce que c'est un geste de survie. Et qu'on peut comprendre que ça ne soit pas dans le même temps, au même moment, qu'elle se défend. Qu'il peut y avoir un décalage assez proche, mais qu'il puisse y avoir un décalage. Seulement voilà, les jurés et les cours d'assises sont là pour appliquer les textes français. Pas pour écrire ou changer la loi. La légitime défense telle qu'elle est prévue dans... notre code pénal, c'est pour essayer de faire simple et vulgariser, c'est de dire si je suis victime d'une attaque illégitime, je peux m'en défendre et dans une riposte immédiate et proportionnée, je peux moi-même commettre un acte de violence pour me défendre. Moi, mon but dans mes réquisitions, c'est quand même de rappeler aux magistrats professionnels et aux jurés qu'ils ont à juger une dame qui est accusée d'avoir tué un homme. dans des conditions quand même particulières. Il faut peut-être y revenir deux secondes. Trois coups de feu donnés, nous dit l'expert balistique, à moins de deux mètres. Dans le dos, c'est un carnage, c'est une exécution. Ça reste un meurtre. Et dans son réquisitoire, M. Chevalier dira à un moment donné « Je ne vais quand même pas, Madame Sauvage, vous donner une médaille pour avoir débarrassé la selle sur biais d'un monstre. » Et l'avocat général de conclure au nom de la société. Je disais que si Mme Sauvage devait être acquittée parce qu'on considérait qu'elle était en état légitime défense, alors ce serait lui donner un permis de tuer. L'avocat général est convaincant. Ce permis de tuer, les jurés de Blois refusent de le donner à Jacqueline Sauvage. Même peine, 10 ans. Quant au fond de la salle, une voix se lève. Est-ce que c'est possible ? Oui, allez-y. Parce que là, franchement... C'est possible, monsieur l'avocat général ? Est-ce que c'est possible ? Je me fiche des caméras, je me fiche de la justice, je veux ma mère dans mes bras, c'est tout ce que je veux. Maman ! Maman ! Courage ! On ne fait rien ! Le verdict de Blois suscite cette fois un tollé. Les féministes et de nombreuses personnalités montent au créneau. L'indignation gagne le sommet de l'État. J'ai vu ces femmes se précipiter vers leur mère au moment du jugement. Ça m'a bouleversée, quoi. Ce que cette femme a enduré, je l'ai cru. Ce que ces enfants ont enduré, je l'ai cru. Alors, peut-être parce que j'ai vu ce qui se passait chez moi. Parce que ma mère n'a pas porté plainte. J'ai vécu ça, je sais ce que c'est. Toutes les formes de violence. Je sais ce que c'est. Si moi je ne prends pas la parole, qui va le prendre ? La comédienne Eva Darlan crée un comité de soutien vite rejoint par Annie Dupéret, Muriel Robin, Guy Baudos et d'autres artistes. Indignée comme nombre de féministes, Karine Plassa, elle, lance une pétition pour demander la grâce de Jacqueline Sauvage. Ça s'emballe, ça s'emballe assez vite parce que mi-décembre, elle est déjà à 80 000 signatures et au mois de janvier, quand on fait la manif, elle est à plus de 300 000. Donc en effet, ça va hyper vite. Les semaines passent, mais la pression ne faiblit pas. Le 23 janvier 2016, une manifestation s'organise à Paris. On arrive à la sortie du métro, on monte les escaliers et là on voit... des dizaines de camions télé. Et je me retourne vers mes copines et je dis, ah, il doit y avoir une autre manif. Bah, pas du tout, c'était pour nous, en fait. Et moi, encore une fois, un peu dépassée par le truc, en me disant, mais qu'est-ce qui se passe ? Les médias couvrent et amplifient la mobilisation pour Jacqueline Sauvage. Tandis que les Femen créent l'événement devant la prison. Femme ! « Chacune libérée ! Chacune ! » « Les femmes contre-attaques ! » C'est des femmes extraordinaires. Quel courage, quel courage ! « Les femmes contre-attaques ! » Ils sont allés bêcher devant la prison pour essayer de faire un souterrain pour que chacune des sauvages s'enfuie. C'était fortif, c'était bien. Les politiques s'en mêlent. Deux députés passent soutenir l'accusé en prison. Le comité de soutien demande la grâce parce qu'il n'y a pas d'autre issue. Et on attend la réaction de François Hollande, sauf que François Hollande avait fait une promesse de campagne que jamais il ne gracierait personne. Une fois que la question de la grâce a été évoquée... Elle posait pour moi un problème de principe que j'avais déjà soulevé avant même d'être président. Pourquoi faudrait-il que le chef de l'État, au prétexte qu'il a été élu par les Français, puisse décider de la liberté ou non d'une personne condamnée ? Je pouvais en faire usage ou pas. Mais j'étais réservé parce qu'il venait à mes yeux, ce droit de grâce, remettre en cause l'indépendance de la justice. Je suis... très attaché à l'indépendance de la justice et je ne voulais pas que ça devienne finalement une facilité. L'Elysée fait savoir que le président est en train de réfléchir au cas sauvage et le 29 janvier, il reçoit ses filles et ses avocates. Là, le témoignage... Les filles étaient tout à fait claires à l'égard de leur mère et souffraient véritablement, non seulement de ce qu'elles avaient pu elles-mêmes subir, mais souffraient de voir leur mère en détention alors qu'elle avait elle-même connu toute forme de violence. C'est ça qui m'a amené à aller encore plus loin dans la recherche, de regarder le dossier judiciaire lui-même et d'envisager une procédure de grâce. Donc j'en suis arrivé à une position qui me paraissait la meilleure pour respecter l'indépendance de la justice et pour permettre à Jacqueline Sauvage de retrouver le plus vite possible sa liberté, de faire une grâce partielle pour qu'elle puisse demander une libération conditionnelle. Le 2 février 2016, l'Elysée annonce la grâce partielle de Jacqueline Sauvage. En fait, c'est une remise de peine de 2 ans et 4 mois qui lui est accordée. Elle couvre la période de sûreté qui lui reste à accomplir. Et Jacqueline Sauvage peut immédiatement déposer une demande de libération conditionnelle. Et donc là, c'est super, ça y est, on a gagné. En fait, on pense qu'on a gagné. C'est victoire. Et puis dans 3, 4, 5 mois, elle va sortir. Et la nouvelle tombe, elle n'est pas libérée. Là, c'est un peu beaucoup la douche froide. Ce combat-là, ça a été comme ça. C'est-à-dire, ça a été les montagnes russes permanentes. La commission d'application des peines rejette la demande de libération, au motif que Jacqueline Sauvage n'exprime pas suffisamment de regrets pour son crime. Je suis désolé, mais c'est le mode de fonctionnement de notre justice qui n'est pas le fait de quelques magistrats qui en voudraient particulièrement de sauvages. C'est le mode de fonctionnement démocratique normal de notre justice qui nous dit que, d'accord, elle peut avoir un aménagement, mais là, ce n'est pas encore mûr, ce n'est pas encore opportun. Et pourtant, le combat pour la cause sauvage continue. Donc on décide de relancer une deuxième pétition quand même, pour demander cette fois la grâce totale. À quelques mois de l'élection présidentielle, alors qu'il ne se représente pas, François Hollande va plus loin. Un moment ça suffit, cette femme n'a plus sa place en prison. Je décide parce que je suis le président de la République, mais je décide parce que je pense qu'une très grande majorité des Français comprennent mon choix. La grâce totale, puisqu'il fallait prendre un décret de grâce totale, a ceci de mécanique, c'est qu'il n'y a plus d'intervention de la justice. Le président de la République signe le décret. Dans l'heure qui suit, la personne est libérée. Et peu à peu, elle a réintégré sa maison, elle a changé la déco et tout ça. Et puis, voilà, c'était une femme qui allait commencer une vie bien étrange quand même, bien étrange. La liberté, elle ne savait pas ce que c'était. Dominique, Jacqueline Sauvage a été graciée, elle est libérée, elle écrit un livre, elle donne quelques interviews, telles et pas nombreuses d'ailleurs. Et à l'automne 2018, l'affaire Sauvage revient à la une de l'actualité médiatique. Oui Christophe, avec un téléfilm dans lequel Muriel Robin joue le rôle de Jacqueline Sauvage. Clairement, ce téléfilm est très librement inspiré du dossier judiciaire. C'est la version de Jacqueline Sauvage et cette diffusion, elle va faire réagir une personne importante dans le dossier, c'est l'avocat général qui s'appelle Frédéric Chevalier, qui s'indigne de cette version donnée dans le film et qui va envoyer cette lettre ouverte à Jacqueline Sauvage qui va être publiée dans le journal Le Monde. Alors ça c'est extrêmement rare qu'un magistrat s'exprime après un verdict rendu parce qu'il est soumis aux devoirs de réserve. Qu'est-ce qu'il dit ? Il veut rétablir la vérité judiciaire. parce qu'il considère que le dossier de cette femme, qui a déjà été condamnée deux fois par deux cours d'assises, fait l'objet d'une réécriture. Et il s'adresse, dans des termes assez forts, à Jacqueline Sauvage en lui disant qu'elle a toujours été une femme déterminée, que la réduire à une femme sous l'emprise d'un tyran saignait totalement sa personnalité. Je veux vous parler, lui dit-il, de ces 47 ans dont les journalistes, hommes et femmes politiques, artistes, intellectuels de tous bords, se sont emparés sans en connaître l'arrêt. Donc il y en a vraiment pour tout le monde, là. Il y en a pour tout le monde. Le magistrat dénonce le gigantesque, écoutez bien, café du commerce que les réseaux sociaux fabriquent et qui a forgé une autre vérité, la vérité du peuple virtuel au détriment de la vérité judiciaire. Il ne nie pas les violences qu'a subies Jacqueline Sauvage, mais elle dit qu'on ne peut pas résumer cette affaire à ses 47 années de violence. Il lui parle avec beaucoup de compassion, il lui dit « je vous ai cru lorsque vous avez dit que votre mari se montrait violent » . Mais il revient sur un principe fondamental du droit et de la justice. On ne se fait pas justice soi-même. Absolument, la justice s'exerce, dit-il, pour éviter la vengeance et punir à la place des victimes. C'est écrit dans cette tribune du Monde et il conclut, écoutez, « Érigez votre comportement comme la solution pour lutter contre les violences faites aux femmes. » C'est ce troupé de cas. C'est fort. Vous êtes devenu sans doute, malgré vous, le symbole inadapté d'un fait majeur de société. Et Jacqueline Sauvage ne répondra jamais à cette lettre. Ce qui est très bien dans cette affaire, c'est qu'au moins, ce sujet de société primordial, que ce sont les violences intrafamiliales, les violences conjugales, les violences des hommes sur les femmes, dans un milieu d'intimité, au moins, ce sujet-là, il est... totalement venu sur le devant de la scène et c'était important. Ce que je pense, c'est que il n'y avait pas besoin de discréditer une décision de justice rendue dans des conditions assez irréprochables, me semble-t-il, pour mettre en avant cette cause. C'est à la justice de juger et punir les violences intrafamiliales, parce que le combat est loin d'être terminé. Ah oui, je crois qu'il y a des petites avancées, grâce à de grandes douleurs, comme celle de Jacqueline Sauvage. Je crois que c'est la seule chose qu'elle ait pu faire, c'est sensibiliser. Parce que... qu'elle soit une icône, je ne le crois pas, qu'à partir d'elle, tout change. Non. Il y a des petites avancées et maintenant, on ne peut pas dire qu'on ne sait pas. On n'avait pas résolu le combat pour les femmes victimes de violences. Des affaires, il y en avait encore et des histoires, il y en a encore et des femmes assassinées, il y en a encore. Quelques semaines après la libération de Jacqueline Sauvage, le président lui accorde un rendez-vous en tête-à-tête. Elle n'était pas renjouée, mais comment aurait-elle pu l'être ? Elle était apaisée, plutôt douce, contrairement à tout ce qui avait été dit, ne cherchant aucune notoriété. Sans doute ne voulait-elle même pas faire de son cas un symbole, elle. C'était une femme qui ne voulait pas être un exemple. Jacqueline Sauvage est la première femme qui a bénéficié d'une grâce présidentielle en France. Elle a fini ses jours en paix chez elle, dans sa maison du Loiret, où elle est morte le 23 juillet 2020. Elle avait 72 ans.