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Cérémonie du Bois Caïman : Mythes et Réalités

Beaucoup de controverses et d'interrogations existent au sujet de la cérémonie du Bois Caïman, considérée comme un acte fondateur de la révolution haïtienne. Qu'est-ce qu'il s'est réellement passé dans la nuit du 14 août 1791 ? A-t-on sacrifié un animal ? Ou est-ce un participant qui s'est offert en sacrifice ? La cérémonie a-t-elle eu lieu sur un imam, ce qui serait une déformation de Bois Caïman ? Avant d'aborder ces questions, Attaquons-nous d'abord à la question principale, celle qui va nous permettre de répondre à toutes les autres. La cérémonie du Bois Caïman a-t-elle vraiment eu lieu ? N'est-elle pas un mythe créé de toutes pièces ? Pour des millions d'haïtiens qui ont bien appris l'histoire d'Haïti à l'école, la question peut paraître choquante, voire même insultante. Eh bien, elle n'est pas si choquante que ça, car elle a déjà été posée par certains historiens. Léon François par exemple, Léon François Hoffmann, écrivain français, et spécialiste de la littérature haïtienne, déclare en 1993 dans un article que la cérémonie du bois caïman n'est qu'une fiction historique, une construction a posteriori, c'est-à-dire un mythe créé après l'indépendance. Au-delà de l'indignation que peut provoquer une telle déclaration, est-ce qu'il y a des faits historiques qui prouvent réellement l'existence de cette cérémonie ? De nombreux documents historiques attestent bel et bien de la... tenue du bois caïman. Nous n'allons pas tous les citer, nous allons nous concentrer sur trois d'entre eux. L'ouvrage de Sivik de Gastine intitulé l'histoire de la république d'Haïti au Saint-Domingue, l'esclavage et les colons. Le livre date de 1819, soit seulement 15 ans après les faits. Il s'agit là du texte le plus ancien sur cet événement et qui est aussi l'un des témoignages les plus crédibles en la matière. De Gastine raconte un soir entre 11h et 11h30, et minuit, par un temps très orageux, les chefs du complot d'insurrection se réunirent sur le morne rouge pour délibérer sur leur projet. Ils disent que ça se passe dans un bois par un temps orageux. Ils invoquent des divinités infernales, allusion au dieu Vaudou. L'auteur poursuit. L'un de cependant prit la parole et retrace avec véhémence la conduite injuste et inhumaine de leur maître envers eux. Ce discours arracha des larmes à tous les auditeurs. et enflamma dans leur cœur le désir de la vengeance. Ils firent tous serment de périr plutôt que de retourner dans l'esclavage. Ils abjurèrent ensuite la religion de leur maître, et pour se rendre propices les dieux de leur patrie, ils leur sacrifièrent un jeune bélier tout noir. Après quoi, ils jettent le cadavre de l'animal dans un grand feu allumé pour la circonstance. Cela provoque un grand brasier, et au moment de quitter les lieux, un oiseau de la taille d'un pigeon tombe. raide mort au milieu de l'assemblée. Cet événement inattendu est alors considéré comme un signe des dieux. Le prêtre attrape l'oiseau mort, le purifie et remet une plume à chacun des assistants en leur assurant qu'ils sont désormais invulnérables tant qu'ils portent sur eux cette plume. Mais selon les commentaires de Sivik de Gastine, l'oiseau était en fait perché sur un arbre et il est mort suffoqué par la fumée de la cérémonie. Explication tout à fait plausible. En 1824, un autre français du nom d'Antoine d'Almas, très hostile à la révolution de Saint-Domingue, publie un ouvrage intitulé « Histoire de la révolution de Saint-Domingue » dans lequel il rapporte la cérémonie du bois caïman. Il raconte que cette cérémonie s'est déroulée au milieu d'un terrain broisé et non cultivé de l'habitation schwoiseule, appelée le caïman. Il donne des détails précis sur le sacrifice. Un cochon entièrement noir, entouré de fétiches chargés d'offrandes, fut l'holocauste offert au génie tout-puissant de la race noire. Ce cochon, nous dit Dalmas, a été sacrifié et les assistants ont bu son sang. Contrairement à Degastine qui indique que c'est un bélier qui a été sacrifié, Dalmas lui parle d'un cochon. La troisième source concernant l'épreuve historique de la cérémonie du bois caïman est le célèbre texte de Erardumel, Macanda. En hommage au héros Macandal, l'un des officiants de la cérémonie. Erardumel est né au Caïs. en 1784 et il est mort en 1858. Il a vécu toute la période avant, pendant et après la Révolution. Donc, il a pu avoir accès à des informations précieuses puisqu'il est contemporain des événements qu'il relate. Son témoignage est donc très important. Son récit évoque presque les mêmes éléments que les auteurs cités plus haut. À la seule différence que lui, il parle d'un taureau concernant l'animal sacrifié. Et concernant l'oiseau mort qui tombe au milieu de l'assemblée, Dumel indique qu'il s'agit d'une chouette. Ces récits racontent dans les grandes lignes les mêmes faits, même s'il y a quelques différences. différences dans les détails. Mais avec le temps vont naître les théories les plus invraisemblables concernant la cérémonie du bois caïman. C'est ainsi qu'a émergé au début des années 90 une curieuse théorie selon laquelle c'est un participant à la cérémonie du nom de Jean-Baptiste Vicksamar le grand qui s'est donné en sacrifice en se taillant les veines. Les assistants auraient bu son sang. Ce Vicksamar dont on a Aucune trace dans les documents historiques est devenue pour certains le Christ haïtien, celui qui s'est donné en sacrifice pour la noble cause. Mais qui était ce curieux personnage ? Aucun document historique, aucun témoin de rapport ne mentionne son nom. En creusant un peu plus, nous avons découvert que ce Jean-Baptiste Vixamar est une invention de l'écrivaine Mercedes Foucault-Aguignard, plus connue sous le nom de Deita. En 1993, elle publia Port au Prince un ouvrage intitulé « La légende des lois du vaudou haïtien » dans lequel elle raconte que ce n'est pas un cochon qui a été sacrifié pendant la cérémonie du Bois Caïman, mais un des participants, possédé par Damballa, qui s'est donné en sacrifice. Mais sur quoi se base-t-elle ? Sur rien, sur aucune preuve, aucun fait historique. Cette histoire aurait pu rester dans un livre comme une simple hypothèse ou comme un simple conte. D'ailleurs, l'auteur est aussi conteuse. Mais de nombreux autres auteurs l'ont reprise et l'ont propagée comme une vérité historique. Selon une autre théorie très en vogue depuis quelques années, Boakay Iman est la déformation de Boakay Imam en créole, ce qui désigne l'endroit où habitait un imam qui n'était autre que Bookman, l'un des chefs de la révolution haïtienne. Selon cette thèse, le nom même de Bookman, composé du mot anglais book signifiant livre, et man, homme, laisse supposer que celui-ci transportait constamment avec lui un livre. Et ce livre ne pouvait être... autre que le Coran. Le raccourci est rapide, mais poursuivons. Donc, la cérémonie du bois caïman, caï-imam, serait donc l'œuvre de l'islam. Le vaudou n'y est pour rien. Le sacrifice du cochon, le rôle de Cécile Fatima en tant que mambo, tout ça ne serait que du vent. En quoi est-ce que cette thèse est fausse ? D'abord, le nom bois caïman. Pourquoi veut-on que le mot bois caïman soit la déformation d'un autre mot alors que bois caïman existe bel et bien en créole ? Il y a des plantes en Haïti qui portent le nom de bois caïman. Et puis, c'est un procédé très courant en créole pour les noms des plantes, pour les noms des plantes qui consistent à associer le mot bois avec le nom d'un animal. Par exemple, bois rojon, bois couleuvre, bois pigeon, etc. Cela a très bien été prouvé par un auteur du nom de Rodney Salnave. Il s'agit de simples observations que chacun peut faire aisément. Donc, bois caïman est sûrement un lieu couvert d'arbres. D'ailleurs, des documents historiques l'attestent. Antoine Dalmas, qu'on a cité plus haut, et qui est l'un des premiers historiens à relater la tenue de cette cérémonie, parle d'un terrain boisé et non cultivé de l'habitation choiseul, appelée le Caïman, où s'est tenue la cérémonie. Donc cela n'a rien à voir avec un quelconque imam. Boukman était-il un imam ? On peut trouver facilement cette réponse. dans les documents de l'époque. Les journaux de l'époque le décrivaient comme un magicien. Un journal français datant du 12 janvier 1792 le décrit ainsi. Il passait pour magicien et joignait à l'ascendant de la superstition celui d'une intrépidité féroce. Donc, si on désignait Buchmann comme magicien, c'est parce qu'il était peut-être, disons, même sûrement un prêtre vaudou. À l'époque, et même aujourd'hui encore, Un vaudouisant a plus de chances d'être associé à la magie qu'un musulman. Au-delà de la réalité historique, il ne fait aucun doute que la cérémonie du bois caïman était une cérémonie vaudou. Au-delà de cette vérité historique, il y a aussi un enjeu idéologique et politique. Ceux qui défendent la thèse selon laquelle c'est un rassemblement chez un imam voudraient imposer l'idée que c'est l'islam et non le vaudou qui a joué un rôle de premier plan dans la révolution haïtienne. C'est très important ce point. Alors que toutes les sources historiques montrent clairement que c'est une cérémonie vaudou qui a précédé l'insurrection. D'autres révisionnistes estiment que ce qu'il y a eu lieu le 14 août 1791, c'est un congrès politique sans motif religieux. Un argument malhonnête et qui a uniquement pour but d'écarter le vaudou. Que l'on veuille ou non, et même si ça dérange, non seulement la cérémonie du bois caïman A bien eu lieu, le vaudou y a joué un rôle primordial en tant que spiritualité qui a servi de cohésion et de ciment à la stratégie militaire. Si cette émission vous a plu, abonnez-vous à cette chaîne, à Eyti Inter, pour plus de contenu. A bientôt.