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Conférence sur Marx et les classes sociales

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L'expression de lutte des classes n'a pas été inventée par Marx, elle a été inventée par... François Guizot, un historien français du XIXe siècle, historien libéral, soit dit en passant, mais c'est Marx qui va populariser cette expression et qui va même en faire l'une des idées maîtresses de sa philosophie. Alors avant d'expliquer ce qu'est la lutte des classes, on rappellera que Marx est un philosophe et économiste allemand.

Il a d'abord fait des études de droit avant de s'orienter vers la philosophie. puis vers l'économie. C'est quelqu'un qui a littéralement sacrifié sa vie pour son œuvre et pour ses idées.

Il a subi la censure, les expulsions, il allait de pays en pays pour fuir les persécutions, et bien qu'il fût d'ascendance bourgeoise, il a vécu une grande partie de sa vie dans la misère la plus totale. Marx croyait dans ses idées, il croyait dans son combat, son combat pour l'avènement du communisme. Et aujourd'hui, on va se pencher sur ce qu'il appelait la lutte des classes pour tenter de comprendre quelle vision avait Marx des rapports économiques et des rapports sociaux.

Alors, avant toute chose, il faut préciser que sur le plan philosophique, Marx est ce qu'on appelle un matérialiste. Matérialiste, ça veut dire qu'il considère que la matière est première par rapport aux idées, que le monde est fait de matière. et que les idées ne sont que des émanations de la matière. D'ailleurs, Marx a été très influencé par les penseurs matérialistes de l'Antiquité. Il a fait sa thèse de doctorat sur Démocrite et Épicure.

Et même si on réduit souvent Marx à sa pensée économique, on ne peut pas comprendre sa pensée économique si on ne comprend pas la philosophie qui est en arrière-plan. Donc, le matérialisme de Marx, c'est de dire que le monde est constitué de rapports matériels, que la pensée et que la conscience sont le reflet de ces rapports matériels, autrement dit que nous avons les idées de notre situation sociale. Il y a deux citations de Marx qui illustrent bien ça. Première citation, ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c'est au contraire leur être social qui détermine leur conscience. Deuxième citation.

Le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel transporté et transposé dans le cerveau de l'homme. Donc, pour Marx, ce ne sont pas les idées qui guident le monde et qui font survenir les actions et les événements. Ce sont les actions et les événements qui guident le monde et qui font naître les idées. Et si je prends le temps de vous expliquer ça, c'est pour vous faire comprendre que pour Marx, C'est l'économie qui façonne le monde, parce que l'économie, c'est ce qui structure l'intégralité des rapports matériels, et donc l'intégralité des rapports sociaux, c'est-à-dire des rapports humains. C'est l'économie qui façonne votre vie professionnelle, votre rapport à vos collègues, à votre patron ou à vos employés, le salaire que vous touchez, les tâches que vous effectuez.

Et par ricochet, la maison où vous habitez, votre quartier, votre environnement social, donc vos fréquentations, vos habitudes. L'économie, c'est ce qui façonne votre rapport à la consommation, à la technologie. Et on peut même aller encore plus loin. L'économie façonne votre éducation, le type d'école où vous irez, école privée ou école publique.

les études que vous allez suivre, grande école ou faculté. Donc l'économie détermine tout le reste. Et c'est d'ailleurs le grand pouvoir de l'économie d'agir sur nous sans même que l'on s'en rende compte, de nous faire considérer notre condition économico-sociale comme une sorte de fait naturel, comme une sorte d'évidence ou de non-événement.

Ce qui fait qu'on ne s'interroge même pas sur notre condition sociale. et encore moins sur les causes de notre condition sociale. Au quotidien, on ne se dit pas que notre situation sociale, c'est le résultat d'un rapport de force historique entre des exploitants et des exploités. On ne se dit pas que notre existence individuelle et collective est structurée par des rapports de production qui sont définis par notre position dans l'appareil de production.

On n'a pas conscience de tout ça. Et pourtant, on le vit. Ce que nous dit Marx. c'est que nous devons prendre conscience que la société est organisée en classes sociales dont les deux principales sont la classe capitaliste, la bourgeoisie, et la classe des travailleurs, le prolétariat.

La classe capitaliste, c'est celle qui possède les moyens de production et qui fait travailler les prolétaires pour s'enrichir. Et le prolétariat, c'est la classe qui ne possède rien, Rien si ce n'est sa force de travail, sa force de travail qu'elle vend aux propriétaires capitalistes en échange d'un salaire. La bourgeoisie, c'est la classe qui s'enrichit, le prolétariat, c'est la classe qui survit.

Pour Marx, l'histoire de l'humanité, c'est l'histoire de la lutte, larvée ou déclarée, entre ces deux classes sociales antagonistes que sont les propriétaires et les prolétaires. Je disais à l'instant que le propre de l'économie, c'était d'agir sur nous sans que l'on s'en rende compte. Autrement dit, nous sommes pour la plupart dans une inconscience de classe. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que dans notre vie quotidienne, nous interagissons majoritairement avec des individus faisant partie de notre classe sociale, nos collègues de travail.

nos amis, notre famille. Alors bien sûr, il y a des exceptions. Un salarié peut avoir comme amis des grands patrons et inversement un grand patron peut avoir comme amis des salariés.

Mais globalement ça reste une minorité. Globalement les salariés ont des amis salariés et les grands patrons ont des amis grands patrons. On ne parle pas de branche de métier, on parle de position dans l'appareil de production.

On parle d'un groupe qui vit en faisant travailler les autres et d'un groupe qui vit en vendant sa force de travail, étant entendu que ceux qui vendent leurs forces de travail sont de loin les plus nombreux. Donc tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que quand on évolue dans un univers social composé de gens qui partagent notre condition sociale, on ne se le dit pas.

on ne se fait pas la remarque. Notre univers social, c'est notre univers tout court. Donc on ne le voit même pas comme un univers. Et on ne pense pas à l'univers qui est au-dessus du nôtre et qui détermine nos conditions d'existence. On sait qu'on travaille pour un patron.

On sait qu'au-dessus de nous dans la hiérarchie, il y a des gens qui possèdent l'entreprise dont on travaille. Mais on ne les croise jamais. On ne les pratique jamais.

C'est la scène de Germinal où l'entier demande à Bonnemort à qui appartient la mine de charbon. Et Bonnemort lui répond On n'en sait rien. À des gens, à des gens. Il n'y a pas nous et vous, il y a nous et ils.

Vous voyez pourquoi j'ai insisté sur le matérialisme de Marx ? Parce que c'est aussi ça, avoir une approche matérialiste des choses. C'est s'arrêter sur les interactions concrètes, sur les rapports concrets.

Les rapports concrets dont on ne s'étonne plus parce qu'ils sont normalisés. Dans la mine, on croise le rouleur, on croise le moulineur, le lampiste. On ne croise pas le propriétaire. Et encore aujourd'hui, les classes sociales vivent séparées.

Les riches ont leur quartier, les pauvres ont les leurs. Les riches ont leur lieu de sortie, leur lieu de loisir, et les pauvres ont les leurs, chacun chez soi, et les bénéfices seront bien gardés. On voit très bien ce phénomène chez les célébrités, les stars, qui se rencontrent dans des soirées de stars, qui ont des conversations de stars, qui se marient dans des mariages de stars, et qui font des enfants de stars.

Pas besoin de recourir au concept de ghettoïsation. Les structures économiques de la société sont organisées de telle sorte que les classes sociales ne se mélangent pas. Donc au quotidien, on fréquente d'abord des membres de notre classe.

Et c'est ce qui fait qu'une classe sociale ne développe pas forcément ce que Marx appelle une conscience de classe. On peut être ouvrier sans se définir et même sans se représenter comme un membre de la classe ouvrière. Et d'ailleurs c'est même un des leviers de la domination capitaliste, d'empêcher les prolétaires de développer une conscience de classe, autrement dit de les empêcher de se voir et de se penser comme une classe opprimée.

Dans le cahier des charges de la bourgeoisie, il n'y a pas seulement l'exploitation économique, il y a aussi l'aliénation idéologique, c'est-à-dire le processus par lequel les prolétaires sont dépossédés de leur conscience. Ça aussi, ça prend des formes très concrètes. De nos jours, la télévision, le cinéma, et même une certaine littérature, ont pour fonction de nous faire oublier notre appartenance de classe.

On va regarder une série mettant en scène des bourgeois, et on va s'identifier. On ne va même pas remarquer que ce sont des bourgeois. On va voir des personnages qui vivent tout un tas d'aventures. sans se rendre compte qu'à aucun moment ces personnages ne sont confrontés à la réalité qui est la nôtre, la réalité sociale qui est la nôtre. Les factures, les crédits, les privations.

On s'identifie à des personnages qui sont des personnages affranchis de l'impératif de production. Et ce faisant, on se pense soi-même comme affranchi de sa classe sociale. Notre conscience de classe est aliénée. Marx disait les idées dominantes sont les idées de la classe dominante Il voulait dire par là que l'idéologie dominante dans une société capitaliste, c'est l'idéologie qui profite aux capitalistes. C'est l'idéologie qui empêche le prolétariat d'accéder à la conscience de soi.

Et c'est là qu'on en arrive... à la distinction qu'établit Marx entre ce qu'il appelle une classe en soi et une classe pour soi. Une classe en soi, c'est une classe comme réalité objective. C'est une classe qui existe dans la société, mais sans avoir nécessairement conscience d'être une classe.

Une classe pour soi, c'est une classe qui a accédé à la conscience de soi. Autrement dit, c'est une classe qui a conscience de ses intérêts en tant que classe sociale, et qui peut donc s'organiser pour défendre ses intérêts de classe. Et donc quand je disais qu'on n'avait pas forcément conscience de son appartenance de classe, en réalité, les bourgeois ont une conscience de classe.

En tout cas, ils l'ont tendanciellement beaucoup plus que les prolétaires. Pourquoi ? Parce que les bourgeois...

ont des intérêts. Ils ont des intérêts que les prolétaires n'ont pas. Et donc devant protéger leurs intérêts, ils développent nécessairement la conscience de ces intérêts, donc la conscience de classe. Pour Marx, la bourgeoisie a une conscience de classe naturellement plus développée, puisqu'en tant que classe dominante, c'est elle qui détient les moyens de production.

Elle a quelque chose à surveiller. C'est ça qui la rend consciente. Et quand la bourgeoisie est menacée dans ses intérêts, elle se mobilise.

Elle ne se mobilise pas de façon directement visible. Elle ne descend pas dans la rue. La rue, c'est pour les pauvres.

La rue, c'est pour ceux qui n'ont pas d'autre moyen de défendre leurs intérêts que de descendre dans la rue. Ou de faire grève. On va y revenir.

La bourgeoisie, elle, ne descend pas dans la rue. Elle utilise des leviers d'action structurels, les licenciements, les délocalisations, les restructurations et les lois. N'oublions pas que pour Marx, la politique est le bras armé de l'économie, et la police, le bras armé de la politique, les forces de l'ordre capitaliste.

Et donc quand je disais que la conscience de classe de la bourgeoisie venait du fait qu'elle avait des intérêts à défendre, ça ne veut pas dire que le prolétariat... n'a pas d'intérêt. Ça veut dire que les intérêts du prolétariat ne sont pas compatibles avec les intérêts de la bourgeoisie.

Ça veut dire que quand on est dominé, on ne peut pas faire valoir ses intérêts aussi efficacement que les dominants, précisément parce que ces intérêts sont contradictoires avec les intérêts des dominants. Bien sûr que les dominés ont des intérêts. L'intérêt des dominés, c'est l'émancipation. L'intérêt des dominés, c'est l'égalité.

Précisément ce dont les dominants ne veulent pas. Parce que du point de vue des capitalistes, l'émancipation des prolétaires, ça veut dire la fin de l'exploitation. L'égalité sociale, ça veut dire la mort des privilèges. Les capitalistes tiennent à leurs privilèges.

Ils ne veulent pas rogner sur leurs privilèges. Et c'est ce qui fait qu'à certaines occasions dans l'histoire, Les prolétaires ont dû recourir à la violence pour récupérer des intérêts qui leur avaient été confisqués. Par exemple, lors de la révolution de 1848, pas celle de 1789. Pour Marx, 1789, ça a d'abord été une révolution bourgeoise.

Ça a été le remplacement d'un régime de domination qui était la féodalité, par un nouveau régime de domination qui était... le capitalisme. Les prolétaires, en l'occurrence la paysannerie, n'ont pas vu leurs conditions améliorées.

Donc il faut bien s'entendre sur le fait que la Révolution française de 1789, ce n'est pas une révolution prolétaire, c'est au contraire la mise en place du capitalisme. Et les droits de l'homme issus de la Révolution française, ce sont les droits de l'homme bourgeois, pas les droits du prolétaire. Mais Marx dira quand même que cette révolution a eu un intérêt, un intérêt majeur même, parce qu'elle a constitué une étape et un progrès dans la lutte des classes. Marx a une vision dialectique de l'histoire.

Ça veut dire que pour lui, même si un événement apparaît comme opposé à son idéal, il est une étape dans la réalisation de cet idéal. Autrement dit, un événement... apparemment négatif, constitue toujours un pas supplémentaire vers un résultat qui lui est positif. C'est ça une vision dialectique, c'est considérer que le négatif est un moment du positif, que le négatif est un moteur et un promoteur du positif.

Donc s'il est clair que la Révolution française a entraîné l'avènement du capitalisme, il fallait l'avènement du capitalisme. pour que s'organisent les forces anticapitalistes. Il fallait l'avènement du capitalisme pour accélérer le processus de conscientisation de l'exploitation capitaliste, toujours selon l'idée que ce sont les événements qui déterminent la conscience.

Pour Marx, la lutte des classes, la lutte entre les propriétaires capitalistes et les prolétaires, ce n'est pas une lutte morale, c'est une lutte historique. Marx n'analyse pas la lutte des classes en termes de bien ou de mal, il l'analyse en termes de rapport de force, en termes de processus marqué par telle et telle étape conduisant à tel ou tel résultat. C'est d'ailleurs ça l'origine de l'expression socialisme scientifique qui désigne une approche purement technique des rapports de force économique.

La question n'est pas de savoir s'il est juste ou injuste que les prolétaires soient exploités par les capitalistes, la question est de savoir comment ça se fait, comment ça marche la domination, par où ça passe et à quoi ça mène. C'est ça le socialisme scientifique, comprendre les mécanismes de la domination capitaliste et comprendre pourquoi chaque pas en avant du capitalisme est en réalité... un pas en avant vers son abolition.

Parce qu'il faut que le capitalisme se développe pour que ces contradictions apparaissent. Il faut qu'il aille au bout de sa logique pour qu'il s'autodétruise. Le marxisme est une dialectique du rapport de force. Et c'est là qu'on va pouvoir joindre les deux bouts de la ficelle.

Parce que rappelez-vous ce qu'on a dit. On a dit premièrement que l'histoire de l'humanité était l'histoire de la lutte des classes, et que deuxièmement, le prolétariat était empêché par la bourgeoisie. d'accéder à la conscience de classe.

Donc, on pourrait se dire en première analyse que le prolétariat est battu d'avance. Bien justement, vous allez voir que non. Parce que si l'histoire du monde est l'histoire de la lutte des classes, la question qu'il faut se poser, c'est qu'est-ce qu'une lutte, sinon une occasion d'accéder à la conscience de soi ? Suivez le raisonnement.

Dans une lutte, on a un adversaire. Un adversaire par rapport auquel on se positionne. Et donc par rapport auquel on se définit.

Quand un groupe d'ouvriers fait grève, et que le patron en daigne enfin s'adresser à eux, généralement pour leur demander de reprendre le travail, les ouvriers savent qui ils sont. Ils sont les ouvriers. Ils sont ceux qui réclament de meilleures conditions de travail. ou un meilleur salaire, ou de ne pas être licencié parce que le patron a décidé de délocaliser l'entreprise. C'est ça le terreau matériel de la solidarité sociale, la lutte.

La lutte face à un adversaire qui a le contrôle sur nos intérêts, sur nos intérêts communs. Donc que font les ouvriers quand ils font grève ? Ils prennent conscience... de leur appartenance de classe.

En faisant cause commune, ils font corps commun. Ils deviennent une entité collective. La lutte est un vecteur de la conscience de soi.

Et dans le cas du prolétariat, c'est encore plus puissant. Parce que quand il lutte, quand il fait grève, quand il refuse d'obéir, le prolétariat se rend bien compte que les capitalistes ne sont pas contents, que ça les dérange quand ils font grève, que ça casse la productivité, donc la rentabilité. Quand ils font grève, les ouvriers peuvent se rendre compte, ils le savent déjà, mais là ils l'observent, qu'ils possèdent un moyen de pression redoutable sur les capitalistes, leur travail, leur force de travail.

Et cette force de travail, les capitalistes... ne peuvent pas s'en passer. Ce que font les prolétaires, les capitalistes ne pourraient pas le faire.

Les capitalistes ont besoin des prolétaires. Sans les prolétaires, les capitalistes ne peuvent plus faire de profit. Ils ne peuvent plus toucher leur rente ou leur dividende. Sans les prolétaires, les capitalistes n'existent plus. La supériorité du prolétaire.

sur le capitaliste, c'est la relation de dépendance, non pas qui le lie au capitaliste, mais par laquelle le capitaliste est lié à lui. Que va faire un patron dans une usine en grève ? Il va remplacer l'ouvrier ?

Il ne sait même pas comment on allume la machine. Sans le prolétaire, le propriétaire est démuni. Cette relation de dépendance entre le prolétaire et le propriétaire, c'est une relation qui a été philosophiquement décrite par Hegel à travers ce qu'il appelle la dialectique du maître et de l'esclave, parfois traduit en dialectique du maître et du serviteur. C'est une image pour traduire le renversement de situation qui s'opère entre le travailleur et l'exploitant lorsque le travailleur se rend compte que l'exploitant a besoin de lui. Il a besoin de lui pour pouvoir continuer à jouir de son travail.

Donc c'est un texte qui se trouve dans la Phénoménologie de l'Esprit, publié en 1807, et qu'on peut résumer de la façon suivante. Le maître fait travailler l'esclave. L'esclave produit, le maître consomme. L'esclave est actif, le maître est passif. Au bout d'un moment, l'esclave se rend compte...

qu'il y a quelque chose qui cloche. Ce qui cloche, c'est qu'il obéit à quelqu'un qui a besoin de lui. L'esclave, lui, n'a besoin de personne. Il sait travailler, il sait produire, il est autonome. Le maître, lui, est hétéronome.

Il est en situation de dépendance. Le maître devient donc l'esclave de l'esclave. Eh bien, pour Marx, cette image illustre parfaitement Ce qui s'opère dans la conscience du travailleur lorsqu'il est en lutte.

La prise de conscience que c'est lui qui a le pouvoir. La prise de conscience que c'est lui l'élément indispensable. Parce qu'il voit bien que lorsqu'il désobéit, le propriétaire a les mains liées.

Que son pouvoir s'évanouit dès lors que le prolétaire lui retire ce pouvoir. N'oublions pas que l'autorité... c'est le fait d'être autorisé.

Si le prolétaire n'autorise plus le propriétaire à exercer son pouvoir sur lui, ce pouvoir n'existe plus. Donc la conscience de classe, c'est ce qui émerge de la lutte des classes. Et quand les prolétaires prendront conscience que les capitalistes ne sont rien sans eux, quand ils prendront conscience qu'entre les capitalistes et le prolétariat, c'est le prolétariat qui a le pouvoir, pas le pouvoir juridique, pas le pouvoir institutionnel, mais le pouvoir réel. Et que le pouvoir institutionnel s'effondre sous le pouvoir réel, lorsque le prolétariat prendra conscience de ça, nous dit Marx, ce sera la révolution, au sens littéral.

L'exploitation capitaliste sera révolue, ce sera l'avènement. d'une société sans classe. J'aimerais m'arrêter un instant sur ce projet qu'avait Marx d'une société sans classe pour montrer qu'il ne s'agissait pas seulement d'un projet, mais de ce qu'il appelait une nécessité.

Nécessité, en philosophie, ça ne veut pas dire besoin, ça veut dire inévitable. La révolution prolétarienne, selon Marx, était inévitable. Elle était inévitable parce qu'en se développant, le capitalisme crée mécaniquement des contradictions internes.

Des contradictions internes qui le mèneront à l'effondrement. Autrement dit, en se développant, le capitalisme crée les conditions de son auto-abolition. Marx croit au sens de l'histoire. Il croit à un terme ultime de l'histoire, qui au bout de millénaires de luttes entre dominants et dominés, débouchera sur la fin de l'histoire. La fin de l'histoire, ça ne veut pas dire qu'il ne se passera plus rien.

Mais ça veut dire qu'il ne se passera plus rien d'historiquement déterminant. Ça veut dire que le moteur de l'histoire, qu'est la lutte des classes, n'existera plus. Et que donc les événements qui surviendront n'auront pas une... portée signifiante sur le devenir de l'humanité. Cette vision d'un sens de l'histoire, Marx l'emprunte à Hegel.

Hegel qui, comme on l'a vu, fut l'une des grandes influences de Marx, mais dont il a totalement modifié le principe originel. Que disait Hegel ? Hegel disait que l'histoire était guidée par la raison, que l'histoire était guidée par l'idée, avec un I majuscule.

Idées qui s'incarnaient dans la matière et qui se déployaient à travers l'histoire. Autrement dit, Hegel était un idéaliste. Idéaliste au sens philosophique, au sens où pour lui, c'est l'idée qui prime sur la matière et non pas l'inverse.

Tandis que Marx pensait au contraire que c'était la matière qui, au travers du mouvement de l'histoire, faisait émerger l'esprit. et donc que le développement matériel du capitalisme finirait par engendrer la conscience de ce qu'est le capitalisme. Marx a opéré ce qu'on appelle le renversement matérialiste de la philosophie hegelienne. Il a remis la philosophie de Hegel sur ses pieds, les pieds dans la matière.

Et donc c'est ce qui fait que pour Marx, les idées n'ont finalement qu'un rôle auxiliaire dans la révolution prolétarienne. Rôle auxiliaire, ça veut dire que les idées ne font qu'accompagner l'action, elles surgissent de l'action. Comme dans l'exemple de la dialectique du maître et de l'esclave, dans laquelle la prise de conscience de l'esclave est une émanation de son rapport de force avec le maître. Les prolétaires ne théorisent pas la révolution, ils la font.

Et c'est parce qu'ils la font que les intellectuels peuvent passer derrière pour la théoriser. Sauf que Marx, c'est celui qui a théorisé la révolution prolétarienne, non pas après qu'elle ait eu lieu, mais avant qu'elle ait eu lieu. Parce que pour lui, l'effondrement du capitalisme est prévisible. Il l'a anticipé. Et en anticipant l'effondrement du capitalisme, il a en même temps anticipé l'inéluctabilité d'une révolution prolétarienne.

La théorisation du capitalisme par Marx... c'est l'anticipation par le concept des conséquences inévitables du capitalisme. Et la conséquence inévitable du capitalisme, c'est la révolution.

Si Marx était convaincu que la révolution prolétarienne allait arriver, ce n'est pas parce qu'il lisait dans le mar de café, ou parce qu'il avait un penchant au mysticisme, ce que certains ont d'ailleurs reproché à Hegel, une sorte de vision messianique de l'esprit. qui un jour viendrait consacrer l'union du divin et de l'humain. Marx n'est pas du tout là-dedans.

Pour lui, ce qui rend la révolution prolétarienne inéluctable, ce sont les contradictions internes du capitalisme. Prenons l'une des contradictions du capitalisme. La logique du capitalisme, c'est l'accumulation. L'accumulation indéfinie.

La devise du capitaliste, c'est toujours plus D'ailleurs, on trouve des textes de Marx dans lesquels il parle explicitement de la nature vorace du capitalisme. Le capitalisme, c'est un monstre insatiable, la forme économique de l'hubris. Donc si la nature du capitalisme, c'est la croissance indéfinie, ça veut dire que le capitalisme a besoin de toujours... faire baisser les coûts de production. Ça peut être par l'utilisation de technologies plus avancées, ça peut être en augmentant la productivité, ça peut aussi être en baissant les salaires des ouvriers.

Dans tous les cas, les possibilités sont limitées. Donc si un patron cherche à faire toujours plus de profit, il va fatalement atteindre un point limite. Ce qui va alors arriver, c'est une diminution des bénéfices, ce que Marx appelle la baisse tendancielle du taux de profit. Les entreprises les moins compétitives vont alors se faire absorber par les plus compétitives, ce qui va entraîner fatalement une concentration du capital.

Et donc on va se retrouver avec de très grandes entreprises qui accaparent toute la richesse et qui, pour maximiser leurs profits, vont faire encore... plus pression sur les salaires, ou vont augmenter leur prix. Autrement dit, on va se retrouver avec des travailleurs de plus en plus pauvres, qui vont payer des marchandises de plus en plus chères, jusqu'au moment où ce système va atteindre sa limite, où le capital ne pourra plus s'accroître, et où la population ne pourra plus vivre.

C'est alors que le capitalisme va connaître la crise. Pour Marx, la crise du capitalisme est inéluctable. Et si les prolétaires, ayant accédé à la conscience de classe, s'organisent et s'unissent, leur conscience de classe deviendra conscience révolutionnaire. Une fois émancipés des faux conflits, des conflits horizontaux entretenus par la classe capitaliste pour empêcher l'union des travailleurs, Le prolétariat sera alors en situation d'agir, en situation de renverser la classe capitaliste, de mettre un terme à l'exploitation et de faire advenir une société sans classe, une société où les moyens de production sont mis en commun, une société où il n'y a plus ni maître ni serviteur, mais où la fraternité est garante. Une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société toute entière, soit par la destruction des deux classes en lutte.

La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classe. Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classe. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps opposés, en deux grandes classes directement ennemies.

La bourgeoisie... et le prolétariat. La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle essentiellement révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé au pied les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens bariolés qui unissaient l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d'autres liens, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, le dur paiement comptant.

Elle a noyé l'extase religieuse. l'enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité petite bourgeoise, dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange. Elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation voilée par des illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions qui passaient jusque-là pour vénérables, et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle les a enrôlées parmi les travailleurs salariés. La bourgeoisie n'existe qu'à condition de révolutionner sans cesse les instruments de travail, ce qui veut dire le mode de production, ce qui veut dire tous les rapports sociaux.

Le maintien de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de mode de production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux traditionnels et figés, avec leur cortège de croyances et d'idées anciennement vénérées, se dissolvent. Ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'envole comme fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs relations réciproques avec des yeux désabusés.

Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut pénétrer partout, s'établir partout, créer partout des moyens de communication. Par l'exploitation du marché mondial, La bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale.

Les vieilles industries nationales sont détruites ou sur le point de l'être. Les armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même. Mais la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort. Elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires.

Avec le développement de la bourgeoisie, c'est-à-dire du capital, se développe le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail, et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre. Ils subissent par conséquent toutes les vicissitudes de la concurrence, toutes les fluctuations du marché. L'introduction des machines et la division du travail, en dépouillant la fonction de l'ouvrier de toute personnalité, lui ont fait perdre tout attrait.

Le producteur devient un simple appendice de la machine. On exige de lui que l'opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, ce que coûte aujourd'hui l'ouvrier se réduit à peu de choses près au coût de ce qu'il lui faut pour s'entretenir et perpétuer sa race.

Or, le prix du travail, comme celui de toute marchandise, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires baissent. Bien plus, la somme de labeur s'accroît, avec le développement du machinisme et de la division du travail, soit par l'augmentation des heures ouvrables, soit par l'accélération du mouvement des machines, et donc du labeur exigé pour un temps donné.

De toutes les classes qui, à l'heure présente, se trouvent face à face avec la bourgeoisie, le prolétariat seul est une masse vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie. Le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus spécial.

Toutes les classes qui, dans le passé, s'emparaient du pouvoir, essayaient de consolider leur situation acquise en soumettant la société à leur propre mode d'appropriation. Les prolétaires ne peuvent s'emparer des forces productives sociales qu'en abolissant le mode d'appropriation qui était particulier à celle-ci et, par suite, tout mode d'appropriation en vigueur jusqu'à nos jours. Les prolétaires n'ont rien à sauvegarder qui leur appartienne. Ils ont à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée existante.

En esquissant à grands traits les phases du développement prolétarien, nous avons retracé l'histoire de la guerre civile, plus ou moins latente, qui travaille la société jusqu'à l'heure où cette guerre éclate en révolution ouverte, et où le prolétariat fondera sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie. Les tentatives de mise en application du marxisme, qui ont eu lieu dans différents pays du monde au XXe siècle, l'URSS, la Chine, Cuba, se sont soldées par des échecs. Au lieu d'États, communiste, au lieu de société où l'homme est l'allié de l'homme, on s'est retrouvé avec des régimes bureaucratiques exploitant les travailleurs au nom de l'idéal égalitaire. Preuve s'il en est que derrière de grands idéaux peuvent se dissimuler des motivations beaucoup plus vile.

A la fin de sa vie, Marx a écrit Tout ce que je sais c'est que je ne suis pas marxiste. C'était une manière pour lui de prendre ses distances avec les interprétations qu'on avait faites de son œuvre. Et si Marx revenait parmi nous, il serait intéressant de savoir ce qu'il pense de ceux qui se réclament de lui, de ceux pour qui la lutte n'est pas une nécessité mais un moyen d'exister.

et de se présenter au monde et à eux-mêmes comme attachés à la cause des dominés. Être marxiste, est-ce seulement citer Marx, ou est-ce agir dans le sens de l'émancipation, de l'émancipation réelle ? La religion est l'opium du peuple, a également écrit Marx.

Une phrase que les marxistes... ne considèrent jamais comme pouvant s'adresser à eux, et qui pourtant s'adressent à eux comme elles s'adressent à tous ceux qui ont besoin de sacraliser un texte pour se sentir du côté du bien. Je vous remercie.