Ravie de vous retrouver pour ce nouveau numéro du Dessous des Cartes. Nous démarrons cette émission devant le fastueux Palais Royal de Rabat, la capitale du Maroc. L'actuel souverain Mohamed VI y a été intronisé en 1999 et comme ses aïeux Hassan II ou Mohamed V, il peut aussi y séjourner dans les autres palais royaux des villes impériales, Marrakech, Fès ou encore Meknes. En 2021, le roi du Maroc concentre toujours l'essentiel du pouvoir, même s'il a concédé des ouvertures sociétales et une réforme de la Constitution en 2011. Le Maroc, un pays stable dans une région qui ne l'est guère, mais qui n'a résolu, on va le voir, ni ces inégalités criantes, ni la question sarraoui, ni celle de la démocratie et des libertés, sans oublier la montée de l'islamisme radical. Alors tout de suite, voici le dessous des cartes de ce Maroc des rois.
Quel avenir au XXIe siècle ? Situé à 14 km du continent européen, le Maroc se situe au carrefour de l'Union européenne, de l'Afrique et du monde arabe. Dans ces dimensions reconnues par le droit international, Le Maroc a une superficie de 446 000 km2, mais le Royaume revendique de facto un territoire d'une superficie totale de 713 000 km2, si l'on compte le Sahara occidental, et nous y reviendrons longuement plus tard.
Le Maroc a pour voisins l'Algérie et la Mauritanie. Le pays s'ouvre sur l'océan Atlantique et la Méditerranée, où se trouvent les deux enclaves, ou plutôt esclaves espagnoles, de Ceuta et Melia. Le territoire marocain est couvert au deux tiers par des chaînes de montagne, le rift et l'atlas. Au nord, on trouve de grandes plaines de type méditerranéen.
Au sud, commence le désert du Sahara. La population est de 36 millions d'habitants et la capitale est Rabat. L'islam, la religion d'État. De tous les États musulmans actuels, le Maroc est l'un de ceux qui a préservé son indépendance le plus longtemps, plus d'un millénaire. Ses origines remontent à l'an 789, lorsqu'un prince arabe, Idris Ier, descendant de Mahomet, fonde à Fès la dynastie Idricide avec le soutien des tribus berbères locales.
Dès le XIe siècle, des berbères, justement les Almoravides puis les Almohades, arrivent à unifier au nom du Djihad un vaste territoire à cheval entre l'Afrique et la péninsule ibérique. Mais en 1212, La bataille de Las Navas des Tolossas marque une étape décisive dans la reconquête chrétienne de la péninsule ibérique. Par la suite, les dynasties marocaines n'auront de cesse de repousser l'expansion chrétienne des côtes du Maghreb.
Résultat, au XVIIe siècle, la dynastie halawi traîne sans partage sur un empire indépendant, l'empire shérifien, qui signifie descendant du prophète À sa tête, le célèbre sultan Moulaïs Maïl, un stade de la chrétienne, est un des plus grands dynasties de la chrétienne. restaure un système politique qui repose sur les grandes familles arabo-andalouses et sur l'aristocratie religieuse. Mais au XXe siècle, fin de l'indépendance.
En 1912, en effet, le Maroc devient un protectorat français et espagnol, sous une forme singulière, et l'on va voir pourquoi. Résident général de France auprès du sultan de l'époque Mouley Youssef, le maréchal Lyotet gouverne avec le souci de construire un Maroc moderne en respectant les institutions du sultanat shérifien. Cette articulation entre anciens et modernes, entre empire et état-nation, va conférer au Maroc une singularité qui sera cultivée par la monarchie et par les élites du pays. Mais en 1930, Paris tente de soustraire les tribus berbères à l'autorité du sultan.
C'est alors le début d'une poussée nationaliste qui ne cessera qu'à l'indépendance du Maroc en 1956. Le sultan devient le roi sous le nom de Mohamed V. aujourd'hui considéré comme le père du Maroc moderne. L'indépendance du Maroc, qui fut elle aussi singulière dans ses modalités, une indépendance négociée avec la France, ce qui évita sans doute la violence que connut l'Algérie voisine. Autre particularité, le Maroc indépendant ne partage ni l'option socialiste de ses voisins, ni leur anti-impérialisme, ni leur panarabisme ou encore leur système de parti unique. Ce Maroc indépendant et singulier, il va très vite, vous allez voir, se trouver à l'étroit dans ses frontières.
En effet, le Maroc remet en cause les frontières imposées par le colonisateur français. En 1958, le parti de l'indépendance, l'Istiklal, publie cette carte du Grand Maroc, qui revendique des territoires qui en auraient fait partie historiquement, une carte reprise ensuite par Mohamed V. Deux guerres devaient naître de ces prétentions marocaines. D'abord en 1963, un conflit sur le tracé des frontières oppose le Maroc à l'Algérie, indépendante depuis peu.
Cette guerre des sables s'achèvera finalement sur un statu quo. L'autre désaccord post-colonial est celui... du Sahara occidental, l'un des sujets les plus sensibles au Maroc.
Voyons pourquoi. La conquête de cette colonie espagnole est pour le successeur de Mohamed V, Hassan II, un enjeu politique. Dès lors, en 1975, au départ des Espagnols de leur colonie, Hassan II lance la fameuse marche verte, ses hommes pénètrent au Sahara espagnol et le territoire est alors partagé entre le Maroc et la Mauritanie.
La guerre éclate. Le Maroc et la Mauritanie font face au mouvement indépendantiste sahraoui du front polisario, mouvement soutenu par l'Algérie. Depuis le cessez-le-feu de 1991 et en l'absence à ce jour de référendum d'autodétermination, l'ONU considère toujours le Sahara occidental comme territoire non autonome, non décolonisé. Le Maroc occupe de facto 80% du territoire, alors que le front polisario contrôle le reste, toujours soutenu par l'Algérie.
Mais revenons à Hassan II. Ce monarque qui a marqué l'histoire du Maroc contemporain. S'inscrivant dans la tradition de la dynastie halawite, Hassan II, à la fois commandeur des croyants et chef politique, gouverne en affichant une modernité tout en puisant dans les formes traditionnelles du pouvoir. Le règne de Hassan II reste néanmoins entaché par ce qu'on a appelé les années de plomb, trois décennies d'atteinte aux droits de l'homme, qui débute en 1965 avec arrestation des opposants de gauche, Répression des mouvements étudiants envoie au bagne de Tasmamar des militaires responsables des tentatives de coup d'État en 1971 et 72 contre le roi. Dans les années 90, Hassan II décide l'ouverture du système politique aux partis d'opposition islamistes et socialistes.
En 93, il nomme même un premier ministre socialiste, mais cela sans remettre en cause son pouvoir absolu et divin, qui reste le pilier. du système marocain. En 1999, après le décès de son père Hassan II, Mohamed VI, le nouveau roi, veut prolonger cette ouverture politique et rompre avec l'image d'une monarchie autoritaire et absolue.
Sur les droits de l'homme, Mohamed VI souhaite réconcilier le peuple marocain avec son passé en faisant l'inventaire des années de plomb. Mais en réalité, la question de la violence d'État va rester largement occultée. Ainsi, lorsque les printemps arabes éclatent en 2011, le Maroc n'est pas épargné et des mouvements politiques remettent en cause les élites jugées corrompues. Mohamed VI réussit à étouffer la contestation en modifiant la constitution, qui laisse penser à un rééquilibrage des pouvoirs, mais il n'en est rien. Le roi reste le seul véritable maître du pays.
Au XXIe siècle, le Maroc de Mohamed VI se heurte également à la montée d'un islamisme radical et du terrorisme. Le Maroc a été le théâtre d'attentats comme en 2003 à Casablanca, dans plusieurs lieux symboliques de la capitale économique du pays. Pour contrer cet islam radical, Mohamed VI promet un islam modéré et ouvre un institut pour former des imams d'Afrique et de France. Bénéficiant de cette forme d'immunité monarchique si particulière, Mohamed VI parvient donc à préserver l'essentiel de son pouvoir politique et à demeurer le chef religieux. incontestables.
Et ce, malgré des absences répétées qui alimentent toutes sortes de rumeurs. Le Maroc de Mohamed VI reste par ailleurs un pays socialement très contrasté. Regardez cette carte du taux de pauvreté, vous voyez qu'il existe au Maroc de fortes disparités sociales et régionales, tandis que le chômage et l'analphabétisme restent très importants.
Alors quelles sont les ressources du Maroc, si l'on compte aussi celles du Sahara occidental ? La pêche et l'agriculture restent les secteurs clés du pays, l'industrie marocaine reste faible. A noter quand même sa position de leader mondial dans le domaine du phosphate, confortée par l'exploitation des mines sahraoui.
Et puis bien sûr il y a le tourisme, grande force économique du pays, du moins avant la crise de la Covid-19. Avec des destinations comme Agadir ou Marrakech, le Maroc est le leader du tourisme en Afrique. Ainsi, en 2019, ce sont 13 millions de personnes qui ont visité le pays, dont 2 millions de Français. Alors intéressons-nous justement à l'évolution de ce lien entre la France et le Maroc. Depuis le protectorat, ce lien reste important.
La France est le premier investisseur étranger au Maroc. Malgré cela, depuis 2012, c'est l'Espagne qui est devenue son premier partenaire commercial. Plus globalement, l'Union européenne est un partenaire commercial essentiel pour le Maroc.
Le Maroc qui est aussi un allié sécuritaire pour l'Union européenne, mais également pour les Etats-Unis. En 2020, ces derniers ont signé un accord de coopération militaire avec Rabat face aux menaces terroristes. Le Maroc surveille en effet le détroit de Gibraltar et joue donc un rôle important dans la gestion des flux migratoires vers l'Europe et dans la lutte contre le djihadisme. En contrepartie, l'Union européenne, notamment la France, se montre peu regardante sur la question des droits de l'homme et sur celle du Sahara occidental.
En conclusion, on l'aura compris, ce Maroc des rois reste stable, c'est vrai, mais à quel prix ? Inégalité, absence de démocratie et atteinte aux droits de l'homme, le compte n'y est toujours pas. Enfin, sur le plan diplomatique, Mohamed VI a rejoint à la fin de l'année 2020 le nouvel axe de ces pays arabes qui affichent désormais leurs relations avec l'État d'Israël, obtenant en échange des diplomates de Donald Trump la reconnaissance du Sahara occidental comme faisant partie du royaume marocain.
Reste à savoir maintenant ce qu'en fera Joe Biden. Pour aller plus loin sur les enjeux contemporains du Maroc de Mohamed VI, le Maroc en sans question par Pierre Vermeeren chez Talendier. Ainsi s'achève ce nouveau numéro du Dessous des Cartes.
Rendez-vous bien sûr la semaine prochaine, même endroit, même heure. Et d'ici là, n'oubliez pas notre site internet arte.tv sur lequel vous retrouverez notamment nos leçons de géopolitique. A bientôt.