Autonnes malades a été publié pour la première fois dans Alcolle, c'est à dire en 1913. Il est relié à beaucoup d'autres poèmes du Recueil sur cette même saison, la saison mentale du poète, comme il l'écrit dans Signes. En effet Apollinaire est né sous le signe de la Vierge qui débute l'automne. Le poème est placé à la fin du Recueil, peu avant Vendémiaire. La grande symphonie automnale des vendanges poétiques du monde. L'analyse de ce poème peut nous permettre de saisir l'ambivalence et la richesse de l'automne aux yeux du poète et d'y voir une élégie sous forme de tableau musical.
Apollinaire n'est pas le premier poète à chérir l'automne. Il existe une tradition, en particulier chez les poètes romantiques, mais aussi chez les symbolistes comme Verlaine, autour de cette saison. Passage entre l'été et l'hiver, elle représente le temps qui passe, l'approche de la mort, la beauté éphémère de la nature. Salut, bois couronné d'un reste de verdure, feuillage jaunissant sur les gazons épars. Salut, dernier beau jour, le deuil de la nature convient à la douleur et plaît à mes regards.
Je suis d'un paréveur le sentier solitaire. J'aime à revoir encore, pour la dernière fois, ce soleil palissant dont la faible lumière perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois. Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, à ces regards voilés, je trouve plus d'attrait. C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire des lèvres que la mort va fermer pour jamais. Sanglots longs des violons de l'automne Blessent mon cœur d'une langueur monotone Automne malade et adoré Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roserées Quand il aura neigé dans les vergers Pauvre automne, meurs en blancheur et en richesse De neige et de fruits mûrs, au fond du ciel, des éperviers planes, sur les niques senicettes aux cheveux verts et naines, qui n'ont jamais aimé.
Aux lisières lointaines, les cerfs ont bramé. Et que j'aime, ô saison, que j'aime tes rumeurs, les fruits tombant sans qu'on les cueille, le vent et la forêt qui pleurent, toutes leurs larmes en automne, feuille à feuille. Les feuilles qu'on foule, un train qui roule, la vie s'écoule.
Le titre est en général une sorte de métonymie du texte, une partie qui désigne et qui remplace le tout. Il est donc particulièrement important en poésie. Or, ici, ce titre personnifie la saison qui est malade, et cela crée un effet de surprise.
La première strophe est irrégulière, elle comprend des vers de différents mètres, d'abord 9 syllabes, puis 14, 6 et 4. Certains de ces mètres sont inhabituels, ceux de 9 et de 14 syllabes. De plus, les rimes sont pauvres, réduites à de simples assonances sans fin de vers. Notons que le son ouvert de roseraie est différent du son fermé de adoré, neigé, verger.
Il s'agit d'un tableau automne dans lequel s'opposent les figures des fleurs, roseraies et des fruits du verger. La forme est moderne, irrégulière et libre. Le premier vers est une apostrophe à l'automne personnifiée, notant un oxymore formé par les adjectifs malade et adoré, qui qualifie l'automne comme une saison des contradictions. Enfin, l'adjectif adoré marque le fort attachement du poète à la saison et possède également une connotation picturale, celle du doré. La longueur de ce vers est très inhabituelle, 14 syllabes, mais il a un rythme régulier, 3, 4, 3, 4, comme deux bourrasques successives.
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies. De plus, on peut noter les allitérations R et les assonances en A qui renforcent les sonorités d'ouragan et forment des sonorités imitatives de la tempête. D'autre part, le futur est prophétique.
Le poète connaît l'avenir. Tu mourras. Il décrit la mort de l'automne qui est tutoyée comme un être cher, proche. Le futur antérieur aura neigé, envisage l'action à venir comme déjà accomplie. Il s'agit de la circonstance de temps de la mort amenée par la conjonction quand Notons qu'entre les deux vers, le rythme se raccourcit, d'abord six, puis quatre syllabes.
pour mimer peut-être l'avancée de la vie de l'automne vers son terme. Le lieu, ce sont les vergers, au pluriel. On peut voir qu'il y a un contraste entre la fertilité de ce lieu et la stérilité de la neige.
Et pourtant, la rime suffisante neiger, verger réduit l'opposition de ces deux termes. La deuxième strophe est également irrégulière, puisqu'elle a des vers hétérométriques. et qu'elle n'a pas de système de rimes. D'ailleurs, du point de vue de la versification classique, ce n'est même pas une strophe, puisqu'une strophe se définit par le fait qu'elle a un système organisé de rimes.
En fait, on ne la considère comme une strophe que parce qu'elle est isolée par des blancs typographiques. Ici, le poète s'adresse toujours à la saison, mais le qualificatif pauvre est ambigu. Le poète plaint-il la saison, ou s'agit-il d'une saison privée de richesse ?
Les vers suivants permettront de résoudre ce problème. Notons également l'emploi étonnant de l'impératif. Le poète souhaite-t-il la mort de l'automne ?
Ou plutôt, se place-t-il en position de démiurge qui est commande à la nature ? Les allitérations en ch associées au s et au j de neige imitent les bruits étouffés par la neige. Notons la présence également de deux oxymores qui marque que l'automne est la saison des contradictions.
Oxymore entre blancheur et richesse, et neige et fruits mûrs. Entre la venue de l'hiver stérile et l'abondance des récoltes, récoltes du raisin en particulier pensées aux vendanges de Vendémiaire. Apollinaire caractérise donc l'automne comme la saison des contradictions.
Et puis, il dresse un double parallèle entre blancheur et neige d'une part, et richesse et fruits mûrs d'autre part. Le poète renforce les oppositions qui sont pour lui liées à l'automne. Le tableau automne prend une dimension verticale avec l'expression au fond du ciel Les éperviers, qui sont des oiseaux de proie, annoncent qu'une menace est présente. Ce danger plane sur des créatures germaniques légendaires, sortes de sirènes. Le qualificatif nissette mot vieilli signifiant simplette et la qualité de naine rendent cette définité inoffensive.
Ces caractérisations sont renforcées et unies entre elles par une assonance en è et une allitération en n Le rejet de la relative négative, qui n'ont jamais aimé, contribue à dévaloriser ces figures féminines, bien différentes des inquiétantes fées aux cheveux verts de Nurena. Le vers 10 a l'air d'un alexandrin, mais si l'on suit les règles de la prosodie traditionnelle, il a 13 syllabes. Apollinaire joue ici grâce au rythme entre la tradition et la modernité. La troisième strophe est un distique en vers libre, qu'unissent des assonances en E et E, des allitérations en L. Le tableau autonal prend une profondeur horizontale grâce aux lisières lointaines.
Le brame Chant d'amour du cerf à l'automne donne une dimension musicale au tableau et l'appel masculin contraste avec l'indifférence féminine des nix qui n'ont jamais aimé. La quatrième et dernière strophe du poème est à la fois plus traditionnelle et plus innovante que les autres. Elle est traditionnelle car les maîtres y sont plus réguliers.
D'abord deux alexandrins séparés par deux octosyllabes et suivi de six vers de deux syllabes chacun formant une sorte d'alexandrin. Elle est traditionnelle aussi par la présence de rimes, mais elle est extrêmement moderne par la chute de l'alexandrin décalé sur la droite, comme par l'irrégularité des rimes. Dans ce vers, le poète emploie la première personne, ce qui donne un ton lyrique au texte, renforcé par la répétition et la construction exclamative du vers.
Les rumeurs riment avec pleurs. La sonorité diffuse de l'automne et de nature élégiaque, chant de deuil ou de peine. D'ailleurs, dans Rumeurs, on entend aussi meurt L'emploi de l'alexandrin renforce l'allusion à l'élégie poétique traditionnelle. Cette octosyllabe régulier, divisée en deux groupes de quatre syllabes, évoque l'abondance de la saison. Mais le motif de la chute, tombant, réaffirme le contraste entre la richesse et la mort prochaine de la saison.
La personnification de l'automne est filée par celle du vent et de la forêt. Le verbe pleurer reçoit un complément d'objet interne, c'est-à-dire un complément d'objet qui répète le sens du verbe, toutes leurs larmes. Cela crée un procédé d'insistance, surtout associé à l'hyperbole toutes Apollinaire emploie une métaphore, les larmes de la forêt sont les feuilles.
L'Alexandrin a un rythme particulier de trois fois quatre syllabes, toutes leurs larmes en automne, feuille à feuille. C'est pourquoi on parle d'Alexandrin romantique ou de trimètre, associé ici au thème de l'Élégie. Ces six vers de deux syllabes, disposés de façon décalée, semblent dessiner la chute des feuilles.
Apollinaire fait ici une sorte de calligrame, poème dont la disposition des vers forme un dessin. Il s'agit d'une forme que le poète a beaucoup employée. La rime en houle scande la chute du poème et souligne le sens général de cette chute.
Le thème de la mortalité et du passage. On y retrouve l'écoulement associé à la littération L, comme dans le pont Mirabeau. La littération F est imitative des pas sur les feuilles mortes et évoque un promeneur en forêt.
Et la littération R évoque le bruit des roues du train. Ces sonorités, alliées au rythme de deux syllabes, forment un engrenage rapide et mécanique. comme celui des roues du train qui avancent inexorablement. Et pourtant, l'ensemble de ces six vers forment un alexandrin classique.
Dans Autonnes malades Apollinaire reprend une longue tradition poétique sur le thème de la saison mélancolique, évoquant au poète la disparition des choses et des êtres aimés dans le cadre d'une beauté déclinante. Le poète d'Alcolle s'approprie cette tradition en s'adressant directement à l'automne comme à une personne chère et en modernisant la forme poétique sans lui faire oublier ses origines. Pour Apollinaire, la saison incarne l'ambiguïté de la vie, la proximité entre la fertilité et la mort et le thème de l'éternel passage.
Sa poésie mêle mélancolie et élégie et peut évoquer un tableau Par exemple, le paysage d'automne au crépuscule peint par Van Gogh en 1853 et que voici.