C'est un thème explosif, l'impôt. Les ultra-riches en paient considérablement moins que les classes moyennes et une partie des multinationales considérablement moins que les petites entreprises. À Blast, on a beaucoup parlé de ces sujets, de l'affaire Claire Stream aux Pandora Papers, en passant par les Panama Papers. Ça fait des décennies que les scandales s'enchaînent, révélant à chaque fois qu'une partie des plus aisées se livre à des pratiques d'évasion fiscale ou d'optimisation fiscale. La presse révèle ce jeudi les petits secrets du Luxembourg.
L'évasion fiscale y est encore très largement pratiquée. Plus de 300 multinationales en profitent. Il s'agit de plus de 180 milliards d'euros cachés via ce vaste système de fraude fiscale internationale orchestré par la banque HSBC.
Un gigantesque système d'évasion fiscale. C'était l'affaire dite des Panama Papers. Outre des milliers d'anonymes, figurent dans ces documents les noms de 12 chefs d'États et de gouvernements, dont 6 encore en activité.
de 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires. Le plus gros, vous ne le voyez pas, parce qu'on vit dans un océan de sociétés offshore, de fortunes qui sont cachées, qui payent des gens qui ne payent pas d'impôts, et qui cachent l'origine de leurs fortunes. Vous en avez d'ailleurs probablement entendu parler des dizaines de fois en vous disant que ce problème n'avait pas vraiment de solution.
La logique, portée par de nombreux responsables politiques quand ils doivent rendre des comptes sur cette question, est simple. Dans un contexte mondialisé, si l'on taxe des entreprises ou des individus qui ont les moyens de s'exiler, ils vont fuir notre territoire et donc on ne pourrait rien faire. Seulement cette idée reçue est en train d'être dynamisée par un économiste qui fait bouger les lignes ces dernières années. Il s'appelle Gabriel Zucman et ses travaux sur l'évasion fiscale, qui rencontrent un large écho, mènent à des conclusions très différentes. Non seulement l'évasion fiscale existe toujours, mais nous aurions des solutions.
à la pelle pour y faire face. Et non, il n'y a pas besoin d'attendre que tous les pays s'y mettent pour que ce soit efficace. Aujourd'hui, l'Observatoire européen de la fiscalité, dont il est le directeur, sort un nouveau rapport que Blast a pu se procurer en exclusivité qui offre des informations inédites. Que représente l'évasion fiscale aujourd'hui ?
Quelles en sont les conséquences sur nos sociétés ? Quels impacts ont eu les outils fiscaux mis en place ces dernières années ? Comment ?
Pourrions-nous lutter concrètement contre ces privilèges des plus aisés ? Enfin, quelles mesures Emmanuel Macron pourrait-il mettre en place, là, demain, à l'échelle de la France, pour changer les choses ? C'est à ces questions que l'on va répondre dans cet entretien économique sur Blast.
Gabriel Zucman, bonjour. Bonjour. Vous êtes économiste, ancien enseignant en économie à la London School of Economics.
Vous enseignez actuellement à l'Université de Berkeley, en Californie. Vous êtes connue pour vos travaux sur l'évasion fiscale et les inégalités. Et vous avez récemment reçu la prestigieuse médaille John Bates Clark.
C'est un prix qui est considéré comme l'une des plus prestigieuses récompenses accordées aux chercheurs en sciences économiques. L'Association américaine d'économie qui vous l'a décernée a expliqué que vos recherches apportent certaines des meilleures preuves concernant l'importance de l'évasion fiscale. forçant les économistes à reconnaître que le phénomène est plus important qu'initialement envisagé. Résultat, la presse vous surnomme l'économiste de la justice fiscale ou encore l'économiste que les hauts patrimoines ne peuvent pas encaisser.
Vous êtes également le directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité et vous venez de publier aujourd'hui, jour de diffusion de cette émission, un nouveau rapport détonnant sur l'évasion fiscale, sur la fiscalité à l'international. Alors ce rapport... écrivez-vous, résume le travail mené par plus de 100 chercheurs du monde entier et constitue, selon vous, la première tentative systématique de faire le bilan de cette révolution informationnelle.
Des rapports sur l'évasion fiscale, il y en a énormément, on en a déjà beaucoup parlé à Blast, ça donne souvent des estimations qui sont différentes de l'évasion fiscale. Pour la France, on parle souvent d'estimations allant de 60 à 100 milliards d'euros de pertes chaque année à cause de ça, mais évidemment, on manque de données, On manque de chiffres précis. Donc, ma question, pour commencer, c'est en quoi votre rapport est différent de ceux qu'on a pu avoir déjà des ONG les années passées ? Et surtout, sur quelles données fiscales est-ce que vous vous êtes appuyé ? Alors, au cours des dernières années, il y a eu des efforts internationaux majeurs pour essayer de lutter contre l'évasion fiscale.
Et nous, ce qu'on essaie de faire dans ce rapport, c'est de dresser le bilan, finalement, de qu'est-ce qui a vraiment marché et qu'est-ce qui a moins fonctionné. Donc, c'est le premier rapport. qui essayent de dire, bon, aujourd'hui, en 2023, qu'est-ce qui a fonctionné dans ces différentes initiatives et qu'est-ce qui n'est pas à la hauteur des problèmes. Et on peut résumer... Simplement, les résultats, en disant...
C'est comme dans le film The Good, The Bad and The Ugly. C'est-à-dire qu'il y a des approches qui ont bien fonctionné, qui ont permis de réduire l'évasion fiscale. Il y en a d'autres qui sont bien en deçà des attentes. Et puis, il y a des sujets très importants qu'on n'a même pas commencé à traiter encore. Donc, qu'est-ce qui a bien marché ?
Et c'est important de commencer par là, parce que des fois, il y a des progrès comme ça qui arrivent, et il faut s'en féliciter. Qu'est-ce qui a bien marché ? C'est la révolution en matière de lutte contre l'évasion fiscale offshore, c'est-à-dire la dissimulation des patrimoines dans les paradis fiscaux. Jusqu'à 2017-2018, c'était vraiment très facile pour les grandes fortunes de dissimuler, de planquer de l'argent dans des comptes en Suisse, à Singapour, aux îles Caïmans.
Il y a de très nombreux exemples qui nous viennent en tête. Pourquoi ? Parce qu'il y avait un secret bancaire complet, c'est-à-dire que les banques dans ces pays-là ne communiquaient pas d'informations aux administrations fiscales françaises ou des autres pays.
Depuis 2017, ça a complètement changé, la régulation d'ensemble a profondément évolué parce que maintenant il y a un échange automatique de données. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si vous avez un compte à l'étranger, en principe, la banque concernée doit en informer.
l'administration fiscale compétente. Alors bien sûr, ce serait un peu naïf de penser que les mêmes banquiers suisses qui pendant des décennies ont aidé leurs clients à se soustraire au fisc, parfois en allant assez loin, en dissimulant des relevés de comptes dans des médecines sportives, en transportant des diamants dans les tubes de dentifrice, que toutes ces personnes-là, aujourd'hui, coopèrent de façon parfaitement honnête avec les administrations fiscales du monde entier, ce serait un peu naïf. Mais néanmoins, ce que les recherches actuelles démontrent, c'est qu'il y a eu...
de gros progrès en matière de réduction de cette fraude fiscale-là. Donc concrètement, aujourd'hui, comme il y a 10 ans, comme il y a 20 ans, il y a de l'ordre de 10% du PIB mondial en fortune offshore, c'est-à-dire en patrimoine qui sont détenus dans des institutions financières à l'étranger, en Suisse ou dans les autres centres de gestion de fortune internationales. Donc on n'en a pas fini. 10%, on n'en a pas fini.
Mais ce qui est très important de comprendre, c'est... 10%, c'est la masse d'argent qu'il y a dans les paradis fiscaux, assez stable. Mais jusqu'en 2016, 90% environ de cette masse d'argent correspondait à de l'évasion fiscale, c'est-à-dire les intérêts, les dividendes, les revenus qui étaient générés par ces fortunes n'étaient pas déclarés aux administrations fiscales compétentes. Une fraude fiscale qui était très concentrée au sommet de la distribution des revenus et des patrimoines, donc qui concernait principalement les grandes fortunes. correspondant à de l'évasion fiscale.
Aujourd'hui, c'est plutôt de l'ordre de 30% qui correspond à de l'évasion fiscale. Pourquoi ? Parce que 70% de ces fortunes qui avant étaient dissimulées et qui maintenant sont déclarées au fisc français ou aux autres administrations fiscales.
C'est peut-être le moment de faire un petit point lexical, justement, avant d'aller un petit peu plus loin, puisque c'est un entretien sur... On parle d'évasion fiscale. Vous, de quoi parle votre rapport ? Et quelle distinction vous établissez entre l'évasion fiscale, la fraude fiscale ou l'optimisation fiscale, qui sont des termes qu'on va utiliser pendant cet entretien ? La fraude fiscale, c'est vraiment, comment dire, vous touchez à un revenu, vous devriez le déclarer, vous ne le déclarez pas, c'est blanc ou noir.
C'est-à-dire que vous enfreignez la loi, c'est illégal. Après, il y a tout un tas de pratiques qui sont... à la frontière entre ce qu'on qualifie de fraude fiscale ou d'évasion fiscale, donc illégale, et ce qui est parfois appelé l'optimisation fiscale, qui est légale. Donc il y a la fraude, l'évasion d'un côté illégale, l'optimisation où on reste dans la frontière de la légalité, et puis il y a tout un entre-deux. Et c'est en fait cet entre-deux qui est le plus intéressant.
Et quand on parle d'évasion fiscale ? Alors nous, quand on parle d'évasion fiscale, ça va être à la fois... la fraude, ce qui est clairement illégal, et puis tout cet entre-deux, toute cette zone grise entre l'illégalité très claire et la légalité.
Alors, quelle est cette zone grise ? Ça, c'est vraiment intéressant. Dans la pratique fiscale des sociétés multinationales, des grandes fortunes, souvent, il y a la création de sociétés-écrans, de structures intermédiaires, à des fins. d'optimisation, mais qui en fait pourrait être qualifié d'évasion fiscale ou de fraude fiscale. Je vais vous donner deux exemples très simples, ça va être plus simple à comprendre comme ça.
Souvent, la façon dont les... Ce débat est très intéressant, parce que souvent la façon dont les grandes fortunes, les multinationales se défendent, c'est qu'elles disent Non, non, tout ce qu'on fait est parfaitement légal, c'est de l'optimisation, on est dans le cadre de la loi, circulez, il n'y a rien à voir. En pratique, les choses sont plus compliquées pour la raison suivante. Dans la loi... de la France, de la plupart des pays, il y a des clauses qui s'appellent des clauses de substance ou des règles anti-abus qui consistent à dire que si une structure est créée avec le seul but d'échapper, enfin de réduire sa facture fiscale, alors cette structure-là est illégale.
Or, quand on regarde ce que font les grandes sociétés multinationales ou certaines grandes fortunes, En fait, ils passent leur temps à créer des structures de cette nature-là. Par exemple, si on regarde les sociétés multinationales, vous prenez Alphabet, Google, en 2003, juste avant d'entrer en bourse, ils ont créé une filiale au Bermude, qui est une île où le taux d'imposition sur les sociétés est 0%, et en gros, il ne se passe strictement rien. Ils ont créé une filiale au Bermude, et ils ont transféré à cette filiale au Bermude une partie de leur propriété intellectuelle.
De 2003 à 2020, cette structure a permis à Google d'enregistrer des centaines de milliards de dollars de bénéfices au Bermude, sujet à un taux d'imposition de 0%. Alors quand on leur dit, c'est de l'évasion fiscale, vous avez mis des centaines de milliards de dollars au Bermude où il ne se passe strictement rien, ils vous répondent ah non, non, non, c'est de l'optimisation, on est dans la frontière de la légalité. En revanche, en réalité, les choses sont beaucoup plus compliquées parce que cette structure au Bermude, tout le monde comprend.
Pourquoi êtes-vous implanté au Bermude ? La seule raison légitime, ce n'est pas parce qu'il y a des ingénieurs particulièrement qualifiés qui ont développé des algorithmes particulièrement sophistiqués. La seule raison pour la création de cette structure, de cette société écran, c'est bien sûr d'échapper à l'impôt.
Donc, même si cette pratique est qualifiée par les gens qui s'y adonnent d'optimisation légale, en réalité, on est souvent plus près de l'évasion. Pur et simple. Ensuite, ça te pose toute une tête de questions intéressantes. Pourquoi, si c'est vraiment de l'évasion, pourquoi est-ce que les gouvernements ne s'y attaquent pas plus sérieusement, etc. ?
On y reviendra. Mais en tout cas, c'était tout simplement pour résumer, pour dire un point fondamental, qui est que la frontière entre évasion, fraude d'un côté parfaitement illégal, et l'optimisation qui serait parfaitement légale, circuler là, il n'y a rien à voir, est en fait beaucoup plus poreuse et beaucoup plus complexe que ce qu'on veut bien nous dire. Mais de manière générale, c'est un sujet qui est éminemment complexe, qui demande une certaine connaissance de la loi, des intérêts, de ce qui se passe à l'international, et on a souvent la sensation qu'on n'a pas de prise là-dessus, voire même que c'est trop compliqué, qu'on n'arrive pas à saisir complètement ce qui se passe.
Donc l'objectif d'un entretien comme ça aujourd'hui, c'est vraiment d'arriver à éclairer peut-être les personnes qui nous regardent, et c'est aussi, je crois, l'objectif de votre rapport, de faire le point sur ce que vous dites, ce qui a marché, ce qui n'a pas marché, quelles sont les nouvelles données. auxquels vous avez eu accès, qui font que ce rapport se distingue, encore une fois, des autres rapports qui ont été publiés jusqu'à présent. Avec les évolutions qui ont eu lieu ces dernières années, la création de l'échange automatique d'informations bancaires que j'évoquais à l'instant, et d'autres évolutions sur la taxation des sociétés multinationales sur lesquelles on reviendra, il y a eu en quelque sorte un big bang informationnel, c'est-à-dire que ces nouvelles politiques ont conduit à la création de nouvelles sources de données qui sont typiquement confidentielles, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas en libre accès, mais qui sont... disponible au sein des administrations fiscales. Et en travaillant avec ces administrations fiscales dans un certain nombre de pays, que ce soit aux Etats-Unis, en France, ou dans plein d'autres pays, on a pu travailler sur ces données-là pour regarder à la loupe ce qui se passait, quelles étaient les fortunes qui étaient déclarées et qui précédemment ne l'étaient pas, où est-ce que les sociétés multinationales ont enregistré leurs bénéfices.
Ça s'inscrit dans une évolution plus générale dans la science économique, qui est que depuis une vingtaine d'années, il y a de plus en plus de coopération entre les administrations fiscales. et les chercheurs de l'autre. En fait, les administrations fiscales sont très demandeuses de ces coopérations parce qu'elles n'ont pas vraiment le temps d'analyser toutes ces masses de données fantastiques qu'elles ont. Les gens ont un travail au quotidien, ils doivent s'assurer de la collecte de l'impôt.
Les chercheurs, eux, sont ravis d'avoir accès à ces données particulièrement détaillées, très riches. Et eux, c'est le luxe d'être chercheur, c'est qu'on a le temps, on a toute sa journée pour travailler sur ces données et essayer de les faire parler. Donc, le rapport s'appuie sur...
de très nombreuses études qui ont pu être menées dans le cadre de ce partenariat de ce type, de ce partage de données entre l'administration fiscale d'un côté et les chercheurs de l'autre. Pour encore une fois essayer de faire comprendre votre démarche au public, moi ça m'a fait penser à ce que fait le GIEC avec l'écologie, c'est-à-dire qu'aujourd'hui ça représente le consensus scientifique parce qu'ils ont rassemblé les études, le GIEC ne produit pas en tant que tel les études, c'est que c'est vraiment ça rassemble les études qui ont déjà été menées sur le sujet. Est-ce que vous, c'est un peu le GIEC de la fiscalité finalement ?
Nous, on pense qu'il y a besoin, effectivement, d'un équivalent du GIEC pour la fiscalité, c'est-à-dire d'une organisation qui s'appuie... sur la recherche à la frontière scientifique, la recherche de pointe à laquelle elle est en train d'être menée aujourd'hui, pour en tirer des leçons qui soient accessibles pour le grand public, pour la société civile, pour les journalistes, qui permettent de tirer des leçons, dans le cas du GIEC, sur l'évolution du climat, dans notre cas à nous, l'évolution de l'évasion fiscale, de l'opacité financière, de la concurrence fiscale internationale. mais qui, en plus de tirer les leçons en s'appuyant sur la science, propose aussi différents scénarios d'évolution possible pour le futur, comme le fait le GIEC, selon les formes de politiques publiques qui sont mises en œuvre, selon les formes de coopération, les choix qu'on fait en tant que nation. Peut-être que la planète va se réchauffer de 2, 3, 4, 5 degrés.
De la même façon, selon les choix qu'on fait en matière de concurrence fiscale sans limite ou harmonisation fiscale. transparence financière avec des cadastres financiers, avec un échange automatique d'informations bancaires ou secret bancaire complet, on pourrait avoir une montée des inégalités ou au contraire une réduction des inégalités. Donc nous on essaye aussi de proposer une panoplie des futurs possibles selon les choix qu'en tant que pays on va être amené à faire dans les années qui viennent. Donc cette analogie s'applique bien, elle s'applique d'autant mieux l'analogie avec ce qu'essaye de faire le GIEC, que Fondamentalement, quand certains pays choisissent des politiques fiscales du type paradis fiscal, c'est-à-dire dumping, attirer des activités en offrant des taux d'impôt sur les sociétés faibles ou attirer des grandes fortunes en leur offrant des régimes fiscaux dérogatoires, c'est des politiques qui, du point de vue de ces pays-là...
peuvent se justifier, c'est-à-dire que ça leur rapporte de l'argent, ça leur rapporte de la recette fiscale, ça peut leur rapporter de l'activité économique. Mais du point de vue de la planète dans son ensemble, ces pratiques-là sont à somme nulle. En fait, pire que ça, elles sont à somme négative.
C'est-à-dire que l'activité qui se déplace, mettons, de France vers l'Irlande, si les usines se réimplantent dans des territoires à fiscalité faible ou si les bénéfices sont délocalisés dans des paradis fiscaux, ça ne change pas du tout la masse de bénéfices mondiaux. Le stock de capital mondial, c'est juste l'activité bouge du pays A vers le pays B. Mais en revanche, ce qui se passe, qui sont les grands gagnants de tout ça ? C'est in fine les actionnaires de ces sociétés multinationales dont les profits viennent s'enregistrer dans les paradis fiscaux ou dont les activités se déplacent dans les paradis fiscaux.
Or, les actionnaires des sociétés multinationales, ils sont plutôt en haut de la distribution des revenus, en haut de la distribution des patrimoines. C'est plutôt des gens riches. Donc, ces processus-là de concurrence fiscale...
de certains pays qui décident de se comporter comme des paradis fiscaux, c'est des processus qui viennent réduire le bien-être mondial. De la même façon que si vous êtes un pays, vous choisissez de produire beaucoup de pétrole, mais du point de vue d'un pays comme ça, individuel, ça peut être une bonne stratégie, ça peut rapporter de l'argent, mais du point de vue de la planète dans son ensemble, est-ce qu'on veut vraiment... extraire du pétrole aujourd'hui.
Non, parce qu'il y a toutes ces externalités négatives qui ne sont pas prises en compte dans les choix que les pays individuellement font. Ce qu'on veut faire dans ce rapport, et on espère qu'il y en aura d'autres à l'avenir, c'est de monitorer, en gros, l'évolution des dispositifs de cette nature-là pour tirer la sonnette d'alarme, pour dire si on va dans la mauvaise direction, si tous les pays sont en train de jouer ce jeu-là de la concurrence fiscale à somme négative, il faut pouvoir tirer la... Ça va avoir des conséquences. Sonner l'alarme.
comme le fait le GIEC pour le changement climatique. Et au contraire, parfois, il y a des formes de coopération qui sont à somme positive et qu'il faut saluer, comme par exemple le cas de l'échange automatique d'informations bancaires. Donc là, on était un peu sur le positif, mais la réalité, c'est quand même qu'il y a encore une évasion fiscale qui est très importante, qu'on va même dans la mauvaise direction dans certains cas. J'aimerais vous poser une question un peu plus personnelle avant d'aller sur cet aspect qui est aussi technique.
Pourquoi est-ce que vous, en tant qu'économiste, je le disais, vous êtes un économiste reconnu pour ces travaux-là, vous avez choisi de vous spécialiser dans l'évasion fiscale, dans les inégalités. Pourquoi est-ce qu'en tant qu'économiste, on choisit ce type de spécialisation-là ? Pourquoi avoir voulu passer tout votre temps sur la fiscalité ? Non mais en fait, quel est le lien que vous faites avec le réel que vous avez commencé à établir ? Parce qu'encore une fois, on a toujours l'impression que c'est des questions ultra techniques, ultra administratives, alors que ça a des conséquences.
sur l'ordre du monde, en fait. C'est ça que vous nous expliquez. La question de l'impôt, c'est sans doute la question démocratique, ou en tout cas une des questions démocratiques ou même philosophiques les plus importantes, quand on y réfléchit. On vit en France, dans un pays où le taux de prévenu obligatoire, c'est 50% du revenu national. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Ça veut dire que la puissance publique, chaque année, prélève la moitié de tous les revenus, de toutes les nouvelles richesses qui sont créées, pour ensuite les redistribuer, les dépenser. Et la façon dont on organise tout ça... C'est sans doute l'une des questions les plus importantes du débat démocratique.
Et donc c'est particulièrement important d'avoir des bonnes statistiques déjà sur qui contribue à quelle hauteur. Est-ce que le système fiscal est progressif ? Est-ce qu'il est régressif ? Et c'est particulièrement important de pouvoir évaluer les efforts qui sont faits pour lutter contre les différentes formes d'évasion fiscale.
Et puis si on est attaché... à ce modèle social qui repose sur des taux de prélèvement obligatoires importants, il est vraiment essentiel de comprendre quelles sont les réformes qui vont permettre que ce système-là soit soutenable à l'avenir. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui se sont laissés convaincre que finalement, dans une Union européenne très intégrée, dans un monde globalisé très intégré, il était impossible d'avoir à la fois l'ouverture économique internationale et de l'autre la justice fiscale, la progressivité fiscale, de taxer les hauts revenus, de taxer le capital, de taxer les grandes fortunes.
Et donc finalement, que le seul choix, la seule alternative, c'était soit de fermer les frontières, soit d'abandonner tout idéal de justice fiscale et de progressivité de l'impôt. Mais c'est là où il y a de l'espoir. Et nous ce qu'on essaie de dire, c'est que fondamentalement, Cette vision-là est erronée, c'est-à-dire qu'il y a mille façons concrètes de combiner, de réconcilier l'ouverture économique internationale d'un côté, avec la justice économique, la justice fiscale, la progressivité de l'impôt de l'autre. Et on pense que c'est essentiel d'arriver à cette réconciliation pour la soutenabilité de nos systèmes fiscaux, pour éviter, pour s'assurer qu'il n'y ait pas une explosion des inégalités à l'avenir.
Oui, parce qu'on a commencé cet entretien finalement en disant on a mis fin à l'opacité fiscale, effectivement il y a des progrès, mais globalement le constat que vous dressez, c'est qu'il y a encore une évasion fiscale extrêmement importante que vous évaluez à 1 000 milliards de dollars à l'échelle mondiale en 2022, ce qui est quand même absolument colossal. Vous ne donnez pas de chiffres précis pour la France, mais je le disais, souvent on établit quand même ça entre 60 et 100 milliards en fonction des évaluations. Il y a des personnes qui affirment qu'aujourd'hui c'est bon, on n'a plus de paradis fiscaux, notamment...
à cause d'un accord qui a été particulièrement important dans la lutte contre l'évasion fiscale, ou en tout cas dans l'histoire de la lutte contre l'évasion fiscale, qui est un accord dont on avait déjà parlé ici, sur ce plateau, avec l'un de ses acteurs, c'était Pascal Saint-Amand, qui nous expliquait qu'en 2021, les membres de l'OCDE ont signé un accord qui impose aux multinationales un taux d'imposition minimum de 15% pour tout le monde. Donc, c'est ce qui était absolument historique et qui nous dit, bon, bah... Pascal Saint-Amand nous disait sur ce plateau, c'est ça qui met fin à l'existence de ces paradis fiscaux, et c'est une véritable victoire. Vous, vous êtes beaucoup plus prudent, plus nuancé sur cette question.
Vous expliquez que ça n'a pas du tout les effets escomptés, et que les bénéfices escomptés ont été divisés par deux. Pourquoi ? Alors, il faut d'abord commencer par, effectivement, saluer cet accord et cette volonté.
C'est-à-dire qu'il faut bien avoir conscience qu'il s'agit... à certains égards d'un tournant historique. En 2021, vous avez 140 pays qui se mettent d'accord pour dire qu'on va avoir un taux plancher minimum pour l'imposition des bénéfices des sociétés multinationales, ce sera 15%. Pourquoi est-ce que c'est historique ?
Parce que c'est la première fois qu'il y a un accord international qui fixe un taux minimum d'imposition. Jusqu'à récemment, tout le monde nous disait c'est impossible Vous n'y songez pas, comment voulez-vous que tous les pays se mettent d'accord sur un taux minimum ? Il y aura toujours des paradis fiscaux qui voudront 0%, on ne peut rien y faire. Là, c'était la preuve que, en fait, s'il y a la volonté politique, c'est possible de se mettre d'accord sur des formes concrètes d'harmonisation fiscale. Donc, c'était quand même, conceptuellement, un gros problème.
Le problème qui s'est passé, c'est que depuis, cet accord a été en partie détricoté. Finalement, c'est la montagne qui accouche une souris. Pourquoi ? Parce qu'un certain nombre de niches fiscales et d'exonérations ont été introduites progressivement entre 2021 et 2023, dont la conséquence au total, c'est effectivement de réduire par deux les recettes fiscales qu'on peut atteindre de cet accord.
Les différents problèmes, c'est qu'au début, on partait de l'idée qu'il y aurait un taux de 15% qui s'appliquerait sur tous les bénéfices. Et puis après, on a commencé à dire, ah non, si une entreprise a suffisamment... d'activité économique réelle dans un paradis fiscal en Irlande ou ailleurs, alors elle pourra exclure les bénéfices correspondants de l'assiette du taux minimum.
Puis après, on a dit, ah non, il y a des crédits d'impôt, vous savez, le crédit impôt recherche ou des crédits d'impôt comparables. Ceux-là, on ne va pas les compter comme une réduction d'impôt. Donc, ils ne vont pas être affectés par la taxe minimale à 15%.
Et puis après, il y a eu un troisième problème qui est avec les États-Unis. Les sociétés multinationales américaines sont responsables d'une grosse partie de la délocalisation des bénéfices dans les paradis fiscaux, donc c'est vraiment un acteur fondamental. Les États-Unis n'ont pas ratifié l'accord.
Ils le font souvent, il y a encore un parallèle pertinent avec le climat. Les accords de Kyoto, les États-Unis promettent qu'ils vont y participer, puis ce n'est jamais ratifié par le Congrès américain. Là, c'est la même chose. En 2021, ils promettent la taxe minimale à 15%, et puis après, pas de ratification au Congrès.
Les lobbies se mettent en œuvre. et bloque la ratification au Congrès, même quand les démocrates avaient la majorité et contrôlaient les deux chambres du Congrès américain. Voilà comment on est passé à cette montagne qui accouche une souris. On pensait, dans la version initiale de l'accord, qui n'était déjà pas un accord extrêmement ambitieux, parce que 15%, taux minimum de 15%, quand la norme pour les sociétés, les PME, par exemple, c'est 25% en France. Donc 15%, c'était déjà vraiment un minimum a minima.
Encore une fois, c'est quand même le cœur du sujet, c'est-à-dire que, Aujourd'hui, un boulanger paye plus d'impôts qu'une multinationale française. Il y avait déjà cet énorme problème. On légalisait finalement une forme d'évasion fiscale. On disait finalement, les sociétés multinationales, on vous autorise à faire un peu d'évasion fiscale, mais quand même, il ne faut pas aller en dessous de 15 ce qui est mieux que 0 Donc, c'était déjà quand même un petit progrès, mais très insuffisant.
À l'époque... On estimait que ce soit notre Observatoire européen de la fiscalité ou le CDE, on a des résultats tout à fait concordants sur le sujet, qu'une taxe minimale de 15%, au moins si elle a été bien appliquée, ça augmenterait les recettes d'impôts sur les sociétés au niveau mondial de l'ordre de 10%. Aujourd'hui, avec les différentes niches et exonérations que j'ai mentionnées, on est passé à seulement 5%. Donc ça, c'est le problème. Pourquoi est-ce qu'on en est arrivé là ?
On en est arrivé là parce que l'approche qui est suivie dans la négociation de ces accords est fondamentalement mauvaise. C'est-à-dire qu'on part du principe qu'il faut qu'il y ait un consensus ou une quasi-unanimité avant de se mettre d'accord sur quoi que ce soit. Donc vous comprenez bien que si on fait du consensus le prérequis, ça revient à donner un pouvoir de veto aux différents paradis fiscaux.
Ça revient à leur donner une influence considérable dans les négociations et in fine dans le produit. dans l'accord final. Et donc, ce qui s'est passé, c'est que les différents paradis fiscaux ont dit Ah non, non, non, nous on ne signe pas si vous n'introduisez pas telle exonération, tel traitement spécifique pour les crédits d'impôt. Sur certains sujets, la France, d'ailleurs, a fait alliance avec ces paradis fiscaux. Sur la question, par exemple, du traitement préférentiel des crédits d'impôt, la France était également de l'idée que il ne fallait pas compter, mettons, le crédit d'impôt recherche comme une réduction d'impôt et que c'était très important que des entreprises puissent continuer à payer moins de 15% d'impôt si elles avaient un gros crédit d'impôt recherche.
Donc, dans certains cas, on a fait alliance, en quelque sorte, avec les paradis fiscaux. Mais surtout, ce qu'il faut comprendre, c'est que si on se lie les mains comme ça, en partant du principe qu'il faut qu'on se mette tous d'accord, à l'évidence... l'accord final ne peut être que très décevant.
On y reviendra un petit peu, justement, sur les solutions que vous proposez, parce que justement, vous proposez de changer de logiciel, en fait, de changer de paradigme. Il faut changer d'approche. Mais j'aimerais vraiment qu'on reste sur ce constat, c'est que donc, c'est clairement décevant. Ce que vous dites, c'est cette montagne qui a accouché d'une souris, qu'on est loin d'avoir mis fin à l'évasion fiscale, et qu'aujourd'hui, les multinationales peuvent encore s'adonner à tout type de, alors, optimisation, évasion fiscale, mais en tout cas, d'échappement. à l'impôt, parce que c'est bien de ça dont il est question.
Alors, on pourrait en discuter encore des heures, mais là, pour ça, on peut aussi lire votre rapport ou les différents résumés de votre rapport qui vont être publiés. J'aimerais qu'on vienne sur un autre de vos combats, qui est celui contre l'évasion fiscale des milliardaires, qui sont donc à distinguer tout de même des multinationales. Vous aviez fait un petit peu sensation sur le plateau de C'est ce soir, il y a quelques mois, quand vous aviez déclaré que la France était un paradis fiscal pour milliardaires et que tout le monde semblait découvrir que la fiscalité était très, très... très riche, donc vous vous balayez des 380 plus grosses fortunes de France, étaient très réduites. Vous disiez qu'elles étaient de moins de 2%.
Le problème fondamental, c'est les milliardaires et aussi le fait qu'ils payent très peu d'impôts. C'est ça qui pose problème. Parce qu'ils payent très peu d'impôts, ça veut dire que le reste de la population doit payer plus d'impôts.
En l'occurrence, les milliardaires français, une de leurs spécificités, c'est qu'ils payent vraiment particulièrement peu, quasiment zéro. C'est-à-dire que la France, c'est un paradis fiscal pour les ultra-riches. Et c'est ce que vous réitérez comme affirmation dans ce rapport, où vous expliquez que les milliardaires aujourd'hui ne payent quasiment pas d'impôts.
Comment est-ce que c'est possible ? C'est la triste réalité qui est qu'effectivement, les milliardaires français ont des taux effectifs d'imposition sur leurs revenus. de l'ordre de 2%.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que sur les milliards d'euros de dividendes qui sont versés par, par exemple, LVMH à la famille Arnault ou par Kering, aux actionnaires de Kering, ou par L'Oréal à la famille Bétancourt, etc., le taux effectif d'imposition sur ces milliards-là est de 2% en moyenne pour les milliardaires français. Comment est-ce que c'est possible ? C'est en raison de l'utilisation quasi systématique de sociétés-écrans. C'est-à-dire que l'essentiel de la fortune des milliardaires français, c'est des actions, et pour beaucoup c'est des actions dans des sociétés qui sont cotées en bourse, comme LVMH, Kering, L'Oréal, etc.
Ces détentions actionnariales, elles ne sont pas directes, c'est-à-dire que ce n'est pas les familles, les personnes physiques qui détiennent directement les actions, comme c'est le cas pour les actionnaires individuels en général. de façon systématique, ces grandes fortunes interposent des sociétés holding personnelles, qui sont en gros des sociétés écran. Donc ce sont ces sociétés-là qui sont les actionnaires de L'Oréal, les actionnaires de LVMH, etc. Ce sont ces sociétés-là ensuite qui touchent les dividendes qui sont payés par ces entreprises. Et quand ces dividendes sont versés aux sociétés écran, ils ne sont sujets à aucun impôt sur le revenu des personnes physiques.
C'est comme ça que... Des milliards peuvent être distribués aux grandes fortunes françaises en échappant à l'impôt sur le revenu quasiment complètement. Donc le taux effectif n'est que de 2%. C'est une faillite véritablement dramatique de l'impôt sur le revenu français.
C'est-à-dire que l'impôt sur le revenu est censé être la pierre angulaire de la progressivité fiscale. Le but de l'impôt sur le revenu, en quelque sorte, c'est d'annuler la régressivité des autres impôts. Par exemple, il y a une grosse TVA en France, il y a beaucoup d'impôts à la consommation, très régressifs, qui touchent plus.
les classes populaires, les classes moyennes. Et l'impôt sur le revenu est censé être progressif, c'est-à-dire que son taux est censé augmenter avec le niveau de revenu. Là, c'est le cas jusqu'à un certain niveau de revenu.
Puis sauf, tout en haut de la distribution, pour les milliardaires, l'impôt sur le revenu disparaît, il ne s'évapore. C'est-à-dire qu'il faut bien se rendre compte que si tous les milliardaires français, à peu près les 75 milliardaires résidents en France, demain choisissaient de déménager et de s'installer aux îles Caïmans, mettons, ça n'aurait quasiment aucun impact sur les finances publiques de la France. C'est pour ça que vous dites que la France est un paradis fiscal.
C'est ça que ça veut dire. Tous les médias français vont s'installer aux îles Caïmans, et comme ils ne payent quasiment pas d'impôt sur revenu aujourd'hui, ils paieraient zéro. Aujourd'hui, c'est très très faible, demain, ce serait zéro. Ça n'aurait quasiment aucun impact sur les finances publiques de la France.
D'où la France, oui, paradis fiscal pour milliardaires. C'est le cas. Alors, il faut ajouter que... La France n'est pas la seule dans ce cas.
C'est-à-dire qu'il y a beaucoup d'autres pays qui sont des paradis fiscaux pour milliardaires. Alors, ce n'est pas forcément exactement au même degré, mais moi j'avais fait une étude il y a quelques années sur le cas des États-Unis, où on voyait le même problème de régressivité fiscale, où les taux effectifs d'imposition s'effondraient, ou en tout cas baissaient assez nettement pour les milliardaires. Alors, ce n'est pas qu'ils payaient 2% d'impôts. sur leur revenu en pourcent de leur revenu économique, c'était plutôt de l'ordre de 8%. Mais dans tous les cas, c'est très très faible par rapport à leur patrimoine.
C'est-à-dire qu'on regarde la France, les États-Unis, on regarde aussi le cas des Pays-Bas où il y a des très bonnes données dans le rapport. Les milliardaires payent de l'ordre de 0 à 0,5% de leur patrimoine en impôts chaque année, en impôts sur le revenu et en impôts sur la fortune quand ils existent. 0 à 0,5%.
Les États-Unis sont plus proches de 0,5%, la France va être plus proche de 0%, mais dans tous les cas, c'est très très faible. Et là, il y a un problème fondamental de soutenabilité, d'acceptabilité de l'impôt quand il y a une telle régressivité du système fiscal. Il y a un problème de finances publiques tout bête qui est juste... Certes, ce sont très peu de contribuables, mais quand même, ils ont beaucoup beaucoup de revenus et beaucoup beaucoup de patrimoines.
Le fait de ne pas taxer ses revenus, de ne pas taxer ses patrimoines, ça représente... des pertes de recettes fiscales sonnantes et trébuchantes qui sont tout à fait significatives. Alors oui, vous dites que c'est des pertes significatives, mais vous l'avez évoqué assez rapidement, l'acceptabilité. C'est important, je trouve, de souligner quel est le problème que ça pose, selon vous, quand on a quelques milliardaires.
Parce que c'est un argument qu'on va beaucoup nous ressortir. Bon, effectivement, ces quelques dizaines, centaines de milliardaires ne paient pas leurs impôts. Mais est-ce que c'est si grave, puisqu'ils sont... si peu nombreux finalement, tant que la majeure partie des gens payent leurs impôts. C'est-à-dire que c'est difficile ensuite de demander davantage d'efforts aux Français, et il y a des besoins importants.
pour financer la lutte contre le changement climatique, pour investir dans la santé, pour investir dans l'éducation, dans la recherche et l'innovation, etc., qui vont être les moteurs de la croissance économique du XXIe siècle. Il y a des besoins qui sont clairement identifiés. C'est difficile de dire aux Français vous devez faire des efforts quand les plus fortunés ne payent quasiment aucun impôt personnel.
Donc c'est ça le problème d'acceptabilité fondamentale. Et puis après... Il y a un problème, si vous voulez, plus immédiat de finances publiques, qui est qu'on a, dans le contexte post-Covid, post-pandémie, des déficits publics assez élevés, une dette publique élevée, des taux d'intérêt sur la dette publique qui augmentent.
Donc, il y a quand même besoin d'une certaine consolidation budgétaire, de réduction des déficits. Et donc, la question, c'est, face à ces déficits publics, qui on met à contribution ? Il semble le plus logique, c'est de mettre à contribution les acteurs économiques qui ont un déficit fiscal, c'est-à-dire qui payent moins que les autres acteurs économiques.
Et en l'occurrence, il y a deux grands types d'acteurs économiques qui ont un déficit fiscal important aujourd'hui, les milliardaires et les grandes sociétés multinationales. Et donc si vous prenez la France, juste pour qu'on comprenne ce que ça veut dire très précisément dans le cas français, si au lieu que le taux effectif d'imposition s'effondre comme ça pour les grandes fortunes, on s'assurait que le système fiscal... n'est pas régressif, c'est-à-dire que le taux effectif d'imposition ne baisse pas pour les milliardaires par rapport aux gens juste en dessous. Ça, ça pourrait rapporter de l'ordre 0,5 à 1 point de PIB de recette fiscale de produits intérieurs bruts par année.
Si pour les sociétés multinationales maintenant, on revenait à l'esprit de l'accord international... Juste pour qu'on ait quand même une notion, c'est plusieurs milliards... d'euros qui pourraient être rattrapés chaque année.
Oui, oui. Alors, le PIB de la France, c'est à peu près 2 500 milliards d'euros. Donc, un point de PIB, c'est 25 milliards d'euros. Les milliardaires, il y en a très peu, mais ils ont énormément de revenus, ils ont énormément de patrimoine, ils payent très peu d'impôts.
Donc, si on disait, non, non, attention, il ne faut pas qu'ils payent moins que la moyenne des Français. Il faut que leur taux d'imposition, soit au moins celui de la moyenne des Français, ça, ça pourrait augmenter la recette fiscale de 0,5 à 1 point de PIB. Première chose.
Deuxième chose, les multinationales, on a un taux minimum à 15% qui va entrer en vigueur à partir de 2024, mais mité d'exception de niche fiscale. Si on revenait à l'esprit de l'accord de 2021, c'est il n'y a pas très longtemps, et qu'on augmentait légèrement le taux à 20% au lieu de 15%, c'est un point de PIB de recettes fiscales supplémentaires. Donc vous voyez qu'en allant collecter le déficit fiscal des multinationales, le déficit fiscal des milliardaires, déjà, on peut collecter de l'ordre de deux points de PIB de recettes fiscales supplémentaires.
Ce qui, dans l'équation budgétaire de la France, quand on parle d'un objectif de déficit public de 3% du PIB par année, et que là, il y a deux points de PIB sur très peu de milliardaires, très peu de sociétés multinationales qui ont bénéficié énormément de la modernisation et qui sont sous-taxés aujourd'hui, ce serait vraiment incompréhensible de se priver de ces recettes fiscales-là. Et alors, on l'a mentionné au début de l'entretien, vous faites un constat. Et vous faites des propositions de solutions.
Alors, on ne va pas toutes les citer, vous en avez six, notamment grandes propositions. Il y en a deux qui concernent exactement ce dont on vient de parler, le fait de mettre en place un impôt minimum mondial sur les milliardaires qui serait équivalent à 2% de leur patrimoine. Alors ça, ce serait complètement nouveau pour vous, ça pourrait générer 250 milliards de dollars par an à échelle mondiale. Et deuxième branche, c'est que vous parliez de 20%, mais moi ce que j'ai lu dans le rapport, c'est que vous alliez même jusqu'à 25%.
Merci. pour avoir un impôt minimum mondial de 25% sur les multinationales. Donc, deux questions.
Un, pourquoi ces chiffres-là ? Et deuxièmement, est-ce que c'est réaliste, quand on sait déjà les difficultés qu'on a eues en termes d'accords multilatéral, à mettre en place ces fameux 15%, vous l'avez dit, qui sont mités, vous avez dit, en termes de nature de ces lois-là, et qui ne sont de toute façon pas complètement effectifs. Et alors, taxer les hauts patrimoines, là, ça paraît même complètement impensable. et ça suscite déjà beaucoup de contestations en France, y compris de gens qui ne sont pas milliardaires, qui nous disent mais ces milliardaires vont partir si on fait ça. Et vous avez dit s'ils partaient ces milliardaires, on ne verrait pas vraiment la différence en termes d'impôt sur le revenu.
Par contre, ils créent des emplois car ils sont souvent à la tête de très grosses entreprises, ils pourraient fermer ces entreprises et donc… rogner sur une partie de l'économie et donc ce serait très dangereux. Quand on lit votre rapport, effectivement, ça semble logique au vu des recettes fiscales que ça pourrait générer, c'est 2% et c'est 25%, mais évidemment, on a envie de se dire mais c'est impossible. Oui, mais on disait aussi il y a 15 ans que l'échange automatique d'informations bancaires, c'était impossible, que si la Suisse voulait avoir son secret bancaire, c'était son droit à elle et qu'on ne pouvait absolument rien y faire.
Et on nous disait aussi il y a encore 5-10 ans qu'un taux minimum d'imposition commun... C'était impossible, on n'aurait jamais d'accord international de cette nature. Or, on l'a vu, on a réussi, au moins sur certains sujets, à faire de vrais progrès. Donc ça c'est quand même, il faut insister sur le fait que, je crois qu'une des grandes leçons des 10-15 dernières années, c'est que quand il y a la volonté politique, et puis quand il y a un certain contexte aussi avec un pays au moins qui va de l'avant de façon unilatérale, On peut faire des pas de géant assez rapidement, c'est-à-dire que des nouvelles formes de coopération internationale peuvent émerger en juste quelques années, qui étaient parfois considérées comme parfaitement utopiques. Donc ça, c'est un motif d'espoir.
Ensuite, concrètement, comment progresser sur ces questions ? L'objectif ? à terme, c'est d'avoir des accords internationaux.
Parce que c'est la façon la plus efficace de bien taxer les acteurs économiques extrêmement mobiles qui peuvent déménager d'un pays à un autre. Mais simplement, il ne faut pas commencer par là. Si vous commencez par là, c'est se lier les mains et c'est impossible de faire des progrès importants. Pour qu'on ait l'idée, c'est très à rebours de tout ce que j'ai pu lire sur la lutte contre l'évasion fiscale.
Jusqu'à présent, très souvent, on nous dit Mais si on veut lutter contre l'évasion fiscale, ça... part de l'accord international et ensuite on voit ce qu'on met en place. Vous vous dites d'abord on met en place et ensuite si c'est bien on arrive à quelque chose d'international. Il faut qu'il y ait d'abord au moins un pays qui disent, voilà, moi je vais lutter contre le problème et je veux mettre en œuvre un impôt minimum significatif sur les milliardaires et sur les sociétés multinationales. Et après, ça fait tâche d'huile et ça se généralise.
Comment exactement ? C'est ça la grande question. Comment exactement ? Il faut qu'il y ait des pays qui jouent le rôle de collecteurs fiscales en dernier ressort.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Chaque pays est libre de choisir ses taux d'imposition. Si l'Irlande veut choisir 6% ou les îles Caïmans 0%, c'est leur droit.
Mais il faut qu'il y ait des pays qui disent, si une entreprise a payé peu d'impôts à l'étranger et qu'elle veut avoir accès à notre marché, nous allons faire payer à cette entreprise les taxes qu'elle n'a pas payées à l'étranger. Donc concrètement, il faut venir collecter le déficit fiscal des sociétés multinationales en échange de leur donner le droit d'accès. à notre marché.
Donc si vous prenez le cas d'Apple, prenez Apple, et vous dites, la France demain, disons à partir du 1er janvier 2024, dit bon, Apple si vous voulez avoir accès au marché français, vous devez vous rapprocher de la norme, qui est la norme française, et il y a tout un tas de normes pour accéder au marché aujourd'hui, des normes environnementales, enfin dans plein de domaines. Il faut vous rapprocher de la norme française, qui est la norme, en France c'est 25%, le taux d'impôt sur les sociétés. Donc on peut calculer le déficit fiscal d'Apple par rapport à cette norme de 25%. Qu'est-ce que ça veut dire ?
C'est-à-dire, on peut dire, si Apple payait 25% d'impôts dans chaque pays où ils enregistrent des bénéfices, ils devraient payer, mettons, 10 milliards de dollars de plus d'impôts que ce qu'ils payent aujourd'hui. D'accord ? Donc ils ont un déficit fiscal de 10 milliards par rapport à cette norme de 25%. Ça, on peut faire ce calcul, première étape. Deuxième étape, la France peut dire, voilà, si vous voulez avoir accès à notre marché, on va venir...
collecter une partie de ce déficit fiscal. Quelle partie ? On va regarder où se situent vos clients. On va regarder où est-ce que vous faites votre chiffre d'affaires, vos ventes. Donc, si vous faites, par exemple, 10% de votre chiffre d'affaires mondial en France, on va venir collecter 10% de votre déficit fiscal mondial.
Donc, dans mon exemple, on va dire, si vous voulez continuer à avoir accès au marché français, il faut payer 10% des 10 milliards, 1 milliard supplémentaire d'impôts à la France. Et pourquoi Apple ferait ça ? Pourquoi est-ce qu'Apple ferait ça ? Parce que si la France est un gros marché pour Apple, ils ne vont pas quitter le marché français. Même avec les impôts, ce ne sera pas rentable ?
En gros, prenez le cas limite où Apple, ou n'importe quelle entreprise, fait 100% de son chiffre d'affaires en France. Donc la France dirait juste qu'on collecte 100% de nos déficits fiscales, c'est-à-dire que votre taux d'imposition, c'est 25%, ce qui est le taux normal d'une entreprise française, c'est la loi. Le taux d'IS en France, c'est 25%. Si pour une entreprise, une entreprise multinationale, la France n'en présente qu'une toute petite partie de leur activité, de leur chiffre d'affaires, ben...
L'impôt qu'on leur demanderait de payer, ce serait qu'un tout petit impôt. Pour eux, ce serait vraiment de deuxième ordre. Donc, ce qui est très important, c'est de comprendre l'idée que n'importe quel pays peut choisir de collecter une partie des taxes que les paradis fiscaux choisissent de ne pas collecter.
D'accord ? Eux, c'est leur droit. Ils ne veulent pas taxer les multinationales, ils ne veulent pas taxer les milliardaires. Mais nous, les pays où l'activité économique a lieu, les consommateurs sont situés, on peut venir... collecter ces impôts qui ne sont pas payés à présent.
Et c'est très difficile pour les entreprises d'échapper à ce type d'imposition parce qu'elles ne peuvent pas délocaliser leurs clients. C'est très facile de délocaliser vos chiffres d'affaires, vos usines, vos Bermudes, vos profits. Mais en tout cas, les clients, ils sont en France, on ne peut pas les envoyer aux Bermudes. Est-ce qu'on n'a pas un risque que même... Politiquement, les entreprises se disent on ne va pas commencer à accepter ça, sinon on ne va pas s'en sortir.
Est-ce qu'on n'a pas un risque que les multinationales comme Apple se disent non, s'il y a un pays qui commence à faire ça, on part du marché, ce qui susciterait d'ailleurs des cris des consommateurs. Même politiquement, ce serait compliqué à imposer. Ce qu'on propose là, c'est simplement que les multinationales qui payent moins de 25% d'impôts sur les sociétés se rapprochent de cette norme-là.
se rapprochent, qu'elles s'en rapprochent très près si elles ont une grosse partie de leur chiffre d'affaires en France ou qu'elles en restent assez éloignées si elles n'ont qu'une petite partie de leur chiffre d'affaires en France. Mais il s'agit de se rapprocher de taux qui ne sont pas des taux confiscatoires. On ne parle pas de taux de 90%, 25% dans une perspective historique, internationale. C'est quelque chose de tout à fait, comment dire, de modéré.
Et je pense qu'une entreprise qui dirait Ah non, c'est inacceptable, on paye 10% aujourd'hui, vous voulez nous forcer à se rapprocher d'un taux de 25%, nous quittons le marché français je pense qu'elle s'exposerait au ridicule. C'est-à-dire que le monde entier dirait Mais c'est complètement absurde, bien sûr que vous devez vous rapprocher de cette norme minimale Ça ne me semble pas être un risque vraiment très important. Simplement, il s'agit de venir cibler les acteurs économiques qui paye vraiment beaucoup moins que ce qui devrait être une norme minimale qui en fait fait très largement un consensus. Et je reviens sur les milliardaires, parce qu'on en a beaucoup parlé, notamment avec le don de Bernard Arnault de 10 millions d'euros au Resto du Coeur à la rentrée, où ça a encore renouvelé le débat sur les milliardaires, sur la fiscalité des milliardaires. Les chiffres de vos études, vos interventions ont été cités et sont revenus à ce moment-là.
Et ce qui a beaucoup... était dit par les gens qui défendaient Bernard Arnault, c'était mais il y a une mentalité anti-riche en France, on n'aime pas les gens qui réussissent, et Bernard Arnault crée beaucoup d'emplois, donc certes, il ne paie pas ses impôts comme tout le monde, mais par rapport à ce qu'il apporte avec sa société, notamment LVMH, on s'exposerait à de plus grands risques en allant lui faire une chasse fiscale qu'en le laissant tranquille Qu'est-ce que vous, vous répondez à cet argument qui, encore une fois, est très présent dans le débat médiatique, dans l'espace public ? On aimerait tous individuellement pouvoir payer moins d'impôts et si on pouvait tous payer zéro tout en ayant des services publics extrêmement performants, un système éducatif, des soins de santé de haute qualité, ce serait l'idéal.
Mais ce n'est pas possible. Donc si on est attaché à un certain modèle social, et il y a de bonnes raisons d'y être attaché, c'est-à-dire que des services publics de qualité, une éducation de qualité, des soins de santé, des infrastructures publiques, c'est vraiment le... C'est le cœur de la croissance économique.
C'est la croissance économique de demain, elle va venir de ces investissements-là. Si on est attaché à ce modèle social-là, c'est difficile de comprendre comment il peut être soutenable si on permet aux gens qui ont des fortunes les plus élevées, les revenus les plus élevés, de ne pas y contribuer. Je pense que tout le monde comprend que ça ne peut pas vraiment...
Ça ne peut pas vraiment fonctionner comme ça. Il y a un débat tout à fait légitime à avoir sur le niveau de progressivité idéal, jusqu'où il faut que l'impôt monte pour les très hauts revenus. Mais l'idée que plus vous êtes riche, et quand vous êtes extrêmement riche, vous devez avoir le droit de ne rien payer, ou presque. Et souvent, on nous oppose le pragmatisme.
On nous dit, d'accord, c'est très bien, un impôt pour tout le monde, mais concrètement, ils sont tellement puissants que c'est risqué. C'est effectivement, en pratique, le débat plutôt de cette nature-là. C'est-à-dire que la plupart des gens sont d'accord pour dire, oui, il faut qu'il y ait des normes de progressivité fiscale minimales et les milliardaires payent zéro ou 2%, c'est inacceptable. Mais en revanche, beaucoup de gens, effectivement, sont sincèrement persuadés.
que ce n'est pas vraiment possible de les faire payer plus qu'actuellement parce que si vous essayez de les taxer, ils vont se délocaliser en Suisse. C'est la menace permanente. C'est l'exil fiscal.
Alors là, ce qui est vraiment très important de comprendre, c'est qu'en réalité, il y a des solutions très pragmatiques à ce risque d'exil fiscal. Donc, quelles sont les solutions ? Il faut d'abord comprendre les choix qui sont faits aujourd'hui avant qu'on puisse comprendre les autres choix qu'on pourrait faire. Aujourd'hui, il y a deux cas polaires.
Il y a le cas des États-Unis. Et puis il y a en gros tous les autres pays, y compris la France. Les États-Unis disent, ok, si vous avez la nationalité américaine, la citoyenneté américaine, par exemple vous êtes né aux États-Unis, donc vous avez la nationalité américaine, vous devez payer des impôts aux États-Unis ou que vous viviez dans le monde jusqu'au restant de vos jours.
Par exemple, quelqu'un qui est né aux États-Unis et que ses parents déménagent à l'âge de deux mois doit continuer à payer des impôts jusqu'au restant de ses jours aux États-Unis. Capolaire numéro un. La France et les autres pays, c'est le capolaire inverse, c'est l'exact opposé.
C'est-à-dire, en France, on dit, ok, si vous avez passé toute votre vie en France, vous êtes devenu extrêmement riche, vous êtes devenu milliardaire en France, et maintenant, vous choisissez de vous installer en Belgique ou en Suisse, et bien, au 1er janvier de l'année prochaine, vous n'avez plus rien, plus un centime d'impôts à payer en France. Voilà les deux choix qui sont faits aujourd'hui. Nous, ce qu'on explique, c'est qu'il y a tout un tas d'autres choix intermédiaires qui pourraient être faits, et qu'en fait, ces deux... cas polaires sont insatisfaisants l'un comme l'autre.
Le cas américain insatisfaisant, parce que quelqu'un qui aurait passé que deux mois aux États-Unis, pourquoi cette personne devrait payer jusqu'au restant de ses jours des impôts aux États-Unis, surtout si elle n'a pas des hauts revenus, c'est un peu difficile à comprendre. Mais surtout, de façon plus problématique, le cas français. Vous êtes devenu milliardaire en France. Si vous êtes devenu milliardaire en France, vous avez passé 60, 70 ans en France, c'est quand même en partie parce que vous avez bénéficié de l'éducation, des services publics, des biens publics, des infrastructures, de l'accès au marché.
Donc, il n'y a aucun droit naturel. à s'expatrier une fois forte une fête et à ne plus avoir un euro à payer. Juste pour revenir, je rebondis sur ce que vous dites, sur vous avez bénéficié d'éducation, on ne parle pas de votre éducation, on parle de vos salariés, du fait que si vous pouvez créer une entreprise qui prospère, c'est parce qu'il y a des gens qui sont en bonne santé, qui ont des moyens de transport, qui peuvent venir jusqu'à votre entreprise, qui sont éduqués, qui sont qualifiés, et que ça, c'est grâce au système public, parce qu'on a tendance à l'oublier.
Que la création de richesse, c'est toujours en partie une création sociale. Personne ne crée une grande société multinationale comme ça, dans le vide, sans avoir bénéficié de toutes les dépenses publiques, de toutes les dépenses sociales qui ont permis à ce business d'être prospère et de s'étendre à l'international. Donc, la création de richesse est toujours en partie une création sociale.
Voilà les choix qu'on pourrait faire. On pourrait dire très concrètement, si... Vous avez vécu longtemps en France.
Le critère, ce n'est pas la nationalité. Le critère, c'est est-ce que vous avez vécu longtemps en France ? Et si vous êtes devenu très riche en France ?
On peut discuter ce que ça veut dire, très riche. Et, troisièmement, maintenant, si vous décidez de déménager dans un territoire à fiscalité faible, si ces trois conditions sont remplies, la France va continuer à vous taxer, après votre départ, comme si vous n'étiez pas parti. C'est-à-dire, la France va venir collecter votre déficit fiscal. Elle va venir dire, bon, maintenant... vous vivez dans un canton suisse, vous payez quasiment pas d'impôts, mais nous on va considérer que non, vous devez continuer à payer des impôts en France, comme si vous étiez résident fiscal français, pendant au moins un certain nombre d'années.
On peut discuter, 5 ans, 10 ans, 15 ans. Mais ça illustre un point fondamental, qui est que la concurrence fiscale internationale, c'est pas une espèce de loi de la nature, une espèce de fatalité comme ça, et que bon, les riches, si on les taxe, forcément ils vont partir et on peut rien y faire. Non, non. Aujourd'hui, on les laisse partir en leur disant Oh, si vous partez, vous n'aurez plus rien à payer.
Mais on pourrait tout à fait dire, et les États-Unis le font maladroitement, mais on pourrait tout à fait dire, si vous partez, non, non, non, si certaines conditions se remplissent, nous allons continuer à vous taxer. Et donc, ça vient enlever les incitations à se délocaliser à des fins purement fiscales. Et ça, ça passe par des changements de loi. Et donc, c'est un peu aussi le mot de conclusion quand on parle de ce rapport-là. Et c'est ce que vous avez écrit, que l'évasion fiscale n'est pas une loi de la nature, mais un choix politique et qu'on voudrait nous faire croire.
que c'est une forme de fatalité, mais c'est vraiment un choix qu'on a fait collectivement et on peut changer les choses déjà unilatéralement. C'est vraiment le message que je retiens, selon vous en tout cas, et selon toutes ces recherches aussi que vous avez accumulées, que vous avez synthétisées dans ce rapport. J'aimerais terminer avec une question peut-être plus, pas philosophique, mais plus économique au sens large, sur la croissance économique que vous avez évoquée, puisqu'on parle de plus en plus, dans le cadre de la crise écologique, du fait de devoir changer d'indicateur, de ne plus se référer au PIB comme étant le seul indicateur de la santé économique d'un pays. Vous vous proposez, vous dites comme argument pour défendre toutes ces mesures, que ça va rapporter beaucoup parce que les milliardaires sont des milliardaires, qu'ils ont énormément de richesses, que les multinationales continuent à prospérer et à accumuler énormément de richesses et à faire beaucoup de bénéfices.
Mais c'est souvent à cause ou grâce à des activités polluantes. On sait que les trains de vie des multimilliardaires ne sont pas soutenables, qu'ils ont accumulé aussi leur fortune en partie avec des activités qui ne sont pas durables, qu'on ne va pas pouvoir continuer à conserver. Est-ce que vous avez intégré cette donnée écologique dans toute cette pensée de la fiscalité des ultra-riches et des multinationales ? Oui, c'est une excellente question. L'outil fiscal a un énorme rôle à jouer dans la lutte contre le changement climatique.
Le problème, c'est que... Les instruments fiscaux qui ont été utilisés jusqu'à présent pêchent par leur injustice et leur simplisme. C'est-à-dire qu'on a tout misé sur des taxes carbone régressives ou qui viennent raboter tout le monde au même taux, alors même que, et vous l'avez bien dit, les émissions carbone sont extrêmement inégalitaires, que les grandes fortunes et les hauts revenus émettent beaucoup plus de carbone que les classes moyennes, les classes populaires.
Il faut qu'il y ait une révolution dans la pensée de la fiscalité climatique qui correspond à la révolution qui a eu lieu au début du XXe siècle, à la fin du XXe siècle, dans l'imposition des revenus. C'est-à-dire que jusqu'à la fin du XXe siècle, il n'y avait que des flat taxes, des taxes uniformes sur les revenus. Tout le monde était taxé au même taux, que vous soyez millionnaire ou simple paysan.
Et puis, à la fin du XXe siècle, c'est la naissance de l'impôt progressif. Plus votre revenu est élevé, plus le taux... marginale d'imposition va être élevé.
Il faut qu'on évolue dans cette direction-là pour la fiscalité carbone. C'est la façon la plus à la fois puissante et juste et logique pour lutter contre le changement climatique. Et dernière question, je vous avais dit que c'était la dernière, mais il en restait une dernière, dernière. Demain, vous êtes nommé ministre de l'Économie par Emmanuel Macron, qui vous laisse les mains complètement libres, qui vous dit, vous pouvez faire ce que vous voulez, qu'est-ce que vous faites passer là demain, en 2023, comme loi ?
à l'échelle française en termes de fiscalité ? C'est les deux principales préconisations du rapport. Premièrement, nous créons un impôt minimum sur les milliardaires, sur les très grandes fortunes plus généralement, de 2% du patrimoine, c'est-à-dire que vous ne devez pas pouvoir payer moins de 2% de votre fortune chaque année en impôts sur le revenu et IFI. On change la loi.
On change la loi. On crée cette nouvelle taxe minimale. Et on vient aussi dire, bon, elle va s'appliquer aux milliardaires français, mais on est cohérent, on va aussi l'appliquer aux milliardaires étrangers, dans la mesure où les milliardaires étrangers, une partie de leur fortune provient de la détention d'entreprises qui sont présentes en France, etc.
Donc, on va taxer les milliardaires mondiaux à notre échelle. Première chose, je pense que là, il y a... Un point de produit intérieur brut de recettes fiscales supplémentaires sonnante et trébuchante.
Deuxième chose, les sociétés multinationales, on a cet accord qui a été ratiboisé sur la taxe minimale à 15%, mais nous, on est plus ambitieux. En France, on va mettre un impôt minimum de 25% sur les sociétés multinationales. Pareil, qu'elles soient françaises ou étrangères, si elles payent trop peu à l'étranger, on va venir collecter une partie de leur déficit fiscal.
Et voilà un point de PIB supplémentaire de recettes fiscales. Monsieur le Président de la République, on peut déjà commencer avec ça. Peut-être qu'il regarde cet entretien.
Merci beaucoup Gabriel Zucman d'avoir été avec nous, on est très heureux de vous avoir reçu sur le plateau de Blast. Merci à vous. J'espère que cette vidéo vous a plu et que vous y avez appris des choses. La fiscalité est toujours un thème un peu difficile à traiter car c'est technique et que ça suscite malheureusement souvent trop peu d'intérêt.
En tant que média, on est donc facilement tenté de ne pas en parler ou d'en parler plus sommairement. Aujourd'hui, j'ai fait le choix d'un long entretien récapitulatif, car je crois que les travaux de l'Observatoire européen de la fiscalité marquent un tournant en matière de savoir sur le sujet et qu'il est vraiment important qu'ils impactent le débat public et médiatique. Je vous demande donc, plus que d'habitude, de partager cet entretien sur vos réseaux sociaux ou de l'envoyer à vos proches afin qu'ils rencontrent l'écho espéré.
J'aimerais terminer en vous donnant un petit aperçu de ce qui se passe ici en conférence de rédaction, quand j'annonce que je... Je veux faire un entretien d'une heure sur la fiscalité alors que l'actualité est extrêmement chargée et nos moyens limités. Ce n'est pas naturel ni automatique qu'on me donne le temps et les moyens de le faire. Mais heureusement, j'ai la chance d'être dans un média où les audiences ne sont pas la seule boussole, où je peux défendre ces sujets, où la rédaction en chef laisse la place à des thématiques que l'on considère essentielles comme l'écologie ou l'économie. Cette liberté éditoriale avec laquelle j'ai la chance de travailler a une valeur inestimable et c'est uniquement grâce à vous.
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